2 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [6 juillet 1791.] excessif et vexatoire que le fermier voudrait y imposer; par là, le bienfait que la nature leur a ménagé se tournerait totalement à leur ruine. Il y a donc nécessité d’approvisionner ces provinces du sel de leur sol. Cette nécessité conduit infailliblement à la fixation du prix, ou plutôt ce prix a déjà été fixé par le comité des contributions publiques. En effet, ce comité, pour établir une règle de proportion dans la répartition des nouveaux impôts, a recherché ce que chaque province payait ci-devant en contribution de tout genre, et il a raisonné ainsi : La fabrication du sel dans les provinces de Franche-Comté et de Lorraine peut revenir à 2 livres ou 2 1. 5 s. le quintal : or, le plus haut point où l’on puisse élever le bénéfice du commerce est à 3 1. 15 s.; ce qui porte le quintal de sel à 6 livres; il sera fixé tout au plus à ce prix dans le nouveau régime. Ainsi tout ce que ces provinces payaient au delà est un impôt qui doit être pris pour hase en réglant leurs contributions; c'est ce qui a été fait, comme on le voit par le plan du travail, et le comité n’hésite pas d’en faire l’aveu. Or, partant de ce point, l’alternative est inévitable : ou il faut réduire l’imposition calculée d’après cette base, ou régler le prix tel que le comité l'a fixé lui-même : ainsi l’on voit que rien ne serait plus indifférent aux habitants de ces provinces, si d’ailleurs cette espèce de sel ne leur était nécessaire pour le maintien de leurs propriétés. Un moyen tranchant et décisif est que les Suisses ont le même sel (du moins en partie) à un prix beaucoup au-dessous de 6 livres le quintal : si on le portait à un plus haut prix dans la Franche-Comté, les Suisses deviendraient maîtres de s’approprier exclusivement le commerce des fromages dits de Gruyère, qui se fabriquent aussi dans les montagnes de Franche-Comté. En fixant le sel à 6 livres, on est encore au-dessus du taux moyen entre les départements qui le payent au-dessus ou au-dessous de ce prix ; ainsi on ne leur fait d’autre grâce que de ne point abuser de la nécessité où ils sont d’user de ce sel pour la salaison de leurs fromages ; ce qui rie conviendrait ni aux intérêts, ni à la justice d’une nation qui traite avec ses membres. On pourrait même dire qu’il leur serait avantageux d’user du sel de mer ; il ne leur reviendrait qu’à 15 deniers au plus la livre; et comme il produit un plus grand effet pour la salaison, il en faudrait une moindre quantité pour l’usage. Quant à la quotité de la fourniture, elle est comme en Franche-Comté, où l’on ne distribuait qu’une quantité déterminée, tant en sel ordinaire qu’extraordinaire; elle doit être au moins la même aujourd’hui. À l’égard des habitants de la Lorraine, ils avaient l’avantage de tirer des sels à volonté ; mais on peut connaître la quantité de leur consommation par les registres de fournitures, en formant un taux commun sur les dix dernières années : cette quotité doit donc être déterminée, afin que dans aucun cas les habitants ne puissent abuser. Telles sont les motifs qui ont déterminé le projet de décret. Il reste à dire un mot des salines de Franche-Comté. Celles de Salins et Arcq sont affouagées par des forêts domaniales d’une grande étendue et qui sont à leurs portes : les villes de Salins et üe Dole, et autres communautés, y avaient des droits d’usages : l’administration des salines, faisant exploiter les forêts, fournissait à ces villes et communautés leurs bois de chauffage à un j prix réglé et convenu. Le comité des domaines vous proposera ses vues à cet égard, en vous présentant le plan d’une nouvelle administration des salines; mais il a pensé que jusque-là les choses devaient rester dans l’état où elles se trouvent. Quanta la saline' de Montmorot, qui est de peu d’importanceetoùl’onnefabriqueque33,000quin-laux de sel, par votre décret du 23 février 1790 vous avez sursis de statuer sur sa conservation ou sa suppression, jusqu’à ce que l’administration de département ait manifesté et motivé son vœu à cet égard. Ce département, malgré l’avis du conseil général de la commune de Lons-le-Saunier et du conseil général du district, malgré les réclamations de tous les habitants de ces contrées, qui avaient déjà chargé leurs députés de demander la suppréssion de cette usine, a cependant sursis de voter pour cette suppression jusqu’à un plus ample examen; mais comme les bois sont très rares dans ce district, cette saline ne peut subsister qu’en conciliant les intérêts de la nation avec ceux des administrés : le seul moyen est d’employer la houille et le charbon de terre pour la cuite des sels ; ces combustibles peuvent y convenir : l’expérience vient d’en être faite tout récemment ; ainsi l’on a vu d’autant moins d’inconvénient à adopter cette mesure, que la nation n’aura rien à y perdre au moyen de la suppression du chantier de la ville de Lons-le-Saunier, sans parler des autres considérations qui ont dû déterminer à l’adopter. Sur ces considérations, le comité des domaines, après en avoir conféré avec le comité des contributions publiques, vous présente le décret suivant : PROJET DE DÉCRET. « L’Assemblée nationale, après avoir ouï le rapport de son comité des domaines, décrète ce qui suit : « Art. 1er. 11 sera annuellement délivré dans les salines de Salins, d’Arcq et Montmorot, pour l’approvisionnement des départements du Jura, du Doubs et de la Haute-Saône, la quantité de 107,310 quintaux de sel en grain, au prix de 6 livres le quintal, sauf aux communautés qui préféreraient le sel en pain, à le payer 7 livres par quintal. Getie quantité de sel sera répartie entre ces trois départements proportionnellement à celle qui est actuellement fournie à chacun d’eux. « Art. 2. Il sera également délivré, dans les salines de Dieuze, de Château-Salins et de Moyen-vie, pour l’approvisionnement des départements des Vosges, de la Meurthe, de la Meuse et de la Moselle, au môme prix de 6 livres le quintal, la même quantité de sel qui leur a été fournie du passé, et qui sera fixée d’après les rôles des 10 dernières années, dont il sera fait une année commune. Art. 3. La quantité de sel qu’obtiendra chacun desdits départements sera répartie par leurs directoires entre les districts qui en dépendent. Les directoires de ces districts répartiront leurs portions entre les municipalités de leur ressort, qui, à leur tour, feront la distribution de leur contingent entre les habitants de leurs territoires ; le tout proportionnellement aux besoins personnels desdits habitants, à la quantité de leur bétail, à celle de fromages qu’ils frabriquent. 16 juillet 1791.] 3 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. « Art. 4. Après l'approvisionnement desdits départements et les fournitures qui doivent être faites aux Suisses, conformément aux traités, ce qui restera du sel fabriqué dans lesdiles salines sera vendu au profit de l’Etat. « Art. 5. A l’exception des bois actuellement exploités pour le service de la saline deMontmo-rot, il est provisoirement réglé qu’il ne sera employé à la cuite des sels de cette saline que la houille ou le charbon de terre, ou la tourbe, et en conséquence elle est déchargée du chauffage de la ville de Lons-le-Saunier. A l’égard du chauffage d’autres villes et communautés du département du Jura,ilensera provisoirement usé commedu passé, jusqu’à ce qu’il y ait été définitivement pourvu. » M. Gaultier-Biauzat. Le décret qui est proposé par le comité des domaines n’est autre chose que l’établissement d’un privilège pour une partie du royaume et le renversement des principes d’égalité et de liberté qui doivent être la base de notre nouveau régime. Avant de rien statuer à cet égard, l’Assemblée doit peser les avantages et les inconvénients qui en résulteraient. Je demande, en conséquence, l’impression et l’ajournement du rapport et du projet de décret, afin que les membres del’Assemblée puissent réfléchir sur les motifs quelconques de la mesure proposée. MM. Vernier et Pierre Dedelay ( ci-devant Delley d’Agier) soutiennent qu’il ne s’agit que d’un abonnement qu’ils considèrent comme nécessaire au maintien du commerce des fromages du Jura. Plusieurs membres appuient la motion de M. Gaultier-Biauzat. (L’Assemblée, consultée, décrète l’impression et l’ajournement du rapport et du projet de décret présentés par M. Christin.) M. Giraud-Duplessis, au nom du comité de judicature, propose le projet de décret suivant : « L’Assemblée nationale, instruite par son comité de judicature qu’il n’existe aucun acte authentique d’acquisition ou de partage entre les cohéritiers de l’office de premier président à la ci-devant chambre des comptes de Grenoble, et considérant que cet office ne peut être comparé à aucun des autres offices de la même compagnie, décrète que ledit office sera liquidé conformément à l’évaluation qui en a été faite en 1771. ». (Ce décret est mis aux voix et adopté.) M. Lecouleulx de Canteleu. Messieurs, j’ai à vous faire part d’un évènement arrivé dans la ville de Rouen. Vous savez que la ville de Rouen est un port réputé extrême frontière; que les vaisseaux qui partent de Rouen, quand ils sortent des ports, sont censés être en mer, quoiqu’ils aient encore la traversée d’environ trente lieues de rivière ; mais, munis de leur expédition, ils ne doivent plus être assujettis à de continuelles visites et de nouvelles perquisitions par-toutes les municipalités qui bordent la rivière. Un vaisseau français, V Africain, capitaine Quibel, partant de Rouen pour Hambourg, a été arrêté et conduit à Caudebec, où le peuple a exigé qu’on en fasse le déchargement, sous prétexte d’une délation d’un matelot qui disait y avoir des barils remplis d’or et d’argent. Je dois vous prévenir, Messieurs, que ce matelot, d’apiès les informations qui ont été prises juridiquement et les interrogations faites à tout l’équipage, ce même matelot, dis-je, s’est rétracté et a nié sa délation. Voici, à ce sujet, la lettre des administrateurs de la Seine-Inférieure à M. le président : « Monsieur le Président, « Nous avons l’honneur de vous informer des inquiétudes conçues par tous les citoyens qui occupent la rive de la Seine qui fait partie de notre département, relativement à un vaisseau arrêté d’abord par la municipalité de Caudebec, et maintenant au quai de Caudebec. Il paraît que les propos d’un matelot, qui les a rétractés ensuite, ont valu une certitude au peuple pour lui persuader que ce vaisseau renfermait de l’or et de l’argent. Les pièces jointes à cette lettre vous en informeront et vous en instruiront en même temps que de notre réponse au district de Gau-debec. Aujourd’hui, on insiste; on nous demande le déchargement; on nous prévient que, si le vaisseau poursuit son trajet, il sera arrêté à Quillebœuf. Dans cette position, Monsieur le Président, nous demandons les intentions de l’Assemblée nationale. Devons-nous faire partir le vaisseau? Devons-nous le faire décharger? « Dans le premier cas, vu l’opinion du peuple, nous seront contraints de déployer la force pour faire exécuter notre arrêté, et encore ne garantissons-nous le bâtiment que jusqu’à Quillebœuf qui est soumis à l’administration d’un autre département. « O, ms le second, nous attentons à la liberté du commerce, nous nous exposons aux frais inévitables du retard et du déchargement, et nous donnons lieu à toutes les demandes en indemnité que le capitaine pourra faire. » C’est à l’Assemblée nationale que nous avons recours dans cette circonstance. Nous la supplions de prononcer formellement ou le départ ou le déchargement; quel que soit son ordre, il sera exécuté. Nous désirons d’autant plus avoir un décret de l’Assemblée nationale, qu’il nous servira de règle de conduite en toutes les occasions semblables. « Signé : Les administrateurs du département de la Seine-Inférieure ». Messieurs, je crois qu’il serait convenable de vous donner lecture de la lettre que les administrateurs du département ont écrite au secrétaire du district de Caudebec : « Messieurs, « Nous avons senti toute l’importance de l’affaire que vous soumettez à notre décision, et la délibération que nous avons prise (celle de relâcher le vaisseau) est le résultat des plus mûres réflexions. C’est sans doute dans les circonstances, qui doivent avoir la plus grande influence, que l’administration doit faire céder la possibilité d’un inconvénient particulier au grand intérêt d’un mal général, destructeur de la tranquillité publique. « Nous avons considéré qu’il n’existe aucune preuve d’embarcation prohibée; qu’un seul individu n’a fait naître le soupçon que pour le dissiper aussitôt; que les connaissements pris sont aussi réguliers qu’ils peuvent l’être, puisque ceux dont le capitaineest porteur n’ont pas besoin d’être signés de lui. Nous avons pris, des préposés à la douane, tous les renseignements qu’ils pouvaient nous donner : il en est résulté que les