[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [9 avril 1791.] 679 faisceau d’idées salutaires, qui rappelleront sans cesse aux Français un roi qu’ils chérissent comme un père, la liberté qu’ils idolâtrent, et la soumission aux lois, sans laquelle ce présent du Ciel ne saurait subsister. Deux raisons paraissent s’opposer à ce que les pièces de 30 et de 15 sous porLent absolument la même empreinte. Elle serait trop compliquée peut-être pour les pièces de 15 sous, dont le volume sera peu considérable; et d’ailleurs il faut craindre qu’une trop grande ressemblance avec les louis, n’excitât les faux monnayeurs à ajouter celle de la couleur : la chimie fait des pas si rapides vers la perfection, qu’en prévoyant tous les avantages que cette science eût procuré à la société, on doit se permettre de calculer les abus qu’on en peut faire. Votre comité, toujours aidé des lumières de l’Académie de peinture, a donc pensé que, en conservant le sujet principal, il suffirait d’excepter pour la petite monnaie le coq et le faisceau. L’empreinte sera belle et cependant assez différente de celle des louis pour n’avoir à craindre aucune confusion. La monnaie de cuivre est particulièrement la monnaie du pauvre et, sous ce rapport, elle vous inspirera un grand intérêt; car il faut que les malheureux, si dédaignés par les mauvaises lois, aient, sous le régime des bonnes, le sentiment de leur dignité; votre comité a cherché à remplir celte vue; il a pensé qu’en faisceau, traversé par une pique, surmontée du bonnet de la liberté, et entouré d’une couronne civique, devait former le revers des sous, des demi-sous et des liards : c’est encore iM. Dupré qui vous oifre le sujet de celte empreinte. Nous \ous proposerons pour légende ces mois : La nation, la loi et le roi , elle exprime à la fois et les droits et les devoirs du peuple. En vous présentant le résultat de ses travaux, votre comité aurait désiré de soumettre à votre examen les divers dessins qui lui ont été remis parles artistes; mais ils sont en grand nombre, et il lui a semblé difficile de les mettre sous vos yeux dans le cours de votre séance. Nous nous sommes empressés de les communiquer à ceux d’entre vous qui en ont marqué le désir. Nous ferons à cet égard ce que vous prescrirez. Messieurs, si vous adoptez le projet de décret que j’aurai l’honneur de vous soumettre, dans peu de temps la fabrication pourra commencer ; il ne faudra que le délai indispensable pour graver les matrices et les poinçons, et ce délai ne sera pas fort long. Mais à qui confierez-vous ce travail? De longs services, des talents et des vertus réclament en faveur du graveur général actuel. Sous un autre point de vue, l’importance extrême d’une belle fabrication, le plus sûr moyen peut-être de prévenir le faux monnayage, fait naître le désir d’un concours. On ne peut pas se dissimuler que c’est l’unique moyen d’atteindre à la perfection; et sous ce rapport, il sérail difficile de ne pas l’adopter; c’est peut-être aussi le plus conforme aux principes de la Constitution; car en ce genre, comme en tout autre, elle sera violée si les places ne sont pas le prix des talents. Votre comité, en adoptant cetle idée, a eu la satisfaction de penser que le graveur général a donné assez de preuves de talent pour entrer en lice avec les artistes les plus distingués, et il serait difficile de prévoir qui d’entre eux sortira vaiuqueur de cette lutte honorable. Il n’appartiendra pas à votre comité d’en juger. Les arts ne peuvent avoir de bons juges que les artistes et nous vous proposerons du vous en rapporter, sur ce point, à l’Académie de peinture. Ne craignez point, Messieurs, de retarder l’époque si désirable de la fabrication; car il ne faut pas plus de temps à dix graveurs pour préparer séparément une matrice et un poinçon, qu’il n’en faut à un seul, et le jugement de l’Académie ne se fera attendre q->e 2 ou 3 jours. Pendant ce temps, les corps administratifs adresseront aux hôtels des monnaies l’argenterie des églises et communautés supprimées, conformément au décret que vous avez rendu sur le rapport de vos comités d’aliénation et des monnaies. Cette argenterie servira à une partie considérable de la fabrication; et le ministre des contributions, d’accord avec votre comité des finances, prendra les mesures nécessaires pour compléter l’émission. On s’occupera également de l’achat des flans nécessaires à la fabrication des monnaies de cuivre; plusieurs offres ont été faites à votre comité par les compagnies de Saint-Bel, de Ro-milly et de Maromme. Sur ce point il n’a et ne peut avoir d’autre désir que l’économie pour le Trésor public et l’encouragement pour des manufactures également précieuses à la nation. Les marchés doivent se faire parla voie de l’adjudication au rabais; vous penserez sans doute qu’elle doit être faite par les agents du pouvoir exécutif; votre comité vous proposera donc de la renvoyer au ministre des impositions, suivant vos principes et votre usage. Me permettrez-vous, Messieurs, d’ajouter, en finissant, que Futilité de cette nouvelle monnaie ne se bornera pas à la France? En circulant sur le globe, elle répandra partout l’idée de la liberté; elle sera pour les nations étrangères une grande leçon; elle leur apprendra ce que vous avez fait et ce qu’elles doivent faire; puisse ce présage bientôt s’accomplir pour le bonheur de l’humanité! Voici le projet de décret que nous proposons : « Art. 1er. L’effigie du roi sera empreinte sur toutes les monnaies du royaume, avec la légende : Louis XVI, roi des Français. (. Art. 2. Le revers de la monnaie d’or, des écus et demi-écus aura pour empreinte h1 génie de la France debout devant un autel, et gravant sur des tables la Constitution, avec le sceptre de la raison, désigné par un œil ouvert à son extrémité, il y aura à côté de l’autel un coq, symbole de la vigilance, et un faisceau, emblème de l’union et de la force armée. « Art. 3. Le revers portera pour légende ces mots : Règne de la loi. < Art. 4. Il sera gravé sur la tranche : La nation, la loi et le roi. « Art. 5. Les pièces de 30 et de 15 sols porteront les mêmes empreintes et la même légende, à l'exception du coq et du faisceau. « Art. b. La monnaie de cuivre portera la même effigie du roi et de la même légende ; le revers seul sera différent. « Art. 7. L’empreinte du revers sera un faisceau traversé par une pique, surmontée du bonnet de la liberté: autour une couronne de chêne avec la lég‘ nde : La nation, la loi et le roi. « Art. 8. Sur toutes les monnaies, le millésime sera eu chiffres arabes. « Art. 9. Il sera sans délai procédé à la formation des nouveaux coins et matrices. 680 (Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [9 avril 1791. J « Art. 10. Tous les artistes pourront concourir à leur gravure et la préférence sera jugée par l'Académie de peinture et de sculpture. « Art 11. Sur le compte qui sera rendu à l’Assemblée nationale par son comité des monnaies, elle prononcera sur l’indemnité qui pourra être due aux artistes, dont le travail ne serait pas jugé utile. « Art. 12. Le ministre des contributions et la commission des monnaies prendront les mesure? nécessaires pour accélérer la fabrication ordonnée par le décret du 11 janvier. En conséquence, il sera remis au ministre copie collationnée des offres faites au comité des monnaies, relativement à la fourniture des flans pour la monnaie de cuivre; et la commission rendra compte à l’Assemblée de ses vues sur la simplification, l’économie et la perfection du monnayage. « Art. 13. L’Assemblée charge son Président de pot ier dans le jour le présent décret à la sanction du roi. M. l’abbé Couturier. Je ne m’oppose pas à ce que vous mettiez sur votre monnaie l’emblème de la liberté; mais j’ai l’henueur de vous avertir que je ven ais avec peine, et même avec douleur, dispaiaître de dessus nos monnaies tout signe de religion. (Murmures.) Les monnaies anciennes retraçaient la religion de nos pères. Messieurs, vous proposera-t-on toujours, je ne dis pas que vous vouliez l’accepter, de supprimer tout ce qui a rapport à la religion, ce qui porte son empreinte...? {Murmures prolongés.) Plusieurs membres : A l’ordre ! Hors de la tribune ! M. l’abbé Couturier... et de le remplacer par tout ce qui est opposé ? J’espère que l’Assemblée n’y consentira pas. Je demande qu’on conserve quelque chose de ces anciens emblèmes qui nous rappellent nos devoirs envers la Divinité. Tout le monde sait que les plus anciens peuples ont toujours fait graver sur leurs monnaies, l'image de leurs dieux ou quelques hiéroglyphes; chez les plus anciens peuples d’Italie, il y avait Janus; chez les juifs, il y avait Jérusalem la Sainte. Un Etat doit, comme individu, donner publiquement des preuves de sa religion. Ce que je vous propose, c’est de conserver un usage consacré parmi nous, car on ne doit changer les choses qui subsistent que pour leur en substituer de meilleures. On a cherché à calomnier l’Assemblée; craignez de donner de nouvelles armes ( Violents murmures ); craignez de donner, je ne dis pas de nouvelles raisons, mais de nouveaux prétextes. Si la religion venait malheureusement à s’affaiblir, les ennemis du bien public se feraient un cruel plaisir d’en faire remarquer la forme sur les monnaies gravées par ordre ne l’Assemblée nationale. Enlin que signifie cette précieuse inscription : Sit nomen Domini benedictum. {Rires.) Que le nom de Dieu soit béni! JN’est-ce pas un témoignage public de notre gratitude, de notre reconnaissance envers un Dieu dont Ja providence paternelle multiplie, autour de ses enfants, tous les signes représentatifs de ce qui peut satisfaire leurs besoins? Je conclus donc à ce que vous mettiez sur une des faces l’empreinte de la liberté, si .vous voulez ; mais que vous conserviez les paroles : Sit nomen Domini benedictum. M. ïllatlly de Château -Renaud. Je demande au contraire que l’on adopte l’empreinte du génie de la France, idée qui me paraît sublime et religieuse. M. Goupil-Pré feln. Messieurs, c’est une ancienne idée sur laquelle ont été fondées des usurpations bien dangereuses, que celle par laquelle on a voulu établir que les lois de la souveraineté ont pour fondement une autre doctrine que la justice que Dieu a gravée dans le cœur de tous les hommes, quel que soit leur culte. Dans l’éloquent discours que vous lit l’autre jour M. Thouret, il vous lit observer que dans la liturgie on avait établi cette maxime : rex per hanc traditionem nostram , comme si un roi ne gouvernait qu’en vertu de la volonté cléricale. Quand nous réclamons les droits de la raison, on nous dit que nous oublions la Divinité. Mais nous ne faisons que réclamer le présent le plus précieux que nous ayons reçu du Créateur; nous réclamons le plus noble de ses attributs. Est-ce bien un théologien, est-ce bmn un prêtre qui pourrait méconnaître que le Verbe divin est la raison universelle? {Applaudissements à gauche ; rires à droite.) On vous propose, sous la faveur de son antiquité une légende latine. Cette légende, tout le monde l’a dans son cœur ; mais tous les sentiments que l’homme porte en lui-même doivent-ils être gravés sur ses monnaies? Mais le peuple entend-il une légende latine, et la raison ne doit-elle pas mettre un terme à cet usage absurde de célébrer le nom de la Divinité dans une langue que nos frères ne connaissent pas et qui ne leur transmet ni idées ni sentiments? {On applaudit.) Je demande si cet usage, parce qu’il subsiste encore dans nos temples, doit être consacré pour nos nouvelles monnaies; et je demande si c’est par aversion pour les idées de justice et de patriotisme que nous représenterons les nouvelles inscriptions, qu’on veut rappeler des légendes qui n’ont pas besoin d’être rappelées et revendiquer un langage inintelligible pour la plupart des hommes ? Je demande qu’on aille aux voix sur le projet du comité des monnaies. M. Prieur. Rien n’est plus essentiel pour la liberté du peuple français que de lui rappeler l’époque heureuse où il l’a conquise. En conséquence, je crois qu’on doit ajouter, après le millésime, l’année de la liberté française. {Applaudissements.) M. Oelzais-Coiirménil, rapporteur. Je crois bon de relever une erreur qui semble avoir fait labasede l’opinion du premier opinant. Iiacru qu’il serait de quelque conséquence de supprimer une légende consacrée depuis le commencement de la monarchie. Je me fais un plaisir de rassurer sa conscience, qui me paraît un peu timorée. Dans un siècle où le clergé était très instruit, où il avait beaucoup d’influence, sous Louis XIV, on a mis, au lieu du sit nomen Domini benedictum , les mots dicant nominis tui gloriam, ce qui était une fade adulation en faveur d’un roi qu’on a appelé grand, je ne sais trop pourquoi. Mais ce qui tranche la difficulté, c’est que, par votre décret du 11 janvier, vous avez formellement décidé que la légende actuelle serait changée.