(Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (6 mai 1791.1 633 Fargent est le pivot de nos relations commerciales avec l’étranger, et qui, ne voyant qu’au-tour d'eux, s’imaginent pouvoir le remplacer; mais que peuvent contre l’expérience les métaphysiques raisonnements des autres? Je vais suivre leur système dans ses conséquences. U est évident que les embarras qui existent dans les échanges, entre les personnes qui ont des assignats de 50 livres, se multiplieraient entre celles beaucoup plus nombreuses qui recevraient des assignats de 5 livres. Les fabricants n’achèteraient plus l’argent, il est vrai; mais, ce qui est un plus grand malheur, l’artisan, l’ouvrier, le pauvre l’achèteraient. Oterez-vous à la classe aisée un fardeau qu’elle peut supporter, pour le faire peser tout entier sur la classe indigente? J’ose vous le dénoncer, ce système, comme une conjuration des riches contre les pauvres, dont jusqu’ici les droits ont été pour vous si sacrés. Et de combien de difficultés n’est-il pas enrayé ! Comment un petit détailleur de comestibles, dans les marchés, pourra-t-il faire tous les appoints? Et si la pénurie s’y refuse, il faudra qu’il arrive de deux choses l’une : ou que l’acheteur se prive d’acheter, ou que le vendeur refuse de vendre. Dans tous les cas, le citoyen est lésé. Qui peut en calculer les suites désastreuses? Si vous en supposez la circulation rapide, je vois naître déplus grands dangers. Fatigués, salis, rendus presque méconnaissables, ils seront plus aisément contrefaits : la simplicité, la bonne foi, l’ignorance même du peuple présenteront un appât de plus à des fourbes habiles; les signes caractéristiques ne seront plus généralement saisis. Joignez à ces considérations l’intérêt que les ennemis du dehors et même du dedans auraient à répandre ces alarmes par des menées, soit directes, soit indirectes; songez qu’avec moins de 2 millions ils peuvent enfouir toute notre monnaie, et vous éloignerez de leurs mains cette arme terrible, la dernière qui leur reste contre le peuple, parce que le courage et la force ne peuvent rien contre elle. Si une guerre maritime portait nos forces dans un autre hémisphère, si même nous étions obligés de soutenir une guerre de terre, et qu’une première victoire en rejetât le théâtre sur les terres ennemies, que deviendraient nos valeurs fictives et conventionnelles chez un peuple qui ne les a {tas consenties : nous nous verrions bientôt dans 'impossibilité de soutenir la guerre, à moins de foire des sacrifices énormes, et qui ruineraient les générations futures. Si l’intérêt des négociants, masqué de celui du commerce, a élevé cette proposition, qu’il faut absolument une valeur représentative en petites parties, ils peuvent en créer sur leur crédiL; ce moyen a été avantageusement tenté dans plusieurs villes; ce papier aurait d’ailleurs un titre inappréciable, celui d’être libre. Vous approchez, Messieurs, du terme de vos travaux : l exécution de vos lois va bientôt en assurer le bienfait Malgré les cris du fanatisme, la vente des biens nationaux s’exécute tranquillement; les assignats seront anéantis, leur disparition rappellera le numéraire : craignez, par une disposition dangereuse, de causer une secousse; elles ont renversé l’ancien édifice; elles ébranleraient celui que vous venez de construire ; que la paix soit écrite sur sa base ; que la liberté le soutienne, bientôt vous verrez l’étranger nous apporter son or; vous verrez l’arbre desséché du commerce refleurir et étendre au loin ses branches fécondes. Je me résume, et je dis que le numéraire n’est pas sorti du royaume, quels confiance seul peut le faire reparaître ; que la fabrication de petits assignats aurait un effet contraire au but qu’on se propose, et exposerait le royaume aux plus grands dangers ; que le seul remède à nos maux passagers, et occasionnés par la disettedes espèces, est de hâter la vente des biens nationaux, et de brûler les assignats. Je conclus par demander la question préalable sur la motion de M. Rahaud-Saint-Etienne. M. Germain. Je demande l’impression de ce discours, afin que le peuple qui s’abuse sur l’utilité des petits assignats puisse en reconnaître le danger, et celui de les désirer. (L�Assemblée ordonne l’impression du discours de M. d’Allarde.) Un des MM. les secrétaires donne lecture d’une adresse de la commune de Strasbourg, qui annonce que cette ville et les autres du même département sont dansune parfaite tranquillité, etdonne des éloges au zèle avec lequel les commissaires du roi, envoyés dans les départements du Haut et du Bas-Rhin, se sont employés au rétablissement de l’ordre ; zèle qui a été couronné d’un plein succès. Cette adresse est ainsi conçue : « Messieurs, c Lorsque les communes alsaciennes ont im ploré votre sollicitude pour l'envoi des commissaires investis de la délégation commune des pouvoirs législatif et exécutif, ils ont cru qu’à des maux extrêmes il fallait opposer les remèdes les plus puissants, et que d’un instant dépendait dans Le département du Rhin le succès de notre liberté ; une latte dangereuse s’était déjà établie entre les lois et leurs ennemis; cette lutte se faisait à découvert sous les formes même assurées par la loi et la liberté, et des administrateurs la toléraient ou la protégeaient. Vous avez porté sur nous un regard d’intérêt, les commissaires du roi sont accouruset les adversaires de la Constitution ont bientôt cédé la victoire aux patriotes. « Nos cités sont traaquilles comme toutes celles où les amis de la liberté sont les plus forts ; les pouvoirs s’exercent, au moinspour la plupart ; la vente des biens nationaux s’opère ; on chérit vos lois, parce qu’on les connaît ; celles qui régénèrent les ministres de la religion se consomment; les inquiétudes qu’i aspiraient les principaux agents de la force publique cessent en partie ; artout aujourd’hui les amis timides de la fierté osent enfin se montrer hautement. « Dumas, Héraut, Fossey, triumvirs patriotes; vous êtes recommandables par vos talents, votre courage, et surtout votre vif amourdes loisetde la liberté ; voilà le fruit de vos travaux. C’est entre les mains de ceux qui ont décrété votre envoi, du prince citoyen qui vous a choisis, que les habitants du Haut et Bas-Rhin déposent les sentiments de leur cœur reconnaissant. Vous avez tout fait pour le bonheur d’une portion du peuple français, en l’éclairant sur ses propres intérêts ; l’affermissement de la Constitution, dans cette contTée, est votre ouvrage et la liberté vous doit son triomphe : il ne fallait dans un sol fertile, pour consommer votre ouvrage, que la certitude que l’on devait attendre de vos soins. « Etvous, immortels législateurs, vous qui nous 624 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [6 mai 1T91.] avez rendu l’existence, celle de la liberté, agréez le tribut d’amour et de respect que nous vous Ïirésentons. Nous juroos de périr, plutôt que de aisser violer le dépôt sacré que le peuple cous a contié. « Signé : Le Conseil géQéral delà commune de Strasbourg. » La suite de la discussion sur la création de petits assignats est reprise. M. Lecoutenlx de Cantelen. Messieurs, l’ Assemblée nationale a décrété, le 29 septembre dernier, « qu’il n’y aurait pas en circulation au delà de 1,200 millions d’assignats, compris les 400 millions décrétés les 16 et 17 avril, que ceux qui rentreront dans la caisse de l’extraordinaire seront brûlés, et qu’il ne pourra en être fait une nouvelle fabrication et émission sans un décret du Corps législatif, toujours sous la condition qu’ils ne puissent ui excéder la valeur des biens nationaux, ni se trouver au-dessus de 1,200 millions ne circulation. » Il est très important de se pénétrer des dispositions de ce décret, parce qu'il doit être bien entendu, quelle que soit la division, ou quelles que soient les fractions que vous donnerez aux assignats, que toute nouvelle fabrication et émission (même avec un décret du Corps législatif) sera toujours sous la condition qu'elle ne pourra excéder la valeur des biens nationaux , ni se trouver au-dessus de 1,200 millions à la fois en circulation. Pour observer avec exactitude et respect cette dispositions alutaire, qui a été, j’ose le dire, la sauvegarde de la fortune publique, dans la création nécessaire d’une forte quantité de papier-monnaie, il ne suffit pas de se renfermer scrupuleusement dans une fabrication ou une émission qui n’excédera pas les 1,200 millions d’assignats décrétés les lü et 17 avril et 29 septembre 1790; il ne suffit pas même d’étre assuré que l’existence des biens nationaux invendus est égale à cette somme, il faut encore combiner vos assignats en émission avec les délégations que vous avez données, et que vous continuez de donner chaque jour sur les biens nationaux par vos reconnaissances provisoires de 1 quidation, qui peuvent être reçues en payements desdils biens, parce Sue l’esprit et l’intention bien évidente de votre écret du 29 septembre a été que la quotité des assignats en émission, réunie à celle des reconnaissances provisoires de liquidation, recevables en payement des biens nationaux, ne puisse jamais en excéder la valeur connue. Je ne rappelle ces bases, si sagement établies, et sur lesquelles repose la confiance qui est due aux assignats, et le succès éprouvé des ventes des biens nationaux jusqu’à ce jour, que parce qu’il me semble qu’on ne devait pas discuter la motion de M. Rabaud sous le point de vue saisi par les préupinants. Il n’est point question, dans cette motion, d’accroître l’émission de notre papier-monnaie, ni de mettre en circulation des assignats au delà de la somme que vous avez décrétée le 29 septembre 1790, et de la proportion dans laquelle vous devez toujours maintenir cette émission avec la valeur connue des biens nationaux ; une pareille idée n’a pu être conçue par aucun des honorables membres de cette Assemblée. En effet, les conséquences fâcheuses qui résulteraient de toute variation de principes sur des matières si importantes et déjà discutées à fond ne pourraient que jeter le plus grand discrédit, tant dans le royaume que dans l’étranger, sur l'esprit qui régit l’Assemblée. 11 s’agit donc uniquement de déterminer quelle division et quelles fractions vous pouvez donner aux assignats en proportion des Desoins impérieux du public, et en raison de la disparition effrayante du numéraire. Il n’est point question aujourd’hui de faire l’expérience d’un papier-monnaie : les assignats existent ; ils ont un bon crédit, et leur disproportion avec l’argent tient à de3 causes que je n entreprendrai pas de vous développer ici, parce qu’elles m’entraîneraient dans de grands détails; mais je crois qu’elles sont assez graves et importantes pour être prises en considération dans des dispositions subséquentes à celles qui font aujourd’hui l’objet de votre délibération ; dispositions d’ordre, de prévoyance et réglementaires, qui seront inévitablement l’objet de votre sollicitude. Sans doute, à la suite de la délibération actuelle, vous recommanderez à votre comité dss finances de vous faire connaître incessamment les causes de la rareté du numéraire et les seuls moyens efficaces d’y remédier. Je nedoiscependantpas vous dissimuler que l’incertitude dans laquelle on est encore en France et dans les pays étrangers, sur le succès et sur l’exécution efficace de notre nouveau système d’impôt, est une des causes les plus puissantes de la perte des assignats contre l’argent, et de la disproportion énorme des changes : cette cause ne disparaîtra que lorsque, l’impôt réparti et perçu, on aura acquis la conviction que vos biens nationaux ne seront pas consommés par vos dépenses ordinaires, par votre ancien déficit, et par les nouvelles dépenses que la Révolution a occasionnées. Persuadons-Dous encore que, quelles que soient vos dispositions dans la question actuelle, votre papier-monnaie, vos assignats é#tant essentiellement un engagement national, ‘malgré leur hypothèque, on ne considérera la nation française bien réellement en état de remplir cet engagement, qu’autant que la paix et le bon ordre seront bien établis dans le royaume, et la force publique affermie. La quotité des assignats et les clauses de leur création sont donc reconnues, la qualité de l’assignat hypothéqué sur les biens nationaux, aussi reconnue, est donc bonne en elle-même, et n’éprouve que des inconvénients de circonstances auxquelles l’Assemblée peut toutefois remédier; ainsi la délibération actuelle doit se réduire à déterminer si ou peut utilement, et sans inconvénient, diviser les assignats en de plus petites fractions que celles qui existent et si ce moyen, proposé avec confiance pour faciliter au peuple ses échanges, tournera réellement à son avantage. Rendons-nous, de grâce, mutuellement la justice de croire que cet amour du peuple n’estpas confiné exclusivement dans le cœur de ceux de cette Assemblée qui ont toujours ce mot à la bouche. Tout représentant du peuple doit amour et fidélité à ses commettants ; mais, législateurs honorés de son choix, nous devons à nous-mêmes de l’aimer avec connaissance intime, que la déférence à ses volontés ne viendra pas, en résultat, à lui être funeste; car alors ce même peuple nous blâmerait avec raison d’avoir obtempéré à ses désirs, quand il ne nous a nommés que pour le défendre contre tous les dangers, de quelque nature qu'ils puissent être. Ce que je dis, au reste, sur cette question des assignats, peut s’appliquer désor-