ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [17 juin 1789.] j2(3 [États généraux.] assez respecté en France, parce qu’il est obscurci, couvert de la rouille du préjugé; parce qu’il nous présente une idée dont l’orgueil s’alarme et dont la vanité se révolte, parce qu’il est prononcé avec mépris dans les Chambres des aristocrates, c’est pour cela môme, Messieurs, que je voudrais, c’est pour cela même que nous devons nous imposer non-seulement de le relever, mais de l’ennoblir, de le rendre désormais respectable aux ministres et cher à tous les cœurs. Si ce nom n’était pas le nôtre, il faudrait le choisir entre tous, l’envisager comme la plus précieuse occasion de servir ce peuple qui existe, ce peuple qui est tout, ce peuple que nous représentons, dont nous défendons les droits, de qui nous avons reçu les nôtres et dont on semble rougir que nous empruntions notre dénomination et nos titres. Ah! si le choix de ce nom rendait au peuple abattu de la fermeté, du courage... mon âme s’élève en contemplant dans l’avenir les ! heureuses suites quece nompeut avoir! Le peuple I ne verra plus que nous, et nous ne verrons plus que le peuple; notre titre nous rappellera et nos devoirs et nos forces. À l’abri d’un nom qui n’effarouche point, qui n’alarme point, nous jetons un germe, nous le cultiverons, nous en écarterons les ombres funestes qui voudraient l’étouffer; nous le protégerons; nos derniers descendants seront assis sous l’ombrage bienfaisant de ses branches immenses. Représentants du peuple, daignez me répondre ; irez-vous dire à vos commettants que vous avez repoussé ce nom de peuple ? que si vous n’avez pas rougi d’eux, vous avez pourtant cherché à éluder cette dénomination qui ne vous paraît pas assez brillante ? qu’il vous faut un titre plus fastueux que celui qu’ils vous ont conféré? Eh ! ne voyez-vous pas que le nom de représentants du peuple vous est nécessaire parce qu’il vous attache le peuple, cette masse imposante sans laquelle vous ne seriez que des individus, de faibles roseaux que l’on briserait un à un ? Ne voyez-vous pas qu’il vous faut le nom de peuple, parce qu’il donne à connaître au peuple que nous avons lié notre sort au sien, ce qui lui apprendra à reposer sur nous toutes ses pensées, toutes ses espérances. Plus habiles que nous, les héros bataves qui fondèrent la liberté de leur pays prirent le nom de gueux ; ils ne voulurent que ce titre, parce que le mépris de leurs tyrans avait prétendu les en flétrir ; et ce titre, en leur attachant cette classe immense que l’aristocratie et le despotisme avilissaient, fut à la fois leur force, leur gloire et le gage de leur succès. Les amis de la liberté se choisissent le nom qui les sert le mieux, et non celui qui les flatte le plus ; ils s’appelleront les remontrants en Amérique, les pâtres en Suisse, les gueux dans les Pays-Bas ; ils se pareront des injures de leurs ennemis; ils leur ôteront le pouvoir de les humilier avec des expressions dont ils auront su s’honorer. La dernière partie du discours de M. de Mirabeau excite beaucoup de murmures. Au milieu du tumulte et des plaintes. M. de Mirabeau s’écrie : Si ce morceau de mon discours est coupable, je ne crains pas de l’avouer, je le laisse, signé de ma main, sur le bureau. Lorsque le tumulte est apaisé, on crie de toutes parts : Aux voix ! aux voix ! M. liegrand demande à relire son projet d’arrêté. Il obtient du silence avec peine. M. Galand demande la parole ; chacun se récrie, s’impatiente, tout le monde veut alle� aux voix: il persiste cependant; quelques-uns veulent l’entendre, et il est écouté. Voici l’extrait du discours de M. Galand: Je demande qu’on se constitue en Assemblée légitime et active des représentants de la nation française. La nation est une, indivisible; le clergé n’est qu’une corporation stipendiaire de la nation pour la servir au pied des autels ; la noblesse est une corporation de gens illustrés. A peine a-t-il achevé qu’il reçoit les applaudissements les plus vifs. M. l’abbé Sieyès demande de nouveau la pa� rôle; il annonce un très-grand changement danà sa motion. Il propose de substituer à la dénomin nation de représentants connus et vérifiés le titre d’ Assemblée nationale. y Cette motion, ainsi changée, paraît à quelque� membres exiger une nouvelle discussion. Les autres veulent délibérer sur-le-champ. On va aux voix pour savoir si on discutera, ou si on délibérera. La majorité est pour le dernier parti. Plusieurs membres se retirent. D’autres veulent opiner sans désemparer. La majorité se déclare pour ce parti. Les débats se prolongent jusqu’à minuit. M. «le ISiauzat. Messieurs, nous allons nous constituer. Un acte aussi important et aussi solennel doit être fait en plein jour, avec tous les membres, en présence de la nation. Mes sentiments vous sont connus, je déclare que je vote pour qu’on se constitue en Assemblée nationale, non pas dans le moment actuel, mais demain je le signerai de mon sang. Cette observation détermine l’Assemblée à se réparer et remettre la décision à demain. La séance est levée. ÉTATS GÉNÉRAUX. Séance du mer dr edi 17 juin 1789. CLERGÉ. La discussion sur la question relative à la r union est continuée. M. «le Boîsgelin, archevêque d'Aix, soutient, dans un discours fort étendu, la distinction des ordres. M. de Lubersac, évêque de Chartres, qui a parlé la veille pour demander la vérification des pouvoirs en commun, veut répondre. La parole lui est refusée, pour l’accorder à M. l’abbé Villeneuve de Bargemont. M. l’archevêque d’Arles, qui lui succède, demande l’impression du discours de M. l’archevêque d’Aix. Une députation de l’ordre de la noblesse communique un arrêté de cet ordre relatif aux députations du bailliage d’Auxerre et du Dauphiné. NOBLESSE. La Chambre se partage en plusieurs bureaux ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [17 juin 1789.] [États généraux.] 127 pour s’occuper de l’exaruen de la constitution du royaume. En vertu de ces derniers arrêtés, elle renvoie à des commissaires chargés d’en conférer avec ceux des deux autres, les contestations sur les députations communes ou faites par les trois ordres réunis, telles que celle du Dauphiné. Enfin, il est fait lecture de la réponse du Roi à la communication qu’il a reçue des arrêtés de la noblesse. Elle est ainsi conçue : « J’ai examiné l’arrêté de l’ordre de la noblesse que vous m’avez remis ; j’ai vu avec peine qu’il persistait dans les réserves et les modifications qu’il avait mises au plan de conciliation proposé par mes commissaires. Plus de déférence de la part de l’ordre de la noblesse aurait peut-être amené la conciliation que j’ai désirée. » La séance est levée. COMMUNES. Séance du matin. M. le Doyen. Je vais mettre aux voix les différentes motions relatives à la manière dont l’Assemblée doit se constituer. On a demandé hier que choque membre apposât sa signature au bas de la délibération, j’ose présenter à l’Assemblée quelques réllexions sur cette demande. La signature, au lieu de fortifier notre résolution, pourrait l’affaiblir ; car, prise par l'Assemblée, elle est censée prise unanimement ; au lieu que la signature, si elle n’est pas universelle, montre que la résolution n’a été arrêtée que partiellement. De plus, la signature pourrait devenir un germe funeste de division entre nous, et commencer, en quelque manière, deux partis dans une Assemblée dont l’union a fait jusqu’ici la plus grande force. Ces réflexions sont approuvées par l’Assemblée, et la demande des signatures n’a pas de suite. L’Assemblée arrête que la délibération sera seulement signée du doyen et de deux secrétaires. 11 est fait lecture des cinq motions de MM. l’abbé Sieyès, de Mirabeau, Mounier, Legrand et Pison du Gaiand, sur lesquelles on a à délibérer. La première motion mise à l’opinion est celle de M. l’abbé Sieyès, en décidant qu’on ira aux voix successivement sur les autres, si la première ne réunit pas la majorité absolue des voix. La motion de M. l’abbé Sieyès est admise à la majorité de 491 voix, contre 90. L’Assemblée, en conséquence, arrête la délibération suivante: « L’Assemblée, délibérant après la vérification des pouvoirs, reconnaît que cette Assemblée est déjà composée des représentants envoyés directement par les quatre-vingt-seize centièmes, au moins, de la nation. « Une telle masse de députation ne saurait rester inactive par l’absence des députés de quelques bailliages, ou de quelques classes de citoyens ; car les absents qui ont été appelés ne peuvent point empêcher les présents d’exercer la plénitude de leurs droits, surtout lorsque l’exercice de ces droits est un devoir impérieux et pressant. « De plus, puisqu’il n’appartient qu’aux représentants vérifiés de concourir à former le vœu national, et que tous les représentants vérifiés doivent être dans cette Assemblée, il est encore indispensable de conclure qu’il lui appartient, et qu’il n’appartient qu’à elle, d’interpréter et de présenter la volonté générale de la nation; il ne peut exister entre le trône et cette Assemblée aucun veto, aucun pouvoir négatif. « L’Assemblée déclare donc que l’œuvre commune de la restauration nationale peut et doit être commencée sans retard par les députés présents, et qu’ils doivent la suivre sans interruption comme sans obstacle. « La dénomination éd Assemblée nationale est la seule qui convienne à l’Assemblée dans l’état actuel des choses, soit parce que les membres qui la composent sont les seuls représentants légitimement et publiquement connus et vérifiés, soit parce qu’ils sont envoyés directement par la presque totalité de la nation, soit enfin parce que la représentation étant une et indivisible, aucun des députés, dans quelque ordre ou classe qu’il soit choisi, n’a le droit d’exercer ses fonctions séparément de la présente Assemblée. « L’Assemblée ne perdra jamais l’espoir de réunir dans son sein tous les députés aujourd’hui absents; elle ne cessera de les appeler à remplir l’obligation qui leur est imposée, de concourir à la tenue des Etats généraux. A quelque moment que les députés absents se présentent dans le cours de la session qui va s’ouvrir, elle déclare d’avance qu’elle s’empressera de les recevoir et de partager avec eux, après la vérification de leurs pouvoirs, la suite des grands travaux qui doivent procurer la régénération de la France. « L’Assemblée nationale arrête que les motifs de la présente délibération seront incessamment rédigés pour être présentés au Roi et à la nation. » L’Assemblée vote une adresse au Roi pour lui faire part de la délibération arrêtée. Alors des cris multipliés de vive le Roi! se font entendre. Après la délibération prise, M. le doyen et les secrétaires observent à l’Assemblée qu’ils n’ont plus de pouvoirs, n’ayant été établis que pour le temps où l’Assemblée ne serait pas encore constituée. L’Assemblée déclare qu’ils doiven t exercer leurs fonctions jusqu’à ce que ses officiers soient définitivement nommés. On annonce une députation de la part de MM. de c la noblesse. L’Assemblée ayant décidé qu’on irait au devant d’eux, quatre de MM. les députés vont les recevoir, et les introduisent. La députation était composée de MM. le baron de Montboissier, le marquis de Lencosne, le marquis de Grussol, le baron Daurillac, le vicomte de Malartic, le comte de Ruillier. Ils prennent place sur les bancs delà noblesse. M. lebaron de Montboissier annonce qu’ils sont porteurs d’arrêtés de la noblesse, relatifs à des difficultés qui s’étaient élevées sur des députations entières, lis font lecture de ces arrêtés, et les laissent sur le bureau. En voici la teneur : du 16 mai 1789. (La copie laissée sur le bureau le porte ainsi; il semble qu’on doit lire juin 1789.) « Arrêté queles arrêtés des 13 mai et 9 juin 1789, relatifs à la double députation du bailliage d’Auxerre, et à la députation du Dauphiné, serunt portés à l’ordre du clergé et à celui du tiers-état, avec prière de s’expliquer immédiatement sur ces arretés, afin que les commissaires puissent s’assembler sans délai en cas d’acceptation, ou que l’ordre de la noblesse puisse prendre un parti ultérieur en cas de refus. » Extrait du procès-verbal du mercredi 3 mai 1789. « MM. les commissaires vérificateurs des pouvoirs des députés ont repris la suite de leur rap-