[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [19 juin 1790.] 379 devant de Saint-Fargeau) ; Bonnay (ci-devant le marquis de) ; Treiihard ; Riquetti l’aîné (ci-devant le comte de Mirabeau) ont réuni le plus grand nombre de suffrages. MM.Delley(ci-devantdeDelley d’Agier), Populus et Robespierre sont nommés secrétaires e n remplacement de MM. l’abbé Royer, de Jessé et Prieur, dont les pouvoirs sont expirés. (La séance est levée à onze heures au milieu des applaudissements et des cris d’allégresse.) ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU 19 juin 1790. Protestations diverses contre le décret portant abolition de lanoblésse (1). PROTESTATION DU COMTE d’àLENÇON. (Extrait du cahier de la noblesse.) Déclare la noblesse de Toul et pays Toulois cpie ne formant de vœu que pour la prospérité de l’État et le soulagement du peuple, elle renonce à tous privilèges pécuniaires, etc., se réservant les prérogatives inhérentes à son ordre, comme tenant essentiellement à la constitution de la monarchie, etc. Je soussigné, député susdit, déclare que, n’ayant pu faire entendre mes réclamations à la séance du 19 juin, ni les faire recevoir à celle du jour suivant, je proteste contre le décret rendu sur la noblesse le 19 juin 1790, dont je déposerai l’acte chez un officier public, à raison du refus de le recevoir par l’Assemblée, et ce pour m’acquitter envers mes commettants, et me conformer à leur mandat, tant sur cet objet, et ses suites, que sur ceux essentiellement dépendants de la puissance spirituelle, et conformément à la déclaration de M. l’Evêque de Glermont, du 9 juillet 1790, à laquelle je donne mon adhésion. A Paris, le 10 juillet 1790. Signé ; LE COMTE D’ALENÇON, député de la noblesse de Toul. PROTESTATION DE M. BURIGNOT DE VARENNES. Le soussigné, député de lanoblessedu bailliage de Chalon-sur-Saône, considérant qu’il ne peut exister de constitution sans le maintien des propriétés; que de toutes les propriétés, la plus précieuse est la noblesse héréditaire, que ce n’est qu’en perdant l’honneur qu’on est légitimement dépossédé, qu’aucun équivalent ne peut la remplacer: considérant enfin que l’Assemblée nationale n’a souffert dans ses procès-verbaux, aucune mention des protestations faites à sa tribune, le 19 juin au soir contre le décret qui supprime la noblesse héréditaire (protestations auxquelles il avait hautement adhéré), déclare qu’il proteste de nouveau contre ce décret, tant en son nom qu’en celui de ses commettants; demandant que la présente protestation soit déposée aux archives de l’Assemblée nationale. Signé ; burignot de varennes. Nota. — Cette protestation a été adressée au président de l’Assemblée nationale, qui a refusé de la lui communiquer. Adhésion du chevalier de Rully. N’ayant pas encore pris ma place à l'Assemblée nationale, à l’époque du 19 juin, je n’ai pris aucune part au décret rendu ledit jour, mais je déclare que j’adhère aux principes ci-dessus énoncés par mon collègue, que je joins ma signature à sa protestation, et que je regarde ledit décret comme nul et non-avenu. Signé : le chevalier DE rully, député de Chalon-sur-Saône . DÉCLARATION DE M. LE VICOMTE DU HAUTOY. Extrait du cahier de la noblesse du bailliage de Pont-à-Mousson, en Lorraine. « Art. 38... Sa Majesté sera suppliée très « humblement de confirmer la promesse qui a été « faite aux deux duchés (de Lorraine et Barrois), « par le roi son auguste prédécesseur, de les con-« server dans tous les privilèges, prérogatives et « immunités qui leur avaient été assurés irré-« vocablement par le traité conclu à Vienne, le « 28 août 1736. » Extrait de ce traité. « Art. 14... Subsisteront et seront maintenus... « les privilèges de l’Église, de la noblesse et du « tiers état, les annoblissements, graduations et « concessions d’honneur faites parles ducs de « Lorraine». Je soussigné, député de la noblesse du bailliage de Pont-à-Mousson, déclare qu’ayant été chargé expressément, par l’article 7 des pouvoirs qui m’ont été donnés, de veiller à ce qu'il ne soit attenté en aucune manière aux droits sacrés et immuables de la propriété , je ne pourrais, sans me rendre indigne de la confiance de mes commettants, aquiescer, par mon silence, à la violation de la plus précieuse de leurs propriétés, celle de leur état politique, de leurs prérogatives honorifiques. Si le sacrifice de cette propriété pouvait concourir au bien de la patrie, autorisé par le même article à consentir à tous ceux que ce bien commun de tous les citoyens peut exiger, je n’aurais aucune réclamation à faire contre le décret rendu à la séance du soir du samedi 19 de ce mois : connaissant toute l’étendue de la générosité de la noblesse lorraine, assuré de n’en être pas désavoué, je n’aurais été retenu par aucune considération d’intérêts particuliers. Mais l’abolition delà noblesse, des titres, des dignités, des armoiries, des livrées, etc., peut-elle concourir au bien de la patrie? La noblesse a toujours été le plus ferme appui du trône : si cet appui était seulement ébranlé, le trône et la monarchie s’écrouleraient bientôt, et la France serait ensevelie sous leurs ruines. Son nom, autrefois si célèbre, ne rappellerait plus que l’anéantissement du plus beau royaume de l’univers. Le (1) Ces documents n’ont pas été insérés au Moniteur. 380 ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (19 juin 1790.1 [Assemblée nationale.] décret du 19 de ce mois, loin d’être utile, porte donc une atteinte mortelle à la monarchie, et par conséquent à la Constitution. Il viole l’une des ! conditions du traité par lequel les duchés de Lorraine et de Bar ont été cédés à la France, et probablement des traités équivalents faits avec la plupart des autres provinces : ces traités étant des obligations synallagmatiques, ne peuvent être détruits que du consentement des représentants des parties qui ont contracté. Je ne pourrais donc donner mon acquiescement à un décret qui attaque l’une des bases du droit publicde ma province, saus sortir des bornes de mes pouvoirs, et mériter les justes reproches de mes commettants ; et si j’avais assisté à la séance du 19 soir, je n’aurais pas manqué de m’opposer de toutes mes forces, ainsi que l’ont fait beaucoup d’autres députés, à la motion faite contre la noblesse : motion incidente, amenée par une députation aussi inattendue que singulière. Cette matière était assez importante pour être discutée au moins dans une séance du matin, et annoncée d’avance conformément au règlement de l’Assemblée nationale. Le décret dont il s’agit n’est par conséquent qu’une surprise; il n’a aucun des caractères d’une mûre délibération. Il est même contradictoire à l’esprit et à la lettre de l’article premier de la déclaration des droits de l'homme, qui, en reconnaissant que les hommes sont égaux en droits, ne dit pas un mot de l’égalité des conditions, qui n’est qu’une chimère philosophique. Il contredit plus particulièrement encore l’article 14 des décrets des 4, 6, 8 et 11 août 1789. Les sacrifices énormes, faits précipitamment dans la nuit du 4, et ratifiés par ces décrets, avaient sans doute paru suffisants à la majorité de l’Assemblée: elle ne pensait pas alors que la noblesse dût encore y ajouter celui de ses prérogatives honorifiques : elle a voulu au contraire qu’elle pût les conserver et en jouir, même dans le cas où, suivant les lois anciennes, la jouissance en était suspendue; puisqu'elle a décrété que nulle profession utile n'emportera dérogeance. Cette disposition est détruite par le décret du 19 juin, au mépris du règlement, qui porte qu’un décret ne pourra être changé, ni abrogé par la législature qui l’aura rendu. Par toutes ces considérations, je pense que ce décret est nul, et qu’il ne peut être exécuté, notamment dans la province de Lorraine. En conséquence, je proteste formellement contre ce décret comme nuisible au bien de l’Etat, et comme contraire, non seulement au vœu de mes commettants, exprimé dans les instructions qui m’ont été remises, mais encore au droit public des duchés de Lorraine et Barrois. Fait à Paris, le 23 juin 1790. Signé : le vicomte du hautoy. PROTESTATION DU COMTE FRANÇOIS D’ESCARS. Mes commettants, en m’envoyant aux Éiats libres et généraux du royaume de France, ne croyaient pas qu’il y eût de puissance humaine qui pût les empêcher de transmettre à leurs descendants la qualité de gentilhomme , qu’ils n’avaient reçue que de Dieu. Ils étaient et ils sont encore prêts à verser leur sang pour le salut de la patrie : mais il n’ont certainement pas cru et ne croiront jamais que le sacrifice de leur noblesse soit une chose nécessaire. En conséquence, je déclare en leur nom et au mien propre, à l’Assemblée nationale et à la France entière que je n’ai pris aucune part aux décrets rendus dans la séance du soir, du 19 juin, concernant l’abolition et la suppression de la noblesse française, et que je proteste formellement et de la manière la plus authentique contre iesdits décrets. Je supplie l’Assemblée nationale d’ordonner que la présente protestation soit annexée au procès-verbal, et qu’il m’en soit délivré acte, pour justifier ma conduite vis-à-vis de mes commettants. A Paris, le 21 juin 1790. Signé : FRANÇOIS d’escars, député de la noblesse de la sénéchaussée de Châtellerault . PROTESTATION DU MARQUIS DE FOUCAULT-LAR-DJMAL1E. Lorsque l’Assemblée nationale, le 4 février dernier, a exigé de moi le serment solennel de maintenir la Constitution de tout mon pouvoir, je l’ai fait, ce serment, avec la franchise que j’avais également droit d’attendre des représentants de la nation entre les mains desquels je le prêtais. Il s’agissait alors de reconnaître des principes conservateurs des propriétés, des principes constitutionnels du développement desquels, disait-on, dépendrait et la majesté du trône, et le bonheur des peuples; la noblesse l’a fait avec confiance. Il s’agissait de ratifier l’abolition de tous les privilèges pécuniaires ; cette abolition n’était pas un triomphe remporté sur la noblesse; ce n’était pas un sacrifice exigé d’elle, c’était plutôt un don de sa part qui avait précédé même la tenue des états généraux. Elle n’a pas hésité : c’est avec joie qu’elle a consenti. Depuis longtemps générosité et noblesse sont synonimes dans la langue française. Pouvais-je donc penser que cette même Assemblée, dans une seule soirée, contradictoirement avec ses règlements de police, ses décrets, ses principes, anéantirait la propriété la plus sacrée pour tout gentilhomme, la seule partie de succession que nous ayons reçue intacte de nos pères ruinés, pour la plupart, au service de l’Etat; la seule qui ait pu s’augmenter entre nos mains, que nous voulons transmettre à notre postérité en toute pureté, accrue de nos propres services, au nombre desquels cette réclamation sera Comptée un jour ? Qui l’aurait cru, on a osé envelopper même les princes du sang dans cette humiliante dégradation ! Je déclare à tous mes concitoyens que mon serment ne s’étend pas jusqu’à ce décret; que je proteste contre une loi inutile au bonheur du peuple, outrageante pour la noblesse en général, pour celle en particulier de la province qui m’a confié ses intérêts et dont le plus cher a toujours été de conserver l’honneur d’avoir fourni de tout temps le plus grand nombre d’officiers dans les armées, comme l’espérance de les fournir encore. Je proteste contre une loi qui, suivant l’expression, peut-être inexacte, mais si énergique d’un généreux maréchal de France, d’un magnanime duc et pair, tendrait à nous démonarchiser (1). Signé : le marquis de foucauld-lardimalie. Paris ce 22 juin 1790. Cette protestation a été envoyée à M. le Pré-(1) Ce mot est de fe« M. le maréchal de Brissac. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [19 juin 1790.] 3«{ sident de l’Assemblée nationale, avec la lettre ci-après : Monsieur le Président, J’ai l’honneur de vous prier de donner connaissance à l’Assemblée nationale de la protestation que j’ai déjà faite verbalement à la tribune, sur le décret rendu dans la séance du soir du 19 de ce mois, qui prononce l’anéantissement et l’abolition de la noblesse française, comme si la chose était possible. Je réclame, au nom de mes commettants et au mien, contre un acte contraire au véritable intérêt du peuple et de l’Etat, et qui ne tend qu’à priver les gentilshommes du royaume d’une propriété indestructible, imprescriptible et inaliénable. Je renouvelle aujourd’hui ma protestation par écrit, et je supplie l’Assemblée nationale de m’en donner acte. Je suis avec respect, Monsieur le Président, Votre, etc. Signé : le marquis de foucauld-lardimalie. Paris, le 22 juin. RÉPONSE DE M. LE PRÉSIDENT. Monsieur, J’ai l’honneur de vous renvoyer ci-inclus le paquet que vous m’avez adressé : je ne peux en donner connaissance à l’Assemblée. Je suis avec un inviolable attachement, Monsieur, Votre, etc. Signé : A. G. LE PELLETIER. PROTESTATION DU DUC D’HAVRÉ ET CROÏ. Je soussigné, député delà noblesse du bailliage d’Amiens à l’Assemblée nationale, déclare que m’étant trouvé absent lors de la séance du 19 juin 1790, dans laquelle les objets qui y ont été traités n’étaient pas à l’ordre du jour, je n’ai pu joindre mes réclamations à celles de MM. les députés de la noblesse. Chargé par mes commettants de renoncer, pour l’avantage de leurs concitoyens, aux privilèges pécuniaires, mais de soutenir aux Etats généraux du royaume leurs autres droits, et m’étant toujours opposé, autant qu’il était en mon pouvoir, aux décrets qui pouvaient leur être contraires, je n’aurais pas manqué de manifester mon opinion dans une circonstance aussi majeure : j’aurais rappelé l’article de mon mandat, qui porte rengagement, de la part des membres de la noblesse du bailliage, de ne revendiquer que les droits sacrés de la propriété , comme aussi seulement les privilèges honorifiques inhérents à leur personne et. à leur ordre , dont la conservation intéresse également tout l’Etat; parce qu'étant essentiellement liés à la monarchie, on ne pourrait les attaquer sans porter atteinte à sa constitution; il n’eht pas été en leur pouvoir de m’autoriser à renoncer à des avantages qu’ils tiennent de la nature, et qui, par cela seul, ne sont pas dans la sphère des choses soumises aux lois humaines, ni à des titres et des distinctions honorifiques et héréditaires, qui, en leur rappelant sans cesse les services rendus par leurs pères à la patrie, sont des garants perpétuels, qu’eux et leurs descendants seront toujours animés du même zèle pour la nation à laquelle cette suppression, loin d’être utile, pourrait même être nuisible. Je déclare que je n’ai pris ni n’aurais jamais pu prendre aucune part à ladite délibération , et, attendu l’impossibilité que la présente réclamation soit annexée aux procès-verbaux de l’Assemblée nationale, je crdis devoir la déposer eu original dans un dépôt public, tant pour l’acquit de ma propre conscience que pour ma décharge vis-à-vis de mes commettants. A Paris, ce 25 juin 1790. Le duc d’havré et de croï. LETTRE A MES COMMETTANTS, PAR DE LAROQUE. Messieurs, Au bout de ma carrière politique, il est de mon devoir de vous rendre compte de l’usage que j’ai fait des pouvoirs que vous m’avez confiés. Quand il s’est présenté des questions qu’il ne vous avait pas été possible de prévoir, je n’ai consulté que l’intérêt général , l’expérience de tous les siècles, l’équité naturelle et la raison. C’est en prenant de tels guides que je me suis opposé à la création d’un papier-monnaie, au décret sur les gens de couleur, etc. Mais, dans tous les cas que vous avez prévus, j'ose vous affirmer qu’intimement convaincu qu'aucune puissance humaine n’avait le droit d’annuler mes serments, je ne me suis jamais écarté ni de l’esprit, ni de la lettre du mandat dont j’étais le dépositaire, et auquel j’avais juré d’être fidèle. En conséquence de vos ordres, j’ai consenti l’abandon des privilèges purement pécuniaires de la noblesse, et j’ai constamment défendu l’autel, le trône et toutes les propriétés. C’est dans le même esprit que j’ai réclamé contre la réunion des ordres , contre les décrets de la nuit du 4 août et contre celui du 19 juin. Par une suite naturelle de ces principes, j’ai donné mon adhésion et ma signature au compte rendu sur le rapport relatif aux journées des 5 et 6 octobre, et à la déclaration dite des 290. Je laisse aux sophistes le soin d’embellir leurs mensonges; quant à moi, je mets ma gloire à vous écrire avec simplicité , parce que la vérité n’a pas besoin d’ornement. J’ai l’honneur d’être, etc. Signé : LAROQUE, député, en 1789, par la noblesse du Périgord aux Etats généraux de France. PROTESTATION DE M. DE PLEURRE. Le mandat et les pouvoirs qu’a reçus de ses commettants le député de la noblesse du bailliage de Sézanne, soussigné, et qu’il leur a juré, sur la foi du serment , d’observer religieusement , lui prescrivant de maintenir et faire reconnaître les prérogatives de rang, d’honneur et de dignité appartenant à la noblesse, il ne peut perdre de vue un. engagement aussi solennel, et sa conscience ie presse impérieusement de déclarer, au moment où l’Assemblée vient de décréter l’abolition de la noblesse héréditaire; que s'il eût pu se faire entendre à cette séance d’hier soir 19 juin, il eût respectueusement représenté à l’As- [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [19 juin 1790.] 382 semblée nationale que le décret est incompatible : 1° Avec l’article 6 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen, et le onzième de ceux décrétés la nuit du 4 août, dont les dispositions constitutionnelles, et par cela même irrévocables, supposent nécessairement l’existence de la noblesse dans le royaume , puisqu’autrement, ils seraient sans application et vides de sens; 2° Avec le dernier article de la dite déclaration des droits, qui consacre l’inviolabilité des propriétés, qu’il n’en est pas de plus sacrée et de plus précieuse à des gentilshommes français qu’un état, qui les a toujours portés à l’honneur, en leur rappelant les vertus de leurs aïeux, et le sacrifice qu’ils ont constamment fait de leur vie et de leur fortune à la défense de la patrie. Enfin, qu’il aurait insisté à supplier l’Assemblée nationale de lui donner acte de son opposition formelle à une décision d’autant plus inconstitutionnelle qu’elle a été prise à une séance du soir, sans aucune des formes prescrites par des décrets antérieurs et le règlement en matière de constitution, et qui, loin d’être utile à l’Etat, lui serait funeste, si , contrastant avec lesdits précédents décrets, elle pouvait néanmoins avoir un effet rétroactif et porter atteinte à la noblesse existante. D’après ces considérations , le soussigné ne peut adhérer au décret du 19 juin et proteste, pour ses commettants, contre toute interprétation ou induction que l’on en voudrait tirer à leur préjudice. Et attendu que l’Assemblée nationale a refusé de recevoir aucune déclaration et donner acte, le soussigné croit de son devoir de rendre la présente authentique pour manifester sa fidélité à ses mandats. A Paris, ce 20 juin 1790. Signé : deplEürre, député de la noblesse du bailliage de Sézanne. PROTESTATION DE M. LE COMTE DE MONTBOISSIER. Je, soussigné, député de la sénéchaussée de Clermont-Ferrand, en Auvergne, déclare n’avoir pris aucune part au décret rendu dans la séance du soir du 19 juin, opposé en tous points au mandat de mes commettants , auquel j’ai juré d’être fidèle ; j’aurais fait entendre ma voix et ma réclamation le jour même à la tribune, si le tumulte et la confusion qui régnaient dans l’Assemblée m’eussent laissé la possibilité de me faire entendre. Je proteste donc de ne pouvoir adhérer à ce décret, qui enlève à la noblesse française sa propriété la plus chère, celle qu’aucune puissance ne peut lui ravir, celle qui a fait la gloire de la monarchie depuis quatorze siècles, la noblesse n’ayant jamais hésité à faire le sacrifice de ses biens et de sa vie pour soutenir le trône, lorsqu’on a tenté de l’ébranler. C’est donc pour satisfaire à ma conscience, à mon honneur, à la voix de mes ancêtres, à la postérité et aux ordres de mes commettants, que j’ai déposé, dans cet écrit, chez un officier public, les sentiments qui m’ont toujours animé et que je professerai jusqu’à mon dernier soupir. Paris, le 21 juin 1790. Signé : Philippe, comte de Montbois-sier , député de la noblesse ] de Clermont-Ferrand , en Auvergne. COMPTE RENDU PAR LE MARQUIS D’ESTOURMEL A SES COMMETTANTS, LE 30 JUIN 1790. Messieurs, lorsque vous m’avez confié l’honorable mission de représenter la noblesse du Cambré-sis au États-généraux, où elle n’avait jamais siégé, leCambrésis n’étant réuni à la France que depuis 1677, vous ne doutiez pas que la volonté du roi, en convoquant, après cent soixante-quinze ans d’interruption , les États généraux de son royaume, ne fût d’établir la plus justerépartition des impôts , en conservant des égards à cette partie de la noblesse qui cultive elle-même ses champs , et qui souvent , après avoir supporté les fatigues de la guerre , après avoir servi le roi dans ses armées, vient encore servir l'Etat, en donnant l'exemple d'une vie simple et laborieuse , et honorant par ses occupations les travaux et l'agriculture (1). Vous saviez que son intention était de conserver les prérogatives seigneuriales et honorifiques qui, distinguant les deux premiers ordres dans leurs propriétés et dans leurs personnes, sont une propriété aussi respectable qu'une autre, d’autant que plusieurs d'entre elles tiennent à l'essence de la monarchie (2). Vous aviez envisagé que le sacrifice de tout intérêt pécuniaire et la soumission à la répartition la plus égale des impositions devaient être la base des instructions que vous me donniez; et vous m’aviez chargé de me borner à demander la conservation et le maintien des constitutions et privilèges de la province stipulés et jurés par nos rois (3). Jaloux de répondre à votre confiance et de prouver que j’en étais digne, tant à ceux d’entre vous, Messieurs, qui jusque-là avaient été exclusivement appelés à l’administration de la province, qu’à ceux qui, par un ancien usage, confirmé par un règlement fait par le roi en 1786, s’en trouvaient exclus, et qui cependant avaient (sur mes observations) retiré du cahier l’article qu’ils avaient proposé, pour que dorénavant, tous les nobles fussent admis à l’assemblée générale des États de la province ; je n’ai laissé échapper aucune occasion de faire consigner dans l’Assemblée des représentants de la nation les vœux que vous m’avez chargé d’y transmettre. L’article 6 de votre cahier me prescrivant de demander que, dans toutes les délibérations, les voix fussent comptées par ordre et non par tête, j’en ai fait la déclaration le 2 juillet 1789, la noblesse étant réunie et elle est consignée dans le procès-verbal des séances de la chambre de la noblesse (4). ;l) Rapport fait au roi dans son conseil par le ministre de ses finances, le 27 décembre 1788, page 21. (2) Même rapport, page 18. (3) Cahier de la noblesse du Cambrésis, article 7. (4) Procès-verbal des séances de la noblesse, page 352. La noblesse réunie à l’assemblée du bailliage du Çam-brésis, tant celle admise à l’administration des États généraux de Cambrai et Cambrésis, en vertu des anciens règlements rendus par les rois d’Espagne, confirmés f>ar la capitulation faite avec le roi Louis XIV, lorsque e Cambrésis s’est soumis à son empire; que celle non admise aux Étals généraux de la dite province, ayant chargé son député de demander qu’il soit déclaré que les assemblées nationales seront et demeureront composées de trois ordres distingués entre eux et que, dans toutes les délibérations, les voix seront comptées par ordre et non par tête. Je déclare que tel est le vœu dont je suis chargé et [Assemblée nationale.} ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [19 juin 1790.] J’ai en même temps supplié le roi de vous faire assembler pour avoir l’émission de votre vœu sur la conduite que je devais tenir relativement à la vérification des pouvoirs. Vous m’avez, par votre déclaration du 14 juillet, autorisé à faire vérifier , aussitôt que faire se 'pourrait , mes pouvoirs, conformément au vœu national , pour que rien ne retardât les vues salutaires du roi, et à opiner par tête, tant et aussi longtemps que les trois ordres seraient réunis , et que le bien de ÏEtat le demanderait ; vous avez ordonné que la copie de cette délibération fût envoyée aux députés tant du clergé que du tiers état de la province du Cambrésis. Par une délibération du même jour, après avoir pris en considération les articles 18, 19, 20, 21, 22 et 23 de la déclaration du roi du 23 juin 1789, concernant la tenue des États généraux, par lesquels Sa Majesté remet auxdits Etats généraux de lui faire connaître les dispositions de justice et de sagesse qu’il est convenable d’adopter pour établir un ordre fixe dans l’administration des provinces, vous avez arrêté, que le seigneur-roi serait très humblement supplié, lorsqu'il serait question de statuer sur le régime et la constitution des Etats de Cambrai et du Cambrésis , d'assembler la noblesse desdites ville et province , dans la forme qu’elle l'avait été par la lettre du roi du 27 avril 1789, pour la convocation aux Etats généraux du royaume, pour donner à Sa Majesté les mémoires nécessaires à ce sujet; qu’en conséquence, je ne pourrais donner aucun vœu , n'ayant ni pouvoir , ni mission à cet égard. Fidèle à transmettre les intentions que vous m’aviez chargé d’exprimer, je n’ai pris part à la séance du mardi 4 août au soir 1789, qu’en annonçant que les trois ordres de la province du Cambrésis, soumis dans tous les temps à une contribution aux impôts, entièrement égale entre eux, ne pouvaient qu’acquiescer de nouveau aux vues de justice de l’Assemblée, relativement à cette égale répartition (1), sous la réserve des serments et mandats. Dans la séance du lundi au soir du 12 octobre 1789, j’ai dénoncé, de concert aveemes collègues, une lettre supposée, signée l'Abbé Renoux, et datée de Cambrai, contenant une offre de 300,000 livres, provenant de la veDte d’une partie des biens de FAumône-jonart, plus, une rente de vingt mille francs; et j’ai mis sous les yeux de l’Assemblée le désaveu formel de M. Renoux, et celui de M. l’archevêque de Cambrai, consignés dans deux lettres qui m’étaient adressées. L’Assemblée a décrété que les députés du Cambrésis seraient autorisés à retirer la lettre supposée, sous récépissé (2). Dans la séance du samedi 31 octobre 1789, où il était question de délibérer sur la propriété des biens ecclésiastiques, j’ai proposé que la question fût ajournée jusqu’après l’organisation des assemblées provinciales ; je croyais et je crois encore qu’il était indispensable d’avoir le vœu des provinces sur une disposition aussi importante, et que l’Assemblée nationale ayant décrété, remets le présent acte de ma déclaration sur le bureau de l’ordre de la noblesse, et demande qu’il m’en soit donné expédition en forme par les secrétaires dudit ordre. (1) Procès-verbal de la séance du mardi 4 août au soir, 1789, pages 34 et 40, n° 49 bis, n® 98. [2) Prosès-verbal du 12 octobre 1789, pages 9 et 10. 383 qu’elle ne voulait plus reconnaître d’ordres (1) et que les provinces ne pouvaient plus s’assembler, suivant l’ancienne forme (2), il fallait attendre qu’elles pussent être représentées par une assemblée légalement formée, telle que celle des départements, où les citoyens de toutes les classes concourraient à exprimer un vœu unanime (3). Le 2 novembre, lorsqu’il fût proposé de décréter que les biens ecclésiastiques seraient à la disposition de la nation, j’ai demandé qu’il y fût ajouté : sous la surveillance et l'instruction des provinces (4). J’ai proposé, le 9 novembre, un amendement concernant la nomination aux abbayes régulières des provinces belges, dont l’objet était de maintenir une forme très avantageuse au Cambrésis, puisqu’il est démontré que les abbés réguliers consomment dans la province les revenus qu’ils en tirent; cet amendement, qui m’était prescrit par l’article 2 de vos instructions, a été rejeté (5). Dans la séance du jeudi 10 décembre, j’ai réclamé, d’après l’article 7 de votre cahier, une exception à l’abolition des droits de nomination des places de municipalité en faveur de M. l’archevêque de Cambrai, qui est en position de nommer la moitié des échevins de Cambrai. L’Assemblée n’a eu aucun égard à cette réclamation (6). J’ai déclaré, le 15 janvier 1790, lors de la lecture du décret final sur la formation des départements, que j’étais chargé (7) de demander la conservation de l'administration de la province ; l’Assemblée n’a eu aucun égard à une pareille réclamation. Pénétré du principe que la capitulation accordée par Louis XIV à Cambrai et au Cambrésis, le 25 avril 1667, était la base de l’article 7 de votre cahier et ne pouvant obtenir la confirmation des articles 34, 47 et 48 (8) de ladite capitulation, j’ai cru devoir me conformer à la réclamation qui m’était adressée et à mes collègues, par les anciens officiers municipaux de Cambrai. J’ai demandé, dans la séance du mardi 19 janvier au soir 1790, que le mode de remboursement des officiers municipaux de Cambrai fût (1) Décret du 26 octobre 1789. (2) Décret dudit jour. (3) Voyez mon opinion à la séance du 31 octobre 1789. (4) Procès-verbaî de la séance du lundi 2 novembre 1789, pages 2 et 4, n° 114. (5; Procès-verbal de la séance du lundi 9 novembre 1789, page 5, n° 120. (6) Séance du jeudi 10 décembre 1789 au matin, page 12, n" 121. (7) Procès-verbal de la séance du vendredi 13 janvier 1790, page 10, n° 175. (8) Art 34 — Que ne seront établis dans ladite ville, pays et comté, aucuns autres conseils, sièges de justice et police, que ceux y étant, ni pour les droits d’entrée et sortie sur toutes sortes de denrées et marchandises. « Il en sera usé comme il s’est pratiqué et se pratique dans les villes de Lille et de Tournai. » Art 47 — Que ceux du magistrat qui se trouvent présentement créés et établis en nombre de quatorze, seront continués dans leurs charges de magistrature, le temps et le terme ordinaires. « Sa Majesté le trouve bon, pourvu qu’ils le méritent par leur bonne conduite. » Art. 48 — Que les prévôts, conseillers-pensionnaires, greffiers, receveurs, collecteurs et autres officiers ayant charge en ladite magistrature et dépendances, seront conservés en leurs états et offices, ainsi qu’il a toujours été fait, avec les mêmes droits, privilèges et émoluments, dont ils ont joui et jouissent présentement, et la disposition à qui il appartient. « Sa Majesté l’accorde à la condition que dessus. » 384 [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [19 juin 1790.1 décrété, pour que les officiers , qui se trouvaient déchus de leurs fonctions par le décret du 28 décembre 1789, qui constitue les nouvelles municipalités, ne languissent pas après le remboursement de leurs finances. L’ajournement a été proposé et décrété (1). Dans la séance du 12 février 1790, où il avait été arrêté que l’Assemblée ne se séparerait pas le lendemain sans avoir porté un décret sur la question conçue en ces termes : Les ordres religieux seront-ils abolis ? Y aura-t-il des exceptions? J’ai déclaré que j’étais chargé de demander (2) qu’à la mutation des abbés réguliers de la province dans laquelle la commende n’a pas lieu, les pensions sur les abbayes fussent appliquées, par préférence, aux ecclésiastiques du Gambrésis, et que, dans aucun cas, la commende ne pût être introduite dans cette province, même en faveur des cardinaux (3). J’ai demandé, le 10 mars 1790, conformément aux articles 30 et 32 de votre cahier, qu’aux articles déjà décrétés en faveur de la liberté du commerce, il en fût ajouté deux ; l’un général, pour ordonner que les marchés fussent libres, de manière qu’on pût, lorsqu’on aurait porté des grains, les remporter s’ils n’étaient pas vendus ; l’autre particulier, pour que les négociants et les bateliers de la province pussent charger toute espèce de marchandises à Gondé et même dans les Pays-Bas, sans être soumis à aucun péage pour la navigation sur les rivières et les canaux de ces provinces (4). Gette réclamation a été renvoyée au comité du commerce. L’Assemblée nationale ayant décrété, le 17 mars, que les biens domaniaux et ecclésiastiques dont la vente a été décrétée le 19 décembre jusqu’à la concurrence de 400 millions, fussent incessamment vendus à la municipalité de Paris et aux autres municipalités du royaume auxquelles il pouvait convenir d’en faire l’acquisition; il a été proposé, par amendement, d’ajouter, après le mot municipalités , ces mots : dûment autorisées par les départements. J’ai demandé qu’il fût ajouté, le tout , sous la surveillance et d’après les instructions des assemblées de département , conformément au décret du 2 novembre. L’Assemblée s’est refusée à adopter l’un et l’autre (5). Touché des difficultés locales que l’application du décret du 28 décembre éprouve dans le Cam-brésis, relativement aux clauses voulues par la coutume, j’ai demandé, dans la séance du 18 mars, que le comité de Constitution fût chargé de présenter un projet de décret, qui levât ces difficultés; l’Assemblée l’a ordonné (6). Depuis je n’en ai pas sollicité la présentation, parce que j’ai été instruit que deux des anciens échevins à Cambrai , et dans le Cambrésis les anciens mayeurs et gens de loi, recevaient les œuvres de loi. J’ai exposé, dans la séance du 9 avril, que plusieurs municipalités s’opposaient à ce que les aeigneurs-voyers ne fissent abattre et enlever les • (1) Procès-verbal de la séance du mardi au soir, 19 janvier 1.790, page 16, n° 178. (2) Article 19 du cahier de la noblesse du Cambrésis. (3) Procès-verbal de la séance du 12 février 1790, n° 200, page 3. (4) Procès-verbal du 10 mars 1790, n° 225, page 2. (5) Procès-verbal de la séance du mercredi 17 mars 1790, n" 232, page 6. (6) Procès-verbal de la séance du 18 mars 1790, jh° 233, page 5. ' arbres plantés le long des chemins, sur les places publiques d’Egards et Warechaix; et comme cet objet était important, surtout dans les provinces qui manquent de bois, telles que le Gambrésis et la Picardie ; j’ai demandé que le3 comités d’agriculture et de féodalité se concertassent ensemble pour proposer, sous huitaine, un décret, ce qui a été ordonné (1). Je n’ai pas insisté depuis, pour que le projet de décret fût soumis à l’Assemblée; j’ai pensé que, pour le mo-* ment, la délibération du comité de féodalité du 20 mars 1790, était su Disante pour arrêter les désordres. Dans la séance du 12 avril, d’après l’article 7 de vos instructions, j’ai fait lecture de l’article premier de la capitulation de Cambrai, par lequel il était demandé que la foi catholique, apostolique et romaine, soit regardée, observée et maintenue dans toute l’étendue de la ville, banlieue, pays de Gambrésis, terres y enclavées, et les autres lieux du diocèse, sans y permettre, en aucune manière, la liberté de conscience et prêche, soit secrète ou publique, ni aucune construction de temple: et de la réponse de Louis XIY, qui accordait le contenu eu cet article, comme il a été fait à Lille et dans les autres places conquises par Sa Majesté en Flandre. J’ai consigné, à la fin de mon opinion, que mou vœu, tant en votre nom, qu’au mien, était que la religion catholique, apostolique et romaine, fût la religion dominante de l’Etat (2); on m’a refusé d’insérer cette déclaration dans le procès-verbal, et on y a exprimé simplement, que des membres avaient demandé la réserve des traités faits dans les différentes parties du royaume où il existe des non catholiques (3). Le 14 avril, lorsqu’il fût proposé de décréter que la totalité des biens ecclésiastiques serait mise en vente, j’ai encore renouvelé ma demande delà surveillance et instruction des provinces, en appuyant la proposition faite qu’il fût délivré aux assemblées de département deux cents millions de biens-fonds au delà des quatre cents dont l’aliénation avait été décrétée les 19 et 21 décembre 1789. Cette proposition a été rejetée et le procès-verbal porte simplement que rassemblée a décidé qu’il n’y avait lieu à délibérer sur divers amendements (4). Convaincu, d’après les articles 10, 11 et 19 de vos instructions, que votre vœu était que les Etats généraux pourvussent, suivant leur sagesse et leur prudence, aux moyens extraordinaires auxquels les circonstances d’une guerre imprévue forceraient à recourir, j’avais pensé qu’il était de la dignité de la monarchie française, que le roi eût le droit de faire la paix et la guerre avec le concours de la nation, sans laquelle il ne pouvait continuer la guerre, puisque d’elie ou de ses représentants (1) Procès-verbal de la séance du 9 avril 1790, n°254, pages 8 et 9. (2) Voyez mon opinion sur les dîmes, pour la séance du 12 avril, à la suite de laquelle est imprimée la capitulation de Cambrai, sauf l’article 9, qui a été omis, et dont voici le contenu : Iceux chapitres et ecclésiastiques ne seront sujets à aucuns logements effectifs ou virtuels dans leurs maisons ou autrement, à leur charge, de gens de guerre, et militaires, officiers, soldats, et de telle autre qualité que ce puisse être. « Il en sera usé à cet égard comme il s’est fait du temps que la place était en domination du roi catholique. » (3) Procès-verbal de la séance du 12 avril, n8 257, pages 11 et 12- (4) Procès-verbal de la séance du mercredi 14 avril 1790, page 4, n° 259, [Assemblée nationale.] dépendaient les subsides pour la faire, et que les fonds faits pour l’entretien des troupes de terre et de mer, sur le pied de paix, étaient constamment insuffisants pour le pied de guerre; c’est ce quia déterminé l’opinion que j’ai prononcée dans la séance du 22 mai 1790. Persuadé que la perception de tous les impôts dans la forme sous laquelle ils sont perçus doit subsister jusqu’à l’organisation de ceux qui y seront substitués par un décret de l’Assemblée nationale, j’ai rédigé, avec mes collègues, une lettre circulaire qui a été envoyée à toutes les municipalités, tant du Gambrésis que des villages qui se trouvent cédés aux districts voisins. Gette lettre n’ayant pas arrêté les pétitions de quelques citoyens de Cambrai, j’ai adhéré au décret rendu le 21 mai 1790. La proposition faite à la séance du samedi 19 juin au soir, de décréter que la noblesse n’était plus héréditaire, m’a paru l’infraction la plus forte à la propriété et à l’article 19 de la capitulation de Cambrai (1). J’ai, en conséquence, remis au président une déclaration signée de moi, contenant que la noblesse du Gambrésis, sacrifiant tout intérêt pécuniaire et se soumettant volontiers à la répartition la plus égale des impositions, se bornait à demander la conservation et le maintien des constitutions et privilèges de la province stipulés et jurés par nos rois. J’avais demandé la parole pour établir qu’en Cambrésis les titres assis sur des terres sont, ou des titres de coutume, ou des titres d’érection accordés par les rois d’Espagne; qu’il y a aussi des titres personnels accordés aux familles sans être assis sur la glèbe, transmissibles des pères aux enfants par des diplômes émanés des souverains, registres ou vérifiés par les tribunaux; je n’ai pu obtenir d’étre écouté : on a refusé d’insérer ma réclamation dans le procès-verbal. Dans cette circonstance je me suis dit, que s’il n’est pas toujours possible de faire tout le bien qu’on veut, il est au moins du devoir d’une âme honnête d’empêcher le mal de se propager ; en conséquence, intimement convaincu qu'il n’est pas au pouvoir de l’Assemblée nationale d’annihiler la noblesse , dont les sentiments pour la monarchie sont encore plus indélébiles que ses titres ; la noblesse , dont la plus ancienne comme la plus belle des prérogatives est de verser son sang pour la défense du roi et de la patrie ; la noblesse, qui, de toutes les propriétés, est l’héritage le plus précieux et le dépôt le plus sacré qu’on ait pu recevoir de ses aïeux, à la charge honorable de le transmettre immuablement à ses descendants ; la noblesse , que je regarde comme une avance faite par la patrie sur la parole des ancêtres, jusqu’à ce qu’on soit en état de faire honneur à ses garants, j’en dépose entre vos mains ma déclaration et c'est sous votre sauvegarde et sous celle de la loyauté française, que je déclare n’avoir pu prendre et n’avoir pas pris part au décret concernant l’abolition et la suppression de la noblesse. (1) Art. 19 de la capitulation de Cambrai, a Qu’aux ecclésiastiques, nobles, gentilshommes et bourgeois, seront gardés tous tels droits et privilèges dont ils ont joui, dans la dite ville que plat-pays, et que, possédant fiefs, ne seront chargés üe ban et d'arrière-ban ne l’ayant été du passé. » Il en sera usé de la même manière qu'il s’est ' pratiqué du temps de la domination du roi catholique. lre Série. T. XVI. 385 Telle a été, Messieurs, ma conduite jusqu’à ce jour ; fidèle à mon mandat, qui pour moi est l’unique loi, je ne me suis pas permis de l’interpréter, parce qu’il n’entrera jamais dans mes principes de penser que des mandataires puissent outrepasser la volonté de leurs commettants. Un gentilhomme ne connaît que l’honneur et son serment. J’ai écouté la voix de l’un ; j’ai rempli, autant qu’il était en moi, ce que me prescrivait l’autre; je continuerai à suivre la même conduite, et je vous renouvelle ici, Messieurs, que je ne balancerai en aucune occasion à faire connaître votre vœu et à me conformer à vos instructions. Signé : le marquis d’estourmel, député de la noblesse du Gambrésis. DÉCLARATION DU COMTE DE MAZANCOUR. Extrait du cahier de la noblesse du bailliage de Villers-Cotterets . « L’ordre du clergé et de la noblesse se ré-« servent expressément les honneurs, droits et a prééminences qui leur appartiennent, d’après « la Constitution de la monarchie et des lois de « l’Etat, et qui sont dans leurs mains une pro-« priété aussi inattaquable que toutes les autres « propriétés des sujets du roi ; l’ordre du tiers, « de son côté, reconnaissant à cet égard la jus-« tice des réclamations de la noblesse, se borne « à demander la suppression totale des privilèges « pécuniaires et l’égalité la plus absolue dans la « répartition des impôts. » Je, soussigné, député de la noblesse du bailliage de Villers-Cotterets, déclare n’avoir pris aucune part aux décrets rendus dans la séance du soir du 1-9 juin dernier, comme étant directement opposés aux mandats de mes commettants, auxquels j’ai juré d’être fidèle, aux décrets précédemment rendus, portant que nulle profession utile n’emportera dérogeance, et au règlement de l’Assemblée nationale, qui veut qu’aucun point constitutionnel ne soit délibéré ni décidé dans les séances du soir ; Considérant que l’arrêté pris par la majorité qui s’était réunie le 19 juin au soir, ne pût avoir son effet sans détruire les bases de la monarchie qui ont toujours reposé sur la conservation de la noblesse; que de toutes les propriétés c’est la plus inattaquable, puisqu’elle a été transmise avec le sang, comme la plus juste récompense des services glorieux et signalés ; qu’après avoir fait l’abandon de tous ses privilèges pécuniaires, la noblesse française ne peut faire le sacrifice d’une propriété inutile à l’intérêt général, et qui, au lieu de peser sur les autres classes de citoyens, est au contraire un motif d’émulation qui les porte aux grandes actions dont cette distinction honorable a été le prix ; Considérant que les cahiers rédigés par les communes de France, lors de l’élection des députés, énonce généralement leur vœu sur la conservation de l’hérédité de la noblesse, parce qu’en effet la transmission de cette propriété sacrée repose sur le même principe qui a rendu la couronne de France héréditaire, Je déclare expressément, pour la conservation des droits de la noblesse, que j’ai fait la présente déclaration comme le témoignage de ma fidélité aux mandats de mes commettants, et d’un sen-25 ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [19 juin 1790.] Qgg [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [19 juin 1790.] timent de justice qui doit animer tous les hommes de bien, dignes d’être libres. Signé : LE COMTE DE MAZANCOÜR, député de la noblesse de Villers-Cotterets. Paris, le 24 juin 1790. DÉCLARATION DU MARQUIS DE LAQUEÜILLE. Du 27 juin 1790. Monsieur le Président, J’ai l’honneur de vous adresser ma déclaration sur le décret du 19 de ce mois; je vous prie d’en vouloir bien faire faire la lecture à l’Assemblée nationale; j’ai droit d’attendre et d’exiger même de sa justice qu’elle sera insérée dans le procès-verbal. Déclaration. En ma qualité de député aux Etats généraux par la noblesse de la sénéchaussée d’Auvergne, j’ai toujours droit de m’opposer aux décrets de l’Assemblée nationale contraires à mes cahiers. Si j’ai attendu jusqu’à ce moment à protester contre celui du 19 de ce mois, c’est que je croyais que mes confrères, qui sont encore à l’Assemblée, auraient manifesté leur protestation ; mais leur silence m’a décidé à faire cette déclaration, et plus encore l’opinion de celui de mes confrères qui était lié par les mêmes pouvoirs que moi, et qui néanmoins assiste toujours aux séances, et a non seulement approuvé hautement le décret contre la noblesse, mais a renchéri sur ceux qui l’avaient proposé, en demandant que les princes du sang et les frères du roi fussent privés des titres qu’ils tiennent de Dieu et des lois. Je déclare donc, comme membre de la noblesse française, et particulièrement comme représentant de celle d’Auvergne, que tant qu’il n’a été question dans les décrets de l’Assemblée nationale que de la spoliation de leurs propriétés, ces députés se sont contentés de faire individuellement quelques réserves pour leurs commettants, étant prêts à se soumettre au vœu commun de la nation lorsqu’il sera manifesté dans une nouvelle législature. Ils ne se sont réunis que pour la défense de la religion de leurs pères et les droits du trône. Dans ce moment, où l’Assemblée nationale a cru pouvoir, par un décret, anéantir la noblesse française, il est du devoir de chaque député de faire connaître à ceux qui paraissent l’avoir oublié que son existence a fondé et soutenu le royaume, que c’est l’intérêt le plus cher du peuple français, qui cessera d’être franc dès qu’il aura perdu ses vrais soutiens, que la France cesserait d’être monarchie, si l’on pouvait anéantir la noblesse; car où il n’y a pas de nobles, il n’y a point de roi ; et au gouvernement paternel du monarque, l’Assemblee substitue l’aristocratie la plus dangereuse ; ce mot, qui a servi de ralliement pour persécuter les royalistes, est le nom qu’elle a mérité. Je déclare donc attentatoire à la liberté du peuple français le décret qui voudrait le priver de sa noblesse : plusieurs d’entre eux ont contribué de leur sang à la gloire du peuple, et sont prêts à le répandre en entier pour défendre sa liberté et sa sûreté. C’est à ce même peuple, non égaré, mais éclairé, qu’ils en appellent pour soutenir leurs droits, leurs intérêts sont communs. Comme c’est avec son épée que la noblesse a acquis ses titres, c’est avec cette même épée . qu’elle les soutiendra contre les ennemis de l’Etat, et ce sera toujours avec empressement qu’elle admettra parmi elle ceux qui, par des services en tout genre rendus à la patrie, auront mérité de devenir les défenseurs du roi et du peuple. L’honneur français est le garant de nos titres. Signé : LAQUEUiLLE, député de la noblesse de la sénéchaussée d'Auvergne. Réponse du président de l'Assemblée nationale. Monsieur, J’ai l’honneur de vous renvoyer chez vous le paquet que vous m’aviez adressé. Je ne peux pas en rendre compte à l’Assemblée. Je suis avec un inviolable attachement, Monsieur, Votre très humble et très obéissant serviteur. Signé: L. M. LE PELLETIER. PROTESTATION DU VICOMTE DE MIRABEAU. Je suis né gentilhomme, ma famille ne devait cette prérogative, ni aux rois de France, ni à la nation française, elle l’avait apportée, il y a cinquante ans, de Florence, à une époque où la plus grande partie de la noblesse de ce pays fut obligée de s’expatrier à la suite d’une révolution (1) ; cette noblesse avait été naturalisée par les services de mes ancêtres. J’espérais ne pas dégéné rer et mourir gentilhomme; il a plu au Corps législatif français de décréter que je ne l’étais plus; le roi a sanctionné le décret, je dois y être soumis, mais je ne puis sacrifier au nom ae mes commettants leur propriété la plus chère, celle de leurs titres et de leur noblesse héréditaire ; absent de l’Assemblée, je n’ai pu la défendre, je croirais manquer à mon mandat, à mon devoir, à l’honneur, et au serment que j’ai prêté entre leurs mains, si je ne protestais contre le décret qui anéantit la noblesse, prix des services rendus par leurs aïeux à la même patrie qui les dépouille aujourd’hui. On m’assure que l’Assemblée nationnale ne reçoit aucune protestation, je dépose donc celle-ci dans les seules archives qui lui soient ouvertes et qui lui conviennent, dans le cœur de tout chevalier français, caractère que je crois indélébile, malgré tous les décrets. Paris, le 26 juin. Signé : andré-boniface-louis , comte de R1QUETT1, vicomte DE MIRABEAU, député de la noblesse des sénéchaussées de Limoges et de Saint-Ynex, aux Etats libres et généraux du royaume , chevalier de l'ordre royal et militaire de Saint-Louis, chevalier d'honneur de l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem, membre de la société des Cin-cinnatides Etats-Unis d'Amérique, colonel du régiment de Touraine , infanterie , au service de Sa Majesté très-chrétienne. (1) Les divisions occasionnées par les querelles entre les Guelfes et les Gibelins. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [19 juin 1790.] 337 Opinion de M. Necker, relativement au décret de l'Assemblée nationale concernant les titres, les noms et les armoiries. On répand que j’ai opiné dans le conseil contre l’acceptation du décret de l’Assemblée nationale, relatif aux titres, aux noms et aux armoiries. Je dois faire connaître la simple vérité. J’ai été d’avis, et avec beaucoup d’insistance, je l’avoue, que le roi, avant d’accepter le décret, envoyât des observations à l’Assemblée nationale ; et comme je ne craindrai jamais la publicité de mes actions et de mes pensées, je profite de la permission du roi, en faisaut imprimer ces observations, telles que j’en avais donné le projet ; et je m’y détermine d’autant plus volontiers, que l’Assemblée nationale vient de charger son comité de Constitution de lui proposer quelques explications sur ce même décret. J’ai été d’avis encore que les observations fussent accompagnées d’une lettre du roi, qui aurait exprimé la disposition de Sa Majesté à s’en rapporter aux lumières de l’Assemblée nationale ; et comme cette lettre faisait partie de mon opinion, on en trouvera le projet à la suite des observations. Je puis m’être trompé, et je dois le croire, puisque mon avis n’a point été adopté ; mais j’aime beaucoup mieux mettre à portée de juger clairement de mon erreur, si j’en ai commis une, que de laisser subsister un sujet vague de reproche, lequel, à la faveur de la malignité, s’étendrait chaque jour par de fausses interprétations. Je suis sûr de la pureté de mes intentions, je le suis également de mon attachement à la Constitution et aux vrais intérêts du peuple, et ces sentiments, qui font ma confiance, m’inviteront toujours à la plus parfaite franchise. Necker. PROJET D’OBSERVATIONS. Lorsque le bien général l’exige, on est souvent obligé d’imposer des sacrifices à une classe particulière de citoyens ; cependant, même à ce prix, on ne doit le faire qu’avec ménagement et circonspection, tant il est dangereux d’enfreindre, en aucun point, les droits que donne la possession et de porter quelque atteinte aux règles ordinaires de la justice. Si telle est la rigueur des principes qui régissent l’ordre social, on ne doit pas, à plus forte raison, ordonner des privations dont il ne résulte aucun avantage réel pour personne. Lorsqu’une des portions de la société a perdu les privilèges dont elle jouissait dans la répartition des impôts, lorsque l’étendue de ses revenus a réglé la mesure de sa contribution aux charges publiques, ces nouvelles dispositions, en portant préjudice à quelques-uns, ont favorisé le grand nombre. Lorsqu’on a ordonné l’abolition de la partie des droits féodaux qui consistait en une sorte de servage, et qui assujettissait à des obligations pénibles ou humiliantes la classe la plus nombreuse des citoyens, l’avantage du peuple est encore devenu le résultat des privations particulières. Lorsque la carrière des charges et des emplois a été ouverte à tous les Français, la nation a gagné, sans doute, à la destruction des barrières qui bornaient ses espérances et son ambition, et qui circonscrivaient, dans un ordre particulier de la société, des prérogatives utiles et les occupations les plus enviées. Enfin, lorsqu’en écartant toutes les distinctions, les habitants du royaume ont été appelés à concourir ensemble à la formation des assemblées nationales et législatives, une participation égale au plus précieux des droits politiques a pris la place des anciennes disparités, et les regrets des uns ont été balancés par la satisfaction universelle des citoyens de l’Empire. C’est donc avec juste raison que ces diverses institutions ont été considérées comme des lois populaires et patriotiques. En est-il de même du décret relatif aux titres, aux noms et aux armoiries? 11 faut, pour en juger, examiner si le peuple, cette nombreuse partie de la nation, a quelque intérêt aux dispositions de la nouvelle loi. On ne l’aperçoit point ; car ce n’est pas lui qui peut être jaloux des gradations honorifiques, établies au milieu des sections delà société avec lesquelles il n’apointde relations habituelles. Tous ceux en si grand nombre qui dévouent de quelques manière leur travail ou leur industrie au service des propriétaires, n’ont aucun intérêt à recevoir un salaire d’un simple particulier, plutôt que d’un homme décoré d’un titre ou de quelque autre distinction. Probablement même, si l’on consultait leur sentiment intérieur et leurs opinions irréfléchies, l’on trouveraitque dansl’étatoù les a placés la fortune, et ne pouvant changer la nature de leurs fonctions sociales, loin d’être blessés par l’éclat des personnes auxquelles ils consacrent leurs travaux, ils se plaisent souvent à en recevoir le reflet. C’est uniquement dans les relations particulières et sociales de la vie, que les plus petites distinctions affectent la vanité de ceux qui en sont les simples spectateurs : mais le peuple ne partage point ce sentiment, car il ne sort point de son cercle ; il ne le désire jamais, et il nuirait à son bonheur, s’il avait cette prétention. Quelle est donc la portion de la société appelée à jouir de la suppression de toutes les dénominations honorifiques ? c’est uniquement celle qui, par sa fortune ou par son éducation, se trouve à peu de distance des hommes en possession des autres genres de distinction. Elle sera peut-être un moment satisfaite, si les petites sommités, qui blessent encore sa vue, sont absolument détruites; mais pour un si léger soulagement, tout en opinion, pour un bienfait si circonscrit, pour un bienfait indifférent aux sages, est-il juste de priver une classe nombreuse de citoyens des distinctions honorifiques qui forment une partie de leur héritage, et dont la perte doit leur être plus péniDle que celle des avantages pécuniaires dont ils avaient la possession? Ne suffit-il pas d’avoir exigé d’eux tous les sacrifices profitables au peuple ? Est-il généreux, est-il équitable d’en demander encore d’autres -, et les difficultés du temps présent, dont l’ensemble est bien grand, ne doivent-elles pas engager à diminuer, autant qu’il est raisonnablement possible, les points de griefs ou les causes d’irritation? ün peut cependant sans inconvénient, et même avec les plus justes motifs, interdire la mention d’aucun titre dans toutes les assemblées nationales ou municipales ; l’égalité y est nécessaire, même daus les apparences ; tant il importe que l’ascendant dans ces assemblées ne soit jamais réservé qu’à la simple raison et à la confiance qu’inspirent le patriotisme et les vertus. Il serait bien encore d’interdire toute qualifica- 388 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [19 juin 1790.] lion honorifique sur le registre des citoyens actifs, afin de rappeler aux Français, dès le commencement de leur carrière, que, devenus égaux devant la loi, ils seront tous également soutenus dans les efforts qu’ils feront pour servir la patrie, et que c’est du titre de citoyen dont ils doivent surtout se rendre dignes : mais poursuivre ensuite les distinctions jusque dans les actes particuliers et jusque dans l’intérieur de la vie civile, c’est au premier coup d’œil une rigueur inutile. On ne pourrait veiller à l’exécution d’une pareille loi dans le commerce de la société, sans une inquisition absolument contraire aux principes de la liberté. On obligerait plus facilement à s’y conformer dans la teneur des actes particuliers, puisque les officiers publics, chargés de la rédaction de ces actes, pourraient être rendus garants de l’exécutian de la loi-, mais aurait-on le droit d’empêcher qu’une partie contractante, après avoir déclaré son nom patronymique, n’ajoutât qu’il est fils ou descendant de tel noble de race, ou de tel qui, à telle époque, était également qualifié? cependant par cette simple filiation, les distinctions qu’on veut éteindre seraient constamment entretenues. Qu’on s’en fie d’ailleurs à l’industrieuse vanité, du soin de se replier de toutes les manières nécessaires pour entretenir les souvenirs qui la flattent. Les grands, dans un royaume voisin de la France, se tutoyent entre eux, et ils n’ontjamais avec d’autres la même familiarité : comment donc apporter un obstacle à toutes les distinctions, lorsque les formes destinées à exprimer des égards et le respect peuvent elles-mêmes servir à manifester un sentiment de supériorité, et qu’ainsi tant de moyens divers suffisent en des mains habiles pour conserver les gradations établies par une longue habitude ? La véritable manière de faire tomber le prix de tous les hochets de la vanité, ce n'est pas de les proscrire avec inquiétude; on y réussit mieux en les considérant avec calme et indifférence; on y réussit mieux en portant simplement toute son estime vers les talents, les vertus et les services de tout genre rendus à la chose publique. Ce n’est jamais par une loi que l’on peut détruire les antiques opinions dans un royaume aussi vaste que la France ; ces opinions sont l’ouvrage du temps, et le temps seul peut les détruire : tous les grands changements ont besoin d’être préparés. Un noble sentiment, une ardeur généreuse inspirent le désir de ramener les hommes à toute la simplicité des premiers principes; mais de nouvelles mœurs , de nouvelles vertus seraient peut-être nécessaires pour réussir selon ses vœux dans une pareille entreprise. On doit présenter un autre genre de considération -, il importe au peuple, qui vit de la distribution des richesses et du travail ordonné par les propriétaires , que l’on n’impose pas à une classe nombreuse de citoyens des privations inutiles, car ces privations pourraient les engager à chercher dans d’autres pays la jouissance des avantages qu’ils tiennent de leur naissance, comme on voit les hommes d’une grande fortune s’éloigner des contrées où les lois somptuaires les empêchent de faire usage de toute l’étendue de leurs revenus. On est en doute sur l’interprétation qu’on doit donner à l’article du décret de l’Assemblée nationale, qui supprime la noblesse héréditaire. L’Assemblée a-t-elle supposé -qu’il pourrait y avoir, à l’avenir, de nouveaux titres de noblesse, lesquels ne seraient poiut transmissibles? Une pareille idée, fort simple et praticable, n’exigerait en ce moment aucun éclaircissement; mais, si l’article est applicable aux personnes qui sont actuellement en possession de la noblesse, on ne comprend pas comment aucun décret , aucune loi pourrait empêcher que cette prérogative ne fût héréditaire; car la noblesse est, par son essence, transmissible de père en fils, à moins qu’une dégradation flétrissante n’arrête cette succession dans son cours. Les prérogatives attachées à la noblesse peuvent bien être rendues nulles dans un pays , par la volonté du législateur; mais ses décrets ne sauraient anéantir la valeur d’opinions, comme ils ne peuvent pas non plus étendre leur influence au delà des frontières de l’Empire : ainsi les titres qui constituent la noblesse, ces titres encore en honneur chez les autres nations, seront toujours un bien dont l’hérédité paraîtra précieuse ; et cette hérédité, considérée d’une manière générale, aucune autorité ne peut la détruire ; et le consentement, l’autorité même des pères, ne pourraient ôter à leurs enfants un droit qui est à eux dès le moment de leur naissance. L’obligation prescrite à tous les citoyens de prendre leur nom primitif paraît encore un sacrifice inutile imposé à une classe nombreuse de la société. C’est un sacrifice, parce que plusieurs de ces noms primitifs sont entièrement oubliés , et qu’il importe à plusieurs familles de paraître dans le monde avec le nom auquel s’est attaché le souvenir des services de leurs ancêtres; et il serait rigoureux, sans aucune utilité pour personne, de les obliger à renoncer à un genre de satisfaction dont la valeur doit être entretenue pour l’avantage même de la société. On trouverait juste et louable le désir qu’aurait une famille estimable de changer de nom, si l’un de ses membres l’avait souillé par un attentat contre la patrie. Le même principe doit expliquer l’intérêt que peuvent avoir beaucoup de maisons à conserver les dénominations sous lesquelles on les a vues paraître avec honneur dans les annales de l’histoire. De tels sentiments sont naturels, et ils entrent avantageusement dans le mécanisme moral de tous les systèmes politiques. La confusion, inséparable de ces changements de noms, relativement aux actes de partage et à toutes les transactions qui s’enchaînent les unes aux autres, présente encore une considération digne de l’attention de l’Assemblée générale. Les observations qu’on a présentées, ea parlant des noms et des titres, s’appliquent de même à la proscription des armoiries. On aperçoit seulement que , devenues presque libres depuis longtemps, il y a d’autant moins de motifs pour en ordonner la suppression. Rien n’est certainement plus indifférent au peuple que l’existence de ces armoiries; cependant, leur suppression peut facilement se lier dans son esprit à d’autres idées, et devenir ainsi un motif ou un prétexte pour s’élever contre ceux qui se détacheraient lentement de ces distinctions inhérentes , les unes aux vieilles pierres de leurs châteaux, et les autres aux antiques marbres qui couvrent la cendre de leurs ancêtres. Il est des temps où la sagesse , où la simple bonté , peut-être , invitent à n’ordonner aucune disposition, aucun mouvement qui ne soient essentiellement nécessaires. _ Les livrées sont successivement devenues aussi libres que les armoiries ; leur proscription, néanmoins, serait, entre tous les retranchements de distinctions extérieures, le seul qui pourrait être agréable à une portion du peuple , en supposant encore que la classe de citoyens vouée par choix [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [20 juin 1790.] 389 à l’état de domesticité, attache quelque intérêt à ce changement; mais il occasionnera le désœuvrement d’un grand nombre d’ouvriers adonnés à la fabrication des galons et des rubans qui composent ces livrées. Les principales manufactures en ce genre sont à Paris, et les consommations certaines qu’offrait la capitale avaient mis en état d’étendre ces établissements au degré nécessaire pour entretenir un assez grand commerce extérieur. On croit devoir terminer les observations contenues dans ce mémoire par une réflexion générale : c’est qu’en poursuivant, dans les plus petits détails, tous les signes de distinction, on court peut-être le risque d’égarer le peuple sur le véritable sens de ce mot : égalité , qui ne peut jamais signifier, chez une nation civilisée et dans une société déjà subsistante, égalité de rang ou de propriété. La diversité des travaux et des fonctions, les différences de fortune et d’éducation, l’émulation, l’industrie, la gradation des talents et des connaissances, toutes ces disparités productrices du mouvement social entraînent inévitablement des inégalités extérieures, et le seul but du législateur est, en imitation de la nature, de les réunir toutes vers un bonheur égal, quoique différent dans ses formes et dans ses développements. Tout s’unit, tout s’enchaîne dans la vaste étendue des combinaisons sociales, et souvent les genres de supériorité qui paraissent un abus aux premiers regards de la philosophie sont essentiellement utiles pour servir de protection aux différentes lois de subordination, à ces lois qu’il est si nécessaire de défendre, et qu’on attaquerait avec tant de moyens, si l’habitude et l’imagination cessaient jamais de leur servir d’appui. Projet pour la lettre du roi. Le décret de l’Assemblée nationale concernant les titres, les noms et les armoiries, afflige, avec de justes motifs, une classe nombreuse de la société, sans procurer aucun avantage au peuple; et comme, malgré son importance, il a été adopté dans une seule séance, ces diverses considérations m’ont déterminé à communiquer à l’Assemblée nationale quelques observations à ce sujet. Je lui demande de les examiner, et, si elle persiste en tous les points dans son opinion, j’accepterai le décret et par déférence pour les lumières de l’Assemblée nationale, et parce que j’attache un grand prix à maintenir entre elle et moi UDe parfaite harmonie. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. CAMUS, EX-PRÉSIDENT. Séance du dimanche 20 juin 1790 (1) . La séance est ouverte à onze heures du matin. M. Camus, ex-président, occupe le fauteuil en l’absence de M. l’abbé Sieyès, président en fonctions. M. l'abbé Dumouchel , secrétaire , donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier au soir. Plusieurs membres demandent la parole. M. Chabroud. Je demande que la mention de la démission de M. de Lévis, député de Dijon, soit retirée du procès-verbal, parce que cette démission n’a pas été donnée avec maturité, et je propose en même temps qu’il soit fait de nouvelles listes des membres de l’Assemblée nationale, dans lesquelles chacun sera dénommé conformément au décret d’hier. (Ges propositions sont adoptées.) M. de Firieu. J’observe que l’époque de la fédération du 14 juillet est peut-être trop rapprochée, que les voitures ne seront pas repeintes, que le décret d’hier pourrait faire croire au peuple qu’il entraîne la destruction des titres, et que, dans un moment de chaleur, il pourrait se porter à des excès ; cependant, il faut considérer que ces titres sont précieux pour les généalogies, qu’ils sont nécessaires à la conservation des propriétés, et, par tous ces motifs, je demande le renvoi au comité de Constitution. M. Fréteau. Le renvoi est inutile, et il suffit d’ajouter après ces mots : « sans que, sous pré-« texte du présent décret, aucun citoyen puisse « se permettre d’attenter aux monuments placés « dans les temples», ceux-ci : aux chartes, titres , et autres renseignements intéressant les familles ou les propriétés, ni aux décorations d’anciens lieux publics ou particuliers. (Cette addition est adoptée et sera insérée dans le procès-verbal qui vient d’être lu.) Le procès-verbal est adopté. M. de Talleyrand-Pérîgord , archevêque et député de Reims, demande un congé pour aller aux eaux. Ce congé est accordé. M. Bouche. Il est, dans le département dont j’ai l’honneur d’être le représentant, plusieurs villages auxquels les ci-devant seigneurs ont voulu donner leur nom; les habitants ont résisté; mais des arrêts du conseil, en blâmant cette résistance légitime, ont consacré les prétentions orgueilleuses des seigneurs. Je suis chargé de demander un décret qui rende à ces villages le nom qu’ils n’auraient pas dû cesser de porter. Cette motion est adoptée en ces termes : « L’Assemblée nationale décrète que les villes, bourgs, villages et paroisses auxquels les ci-devant seigneurs ont donné leurs noms de famille, sont autorisés à reprendre leurs noms anciens. » M. d’Harambure . Mes commettants m’avaient défendu de faire scission avec les Etats généraux ; en conséquence, je me suis réuni à T Assemblée nationale dès que j’ai reconnu qu’elle formait les Etats généraux. Mes commettants m’ont recommandé en même temps de m’opposer à tout ce qui porterait atteinte à leur état civil. Je ne pouvais m’attendre à ce qui s’est passé hier. J’étais au comité des finances, et je m’étonne qu’on n’ait pas averti les membres qui se trouvaient alors dans les différents comités. L’Assemblée ne reçoit pas les protestations ; je n’en fais pas une en ce moment, mais... (On demande à passer à l’ordre du jour.) (1) Cette séance est incomplète au Moniteur.