(.Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES, ( 25 brumaire an il 257 (15 novembre 1793 tion des Arts, dont le zèle, l’activité et l’intérêt véritable pour les artistes ne s’est pas démenti depuis sa création. (ë « Sur la deuxième partie, on n’a jusqu’ici présenté à la Convention que des métamorphoses ménagées adroitement en faveur des corpora¬ tions si sagement supprimées. « Mais, du haut de leur Montagne, nos légis¬ lateurs veillent ; ils planent ; ils guettent partout la malveillance, et si d’une main ils tiennent la foudre toujours prête à frapper les traîtres, de l’autre, ils dispensent les bienfaits. Nous sommes donc assurés qu’il est impossible que l’abandon des arts échappe à leur vigilante sollicitude. « Combien de temps n’a-t-on pas gémi en France des suites désastreuses de la honteuse révocation de l’édit de Nantes? C’est cette révo¬ cation, d’exécrable mémoire, qui a fait fuir de son sol ces hommes laborieux dont le génie productif a été enrichir nos voisins, même nos ennemis ! A Londres, des rues entières sont encore peuplées de fabricants français, dont l’émigration remonte à cette époque. « Ce ne sont donc pas seulement des écoles primaires et élémentaires des arts qu’il s’agit de fonder, c’est le bénéfice de l’industrie actuelle qu’il ne faut pas laisser échapper; c’est l’ins¬ truction qui existe dans les artistes formés qu’il ne faut pas laisser perdre; ce sont les fils des connaissances acquises qu’il ne faut pas laisser rompre. « Plus de corporations, plus de ces associations savantes, dangereuses par l’esprit de suprématie, et dont les réunions pourraient être encore des aristocraties déguisées. « Mais, afin de ne rien laisser échapper de ce qui est utile, législateurs, établissez des com¬ missions temporaires, dans chaque partie des arts, et faites que ces commissions se renou¬ vellent d’elles-mêmes à des périodes déter¬ minées ! « Laissez aux sociétés libres le soin de reculer, par les perfectionnements, les bornes de nos connaissances. Que l’industrie pratique réunisse les vrais artistes en assemblées primaires des arts, et qu’ils choisissent librement des com¬ missaires temporaires pour chacune des parties de la nouvelle administration des arts ; la liberté fera le reste, et les fruits, n’en doutez pas, seront abondants. « Tel est, législateurs, le résultat simple et constitutionnel du plan que nous avons long¬ temps médité en 91, et que nous présentons ici pour la seconde fois. « Toutes les classifications scientifiques et emphatiques de nos connaissances, nous les réduisons à six commissions temporaires, et tout ce qu’on nomme science, nous le rapportons aux seules connaissances utiles. Enfin, cette nouvelle administration ne coûterait pas plus d’un million. « Nous savons que d’ignorants désorganisa-teurs osent dire froidement : Ce ne sont plus des connaissances, c'est du fer et des bras qu'il nous faut! Mais c’est le produit des arts qui paye, qui façonne ce fer que vous tirez en grande partie de l’étranger. C’est l’industrie qui (solde, qui vêtit, qui sustente ces hommes précieux que vous appelez à votre défense. C’est le génie qui fortifie vos villes, et qui fait tonner cet airain qui les défend contre l’invasion des despotes. « Il vous faut des bras ; eh bien ! conservez principalement les artistes, et formez-les en lre sérïe. t. xxxix. grand nombre. Avec l’habitude du travail, vous aurez des mœurs et des soldats. « En conservant les pères des arts, en les faisant servir à l’instruction publique, vous occuperez, vous endurcirez cette jeunesse bouil¬ lante dont les âmes doivent être préparées avant tout au premier devoir du citoyen : celui d’être utile à la patrie. Voilà les véritables mœurs républicaines. Les prêtres hypocrites disaient�: Sachez vaincre vos passions, et ils appelaient cela de la morale. Le républicain chaud et actif doit dire : Laissez les passions aux ; hommes , mais sachez les diriger. Ce sont elles qui lui donnent son énergie. Un homme sans passions n’est qu’un fédéraliste modéré, ou un feuillant hypo¬ crite, incapable de grandes choses. Le véritable sans-culotte, c’est celui qui travaille; ce sont les bras nerveux de ces hommes laborieux qui, pen¬ dant la guerre, resteront vos plus vigoureux défenseurs, et qui, après elle, deviendront votre ressource la plus certaine. « Législateurs, conservez donc et protégez les arts, et surtout ne négligez pas, n’abandonnez pas le fruit de l’industrie. « Quand les tyrans, lassés de lutter contre la raison et contre le bonheur des nations, auront appris par vos triomphes à respecter un peuple libre qui ne réclame que les droits de la nature; quand leur front superbe sera humilié, et que, forcés à la paix, ils reconnaîtront quelle est la puissance de vingt -cinq millions d’hommes qui ont le sentiment de leur force et la volonté de n’appartenir qu’à la raison, alors les arts, l’in¬ dustrie dont vous aurez conservé les fils pré¬ cieux, répareront toutes les pertes. Alors le travail, qui donne les mœurs et la richesse, ramènera l’ordre et l’abondance; alors la pre¬ mière et la plus puissante des nations, utile par son génie à toute la terre, couronnera ses succès par cette supériorité des talents, qui, seule, peut rendre les autres peuples ses tributaires, et lui assurer la prééminence sur les autres na¬ tions. « Alors, citoyens législateurs, on se rappellera tout le bien que vous avez fait ! Alors, ce sera vers cette Montagne, plus heureuse pour nous que le mont Sinaï, que sans cesse nous élèverons nos bras ! C’est sur son sommet que sera dressé définitivement le véritable autel de la Patrie. C’est là que fumera le pur encens; c’est là qu’au lieu des mômeries de la superstition s’établira le culte sacré de la vérité et de la raison ! C’est là qu’au Heu du cantique des cantiques, nous irons chanter de cœur et d’esprit l’hymne sacré de la patrie. « Les artistes, vrais sans -culottes, de la Société du Point central des Arts et Métiers. « Signé : Dixnard, président; Rubi, secré¬ taire. » Nouvelle constitution des sciences, arts ET MÉTIERS, AVEC LE PROJET DE DÉCRET présenté a l’Assemblée nationale et RÉDIGÉ PAR LA SOCIÉTÉ DU POINT CENTRAL des Arts et Métiers, en présence de MM. les commissaires des Sociétés des inventions et de la commune des arts. Au rapport de Charles de Saudray, membre \du 17 258 [Convention nationale,] ARCHIVES PARLEMENTAIRES, j Jl brumaire an H Point central et du bwreau de consultation des arts. En mars 1 792, Van quatrième de la li berté ( 1 ) . { Errata : au lieu du mot roy ou royaume, lisez République,) Observations préliminaires sur le projet de loi. Messieurs, Mirabeau, dans un Discours sur les arts , con-clu ait ainsi : « Il paraît donc urgent que l’Assemblée nationale prenne enfin en grande considération la cause des arts, et qu’elle s’occupe à former très prochainement une administration générale, un centre de lumières et de combinaisons, dont les opinions et l’autorité ne puissent être tyran¬ niques; mais où tous les départements, où tous les individus puissent offrir et concerter tous les moyens et les rapports d’une prospérité com¬ mune. Cette composition est très délicate; il faut qu’elle soit libre et ne soit pas confuse; qu’elle soit puissante et ne soit pas arbitraire; qu’elle soit protectrice et soit sans prédilection ! Ne faisons pas succéder la présomption à la présomption, et des intendants à des intendants. Il faut que l’accès, que la sollicitation soit facile et simple, publique en quelque sorte. Epargnons à des nommes libres des démarches humiliantes, sans quoi, dès qu’un administrateur pourra, à son fré, congédier et humilier, tant qu’il pourra onner arbitrairement à leurs mémoires, sa force ou son néant, toujours sa protection sera un trafic. La corruption se reproduira dans le nouveau comme dans l’ancien régime, et le bien, pourtant si facile à faire, restera encore dans les spéculations imaginaires... » Voilà, Messieurs, ce qui avait été applaudi avec transport, il y a déjà quinze mois, à l’Assemblée nationale constituante; voilà ce qu’elle voulait encore trois mois après la dernière loi provisoire (du 9 septembre 1791), qu’elle a décrétée sur l’application des récompenses natio¬ nales aux inventions et découvertes; et c’est ce qu’elle n’a pas eu le temps d’exécuter, au milieu des travaux immenses qui ont couronné sa session; c’est à vous, Messieurs, qu’elle a délégué le soin glorieux de satisfaire à ce besoin impor¬ tant, et d’administrer un des bienfaits les plus précieux de la Constitution. Et quelle classe d’hommes était plus digne que les artistes, de celui de la liberté et de régalité ! En est -il une dont les droits et les propriétés soient plus sacrés? En est-il en même" temps en faveur de qui l’intérêt public sollicite plus vivement à chaque pas, de la part du législateur, justice, appui, secours, je dirai meme faveur et récompense? Premiers bienfaiteurs de la nation, c’est à eux qu’elle doit, en retournes premiers effets de sa biénfaisance. L’inventeur est le père des travaux utiles. Ceux-ci occupent les bras oisifs, et donnent au corps social, les mœurs, la paix, la rie et l’abon¬ dance. L’invention est mère des arts; les arts le sont de l’industrie, et l’industrie, en décuplant les richesses du sol, multiplie à l’infini les sources du commerce et tous les moyens de prospérité. . Et l’on ne pense pas que ce soit aux agitations (1) Àéchivèê rialionaies, carton C 281, dossier 771. et aux embarras inséparables d’une grande révo¬ lution que soit due en France la ruine presque totale des arts, du commerce et de l’industrie. Si l’on recherche la source principale de oette décadence effrayante, on la trouvera tout entière dans les vices de l’ancien régime. C’est par suite de cette fatalité qui semblait attachée à toutes les parties du système féodal, qu’au milieu des ressources immenses du sol le plus fécond; sous le climat le plus heureux; aidée de tous les dons de la nature; entourée des débouchés les plus favorables; enfin, secondée par les efforts constants et par l’adresse recon¬ nue d’une énorme population d’hommes actifs, laborieux et doués d’une intelligence au-dessus de eelle de la plupart des autres nations, l’indus¬ trie française est tombée successivement, depuis un siècle, dans un tel degré de langueur et de dé¬ périssement que, de tous côtés, et sur une infinité d’objets, elle s’est trouvée écrasée par une con¬ currence étrangère humiliante et ruineuse, qui en a obstrué tous les canaux et paralysé tous les ressorts. Pourquoi? C’est qu’un préjugé funeste avait osé avilir la classe d’hommes la plus utile, C’est qu’une sorte de honte était impolitiquement mise à côté de l’exercice des talents précieux de l’homme de génie. C’est qu’une autre classe, dite privilégiée, e’est-à-dire, qui avait essentiel¬ lement le privilège barbare d’être à charge à toutes les autres et de les mépriser, osait dégrader et ravaler au dernier rang l’homme industrieux, le commerçant actif, et jusqu’au laboureur vigilant, auxquels elle devait cepen¬ dant ses plus douces jouissances, toutes les commodités et les premiers besoins de la vie. C’est que soumis aux caprices des savants ensionnes, à qui la faveur semblait donner un roit exclusif au mérite, et dont la jalouse vanité ne voyait dans les inventeurs que des rivaux dangereux qu’il fallait écarter, les artistes négligés, écondnits, rebutés, languissaient dans un honteux abaissement, avaient perdu toute énergie et jusqu’au sentiment de leur force, C’est que de tous côtés, au lieu de céder au sentiment d’admiration qui était dû aux grands talents, la craintive ignorance n’était occupée qu’à jeter des soupçons défavorables sur ces hommes extraordinaires qui avaient la hardiesse de s’écarter du respect conservé stupidement à la vieille routine, et qui osaient présenter des idées nouvelles. C’est que le fisc s’était emparé dés arts et du commerce, comme il s’était emparé de tout ; c’est que l’esprit mercantile et agioteur les avait convertis en spéculations usuraires et en mons¬ trueux monopoles. C’est que les artistes 'honnêtes, dont le cou¬ rage ne savait pas supporter les dégoûts et la perte du temps dans les antichambres de nosseigneurs les intendants, ont préféré fuir chez l’étranger, et ont cédé la place aux intrigants qui, seuls, ont eu la lâche patience de solliciter et d’attendre les récompenses. C’est, enfin, que la France n’ayant point de lois pour les arts, tout, dans oette branche inté¬ ressante de l’administration, était abandonné à l’arbitraire et à la seule volonté d’un ministre qui, par la faveur du monarque, se trouvait, à l’instant qu’il était en place, pourvu, par brevet du roi, de tous les talents et des connaissances nécessaires, et à qui, pour acheter le titre de protecteur des arts, il suffirait d’afficher quelques prédilections marquées en faveur de ces eorpo- [Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES, j fi? Sovfmbr *1793 259 rations privilégiées, dont le pouvoir exclusif était de régler l’opinion et de dispenser les titres à l’estime publique. Mais, enfin, un nouveau jour a lui sur la France» et le règne de la liberté ramène eelui du génie et des arts. L’empire du fisc est anéanti ; le préjugé barbare qui avilissait l’homme à talent a dis¬ paru. Des corporations puissantes et privilé¬ giées ont cessé d’être chargées de la distribution des' encouragements et des récompenses, et, comme le disait [ingénieusement Gresset, on ne verra plus ces protégés si bas, ces protecteurs si bêtes! La lumière s’est faite, l’ignorance s’est enfuie ou s’est cachée, l’artiste a levé la tête, et le génie a repris tous ses droits. Si cette révolution étonnante, si ce grand changement, depuis trois ans, a causé des pertes à la France agitée, l’industrie peut les réparer toutes ; en renonçant au droit de conquête par la voie des armes, la nation française, plus géné¬ reuse, s’en est ménagé d’aussi certaines, et de plus dignes des sentiments d’humanité, en se réservant de conquérir par le génie les richesses des autres peuples ; elle pourra, sans coup férir, étendre; un impôt général sur les besoins du monde entier; elle pourra rendre toutes les nations tributaires de son industrie, et son em¬ pire, à cet égard, n’aura plus d’autres bornes que les dernières limites du monde habité. Que lui faut -il pour cela? Rien que de bonnes lois qui assurent enfin à l’artiste F exercice libre de ses facultés; qui le dégagent des entraves qu’il rencontrait à chaque pas; qui lui garan¬ tissent sa propriété; qui le mettent dans le oas d’être jugé par ses pairs; qui lui épargnent les sollicitations et les démarches humiliantes; enfin qui le défendent et qui deviennent pour lui le garant que jamais il ne pourra être trompé dans ses efforts. « Mais en s’occupant des intérêts des artistes, il ne faut pas que ceux de la nation entière soient oubliés (c’est encore Mirabeau qui parle). « Il faut qu’une loi prudente soit favorable aux nouvelles entreprises, sans en partager ja¬ mais les dangers. Il faut que l’homme de génie, partout aidé, encouragé et dégagé de toute gêne, parvienne, par un moyen simple et prompt, à s’assurer sa propriété, et à obtenir même des secours et de l’appui; mais il faut que la nation ne fasse aucuns sacrifices inutiles ; il faut qu’elle protège sans examen, mais qu’elle ne récom¬ pense qu’en connaissance de cause. Il faut que les fruits du génie soient sans cesse appliqués à l’utilité publique, et qu’en fin une administration bienfaisante rapporte au profit général du com¬ merce et de l’agriculture, les dépenses premières que sa politique et son intérêt lui conseillent de prodiguer avec discernement. » Nous observons à cet égard, Messieurs, qu’en exécution de la loi du 22 août 1790, l’Assem¬ blée nationale constituante, par ses décrets des 30 décembre 1790, des 9, 10 et 27 septembre 1791, n’a adopté que des dispositions qu’elle a déclarées provisoires, et que, en ne pourvoyant que très imparfaitement à un moyen encore abusif d’assurer la propriété des inventeurs, elle s’est bornée à accorder aux arts, un premier fonds d’encouragement, bien éloigné de ce que les besoins du moment et l’intérêt même national exigeaient de la justice du législateur. Tout ce que l’on peut dire sur ces décrets réglementaires, c’est qu’ayant été proposés et rendus dans des moments où l’attention entière dé l’Assemblée était absorbée par un travail important duquel dépendait le sort de l’Etat et de la Constitution, et lorsqu’elle était même forcée de renvoyer à la deuxième législature tout ce qui regardait l’instruction publique, elle n’a vu, dans cette loi constitutionnelle, qu’uu moyen d’arrêter provisoirement les progrès du mal, et sa prudence à cet égard, ainsi que sa sagesse, ont suffisamment éclaté, en déclarant que les dispositions qu’elle adoptait, n’étaient que pour une année. Ce qu’il y a de certain, c’est que ces décrets ont toujours été présentés à la fin des séances du soir, et d’une manière tellement déoousiie, que le dernier décret, daté du 9 septembre, qui ne contient cependant que treize articles, n’a pu être lu qu’à trois reprises différentes les 9, 20 (sic) et 17 septembre. Voilà sans doute ce qui a empêché l’Assemblée d’en saisir et d’en exa¬ miner l’ensemble; autrement, elle en aurait elle-même senti les inconvénients, et elle se serait bien gardée d’adopter un plan, dont presque tous les articles s’écartent des principes consti¬ tutionnels, et deviennent contraires aux véri¬ tables intérêts de la nation, ainsi qu’à ceux des artistes. , Nous n’en ferons point ici l’analyse entière; nous nous bornerons à énoncer le vice de quel¬ ques dispositions, et nous en démontrerons l’in¬ justice et le danger. L’objet principal des différents décrets pro¬ visoires avait été de rendre la liberté au génie, et d’affranchir les arts de toute gêne, de toute entrave, en anéantissant les corporations privi¬ légiées; d’assurer la propriété d-s inventeurs par des patentes; enfin, d’assigner aux artistes des encouragements provisoires, et d’en déter¬ miner l’impartiale et équitable distribution. Ces dispositions, quelque bonnes qu’elles soient en elles -mêmes, sont bien loin de satis¬ faire au besoin urgent que les arts avaient d’une législation; mais il est utile de prouver que loin de remplacer aucun des buts que l’on s’était proposé, elles les ont tous contrariés; qu’à chaque pas la volonté positive du législa¬ teur a été éludée; qu’enfin, l’ancienne facilité a été remplacée par une nouvelle encore plus vexatoire, et d’autant plus odieuse, qu’elle a été parée du beau nom de la liberté. Sur la loi du 30 décembre 1790, nous obser¬ verons : 1° Que l’article premier dit qu’une invention étant la propriété de son auteur, la loi en garan¬ tit la pleine et entière jouissance. En consé¬ quence, par l’article 7, afin d’assurer cette propriété à l’inventeur il doit être délivré une patente ou brevet d’invention, pour lequel ü est obligé de payer 1,562 livres pour quinze années. Et cependant, par l’article 12, si sa propriété lui était enlevée par cinquante plagiaires, le seul moyen de réclamation qu’il pourrait em¬ ployer, ce serait de s’adresser aux tribunaux ordinaires, en fournissant avant tout bonne et valable caution ; de manière qu’en définitive, ce serait cinquante procès auxquels l’inventeur serait réduit. Fallait -il une loi nouvelle pour lui donner ce droit-là? Fallait-il faire payer 1,562 livres à un inventeur, pour ne pas lui donner une garantie différente que celle que tous les ci¬ toyens obtiennent de la Constitution? Enfin, pourquoi mettre ce nouvel impôt sur le génie? Car de deux choses l’une, ou bien une découverte etet utile, et alors, au lieu d’être 260 [Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES ( 25 brumaire an II ' 1 15 novembre 1793 ridiculement imposée, elle a droit à des secours et à des encouragements; ou bien elle est indiffé¬ rente, et dans ce cas, pourquoi obtiendrait -elle protection et un brevet ? Accorder une patente par la seule raison qu’on la paye telle ou telle somme, c’est mettre à prix le droit de tromper le public. L’Angleterre, il est vrai, suit cette méthode et le prix des patentes y est encore plus exor¬ bitant ; mais le peuple y gémit de cette vexation, comme les artistes en murmurent déjà ici; et notre pitoyable anglomanie doit-elle donc s’étendre jusque sur les vices du gouvernement anglais? 2° C’est afin d’établir cette nouvelle forme abusive et fiscale, qu’un nouveau bureau a été créé sous le nom de bureau des inventions, et toutes ses dépenses ont ajouté à l’impôt dont le génie a été grevé; il y a plus, sa direction et ses archives ont été confiées arbitrairement à un seul commis ministériel, de la part duquel tous les abus de confiance entrent dans l’ordre possible des choses, et ne sont garantis par aucune formalité suffisante. Dépositaire de tous les secrets des artistes, rien n’empêche qu’il ne puisse en abuser, soit à son profit, soit en faveur de qui il lui plaira; et son intérêt le ramenant forcément à une seule manière de cal¬ culer, son unique soin sera éternellement de mul¬ tiplier à l’infini ces brevets illusoires, dont il retire le premier bénéfice; c’est dans leur nombre qu’il fait consister la protection na¬ tionale, et c’est sans choix comme sans examen qu’il peut distribuer abusivement au premier venu, des sauvegardes, qui ne devraient appar¬ tenir qu’au vrai talent et aux découvertes utiles. 3° Ces brevets étant ainsi accordés sans aucune précaution, pour l’objet le plus utile, comme pour le plus dangereux, il en résulte qu’à l’aide de cette patente, autorisée par la loi et signée du monarque, on peut proclamer, dans Paris et dans tout le royaume, l’invention la plus immorale et la friponnerie la plus évidente. Il est possible que le peuple soit induit, abusé à chaque pas par les supercheries les plus con¬ damnables, revêtues des formes qui contrai¬ gnent son respect. Au nom de la loi et du roi chacun pourra avoir le droit de faire des dupes, et ce qui ne devrait faire que la sûreté des artistes, devient un passeport pour tous les fourbes qui ont de l’argent à porter au bureau des inventions (1). 4° C’est sans doute dans la vue d’assurer la propriété de l’inventeur que, par l’article 15, il est dit que ce ne sera qu’à l’expiration de la patente qui lui sera délivrée, que la description de ses procédés (ou de son secret) sera rendue publique; mais on observe que précédemment fi avait été dit, article 4, que tout inventeur qui désirerait un brevet d'invention, serait tenu de déposer, sous cachet, une description exacte de sa découverte, ainsi que les plans, coupes, dessins et modèles, pour, ledit paquet, être ouvert au mo¬ ment oit son brevet lui sera délivré. Voilà donc par cette astucieuse précaution, celui à qui la direc¬ tion principale du bureau des inventions est (1) Avec un pareil brevet, une compagnie a eu l’impudeur de mettre en circulation ses effets et d’ouvrir, sous le nom de Salut du peuple, un emprunt, dont, en définitive, elle retire cent pour cent, en fai¬ sant donner des nantissepaçnts. (Noie du rappor¬ teur.) confiée, maître de toutes les découvertes les plus précieuses des artistes, et libre, s’il est de mauvaise foi, d’en disposer à son profit (1). Certes, c’est mettre à bien haut prix la prétendue protection assurée par ledit brevet. 5° Dans une loi partielle et subséquente du 9 septembre, il est dit, article 11, que celui qui aura pris un brevet, c’est-à-dire qui aura payé cette garantie, sera privé du droit de prétendre aux récompenses nationales. Ainsi, en grevant le génie d’une nouvelle fiscalité, en lui faisant acheter chèrement le droit illusoire de jouir de sa propriété, on a prétendu encore que c’était le gratifier d’un bienfait; et en conséquence, l’in¬ venteur, à qui le bureau des inventions a fait payer 1,562 livres pour un parchemin, le sou¬ met encore à la loi dure et barbare d’être exclu de tout encouragement et récompense nationale. Je crois qu’il était difficile d’imaginer rien de plus révoltant. 6° « Enfin, les arts, disait-on, qui ne vivent que de liberté, s’alarmeraient d’une sorte de commission judiciaire à jamais conservée, et pour ainsi dire inhérente à une corporation quelconque, et, sous ce point de vue, le corps le plus éclairé pourrait paraître le plus redou¬ table ! » Mais en même temps qu’en flagor¬ nant ainsi les artistes et en leur montrant la perspective de les débarrasser des censures académiques, qui sans cesse paralysaient les talents les plus actifs, on prétendait vouloir remettre leurs intérêts dans des mains amies, et les faire juger par leurs pairs, tout à coup un bureau de consultation s’est trouvé formé de quinze académiciens et de quinze autres mem¬ bres, dont quelques-uns ont été pris parmi les artistes, mais dont le plus grand nombre a été nommé par l’influence de quelques intrigants, de manière que c’est toujours à cet esprit do¬ minateur qu’en définitive le sort des artistes est abandonné. On voulait détruire les corpora¬ tions, un décret les avait déclarées anéanties, et en dépit de la loi, les ponts et chaussées et les académies existent encore, malgré les efforts des défenseurs les plus courageux du système de la liberté et de l’égalité (Journal du Point central des Arts, n° 11). En conséquence, et par suite de l’influence toujours subsistante de ces corps privilégiés, la distribution des premiers encouragements en faveur des arts agréables, avait été confiée à cent cinquante académiciens, auxquels on avait modestement associé seulement vingt artistes; enfin, à force de représentations, on est parvenu à obtenir un nombre égal d’artistes et d’académiciens. Cependant rien n’a pu détruire la puissance dominatrice de ces cor¬ porations, qui n’existent encore que dans le préjugé, c’est-à-dire dans l’erreur de l’opinion, mais qu’il est temps d’anéantir totalement, si l’on veut rendre enfin aux artistes le repos et le courage qui leur sont nécessaires. C’en était sans doute plus qu’il ne fallait, Messieurs, pour démontrer la nécessité qu’il y avait de réformer enfin par une loi sage et géné¬ rale, des décrets provisoires qui n’ont offert que des dispositions partielles, absolument opposées à l’intérêt général, et de les faire entrer dans le système d’une Constitution qui devait (1) On ne dit pas que cela soit, mais rien n’em¬ pêche que cela n’arrive, et la loi doit tout prévoir. (Noie du rapporteur.) [Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. I *5 brumaiure a» « 261 (15 novembre 1793 embrasser la totalité des besoins des arts, con¬ sidérés sous le double rapport de la protection due particulièrement aux artistes et des avan¬ tages que la nation doit retirer de cette pro¬ tection. C’est cette tâche délicate et honorable qui est réservée à la deuxième législature, et c’est sur un travail aussi important que nous avons estimé, que jeter le premier tracé d’un plan aussi vaste, c’était déjà opérer un grand bien, et sortir au moins des premières incertitudes. Mais pour y parvenir, que d’objets, Messieurs, n’a-t-il pas fallu embrasser? Que d’administra¬ tions différentes n’a-t-il pas fallu ramener à un même système d’organisation? Que d’intérêts divers et même opposés n’a-t-il pas fallu réunir à un seul principe, la. sûreté et l’utilité publi¬ ques? Voilà, ce qui nous a engagé d’abord, Mes¬ sieurs, à anéantir toutes les anciennes divisions classiques des sciences et des arts, toutes ces prééminences vaniteuses qui établissaient par¬ tout entre elles des préséances abusives et des¬ tructives de cette égalité et de cétte fraternité qui doivent les faire concourir au même but. Les sciences et les arts se tiennent par la main, ils se prêtent sans cesse un mutuel secours, c’est dans leur réunion qu’est leur force et toujours leur plus grande gloire. Aussi le même rapporteur, qui, avec infini¬ ment d’esprit et de zèle, a été poussé à proposer à l’Assemblée constituante des règlements provisoires aussi incomplets, ce rapporteur, dis -je, dans sa dissertation préliminaire, où il ne se livrait qu’à son seul génie, en même temps qu’il proposait de décréter encore une nouvelle prédominance en faveur des corps académiques, sentait -il cependant la nécessité de tout ramener, dans les sciences et les arts, à une égalité qui, seule, peut réunir les talents et les engager à fraterniser. En parlant de la manière de juger les diffé¬ rents degrés de mérite des nouvelles décou¬ vertes, « on serait d’abord tenté, disait-il, de régler cette estimation sur le plus ou le moins d’importance des arts différents, et de les classer dans l’ordre qui paraît leur convenir. Mais il est bien loin d’être démontré qu’il existe entre eux une véritable hiérarchie, et qu’aux yeux de la raison, les arts ne soient, pas égaux en droits ! N’existe-t-il point tel genre d’industrie, futile en apparence, et dont la nation retire des pro¬ duits incalculables? » Il a donc fallu que nous prissions une autre marche, et nous avons senti que le premier pas à faire, c’était de présenter une classification des sciences et des arts absolument différente. Celle que nous avons adoptée, peut-être prêtera encore à la critique; mais si on la considère dans son rapport avec l’ensemble du plan d’or¬ ganisation générale que nous proposons, on en sentira tout l’avantage, soit pour simplifier les élections, soit pour mettre les artistes en état de se bien connaître, et par conséquent de faire de bons choix; soit pour détruire et anéantir enfin, ces préséances ridicules, et les anciennes corporations, de manière à les empêcher de se rallier et à former de nouvelles prétentions. Voilà aussi pourquoi nous avons tout soumis à l’ordre alphabétique, afin de supprimer tous les rangs et toutes les rivalités. Et quel moment plus heureux, Messieurs, l’Assemblée nationale pourrait -elle choisir pour fonder cette Constitution nouvelle et bienfai¬ sante des arts? « Après avoir aboli tant d’industries oiseuses ou nuisibles, les arts se présentent aujourd’hui avec un nouveau degré d’importance. Les ci¬ toyens sont appelés à un autre ordre de for¬ tune. Il leur faut de nouveaux moyens d’occu¬ pation et de succès. « Pour ne pas laisser perdre au Français son action, son intelligence et ses rapports moraux, il faut aujourd’hui que son activité soit enfin tournée et appliquée à d’utiles emplois. Le talent n’a plus à rougir, il peut se montrer, enfin ce sont les arts, l’agriculture et le commerce qui, seuls aujourd’hui, peuvent remplacer tant de fausses industries que la Révolution a anéan¬ ties. » {Discours de M. Dation.) C’est ce but précieux qu’atteindra une nou¬ velle Constitution des sciences et des arts. Si dans son travail sur cet objet important, la Société du Point central n’a pu, malgré son zèle, parvenir au degré de maturité et de perfection qui est nécessaire, elle aura au moins la gloire d’en avoir conçu l’idée, et d’avoir eu le courage de la proposer. Voici, Messieurs, d’après ces réflexions essen¬ tielles, le plan général et la division de cet ou¬ vrage. Constitution des sciences, arts et métiers Projet de loi. Décret. L’Assemblée nationale, ayant égard aux diverses pétitions et réclamations qui luf ont été adressées par un grand nombre d’artistes et par différentes Sociétés savantes, relativement aux décrets réglementaires des 3 décembre 1790, 9, 10 et 27 septembre suivants, qui n’ont pourvu que provisoirement à l’établissement d’un bureau des brevets d’invention et de celui de consulta¬ tion, considérant qu’il est temps de consacrer, par une loi définitive, les seuls privilèges qu’elle puisse reconnaître, ceux que la nature a décer¬ nés au génie; Que c’est sur eux qu’est fondée l’industrie territoriale et commerciale, et par conséquent la source première de la richesse et de la puis¬ sance des empires; Que le plus sûr moyen de retenir, en France, ou d’y attirer les grands talents; d’y faii;e fructifier les arts et de détruire toute concur¬ rence étrangère, c’est d’ honorer les inventeurs, de les protéger et encourager, de les aider même dans l’exécution de leurs précieuses dé¬ couvertes ; Qu’ enfin il est nécessaire d’établir à cet égard, un système fixe d’administration politique, à l’aide duquel, sans soumettre les savants et artistes aux formes gênantes d’une censure arbitraire, il soit possible cependant de régler, par un jugement éclairé, les sacrifices que la na¬ tion a décidé de faire en leur faveur; de pour¬ voir en même temps, d’une manière impartiale, au mode le plus prompt de leur répartir les encouragements et les récompenses; d’anéantir entre eux toute espèce de distinction et de supré¬ matie, en ne les considérant que dans leurs rap¬ ports avec l’intérêt général; de réunir surtout leurs lumières et leurs efforts pour les faire concourir tous fraternellement à un même but d’utilité publique, enfin, de placer irrévocable¬ ment le fruit de leurs travaux, la plus sainte des