517 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [2-i octobre 1789.] blés qui en ont ensanglanté tant d’autres, de se m voir menacée de la guerre la plus cruelle? L’Anjou, Nosseigneurs, se glorifie d’avoir donné ' des témoignages de son dévouement et de son adhésion à vos décrets, en les exécutant et en les y maintenant avec le même courage et la même énergie qui les a dictés. Si dans ce moment, il vous adresse ses humbles remontrances relativement à votre arrêté du 23 septembre, ne � voyez que l’intention de vous exposer simplement ' les obstacles invincibles qui s’opposent à son exécution. Daignez permettre que notre zèle anticipe sur y le bonheur préparé à la France, en suivant les vœux exprimés dans les cahiers, qui tous se réunissent pour demander l’abolition de la gabelle, si justement abhorrée. Nous nous serions fait un devoir d’attendre le résultat de vos opéra-; tions; mais cédant à la loi impérieuse de la nécessité, nous avons cru nous rendre plus utiles en f adoptant un plan qui, sans nuire à l’intérêt général, nous préserve de tous les malheurs particu-v liers. Lors donc que, par un rachat universellement consenti, la province d’Anjou se réunit aux provinces rédimées, pourrait-on lui refuser le droit ± de rejeter de son sein jusqu’à la moindre trace ' de la gabelle, dont la seule dénomination, rappe-* lant de désastreux souvenirs, est pour tout le peuple un signal de scandale et d’effroi ? M. le Président a répondu : L’intérêt d’une grande province, fortement exprimé par des citoyens qui protestent de leur zèle et de leur soumission aux décrets de d’Assemblée nationale, la trouvera toujours disposée à peser, dans sa justice et dans sa sagesse, leurs réclamations. Les circonstances locales que vous avez développées dans votre pétition seront soumises à sa consi-’* dération, et elle emploiera les moyens compatibles avec l’intérêt public, pour "ramener les peuples à la subordination et à l’ordre général dont ils ne peuvent s’écarter sans compromettre la sûreté du royaume. Laissez vos procès-verbaux et requêtes sur le bureau. r M. lePrésident priele comité des recherches de s’assembler ce matin pour s’occuper de la malheureuse affaire de Troyes. Il y a plus de quatre-vingts accusés, les prisons en sont remplies, il y en a jusqu’à vingt dans un cachot : les prisonniers sont à chaque moment exposés à perdre la vie. M. le duc de la Rochefoucauld observe > qu’il convient de porter un décret pour renvoyer au pouvoir exécutif sur les mesures à prendre ’ pour conserver la vie aux prisonniers. 4 M. le Président. Les administrateurs des postes ont offert de remettre, franc de port, à tous les membres de l’Assemblée les paquets contenant des imprimés qui leur seraient adressés V des provinces. L’Assemblée décide que les administrateurs des postes seront remerciés par M. le président, mais elle ne croit pas devoir accepter leur offre. >• M. le Président a dit ensuite qu’il avait demandé au Roi : 1° la sanction sur le décret du 5 octobre, concernant la libre circulation des grains; 2° Sur l’arrêté du 15 octobre, qui détermine la nouvelle forme de nomination des suppléants. Il a ajouté qu’il avait prié Sa Majesté de faire adresser à tous les tribunaux les arrêtés du 4 août. 3° Qu’il avait demandé précédemment la sanction sur le décret contre les attroupements, qui avait été accordée verbalement mercredi au soir, et celle sur le décret qui autorise provisoirement le Châtelet de Paris à juger en dernier ressort les prévenus et accusés de crime de lèse-nation. Celle-ci a été accordée hier au soir ; mais celle sur l’affaire de Rouen a été suspendue momentanément. M. le Président a fait lecture d’une lettre du Roi, dont la teneur suit : « Je vais sanctionner et faire publier le décret qui autorise provisoirement le Châtelet de Paris à juger en dernier ressort les prévenus et accusés du crime de lèse-nation. « J’ai donné ma sanction au décret d’une loi martiale ; elle va être adressée à tous les tribunaux ainsi qu’à toutes les municipalités. » L’Assemblée ajourne à lundi prochain, deux heures après midi, la pétition de la députation de la province d’Anjou. M. le Président. L’ordre du jour appelle la continuation de la discussion sur les biens ecclésiastiques. M. Onpont (de Nemours). La question est de savoir à quel degré le clergé est propriétaire. Je suis plus que personne obligé d’examiner cette question avec scrupule, car il y a vingt-cinq ans que je me suis dévoué, sous les plus grands maîtres, à l’étude des propriétés. La société n’est composée que d’individus qui possèdent ou individuellement ou en corps. Le clergé a été une grande corporation en France ; elle a été, sous la première et la seconde race de nos rois, le second ordre de l’Etat ; elle ne devint le premier que sous la troisième race. Cette corporation avaitdes propriétés; elle levait des décimes sur ses membres; elle avait des officiers, faisait des règlements ; elle s’assemblait; elle avait l’air d’une république dans l’empire ; elle n’a pas fait bon usage de son autorité. Ce n’est pas la faute des individus, mais c’est l’esprit de corps que l’on opposait à l’esprit public ; au reste, dès qu’on entre dans une corporation. il faut l’aimercomme on aime sa famille : ce sont les plus grands hommes qui sont les plus imbus de l’esprit de corps. Tous les membres du clergé sont pleinement justifiés de l’abus qu’il a fait de son état de corps; mais le corps seul est coupable. Cet esprit de corps est injuste, soit par rapport à la société, soit par rapport à lui-même. Ce n’est que de l’année dernière que l’on sait que le clergé doit payer, et depuis 1600 il paye bien moins que la noblesse. Depuis cette époque, si le clergé eût payé, même sur le pied du second ordre, il y aurait dans vos finances une somme de 2,750 millions. Vous verrez que l’on a tenu compte au clergé des intérêts des intérêts. On ne touche pas à l’arche sainte impunément. (L’orateur est interrompu; plusieurs membres veulent le rappeler à l’ordre. Il continue.) Par rapport au clergé lui-même, son état de corporation ne lui a pas été beaucoup plus favorable. Le clergé n’a payé que par des emprunts; le clergé passé a engagé le clergé présent, et le 518 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 octobre 1789.] clergé présent, si l’on n’y apportait un terme, engagerait le clergé futur. Maintenant que sont devenus les biens du clergé ? Cette corporation possédait; aujourd’hui elle n’existe plus, elle ne possède donc plus. La corporation détruite et les individus subsistant, il faut examiner lesbiens; que vont-ils devenir? cette question n’est pas difficile à résoudre. Quand on a détruit les jésuites, il n’y a pas eu de doute sur les propriétés; il y avait des créanciers, et il a fallu les payer. Le clergé n’a pas de propriété ni sur la dîme, ni sur les biens-fonds. Le clergé n’a pu être propriétaire des dîmes, arce qu’on ne peut être propriétaire d’un impôt. e clergé ne peut être propritaire des biens-fonds, puisqu’il n’est qu’usufruitier. Les biens appartiennent donc d’une manière Indivise à la société entière; mais sur ces biens, il est des dépenses à faire ; il faut prendre la dotation des curés, qui doit être augmentée, soit en raison des feux, soit en raison des hameaux plus ou moins écartés. Relativement au clergé, vous ne ferez aucune injustice, en conservant les revenus à ceux qui en jouissaient, et quand vous ferez entre les membres de cette ancienne corporation un partage égal, soit pour les localités, soit pour des fonctions plus pénibles. Mais je me résumerai, en disant que vous aurez accordé aux membres du clergé tout ce qui leur est dû, en assignant leurs droits sur les impôts, en déclarant qu’ils ne seront soumis à aucune imposition ; car donner et retenir est contradictoire. Les membres du clergé ne seront contribuables que pour les biens patrimoniaux, comme ils en sont convenus. Je présenterai un projet de décret, lorsque l’As-gemblée voudra décider cette grande question. M. Pelleri». Déclarer que les biens ecclésiastiques appartiennent à la nation, qui ne les demaqde pas, c’est fajre une chose injuste. Le clergé est propriétaire, il a reçu, il a acquis à deniers comptants et par échange, etc., et ces actes ne sont pas ceux d’un usufruitier, mais d’un propriétaire. Jetez un coup d’œil sur les circonstances des acquisitions depuis Constantin jusqu’à Clovis, depuis Clovis jusqu’à Louis XVI, vous y verrez que toutes les donations ont été confirmées par les rois. Si l’on dit que la nation peut supprimer les corps et s’emparer de leurs biens, il n’y a plu3 de propriété sacrée. Réformons les abus ; cette tâcheest digue des représentants de la nation. Que le clergé donne un état de ses biens ; s’il a du superflu, il en doit secourir l’empire; mais pour l’honneur du siècle, n’attaquons pas les propriétés, ne portons pas d’atteinte à une religion auguste. Lorsque Clovis fonda l’empire français dans les Gaules, le clergé qui y était établi payait les impôts; Clovis ne voulut même pas s’en emparer, quoique conquérant, et il fonda lui-même des églises. Clotaire confirma ses donations ; Gliarles-Martel s’empara des biens de l’Eglise, et les distribua aux chefs de son armée : ceux-ci lui étaient plus utiles. Le petit-fils de Charles Martel, Charlemagne, a reconnu la propriété de l’Eglise. Nous avons un capitulaire de Charles le Chauve qui atteste cette vérité. Hugues le Grand a reconnu le même principe. Henri III a ordonné que les fondations seraient respectées. Le gouvernement a permis au clergé d’acquérir, et il encouragerait de le dépouiller ensuite ! Telle est, Messieurs, l’analyse des faits qui déposent en faveur du clergé. Mais la nation a-t-elle quelque droit sur ces propriétés? Elle a le droit de souveraineté; mais elle ne peut envahir les propriétés; elle doit respecter les propriétés d’un corps comme celles d’un individu. Cependant je demande la suppression des abbayes commendataires, la suppression de tous les abus ecclésiastiques, la réforme du clergé du premier ordre; enfin l’on peut ramener le clergé à l’esprit primitif de l’Eglise. M. Garat jeune. Lorsque les partisans du clergé parlent en sa faveur, lorsque l’on parle contre lui, l’un et l’autre doivent être persuadés que, dans le fond de leur conscience, on rend hommage aux sentiments de ceux qui donnent leur opinion. Bannissons donc ce terme de spoliation qui n’aurait jamais dû être prononcé. La question que l’on agite, on l’attribue à la philosophie nouvelle, mais je prouverai qu’elle est très-ancienne. D’abord, posons des faits. Premier fait. Le clergé ne peut aliéner sans l’autorité du souverain, qui est le représentant de la nation. Second fait. Il ne peut assigner ses biens comme hypothèque; il ne peut emprunter sans l’autorité du souverain. Troisième fait. Le souverain peut diviser ou réunir les biens du clergé, et en changer la destination. Quatrième fait. Le souverain nomme aux évêchés, abbayes, etc. La nation est donc le collâteur universel des bénéfices. Cinquième fait. Dans la vacance des bénéfices, les revenus sont versés dans le Trésor public, et non dans celui du clergé. Sixième fait. Une tradition sacrée, qui remonte au berceau du christianisme, énonce que les biens possédés par le clergé sont les biens'.des pauvres. Septième fait. Sous toutes les dynasties de nos rois, la nation, dans les besoins publics, tourna toujours ses regards sur les biens du elergé. Ainsi chaque fait, chaque loi enlève, un à un, " au clergé, tous les caractères qui distinguent les propriétaires des usufruitiers. Ainsi, la nation n’a jamais regardé le clergé comme propriétaire ; elle a, au contraire, fait continuellement des actes de propriété sur les biens du clergé. Les biens ecclésiastiques ont été donnés par les fondateurs à la nation, et non au clergé : ceci se prouve encore par des faits. -« Premier fait. Les titres de fondation ne donnent pas au clergé de France. Second fait. Les titres de fondation ne donnent jamais à tel ou tel individu du clergé. Troisième fait. Les titres de fondation sont gé-„ néralement énoncés dans les termes suivants : « Je fonde telle chapelle pour le service public du canton, etc. Je donne telle somme pour qu’elle [24 octobre 4789.] [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. soit employée en messes, en prières pour le repos de mon âme, etc. » Quatrième fait. La nation est toujours intervenue daus les fondations. Gela est si vrai, que lorsque les fonds n’étaient pas suffisants pour acquitter le service, la nation obligeait les héritiers à ajouter à ces fonds. Je conclus du premier et du second fait, que puisque les fondations n’ont été données ni au corps ni aux individus, elles n’appartiennent pas au clergé ; du troisième et du quatrième, que puisque c’est à condition d’actes publics et nationaux que les fondations ont été faites, la nation est propriétaire des fondations; que puisqu’elle a permis, elle est propriétaire de ce qu’elle a pu accepter et refuser. Les expressions des chartes établissent que les fondateurs ont toujours pensé au culte public, à des établissements publics, et dès lors toujours à la nation. Que le nombre des ministres soit trop grand, que les ministres paraissent trop riches, que la religion, et je prie qu’on n’envisage ici ma supposition que comme une forme de raisonnement, que la religion, dis-je, paraisse favoriser le dérèglement et détruire les mœurs... la nation n’aura-t-elle pas le droit d’abolir la religion, le culte et les ministres, et d’en appliquer les fonds aune religion plus morale, à la prédication de la morale elle-même?Ne pourra-t-elle ni diminuer le nombre des ministres, ni diminuer leur richesse, ni changer la religion ? Je n’ajoute plus qu’une considération : il importe à la nature d’une constitution publique et d’une nation que les fonctionnaires ne soient payés que par la nation. S’ils sont propriétaires, ils peuvent être indépendants ; s’ils sont indépendants, ils attacheront celte indépendance à l’exercice de leurs fonctions. (On applaudit.) On demande d’aller aux voix sur le principe de la propriété du clergé. M. le comte de Mirabeau. Plusieurs ecclésiastiques veulent répondre aux discours qui ont serré de plus près leur cause; il serait injuste de ne pas les entendre. La question des fondations n’est pas assez discutée; je demande à édifier entièrement l’Assemblée sur cet objet. Une question aussi délicate ne pourrait jamais être traitée avec trop d’étendue et d’une manière trop complète. M. le Président annonce qu’on vient de lui remettre un mémoire des ministres du Roi sur la partie du décret du 21 de ce mois, qui les concerne. Un de MM. les secrétaires donne la lecture de ce mémoire qui est ainsi conçu: Mémoire des ministres du Roi adressé à V Assemblée nationale, le 24 octobre 1789(1). Messieurs, Les ministres du Roi, avant de s’expliquer sur la partie de votre arrêté du 21 de ce mois, qui les concerne, ont cru devoir la transcrire ici: « Que les ministres du Roi déclareront positi-(4) Le Moniteur ne donne qu’une courte analyse de ce mémoire. 519 vement quels sont les moyens et les ressources que l’Assemblée nationale peut leur fournir pour les mettre en état d’assurer les subsistances du royaume, et notamment de la capitale, afin que l’Assemblée nationale ayant fait tout ce qui est à sa disposition sur cet objet, puisse compter que les lois seront exécutées, ou rendre les ministres ou autres agents de l’autorité garants de leur inexécution. » On n'a pas besoin de le dire, ce n’est jamais que par les faveurs de la providence, que d’heureuses moissons, que la subsistance d'un royaume tel que la France peut être assurée. Les suppléments que fournissent les pays étrangers n’ont point de proportion avec les besoins journaliers de vingt-six millions d’âmes ; ils n’en ont même aucune avec la consommation annuelle de la capitale, puisque cette consommation, aujourd’hui de plus de trois mille setiers par jour, et naguère de quatre mille, forme daus le cours d’une année une quantité immense. Cependant, les pays qui nous avoisinent ne nous offrent aucun secours ; l’Espagne et la Suisse ont des besoins continuels; lesEtatsd’Allemagnequi touchent à nos frontières, ont presque tous interdit l’exportation, et la Lorraine et le pays Messin y cherchent en vain des secours suffisants ; la Flandre autrichienne, réduite au simple nécessaire, est forcée d’adopter le même système. La liberté d’exportation qu’on avait espérée d’Angleterre n’a point encore eu lieu. Le roi de Prusse vient de défendre la sortie des grains de tous ses Etats ; les marchés de Hollande sont épuisés ; et l’on y attend avec impatience des secours du Nord, mais ils ne seront abondants qu’après l’hiver et à l’époque delà fonte des glaces. Il devient donc plus nécessaire que jamais de s’opposer à toute espèce d’exportation de blés en France. Cette exportation y a été défendue sans aucune interruption dès les commencements du mois de septembre de l’année dernière, et vous avez eu d’autant plus de raison, Messieurs, de confirmer cette disposition, que la fraude avait été rendue plus facile depuis que les violences des faux-sauniers et des contrebandiers de tabac ont dispersé les employés placés aux frontières de plusieurs provinces, et qu’ils ont été enhardis dans beaucoup d’endroits par le concours des habitants des lieux mêmes. Les ordres les plus continuels et les plus actifs ont été donnés de la part du gouvernement, pour réparer l’effet de ces malheureux excès. On a établi des cordons de troupes pour suppléer à l’inspection des préposés aux douanes ; le zèle des municipalités a été partout excité, et des fermiers généraux ont été chargés de missions particulières pour concourir Bar eux-mêmes au rétablissement des barrières. est résulté de ces différentes précautions, que l’exportation est à peu près réprimée entièrement partout, et diverses lettres dignes de foi, qui seront mises sous vos yeux, attesteront cette vérité. L’administration des subsistances pour la ville de Paris est remise en entier aux représentants de la commune; cette disposition est rétablie depuis l’époque des changements arrivés dans la municipalité de la capitale. Il était naturel qu’une administration si importante fût confiée aux représentants des citoyens de Paris, du moment que toutes les autres parties de l’administration de la ville étaient soumises à cet ordre de choses. Nous savons que la municipalité s’est livrée à cette gestion avec le plus grand zèle ; mais elle a dû nécessairement éprouver les avantages et les in-