508 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 juin 1791.] « M. Drouet demanderait à l’Assemblée la permission de lui faire le récit de ce dont il a été témoin et dece qu'il a fait daDS cette circonstance. » (Oui ! oui !) M. Président Monsieur Drouet, vous avez la parole. M. Drouet. Je me nomme Drouet, maître de poste à Sainte-Menehould, anciennement dragon au régiment de Gondé. Mon camarade se nomme Guillaume, commis de département, anciennement dragon au régiment de la reine. ( Rires et applaudissements.) Le 21 juin, sur les sept heures et demie du soir, 2 voitures et 11 chevaux arrivèrent à la poste de Sainte-Menehould pour y relayer ; je crus reconnaître dans l’une des voitures les traits de la reine que j’avais déjà vue, et je fus frappé de la ressemblance de celui qui l’accompagnait avec l’effigie du roi empreinte sur un assignat de cinquante livres. ( Rires et applaudissements.) L’arrivée subite d’un détachement de dragons, lequel avait succédé à un détachement de hussards arrivé la veille, puis repartit, sous le prétexte d’accompagner un trésor venant de Ghâlons; l’air animé avec lequelle commandant dudétachement paria à l’un des postillons de l’équipage; l’empressement des courriers défaire atteler des chevaux commandés depuis le matin par un aide de camp, de la part du roi, pour M. de Choiseul; toutes ces circonstances me confirmèrent dans le soupçon que la famille royale voulait sortir de nos frontières. Cependant, craignant d’être l’auteur d’une fausse alerte qui aurait pu rendre toute mesure inutile et me trouvant alors seul sans pouvoir consulter personne— j’ai l’honneur d’observer à l’Assemblée que ma maison est la dernière de Sainte-Menehould — je laissai partir les voitu-tures ; mais voyant aussitôt les dragons prêts à monter à cheval et à se mettre en route pour les suivre, je courus au corps de garde, je fis battre la générale, et, sur mes propositions, on prit des mesures telles qu’on parvint à empêcher le départ des dragons. Alors, me croyant suffisamment convaincu, je me mis à la poursuite des voitures, accompagné du sieur Guillaume et nous prîmes la route de Verdun que les voyageurs avaient annoncé devoir suivre. Arrivés près de Clermont, nous fûmes instruits qu’ils avaient pris la route de Varennes ; alors nous passâmes par derrière Clermont et nous gagnâmes Varennes par des chemins de traverse, assez tôt pour être auprès du roi avant qu’il partit : il était alors 11 heures du soir. Il faisait très noir lorsque nous entrâmes dans la ville; tout le monde était couché; les voitures étaient tapies le long des maisons et il y avait une dispute entre les postillons et les conducteurs des voitures. Le maître de poste de Clermont avait défendu à ses postillons de quitter Varennes sans avoir auparavant fait rafraîchir les chevaux ; le roi craignant qu’on ne fut à sa poursuite voulait hâter son départ et n’entendait pas du tout parler de rafraîchissement, de sorte que dans l’instant où ils se disputaient nous courûmes vite dans la ville et nous mîmes nos chevaux dans une auberge que nous trouvâmes ouverte. Je parlai à l’aubergiste ; je le tirai à part parce qu’il y avait là beaucoup de personnes dedans, je ne voulais pas être entendu. Je lui dis : Camarade, es-tu bon patriote? — Oui, n’en doute pas, me répondit-il, — Eh bien, mon ami, si cela est, cours vite avertir ce que tu connais d’honnêtes gens; dis-leur que le roi est en haut de Varennes qu’il va descendre et qu’il faut l’arrêter. Alors il s’en alla effectivement avertir du monde. D’un autre côté, nous descendîmes dans la ville et nous fîmes réflexion qu’il ne fallait pas crier aux armes ni sonner l’alarme avant d’avoir barricadé les rues et le pont par où le roi devait partir. En conséquence, nous nous transportons, mon camarade et moi, près du pont de Varennes. Il y avait précisément tout près une grosse voiture chargée de meubles; nous la plaçons en travers du pont; puis nous allons chercher plusieurs autres voitures de manière que les chemins étaient embarrassés au point qu’il était imposible de passer. Nous courûmes ensuite chez M. le maire et chez M. le commandant de la garde nationale. Dans l’espace d’un demi-quart d’heure nous eûmes 8 à 10 hommes de bonne volonté, dont je dirai les nouisen temps et lieu. Nous arrivâmes justement comme le roi descendait. Alors le procureur de la commune et le commandant de la garde nationale approchèrent de la voiture et interpellèrent les voyageurs de dire qu’ils étaient. La reine répondit qu’ils étaient très pressés, qu’ils priaient instamment de les laisser passer. On insista, on dit qu’il fallait voir s’ils s’étaient munis de passeport; ils montrèrent effectivement un passeport, en disant cependant qu’ils n’était pas trop nécessaire; elle donna donc son passeport à 2 dames d’honneur qui descendirent et vinrent à l’auberge le faire lire. Voici en peu de mots quelle était la substance de ce passeport. « Vous laisserez passer la duchesse, ou comtesse, ou baronne de Korff. » Ceux qui entendirent la lecture du passeport, et qui le virent, dirent que cela suffisait. Nous répondîmes que non, parce qu’il n’était signé que du roi, et qu’il devait être signé du président de l’Assemblée nationale. Je fis diverses objections. « Mesdames, leur dis -je, si vous êtes étrangères, pourquoi avez-vous assez d'influence pour faire partir incontinent après vous un détachement de 50 dragons qui étaient à Sainte-Menehould; pourquoi, lorsque vous passâtes à Clermont, aviez-vous encore la même influence pour faire partir le détachement qui était à Clermont, pourquoi à l’heure où je vous parle êtes-vous accompagnées d’un détachement de hussards. » Après ces observations, on délibéra qu’ils ne partiraient que le lendemain. Ils descendirent de voiture et furent conduits chez le procureur de la commune où on leur donna un appartement. Là, probablement, on interrogea le roi; car je n’étais pas alors dans la chambre ; mais le roi déclara qu’il était le roi. « Voilà mon épouse, voilà mes enfants. Nous vous conjurons d’avoir pour nous tous les égards que les Français ont toujours eu pour leur roi. » Cependant, à l’instant il n’y avait encore que 12 hommes de la garde nationale et quelques autres qui accouraient; mais les hussards en même temps entouraient la rue le sabre à la main. Nous vîmes alors que peut-être nous serions obligés de le rendre, car les officiers nous menaçaient de coups d’autorité. Je criai que si on voulait nous l’arracher on ne l’aurait que mort. M. le commandant de la garde nationale eut l’attention, en outre, de faire venir 2 petites pièces d’artillerie à l’embouchure de la rue par en