[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. sordres, ont excité votre indulgence par la sincérité de leur repentir. Car vous vous souvenez sans doute, d’après le rapport qui vous a été fait hier, que si dans cette fatale journée quelques forcenés, qui gardaient une porte très éloignée du quartier du régiment du roi ont donné le signal et l’exemple du carnage le plus criminel ; s’il y avait, en effet, parmi eux, plusieurs soldats du régiment du roi, tous ceux qui n’avaient pas abandonné leurs drapeaux, et certes c'était presque la totalité, étaient déjà sortis de la ville sous la conduite de leurs officiers, pour se rendre au lieu que le général avait assigné pour recevoir leur soumission ; et que si au bruit et à la surprise d’une attaque et d’une défense aussi inattendues, leur premier mouvement a été de rentrer dans la ville, ce n’a été que pour se renfermer dans les casernes et pour y attendre de nouveaux ordres du général, qu’ils ont ensuite exécutés sans résistance et sans murmure. On doit sans doute attribuer une grande partie de cette heureuse inaction, de cette propension volontaire, à l’obéissance, au zèle, aux efforts et à la persuasion des officiers et des sous-ofticiers; mais ne peut-on pas aussi les rapporter à la voix de la patrie, au cri de la conscience, de l’honneur et du devoir qui parlaient encore au cœur de ces soldats, au milieu de leurs plus grands égarements? Je ne prétends point, Messieurs, excuser ceux auxquels les soldats du régiment du roi s’étaient précédemment abandonnés : sous ce point de vue, ils sont tous également répréhensibles; mais dans la journée du 31, tous n’ont pas été également coupables, les seuls vraiment cri uinels sont ceux qui, après avoir été les premiers instigateurs des désordres, ont persévéré jusqu’à la dernière extrémité dans leur résistance; ceux qui ont poussé l’audace jusqn’à faire usage, contre leurs concitoyens, des armes qui ne leur avaient été confiées que pour la défense de la patrie; enfin, ceux qui ont été arrêtés au milieu du tumulte de la révolté la plus coupable. Les prisons de Nancy renferment encore ceux que la fuite n’a pas dérobés à la vengeance des lois; et pourriez-vous, Messieurs, avec justice confondre, comme on vous l’a proposé, dans une disposition générale, le sort de pareils coupables avec celui des autres soldats du régiment du roi, qui, dans cette même journée du 31 août, n’ont offert d’autre spectacle que celui delà consternation et d’une soumission aussi absolue que volontaire? et ne répugnerait-il pas à votre équité d’infliger à tous une même punition, et surtout de la faire partager indirectement à des officiers et à des sous-ofticiers qui n’ont mérité que votre intérêt et votre estime? Je ne peux m’empêcher de penser que le premier objet doit être remis constitutionnellement à la disposition du roi, comme chef suprême de l’armée, et que le second ne peut être rempli qu’autaut que les vrais coupables seront abandonnés à toute la rigueur des lois militaires. Mais, dans tous les cas, je dois recommander à votre justice le sort des officiers du régiment du roi, et fixer particulièrement votre attention sur un nombre considérable d’anciens officiers qui n’ont dû leur avancement qu’à leur mérite, et qui u’ont d’autre patrie que le corps où ils ont servi avec honneur dès leur plus tendre jeunesse; sur une foule d’excellents sous-olliciers qui avaient les mêmes droits et le même espoir de parvenir aux mêmes récompenses. (7 décembre 1790.] 311 Je conclus donc que ce n’est qu’en laissant un libre cours aux lois, que vous pourrez faire éclater votre justice, et que ce n’est qu’en vous en rapportant à la sagesse du roi, et qu’en recomman dant à sa bienveillance tous les individus qui lui paraîtront l’avoir méritée, que vous concilierez avec cette justice ce qu’on doit attendre de votre humanité. C’est sous ce double point de vue, qui me paraît également constitutionnel, également convenable aux circonstances, également conforme à la justice distributive, que je prendrai la liberté de vous soumettre le projet de décret suivant : PROJET DE DÉCRET. « L’Assemblée nationale, après avoir entendu le rapport de ses comités des recherches, des rapports et militaire, sur les désordres qui ont eu lieu dans la ville de Nancy, dans le courant du mois d’août dernier, et notamment dans la journée du 31 dudit mois ; « Décrète que le roi sera prié de faire établir incessamment une cour martiale ou conseil de guerre pour faire juger, suivant les formes constitutionnelles, les militaires, de quelque grade qu’ils soient, prévenus d’avoir été les auteurs ou les fauteurs desdits désordres, et qu’au surplus, l’Assemblée s’en rapporte à la sagesse du roi, chef suprême de l’armée, pour les mesures ultérieures à prendre, relativement aux trois régiments qui composaient la garnison de Nancy, à l’époque du 31 août dernier, à l’effet de concilier ce que le rétablissement et le maintien de la discipline dans l’armée exige avec l’économie des finances, l’avantage du serment et la justice distributive. » M. l’abbé Grégoire. Je ne puis m’empêcher de remarquer dans le rapport une grande prodigalité d’éloges, quand je crois voir dans la conduite de M. de Bouille une précipitation qui a fait verser le sang des citoyens. (On applaudit.) On a amplement déduit les torts des soldats; mais a-t-on suffisamment développé les causes qui les ont aigris et égarés? Eli ! comment n’auraient-ils pas été égarés quand leurs camarades suisses étaient passés aux courroies pour avoir demandé des comptes, quand M. de Malseigne parlait à des militaires avec une brutalité presque barbare, quand ils savaient qu’on distribuait arbitrairement des cartouches infamantes, quand leurs camarades députés à Paris étaient emprisonnés? Gomment n’auraient-ils pas été égarés quand des libelles insidieux, quand l’adresse aux provinces circulaient avec profusion dans le royaume ? On savait que les troupes autrichiennes avaient demandé passage sur le territoire de France; on savait que nos frontières étaient sans défenses; il arrivait de toutes parts des gardes nationales qui couraient contre un ennemi inconnu. On avait beaucoup parié des lenteurs que M. de Bouillé avait apportées à la prestation de son serment civique, et M. de Bouillé commandait. La municipalité distribuait des armes, des cartouches, appelait les citoyens au service du canon, ordonnait enfla tous les préparatifs de la guerre. Que devaient penser les soldats? On partait de contre-révolution; le patriotisme pur d’une société respectée avait été déaoncé; des troupes arrivaient, on s’armait contre elles; les soldats en les attaquant ont cru servir leur patrie. On a rassemblé beaucoup de nuages sur l’affaire de Nancy; on reconnaît assez cependant l’effet de quelques sourdes