[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [29 juillet 1789.] 297 relatif aux troubles de la Franche-Comté. Il demande qu’il en soit fait lecture. L’arrêté est lu comme il suit : Extrait du registre des délibérations du 'parlement de Besançon. « Ce jour, la cour, les chambres assemblées, après lecture de l’arrêté de la précédente séance, qui a été approuvé ; M. le président de Camus a fait lecture du procès-verbal dressé par MM. les commissaires à l’exécution de l’arrêt rendu à la précédente séance, contenant les raisons qui les ont empêchés de donner suite à l’exécution dudit arrêt, et a proposé à messieurs de délibérer. < La matière mise en délibération, il a été arrêté que copies en forme dudit procès-verbal seront envoyées à M. le président, en le priant et le chargeant de les faire parvenir au Roi et à l’Assemblée nationale. «Arrêté en outre, queM. le premier président demeurerait chargé expressément de supplier le Roi et l’Assemblée nationale de pourvoir le plus promptement possible aux moyens de faire cesser les désordres qui affligent la province, tels que des démolitions de châteaux, incendies de dépôts publics et d’archives particulières, attroupements et excès commis contre différentes personnes, soit dans leurs domiciles, soit sur les chemins publics, malgré tous les soins que l’autorité civile et militaire et les communes des villes y ont apportés jusqu’à présent. « La cour a arrêté de plus que mondit sieur le premier président demeure chargé d’assurer le Roi et l’Assemblée nationale de sa confiance la plus entière dans les mesures et les moyens qu’ils croiront devoir employer pour le bonheur de la nation, et pour assurer à tous les citoyens la liberté et la sûreté de leurs personnes, ainsi que la propriété de leurs biens -, déclarant qu’elle attend et qu’elle désire l’établissement de toutes lois et décrets que leur sagesse leur dictera, auxquelles la cour déclare qu’elle sera aussi inviolablement attachée, qu’elle l’a été jusqu’à présent à celles dont l’exécution lui a été confiée. » 11 a été lu ensuite un procès-verbal annexé à l’arrêté ci-dessus, par lequel il constate que la mission donnée par le parlement à ses commissaires, d’informer sur l’événement désastreux qui a eu lieu dans le château de Quincey, a éprouvé quelques obstacles. M. de Grosbois cherche à dissiper les préjugés défavorables qu’on avait semés dans l’Assemblée sur le compte de cette compagnie. M. Bureaux de Pusy. Mon intention n’est pas de jeter le moindre doute sur la sincérité des sentiments que le parlement de Besançon exprime à l’Assemblée nationale ; mais je crois devoir observer que la confiance publique ne parle pas en faveur de cette cour ; que pour la faire renaître, elle doit retirer l’arrêté du 27 janvier ; arrêté par lequel le parlement, en cherchant à maintenir les abus des anciens Etats généraux sur leur convocation et leur composition, déclarait que les députés ne pouvaient rien innover sur cet objet ; que les Etals généraux ne pouvaient déroger aux immunités de la province, et que les impôts devaient être consentis parles Etats de la province, et enregistrés au parlement. M.Gourdan. C’est dans le défaut de confiance des peuples, dans les sentiments qui animent cette cour, qu’on doit chercher la cause des désordres qui déchirent cette province. Cette cour, comme douzième parlement, s’est déclarée gardienne des maximes inviolables du royaume. Qu’elle se rende digne de la confiance de la province, et l’ordre y renaîtra. M. le marquis de Toulongeon donne de nouveaux détails sur les troubles et les dévastations qui se commettent dans cetie province. Yesoul, dit-il, a été forcé; trois abbayes ont été détruites, onze châteaux ruinés. Le parlementa envoyé une commission sur les lieux, mais elle n’a pas été reçue. Cette cour ne jouit pas de la confiance qui seule peut assurer l’empire des lois. Un arrêt a évoqué l’affaire de Quincey. Cet arrêt est illégal, puisque le coupable est encore inconnu, et que, jusqu’à ce qu’on en ait la connaissance, l’instruction appartient au premier juge... Il y a bien d’autres choses à dire ; mais il n’y a qu’un moyen, c’est la suppression du parlement. Après quelques débats, on demande le renvoi de cette affaire au comité des rapports. Le renvoi est ordonné. — Une lettre de lord Georges Gordon, écrite à l’Assemblée en anglais, est renvoyée aux bureaux. L’Assemblée décide que les originaux des pouvoirs seront déposés aux archives. M. Rabaud de Saint-Etienne fait lecture de la nouvelle rédaction du règlement corrigé et rédigé d’après les observations des trente bureaux. Quelques articles donnent lieu à la discussion. M Bouche propose de nommer un membre de chaque bureau pour fixer les articles contestés, et, en attendant, d’admettre provisoirement le règlement. L’article qui fixe la majorité des suffrages à la moitié plus un est vivement combattu. Quelques membres veulent une pluralité graduée. MM. Desmeuniers, Target, de Toulon - geon et Lanjuinais ont combattu la pluralité graduée, comme incompatible avec le bien public, et tendant à empêcher la réforme des abus. M. Tréteau demande l’ajournement .de cette discussion. M. le comte de Mirabeau. Je n’ai pas cessé un moment de croire que, quel que soit le règlement de police qu’on nous propose, il sera susceptible d’inconvénients. Eh ! quelle institution humaine n’en a pas? Mais il me parait en général composé avec assez de sagesse, et pénétré d’un assez bon esprit, pour que je désire son adoption au moins provisoire, et sauf les améliorations que pourra nous suggérer l’expérience de chaque jour. Toute loi est par sa nature révocable à la volonté de celui qui l’a faite. Le principe contraire serait l’apothéose des préjugés, la proscription de la raison . Mais les premiers éléments de l’ordre doivent être admis le plus tôt possible, lorsqu’on veut travailler à un plan digne de gouverner les hommes, et capable d’opérer notre bonheur. Hâtons-nous d’adopter une police quelconque, en attendant que l’habitude des assemblées, le dépouillement des préjugés et nos propres observations nous donnent une police perfectionnée. Cependant, pour vous ôter les regrets que deux des préopinants voudraient vous donner sur 298 [Assemblée nalionale.J ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [29 juillet 1789.) l’adoption de îa pluralité simple que prescrit le règlement, j’examinerai en peu de mots celui des pluralités graduées, que l’on vous propose d’y substituer. Si vous consultez la nature des choses, vous verrez que toute réunion d’hommes en société doit être gouvernée par le vœu de la pluralité de ses membres. C’est là une condition nécessaire de toute association, sans laquelle vous la vouez à l’inertie ou à des troubles toujours renaissants. Ceux qui s’opposent à cette loi sont séduits par l’espèce de frayeur que leur cause l’idée de voir la prépondérance d’un seul suffrage décider les questions les plus importantes. Mais qu’ils ne s’y trompent pas ; ce n’est pas tel ou tel suffrage qui décide, c’est la comparaison de la somme de ceux qui disent oui, avec la somme de ceux qui disent non. Dans le cas où ces deux sommes seraient égales, il n’y aurait point de décision, ou plutôt il y en aurait une ; car alors la loi ancienne serait préférée à la loi nouvelle. Dans le cas où la somme des oui surpasse celle des non, alors la loi nouvelle doit l’emporter ; car enfin, quand la balance est juste, le moindre poids suffit pour la faire pencher de l’un deux côtés. A la place de cet inconvénient chimérique, on substitue le plus grave de tous les inconvénients, le plus grand de tous les dangers, celui de transporter à la minorité des suffrages l’influence que le bien général donne incontestablement à la majorité. Nous sommes ici douze cents : dans le système de la pluralité, six cent un suffiront pour faire adopter une résolution contre le vœu de cinq cent quatre-vingt-dix-neuf qui ne voudraient pas qu’elle fût prise, ou, ce qui revient au même, qui préféreraient à l’état de choses qu’on vous propose l’état de choses où nous sommes, tant que la résolution proposée n’a point passé. Suivez l’avis de ceux qui attaquent le système de la pluralité, substituez-y une loi qui exige plus des trois quarts des suffrages pour former une résolution légale. Qu’arrive-t-il? Qu’alors trois cents auront plus de force pour maintenir leur opinion, que neuf cents n’en auront pour la détruire ; que tant qu’une proposition n’aura pas pour elle neuf cent une voix, elle sera sans force, ou, ce qui revient au même, que le vœu de neuf cents qui veulent d’une manière sera soumis à celui de trois cents qui veulent d’une autre. Dans ce système, messieurs, que devient la justice? Que devient le vœu commun? Gomment alors pourrait-on dire que la loi est l’expression de la volonté générale? Hors du principe clairet fécond de la pluralité simple, je ne vois qu’une rénovation sourde, mais très-effective, des ordres, du veto et de tous ces mouvements contradictoires qui désorganisent la société. L’avis de M. de Mirabeau ne réunit pas tous les suffrages. M. de Lubersac, ëvêquede Chartres . Je m’oppose à l’adoption provisoire du règlement. Vous allez vous occuper des objets les plus importants. Si vous ne délibérez que sur un régime provisoire, on dira que vous avez suivi des formes vicieuses et précaires ; vous soumettrez ainsi vos délibérations à une critique. M. de Lally-Tollendal appuie cet avis, et il fait quelques observations sur les articles contestés. Le comité proposait : 1° un changement dans la manière de prendre les voix ; c’était la voie des recenseurs ; 2° L’établissement d’un comité de quatre personnes chargées de faire la révision des procès-verbaux ; 3° D’imprimer les motions qui seraient faites par les divers membres; 4° De fixer la majorité à la moitié plus un des votants. Ges quatre articles, après de longs débats, sont mis successivement aux voix. Lavoie des recenseurs est rejetée, presque unanimement, de même que l’établissement d’un comité de révision. L’article relatif à l’impression des motions est modifié, et l’impression sera bornée aux motions qui regarderont la constitution, la législation ou les finances. L’article qui fixe la majorité à la moitié plus un des votants est encore discuté. M. de Bousmard veut qu’un article de constitution ne puisse passer en force de loi que quand la majorité, non des votants, mais dés membres ayant droit de voter, l’aura adopté. M. de Boufflers propose de déclarer que l’Assemblée ne pourra délibérer que lorsqu’elle sera formée de plus de la moitié des membres. M. de Lubersac, évêque de Chartres, fait une distinction entre les lois nouvelles et celles qui abrogeraient des lois déjà établies et anciennes. Pour les premières, il demande une majorité simple, et deux tiers des voix pour les secondes. M. le comte de Mirabeau. Le doute de M. l’évêque de Chartres doit être résolu: tout ce qui sort de la bouche d’un prélat aussi respectable, d’un ami aussi pur de la justice et des bons principes, mérite à mes yeux la plus scrupuleuse attention. De grandes autorités ont accrédité l’erreur des pluralités graduées, vers laquelle il me paraît incliner; mais chaque jour nous apprend mieux que la vérité est la fille du temps et non des autorités. S’il faut une plus grande majorité pour anéantir une loi ancienne que pour établir une loi nouvelle, comment distinguerez-vous entre ces deux cas? Est-il une loi nouvelle qui n’emporte pas ou textuellement, ou dans ses conséquences, l’anéantissement d’une loi ancienne? Exigerez-vous une plus grande majorité pour une loi importante et grave que pour une loi qui ne le serait pas ? Mais alors encore où sera la ligne de démarcation? Quelle est la loi qui ne sera pas susceptible d’être importante et grave dans un temps, minutieuse et ]Deu importante dans un autre? Où sera le critérium qui guidera l’Assemblée pour les distinguer ? Et sans un critérium bien clair et bien précis, n’aurez-vous pas multiplié les difficultés, les embarras, et par-là même les intrigues et les divisions? Vainement, Messieurs, a-t-on dit qu’on peut établir deux majorités fixes, dont l’exercice serait déterminé par là loi. Je répondrai toujours que deux majorités fixes ne me paraissent pouvoir rien produire que des résultats très-peu fixes, et que douze cents personnes délibérant ensemble ont déjà, par la nature des choses, assez de peine à s’entendre et à expédier les affaires, pour qu’on ne leur suscite pas encore de fréquentes questions de compétence. Et si, comme quelqu’un l’a proposé, vous déci- 299 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. |29 juillet 1789.] dezquela majorité ne pourra prendre - une résolution que dans le cas seulement où la pluralité des représentants de la nation se trouverait rassemblée, alors, Messieurs, vous établissez un ordre de choses où, pour exercer le plus irrésistible veto , il suffira de l'absence. Or, ce genre de veto est de tous le plus redoutable et le plus sûr ; car enfin on peut espérer, avec des raisons, de fléchir ou de convaincre des personnes présentes; mais quelle influence pourrez-vous avoir sur ceux qui, pour toute réponse, ne paraîtront pas ? Sans doute, il convient de fixer le nombre de votants nécessaire pour légaliser une Assemblée, mais gardons-nous de fixer un nombre trop petit ; car alors il serait trop facile à un président qui voudrait intriguer de faire passer tout ce qu’il voudrait. Gardons-nous encore de fixer un nombre trop grand, car alors combien de facilités ne donnerions-nous pas à ceux qui, nar leur absence, voudraient paralyser l’Assemblée? A cet égard le règlement me paraît observer un milieu sage. Il fixe ce nombre A deux cents: c’est proportionnellement le double du nombre que les Anglais ont fixé; car leur Chambre des communes est de cinq cent cinquante, et fisse contentent de quarante membres oour toutes les délibérations. En suivant la proportion, nous devrions être contents d’avoir fixé le nombre à cent. Je n’ai pas eu le temps de méditer sur cette question; mais ie ne verrais pas d’inconvénient à ce que l’on exigeât pour toute délibération le tiers de la totalité des membres de l’Assemblée nationale. Plusieurs membres parlent tour à tour en faveur de la majorité simple. M. Target. La. règle générale de toute Assemblée délibérante est la majorité' simple. Il faut une raison déterminante, et elle est dans la majorité des suffrages, elle ne peut pas se trouver ailleurs. C’est donc la majorité simple qui forme le décret. Les anciens abus ne méritent pas d’être ménagés. Mon avis est que la majorité des vofants décide, et que la majorité consiste dans la pluralité des voix, formée par la moitié plus une. M. de Boisgelin, archevêque d'Aix. Mes observations sont un hommage que je rends à la sagesse du règlement. Dans toute Assemblée nationale, la volonté générale est connue par la pluralité. Nous ne sommes pas ici de simples délibérants, mais les représentants d’une nation entière; nous cherchons et nous portons chacun Je vœu général. Citoyens de la France, réunis de toutes les provinces indistinctement, nous venons dire dans cette Assemblée, en y donuantnos suffrages : telle est l’opinion de la nation. Il est dans la nature d’une Assemblée de représentants d’opiner à la pluralité simple. Toute autre loi aurait une foule d’inconvénients dont l’arbitraire serait le moindre de tous. On s’est déjà partagé dans l’Assemblée sur le nombre nécessaire de délibérants, pour que la délibération porte le caractère de la volonté générale.... Il y aurait sans doute un grand inconvénient dans une Assemblée incomplète: il semblerait que la nation n’aurait pas exprimé son vœu, si le nombre des votants se trouvait trop réduit. En cela, il me semble que le règlement a trouvé un moyen. Il exige que toutes les discussions essentielles soient portées à trois Assemblées différentes. Tous les représentants sont ainsi prévenus de se rendre à la discussion. S’ils ne s’y rendaient pas, ce serait une mauvaise volonté qui ne pourrait pas exposer l’Assemblée. Faudrait-il que l’absence de quelques-uns paralysât l’autre portion de l’Assemblée? Non, sans doute; ceux qui viendraient alors seraient seuls dépositaires de la volonté générale ; et leur vœu, exprimé par la pluralité simple, serait le vœu général. Ce discours, entendu avec beaucoup d’attention, est couvert d’applaudissements. M. le comte de Mortemart. Si je me permets quelques réflexions sur la question proposée. ce n’est pas que je prétende rappeler ici la division des ordres; il n’en existe plus qu’un dans cette salle, c’est celui du bien public. Dans tous les objets que nous allons traiter, fi y en a qui sont plus ou moins intéressants, plus ou moins importants. Ceux qui tiennent à la constitution sont, par exemple, d’un ordre supérieur ; ceux qui ne tiennent qu’à la police de cette Assemblée ne présentent pas, à beaucoup près, un aussi haut degré d’intérêt. Cependant, pour décider les uns ou les antres, faudra-t-il la même influence dans les suffrages, la même maio-rité? Ne serait-il pas plus prudent de les distinguer comme ils le sont déjà par la nature? C’est alors que les premiers exigeront pour être résolus la majorité entière de cette Assemblée, et que les seconds seront suffisamment décidés par la majorité des votants. M. le comte de Mirabeau. Qu’on me permette encore quelques réflexions ; il n’est dans toute association politique qu’un seul acte qui, par sa nature, exige un consentement supérieur à celui de la pluralité: c’est le pacte social qui, de lui-même étant entièrement volontaire, ne peut exister sans un consentement unanime. L’un des premiers effets de ce pacte, c’est la loi de la pluralité des suffrages. C’est cette loi qui constitue, pour ainsi dire, l’existence, le moi moral, l’activité de l’association. C’pst elle qui donne à ses actes le caractère sacré de la loi, en constatant qu’ils sont, en effet, l’exnression du vœu général. Qu’à cette simple et belle loi de la pluralité, l’on substitue tout autre degré de majorité ; dès ce moment toutes les fois qu’un objet quelconque aura réuni une pluralité inférieure à la majorité requise, la société est nécessairement condamnée au schisme car il n’est dans la nature d’aucune société légitime que le plus grand nombre soit assujetti à la minorité. Si tel est le danger de tout autre genre de pluralité que la pluralité simple, même dans un état paissant, combien ce danger ne devient-il pas imminent dansun Etat comme la France, où tout est à créer, à combiner, à méditer même; où unelon-gue série d’abus de tout genre, et des siècles d’esclavage, en couvrant la surface entière de la constitution et de l’administration dans toutes leurs parties, ne montre pas' une seule loi à établir qu’au travers d’une croûte épaisse de préjugés ou de désordres à corriger? Est-ce dans un tel état de choses qu’on peut raisonnablement apporter des obstacles à la faculté de vouloir? Et si jamais cette faculté doit être laissée à toute son activité, n’est-ce pas surtout lorsqu’elle est entre les mains d’un corps constitué, comme l’Assemblée nationale, de parties hétérogènes dont quelques-unes ont eu tant de peine à s’amalgamer en tout, et entre lesquelles il serait si aisé de réunir une minorité suffisantè pour arrêter 300 [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. tout? On a tant disséqué le vote par ordre, on a tant frémi du refo des ordres ! Eh ! n’est-il pas clair que la pluralité graduée est exactement la même prétention sous un 'nom plus doux, et que dans ce cas comme dans l’autre ce serait toujours le quart ou le tiers de l’Assemblée qui donnerait des lois à la nation ? Toute personne qui a observé les Etats républicains y verra les nobles effets de cette aristocratique invention. Dans la législation que nos commis de bureaux donnèrent à main armée aux Genevois, en 1782, ils eurent soin d’introduire cette loi de la pluralité graduée, comme l’égide du despotisme aristocratique et militaire auquel ils assujétissaient cette petite, mais respectable République. Non contents de ce qu’aucune loi ne pouvait être faite par l’Assemblée générale sans le consentement préalable de deux conseils administrateurs, ils mirent la pluralité des trois quarts des suffrages à la place de la pluralité simple qui toujours avait existé. Ainsi une loi qui n’avait été introduite que par la force, qui n’avait reçu pour sanction souveraine que celle d’une Assemblée dont les trois quarts des membres étaient exclus à main armée, devait être maintenue contre la volonté de tous par le simple vœu du quart plus un d’un simple conseil d’administration! Qu’est-il arrivé de cette loi? Jamais Genève n’a été plus malheureuse, plus tourmentée, jamais ces arrogants aristocrates eux-mêmes n’ont été plus méprisés, moins redoutés, malgré leurs troupes, malgré des serments forcés, que depuis que leurs concitoyens ont été soumis à cet absurde et criant régime. A la première occasion qui s’est offerte de mettre la loi en exécution, . au moment où des magistrats, maintenus en place par une minorité de voix, ont voulu gouverner, l’incendie s’est trouvé prêt ; la plus légère étincelle a causé l’embrasement. Atterrée par la crainte d’une nouvelle garantie, d’un nouveau siège, Genève a conservé cette loi folle qu’une triple garantie armée l’avait forcée d’adopter. Jamais elle ne sera libre, ni par conséquent tranquille, tant que ce monument de la criminelle ambition de ses chefs et de notre injustice ne sera pas entièrement détruit. Mais pour revenir aux pluralités graduées dans leur rapport avec un grand Etat, supposons la constitution faite ou prête à se faire, et voyons si, comme M. Fréteau le pensait, on pourrait y joindre alors quelque loi de ce genre pour garantir la constitution. Si c’est dans le but de mettre la constitution à l’abri de toute atteinte du Corps législatif qu’on veut établir la pluralité graduée, le moyen est visiblement insuffisant. La constitution n’ayant pu s’opérer par la volonté du peuple lui-même, elle ne peut être détruite que par son aveu : voilà le principe ; consacrez-le, et la constitution est en sûreté. Est-ce pour les lois de détail que l’on voulait établir la pluralité graduée? Dans ce cas, outre les inconvénients déjà énoncés, n’est-il pas clair que vous privez les futurs représentants de la nation de leur liberté de législation? Eh ! qui sait à quel point cette entrave que vous mettez à une faculté si nécessaire dans tout bon gouvernement, peut être nuisible à la postérité? Lorsque les Anglais autorisèrent, au commencement du siècle, le fatal système des emprunts nationaux, lorsqu’ils voulurent rejeter sur leurs descendants une portion du fardeau qu’ils pré-[29 juillet «89.] tendaient trop pesant pour eux, prévoyaient-ils que cette bévue en finance nuirait un jour à l’influence qu’ils avaient voulu réserver au peuple, en mettant les subsides entièrement à sa disposition ? La longueur des réflexions de M. Mirabeau avait excité l’impatience. On interrompt l’orateur pour demander que l’on aille aux voix. On propose un premier amendement : L’Assemblée ne sera censée complète que lorsqu’elle sera formée de la moitié de ses représentants, relativement aux articles administration, législation et finance. Cet amendement est rejeté. On propose un autre amendement ainsi conçu : Faut-il une majorité différente pour la constitution, la législation et les finances, que pour tout autre article ? Cet amendement est également rejeté. La question est mise ainsi aux voix : Le règlement serait-il adopté, sauf les changements que l’expérience fera juger nécessaires? L’affirmation est reçue à l’uuanimité. On va ensuite aux voix article par article. Voici ceux qui sont adoptés : RÈGLEMENT À L’USAGE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE. CHAPITRE PREMIER. Du 'président et des secrétaires. 1° 11 y aura un président et six secrétaires. 2° Le président ne pourra être nommé que pour quinze jours; il ne sera point continué, mais il sera éligible de nouveau dans une autre quinzaine. 3° Le président sera nommé au scrutin, en la forme suivante. Les bureaux seront convoqués pour l’après-midi; on y recevra les billets des votants; et le recensement et le dépouillement des billets se feront dans les bureaux mêmes sur une liste particulière qui sera signée par le président et le secrétaire du bureau. Chaque bureau chargera ensuite un de ses membres de porter sa liste dans la salle commune, et de s’y réunir avec deux secrétaires de l’Assemblée, pour y faire le relevé des listes, et en composer une générale. Si aucune des personnes désignées n’a la majorité des voix, savoir la moitié et une en sus, on retournera au scrutin une seconde fois dans les bureaux, et les listes seront également rapportées dans la salle commune. Si dans ce second scrutin personne n’avait la majorité, les deux sujets qui auront le plus de voix seront seuls présentés aux choix des bureaux pour le troisième scrutin. Et, en cas d’égalité de voix entre les deux con-curents, le plus âgé sera nommé président. 4° Les fonctions du président seront de maintenir l’ordre dans l’Assemblée, d’y faire observer les règlements, d’y accorder la parole, d’énoncer les questions sur lesquelles l’Assemblée auraà délibérer; d’annoncer le résultat des suffrages, de prononcer les décisions de l’Assemblée, et d’y porter la parole en son nom. Les lettres et paquets destinés à l’Assemblée nationale et qui seront adressés au président seront ouverts dans l’Assemblée.