525 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 juin 1790.] pourrait s’arroger ce droit? Nous appartenons à la nation, il n’y a que la nation qui puisse nous licencier. Ajoutons le mode de cet enlèvement. Il n’ignorait pas que M. d’Aguilar, qui lui avait donné un asile, avait répondu de nos drapeaux; c’est un fait attesté par ce dernier. Sans respect pour les cheveux blancs, pour les vertus de celui qui le comble de bienfaits, il viole les droits de l’hospitalité : il s’éloigne furtivement de la maison de sou hôte et le laisse accablé du soupçon honteux d’avoir trempé dans ce larcin. M. Riquetti le jeune s’étonne : 1° que l’Assemblée ait admis à sa barre les députés du régiment de Touraine. Nous sommes citoyens, nous sommes patriotes, nous l’avons prouvé, et le temps est venu où tous les citoyens peuvent se faire entendre; 2° Que nos officiers se soient joints à nous. Nos drapeaux ne sont-ils pas les leurs? S’ils eussent mis moins de chaleur à les défendre, ils seraient indignes de nous commander. II ne peut pas se dissimuler qu’ils n’ont eu aucune part à ses démarches. Qu’il nous oppose une seule signature des anciens officiers du corps. S’il en a arraché à la faiblesse de quelques jeunes gens, c’est qu’ils sont imbus de ses principes. Tout se réduit à la preuve de tous les faits que nous avons allégués. Elle ne peut s’acquérir, cette preuve, que sur les lieux. Le directoire du département des Pyrénées-Orientales peut l’établir. Nous ne craignons pas de le dire : ou les drapeaux d’un corps sont des emblèmes vains et frivoles, dont on peut se jouer impunément, ou l’injure, dont nous demandons la réparation, ne peut demeurer impunie. Nous supplions donc l’Assemblée nationale d’ordonner que l’administration du département des Pyrénées-Orientales informe sur les lieux des faits dont nous venons de lui donner l’assurance; c’est d’après cette enquête que l’auguste Assemblée pourra prononcer sur une cause qui est enveloppée de contradictions, qu’il est essentiel d’éclaircir, et qui, en voilant la vérité des faits, en dérobe aussi l’importance ; c’est en recherchant tout le tissu d'un plan dont l’enlèvement des drapeaux ne fait partie que parce que ce plan n’a pas pu réussir : c’est, dis-je, en recherchant tout ce tissu, que l’auguste Assemblée se convaincra que la conduite du régiment de Touraine, loin d’être une insurrection, a été la sauvegarde d’une ville, d’une province, et peut-être de l’Empire. Signé : Sauveton, fourrier des chasseurs; About, fusilier. Observations de M. Vergés , officier municipal de la commune de Perpignan. Avant l’arrivée de M. Riquetti le jeune à Perpignan, cette ville était paisible et tranquille : le régiment de Touraine ne s’était permis jusque-là, que des mouvements de joie et d’allégresse, effet de la liberté naissante et de l’attachement à la nouvelle Constitution dont il n’était pas surprenant que des soldats français sentissent tout le prix. Mais M. Riquetti n’eut pas plutôt joint son régiment, que l’agitation des citoyens et l’inquiétude des soldats nous firent concevoir les plus vives alarmes : si au lieu de se borner à écrire aux officiers municipaux pour leur demander seulement l’instant où il pourrait prêter le serment civique en leur présence, il avait pris le parti tout à la fois sage et honnête de se rendre dans la maison commune, s’il leur avait dit : je veux prendre tous vos renseignements, concerter avec vous toutes mes démarches, profiter de tous les conseils que vos places et les localités vous mettent à même de me donner; au lieu de vouloir ramener les soldats, dès les premiers instants, par la force, l’autorité; s’il avait parlé à leur cœur, s’il leur avait dit : je suis votre chef, mais je suis votre ami, vous aviez à vous plaindre de l’adjudant, ma justice vous en fera raison ; sur tout le reste j’écouterai vos plaintes, et vous me trouverez toujours occupé de votre bonheur; S’il leur avait dit : Soldats, vous avez juré de maintenir la Constitution, je vais renouveler lè même serment en votre présence; mais cette Constitution ne peut s’affermir sans la discipline et la subordination; vous êtes Français, vous êtes citoyens, il y va de votre honneur, il y va de la patrie : si M. Riquetti eût tenu cette conduite, ahl qu’il nous eût épargné de soucis et de peines! M. Riquetti avait manqué son but; et on ne pouvait cependant pas lui faire abandonner ses projets : qu’on se représente la situation des officiers municipaux, l’obstiuation de M. Riquetti pouvait avoir les suites les plus funestes : pouvaient-ils balancer un instant, quand il s’agissait de la tranquillité publique et ne devaient-ils pas s’estimer heureux de la rétablir par une lettre qu’ils savaient devoir déterminer le départ de M. Riquetti? C’est parce qu’on regarda ce départ comme le signal de la paix qu’elle fut écrite : je l’ai ouï dire avant et après aux officiers municipaux qui l’ont signée. Il n’y a qu’à bien peser ces circonstances pour concilier les démarches de la municipalité de Perpignan depuis le départ de M. Riquetti avec celles qui l’ont précédée. Les espérances dont elle s’était flattée furent malheureusement déçues; M. Riquetti emporte les cravates des drapeaux; le soldat justement indigné s’en prend au maire qui en avait répondu sur sa tête : oui, répondu sur sa tête : c’est un fait public et notoire à Perpignan; comment M. Riquetti, qui y avait plus d’intérêt qu’un autre, a-t-il pu l’ignorer? Le régiment de Touraine n’a pas plus tôt vu ses cravates, que l’allégresse et la joie ont succédé à la tristesse et au deuil : cette ville, désolée depuis quelques jours, n’a présenté pendant une semaine entière que le spectacle attendrissant d’un peuple de frères, célébrant à l’envi, par des fêtes continuelles, leur union et leur bonheur; et elle a prouvé, par là, d’une manière non équivoque, qu’elle n’avait cédé ni à la force, ni à la terreur en me chargeant d’exprimer à l’Assemblée nationale le juste intérêt que le régiment de Touraine lui a inspiré à tant de titres. Signé : VERGÉS. Nous, députés de la garde nationale du district de Perpignan, département des Pyrénées-Orientales, au pacte fédératif du 14 juillet, ayant lu un imprimé justificatif de la conduite de M. de Mirabeau, colonel du régiment de Touraine, et nous étant assurés que cet imprimé ne contient que ce qui a été avancé par cet officier, 536 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [27 juin 1790.1 devant l’Assemblée nationale, et ce qui a été remis par lui au comité des rapports, Etonnés des assertions contenues dans cet écrit; convaincus, par la connaissance que nous avons des faits, que la plupart d’entre elles sont contraires ;à la vérité; Considérant que, d’après la mémoire de M. de Mirabeau, on pourrait croire : 1° Que la promenade du régiment de Touraine avec quelques gardes nationales, cet épanchement patriotique des 19 et 21 mai, aurait été un mouvement séditieux et alarmant; 2° Que les citoyens de Perpignan s’en seraient indignés ; 3» Qu’il n’y aurait eu qu’une seule compagnie de volontaires qui s’y serait mêlée; 4° Que l’arrivée du sieur de Mirabeau et sa conduite à Perpignan auraient obtenu l’approbation du plus grand nombre des citoyens ; 5° Que des personnes, nommées dans cet écrit, qui sont des braves gens, qui jouissent de l’estime générale et à qui elle est due, ne seraient que des hommes dangeureux; 6° Que toutes ces fausses allégations enfin seraient appuyées de certificats valables. Nous donnons, à cet effet, le témoignage le plus authentique que la conduite du régiment de Touraine a été irréprochable dans le long séjour que le régiment a fait dans cette ville; Que c’est à son patriotisme, à son attachement à la Constitution que nous devons notre repos, et que nous avons évité les plus grands malheurs . Que ses promenades, sous le non de farandoles, n’étaient ni séditieuses ni alarmantes, mais au contraire faisaient la consolation des gens de bien, par l’accord qu’elles manifestaient entre les soldats des troupes de ligne et ceux de la garde nationale; Que ceux qui ont cherché à inculper cette démarche, à en faire punir les auteurs, ne peuvent être que les ennemis du bien public et de la Constitution; Que l’arrivée de M. de Mirabeau a été du plus funeste présage, d’abord par les mouvements et une espèce d’air de défi que prenait le parti anticonstitutionnel, et ensuite par les démarches ouvertes de ce parti envers celui qu’il paraissait regarder comme son chef; Que le présage funeste n’a été que trop réalisé par la manière dont le colonel s’est présenté en offrant de se mettre à la tête de la garde nationale (comme il l’avoue lui-même); Par les emportements de ce colonel envers un régiment dont il connaissait la sensibilité et qu’il fallait porter à la résistance pour pouvoir le combattre; Par l’ordre obtenu de faire garder les drapeaux de Touraine, longtemps après qu’ils étaient déposés chez le maire par un très fort détachement de Vermandois et par deux compagnies des gardes nationales. Enfin, par la dernière démarche de ce colonel qui, déchirant ses drapeaux dont les lambeaux ont été trouvés sur l’escalier de M. le maire et sont entre les mains de MM. les députés de Touraine, emporte avec lui les cordons et les cravates et abandonne au désespoir d’un régiment indignementoffensé, un maire qui avait répondu de ce dépôt sacré, et toute une ville queM. de Mirabeau comptait très sûrement avoir mis, par là, dans la nécessité d’en venir aux prises avec son régiment. Nous attestons enfin, que les citoyens qu’il désigne et qu’il inculpe, sont précisément ceux qui jouissent de l’estime de toute la ville, ceux qui n’ont cessé de le mériter, et ceux à qui la patrie doit le plus dans les circonstances actuelles, comine il appert par l’attestation ci-jointe de l’assemblée du département et de la municipalité. Nous déclarons nous référer au rapport qui a été fait à l’Assemblée nationale de certe affaire, parle club patriotique de Perpignan, parla société des patriotes, par les députés extraordinaires des gardes nationales, par le député de la municipalité, et enfin par MM. les députés du régiment de Touraine; rapport qui comprend l'avis de presque toute la ville; ce qui ne saurait balancer un certificat furtif, dont les signatures évidemment mendiées, puisqu’elles portent en partie sur un dire négatif, peuvent et doivent être récusées à tant de titres. Voilà des faits que nous attestons et que nous signons, et comme dans une affaire aussi majeure, et qui a menacé d’une manière si marquée la paix du royaume et l’affermissement de la Constitution, rien ne doit être négligé ; comme il est des choses qui, quoique claires et presque évidentes, ne peuvent être avancées, à défaut de preuves formelles. Comme cette preuve formelle est facile à obtenir, nous supplions l’Assemblée nationale d’ordonner à l’administration du département des Pyrénées-Orientales, qui est en activité, de faire une enquête qui puisse éclaircir les faits, et mettre l’Assemblée à même de porter son jugement. A Paris, juillet 1790. Signé : Mailhat, capitaine, député au pacte fédératif ; Esté VE, lieutenant député au pacte fédératif; GüITER, capitaine, député au pacte fédératif; ArtüS, sergent, député au pacte fédératif; Siau, fusilier, député au pacte fédératif; Terrais fusilier , député au pacte fédératif. 3e ANNEXE. Réplique de M. de Mirabeau le jeune à la réponse qui lui a été faite, au nom du régiment de Touraine, par ' les nommés Saüveton, fourrier, et About, fusilier , se disant députés dudit régiment et par les sieurs Vergés, officier municipal , MaiL-HAT, Siau et autres membres de la garde nationale de Perpignan, s’en disant autorisés. Accoutumé depuis deux mois aux outrages que la calomnie, l’ingratitude, l’insubordination ont fait vomir contre moi à des soldats parjures, rebelles à l’autorité du roi, à celle de leurs chefs et de leurs officiers, je m’attendais bien à trouver dans leur réponse, des injures, mais je croyais aussi y rencontrer quelques faits justificatifs, et j’avoue que cette pièce que j’ai sous les yeux ne m’eût pas semblé même exiger une réplique de ma part, si je n’y avais trouvé jointes les diatribes de M. Vergés, au nom d’une municipalité qui le désavouerait si elle était libre, et celles de quelques officiers de la garde nationale, de Perpignan, dont deux, MM. Mailhat et Siau, sont regardés comme les auteurs de tous les troubles qui sont arrivés à Perpignan, et dont l’un, M. Mailhat, a été cité à la municipalité comme ayant offert de l’argent à un de mes soldats, qu’on a été obligé de faire partir parce qu’il l’avait dénoncé; c’est vers eux principalement que je dois diriger ma réplique après avoir prouvé aux soldats que mes preuves restent entières, que mes prétendues contradictions sont