SÉANCE DU 7 THERMIDOR AN II (25 JUILLET 1794) - N° 41 507 Le tribunal, pendant quelque temps, n’accordait donc aucun défaut; mais cette mesure, quoiqu’elle lui parût dictée par les circonstances qui, dans les premiers instants après la mise en état de siège de Nantes, semblaient la lui prescrire impérieusement, lui a paru depuis abusive sous quelques rapports. En effet, tous les citoyens de Nantes faisant le même service, travaillant tous pour la chose publique, leur position à l’égard du tribunal était et devait être évidemment la même. Celui qui venait demander une sentence contre un citoyen absent, en disant : « J’arrive de servir la république ou je cours à sa défense; mais auparavant je veux être payé de celui qui me doit; j’en ai besoin pour nourrir ma famille et pour faire face à mes engagements ; » ce citoyen ne devait-il pas espérer que des raisons aussi plausibles seraient suffisantes pour que le tribunal lui accordât une sentence ou un défaut, surtout si son adversaire n’était pas au service de la république ? Le tribunal a pesé ces différentes considérations ; il n’a pas cru devoir refuser des défauts à ceux qui les demandaient, lorsqu’ils soutenaient que leurs adversaires n’étaient pas au service. Il a cru par là éviter l’abus dans lequel l’auraient entraîné de mauvais payeurs, des gens de mauvaise foi qui se seraient prévalu du refus de défaut pour ne pas comparaître eux-mêmes au tribunal, et auraient ainsi trouvé le moyen de tromper leurs créanciers. D’un autre côté, si un citoyen avait été dans le cas de tromper le tribunal, s’il avait obtenu sentence ou défaut contre celui qui se serait trouvé en expédition hors la commune de Nantes, ou à son poste dans l’intérieur, le tribunal pensait que ce dernier pourrait avec succès demander la cassation de cette sentence, en prouvant qu’à l’instant où elle a été rendue il était de service. C’est d’après ces considérations que le tribunal de commerce de Nantes s’est adressé à la Convention nationale; il la prie de s’expliquer sur les difficultés qu’il lui propose. Il l’invite à rendre un décret qui approuve ou désaprouve la mesure qu’il a prise depuis longtemps d’accorder des défauts à ceux qui les réclament, sur leur maintien que leurs adversaires ne sont pas au service de la république; dans ce dernier cas, de lui en indiquer une autre par un décret qui sera commun à tous les tribunaux qui se trouvent dans la même position que le tribunal de commerce de Nantes; En outre, de prononcer sur le sort de ceux qui tromperaient le tribunal, en maintenant à tort que leurs adversaires ne sont pas au service de la république; et enfin d’indiquer la marche qu’il doit suivre en pareil cas, ce qui peut arriver à chaque instant. L’explication que demande le tribunal de commerce de Nantes est aisée à donner. Dans le fond, sa conduite ne mérite pas d’être désapprouvée, ses motifs étant fondés sur l’intérêt qu’inspirent ceux de nos braves frères qui portent les armes pour la cause de la liberté. Leur position avait fait une forte impression sur les âmes des membres du tribunal; et en effet, ils n’avaient pas dû y être insensibles. La Convention nationale elle-même, lorsqu’on lui proposa de suspendre l’exercice de toutes actions et créances contre les défenseurs de la patrie, hésita un instant si elle devait sur-le-champ accueillir cette proposition; elle la renvoya à son comité de législation, parce qu’elle sentit qu’il fallait que sa résolution se conciliât avec l’intérêt social et la gloire même des armées de la république. Le tribunal de commerce de Nantes a suivi le premier mouvement de son cœur, et il a pu croire son motif juste et politique sous le dernier rapport; il s’est trompé Lorsque votre comité de législation vous a rendu compte de son opinion sur la question de savoir si toute action contre les défenseurs de la liberté sera interdite, il vous démontrera que les principes éternels de la justice et l’ordre social rejetaient la proposition ; vous avez été convaincus qu’en l’adoptant, vous porteriez atteinte, vous arrêteriez tout à coup les transactions, que les ressorts sociaux se trouveraient rompus, la foi des contrats violée, leur garantie inutile. Vous avez adopté la question préalable par votre décret du 24 messidor. Plus d’incertitude sur la marche que doit tenir le tribunal de commerce de Nantes, ainsi que tous les autres; mais, pour le passé, le comité vous propose, en appuyant ses motifs, le projet de décret suivant (l) : Sur lequel intervient le décret suivant. « La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de [BEZARD, au nom de] son comité de législation sur un mémoire du tribunal de commerce de Nantes; « Considérant que la conduite du tribunal de commerce de Nantes, soit en refusant des défauts contre les citoyens qui étoient de service, soit en accordant depuis sur l’assertion du demandeur, que son adversaire n’étoit point à la défense de la patrie, ne peut être désapprouvée pour le passé en raison des circonstances malheureuses où cette commune s’est trouvée momentanément ; « Considérant que, pour l’avenir, la marche de tous les tribunaux est tracée par le décret du 2 messidor (2), qui a rejeté la proposition de suspendre l’exercice de toute action et créance contre les défenseurs de la liberté. « Décrète qu’il n’y a pas lieu à délibé rer » (3). 41 Le même membre [BEZARD], au nom du même comité de législation, propose et la Convention nationale décrète ce qui suit : « Les inspecteurs des procès-verbaux sont autorisés à rayer, dans le décret du 26 messidor, rendu sur la pétition des frères Furieux, ces mots : Sauf la partie à faire valoir ses droits, suivant les formes régulières prescrites par les lois, attendu qu’il y a répétition, et que cette JlJ Mon., XXI, 317. (2j Et non du 4 mess. (3) P.V., XLII, 179. Minute de la main de Bezard. Décret n° 10 076. Voir ci-dessus, séance du 24 mess., n° 41. SÉANCE DU 7 THERMIDOR AN II (25 JUILLET 1794) - N° 41 507 Le tribunal, pendant quelque temps, n’accordait donc aucun défaut; mais cette mesure, quoiqu’elle lui parût dictée par les circonstances qui, dans les premiers instants après la mise en état de siège de Nantes, semblaient la lui prescrire impérieusement, lui a paru depuis abusive sous quelques rapports. En effet, tous les citoyens de Nantes faisant le même service, travaillant tous pour la chose publique, leur position à l’égard du tribunal était et devait être évidemment la même. Celui qui venait demander une sentence contre un citoyen absent, en disant : « J’arrive de servir la république ou je cours à sa défense; mais auparavant je veux être payé de celui qui me doit; j’en ai besoin pour nourrir ma famille et pour faire face à mes engagements ; » ce citoyen ne devait-il pas espérer que des raisons aussi plausibles seraient suffisantes pour que le tribunal lui accordât une sentence ou un défaut, surtout si son adversaire n’était pas au service de la république ? Le tribunal a pesé ces différentes considérations ; il n’a pas cru devoir refuser des défauts à ceux qui les demandaient, lorsqu’ils soutenaient que leurs adversaires n’étaient pas au service. Il a cru par là éviter l’abus dans lequel l’auraient entraîné de mauvais payeurs, des gens de mauvaise foi qui se seraient prévalu du refus de défaut pour ne pas comparaître eux-mêmes au tribunal, et auraient ainsi trouvé le moyen de tromper leurs créanciers. D’un autre côté, si un citoyen avait été dans le cas de tromper le tribunal, s’il avait obtenu sentence ou défaut contre celui qui se serait trouvé en expédition hors la commune de Nantes, ou à son poste dans l’intérieur, le tribunal pensait que ce dernier pourrait avec succès demander la cassation de cette sentence, en prouvant qu’à l’instant où elle a été rendue il était de service. C’est d’après ces considérations que le tribunal de commerce de Nantes s’est adressé à la Convention nationale; il la prie de s’expliquer sur les difficultés qu’il lui propose. Il l’invite à rendre un décret qui approuve ou désaprouve la mesure qu’il a prise depuis longtemps d’accorder des défauts à ceux qui les réclament, sur leur maintien que leurs adversaires ne sont pas au service de la république; dans ce dernier cas, de lui en indiquer une autre par un décret qui sera commun à tous les tribunaux qui se trouvent dans la même position que le tribunal de commerce de Nantes; En outre, de prononcer sur le sort de ceux qui tromperaient le tribunal, en maintenant à tort que leurs adversaires ne sont pas au service de la république; et enfin d’indiquer la marche qu’il doit suivre en pareil cas, ce qui peut arriver à chaque instant. L’explication que demande le tribunal de commerce de Nantes est aisée à donner. Dans le fond, sa conduite ne mérite pas d’être désapprouvée, ses motifs étant fondés sur l’intérêt qu’inspirent ceux de nos braves frères qui portent les armes pour la cause de la liberté. Leur position avait fait une forte impression sur les âmes des membres du tribunal; et en effet, ils n’avaient pas dû y être insensibles. La Convention nationale elle-même, lorsqu’on lui proposa de suspendre l’exercice de toutes actions et créances contre les défenseurs de la patrie, hésita un instant si elle devait sur-le-champ accueillir cette proposition; elle la renvoya à son comité de législation, parce qu’elle sentit qu’il fallait que sa résolution se conciliât avec l’intérêt social et la gloire même des armées de la république. Le tribunal de commerce de Nantes a suivi le premier mouvement de son cœur, et il a pu croire son motif juste et politique sous le dernier rapport; il s’est trompé Lorsque votre comité de législation vous a rendu compte de son opinion sur la question de savoir si toute action contre les défenseurs de la liberté sera interdite, il vous démontrera que les principes éternels de la justice et l’ordre social rejetaient la proposition ; vous avez été convaincus qu’en l’adoptant, vous porteriez atteinte, vous arrêteriez tout à coup les transactions, que les ressorts sociaux se trouveraient rompus, la foi des contrats violée, leur garantie inutile. Vous avez adopté la question préalable par votre décret du 24 messidor. Plus d’incertitude sur la marche que doit tenir le tribunal de commerce de Nantes, ainsi que tous les autres; mais, pour le passé, le comité vous propose, en appuyant ses motifs, le projet de décret suivant (l) : Sur lequel intervient le décret suivant. « La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de [BEZARD, au nom de] son comité de législation sur un mémoire du tribunal de commerce de Nantes; « Considérant que la conduite du tribunal de commerce de Nantes, soit en refusant des défauts contre les citoyens qui étoient de service, soit en accordant depuis sur l’assertion du demandeur, que son adversaire n’étoit point à la défense de la patrie, ne peut être désapprouvée pour le passé en raison des circonstances malheureuses où cette commune s’est trouvée momentanément ; « Considérant que, pour l’avenir, la marche de tous les tribunaux est tracée par le décret du 2 messidor (2), qui a rejeté la proposition de suspendre l’exercice de toute action et créance contre les défenseurs de la liberté. « Décrète qu’il n’y a pas lieu à délibé rer » (3). 41 Le même membre [BEZARD], au nom du même comité de législation, propose et la Convention nationale décrète ce qui suit : « Les inspecteurs des procès-verbaux sont autorisés à rayer, dans le décret du 26 messidor, rendu sur la pétition des frères Furieux, ces mots : Sauf la partie à faire valoir ses droits, suivant les formes régulières prescrites par les lois, attendu qu’il y a répétition, et que cette JlJ Mon., XXI, 317. (2j Et non du 4 mess. (3) P.V., XLII, 179. Minute de la main de Bezard. Décret n° 10 076. Voir ci-dessus, séance du 24 mess., n° 41.