242 [Assemblée nationale.) ARCHIVÉS PARLEMENTAIRES. [26 septembre 1790.J « Messieurs, je respecte vos moments, et je ne vous entretiendrai point de ma reconnaissance, dont vous ne pouvez douter : je ne réclamerai point votre indulgence ; vous tn’y âvez accoutumé, et, d’ailleurs, on pardonne aisément à son propre ouvrage. « Votre choix a tout dit en faveur de celui qui me succède : ce que j’ajouterais ne ferait qu’affaiblir cet éloge ; mais en lui abandonnant une place dont il est si digne, je puis sans doute avouer que je cède à l’impression de mes propres sentiments, autant qu’aux ordres de yotre discernement et de votre justice, » M. Emmery, président, prononce ensuite le discours suivant : « Messieurs, la place à laquelle vos bontés m’appellent ne pouvait être, sous aucun rapport, l’objet de mon ambition : elle a été plusieurs fois celui de ma crainte j mais je dois aujourd’hui repousser un sentiment qui nuirait à mes efforts pour répondre à l’honorable confiance que vous daignez m’accorder. « Je vous offre un dévouement sans bornes; c’est tout ce que je peux : permettez que je compte sur beaucoup d’indulgence de votre part ; j’ose dire que m’ayant choisi, malgré mes faibles moyens, vous me devez de. plus grands secours. Votre dignité se trouve intéressée à ce que je ne reste pas trop au-dessous de mes devoirs : écartez donc, Messieurs, je vous en supplie pour votre propre gloire, écartez de moi les difficultés que le zèle seul ne parvient pas à vaincre, et dont la prudence, les talents et l’habileté de mes prédécesseurs n’ont pas triomphé sans peine: que ce soit pour moi un motif d’encouragement, de penser que la grâce que je prends la liberté de vous demander, tient essentiellement à toutes les mesures qui peuvent accélérer la lin de votre immortelle entreprise, et assurer le bonheur du peuple français. » (L’Assemblée vote ensuite des remerciements pour M. Bureaux, ex-président.) M. le Président annonce que les députés extraordinaires des manufactures et du commerce demandent à être admis à la barre, pour y faire part du vœu de leurs commettants sur l’émission des assignats. Divers membres font remarquer que les adresses desdits députés sont imprimées, qu’elles ont été distribuées à chacun des membres de l’Assemblée et qu’il est inutile de \es reproduire en séance publique. Sur cette observation, l’Assemblée décide que lesdits députés ne seront pas entendus. M. Pintevllle de Cernon, rapporteur du comité des finances , fait un rapport sur les besoins actuels du Trésor public et propose de décréter que la caisse d’escompte fournira 25 millions pour le service du mois de septembre courant et de partie de celui d’octobre. La détresse du Trésor royal provient, dit-il, du déficit énorme qui s’est trouvé, dans le recouvrement des impositions. On avait lieu décompter sur 135 millions et il n’en a été versé que 110. Il fallu d’ailleurs faire face aux anticipations que l’Assemblée a proscrites à jamais. Vous savez, d’autre part, que les fonds que vous avez délivrés sont insuffisants pour faire le service du mois. il faut encore 10 millions. Votre comité s’est assuré des faits : il vous présentera très incessamment le tableau des dépenses et des recettes : la première épreuve imprimée est déjà corrigée. M. Frétean. L’Assemblée nationale a rendu un décret par lequel elle ordonne au comité des finances de faire imprimer et distribuer les états de recette et de dépense du Trésor public. Je demande que ce décret soit strictement exécuté, afin qu’on ne soit pas continuellement obligé de donner, peut-être toujours à l’avance, 30 ou 40 millions dont on ne justifie pas l’emploi. M. d’André. J’appuie cette observation et j’insiste pour qu’il soit donné connaissance à l’As� semblée, dans le plus grand détail, de toutes les rentrées du Trésor public et des moyens qui sont employés pour les effectuer. Si les départements ne payent pas, il faut les faire payer; si, au contraire, ils payent, nous ne devons pas donner l’argent qu’on nous demande. M. Frétean. Je crois que pour le service du reste de ce mois l’on doit accorder dix ou quinze millions, mais qu’il faut surseoir à décréter le surplus, jusqu’à ce que chaque membre ait pu recevoir et méditer les états qu’il a été ordonné au comité des finances de faire imprimer, afin que la nation, sans doute étonnée des demandes de fonds si souvent répétées, soit instruite que l’Assemblée veut procéder avec méthode et connaissance de cause. M. le rapporteur, dans le tableau des dépenses du Trésor public, a compté 250,000 livres par mois pour se procurer des espèces sonnantes ; l’on ne voit cependant pas circuler beaucoup de monnaie nouvelle. Ce défaut de circulation est, sans doute, produit par la mauvaise administration des monnaies et la malveillance des ennemis de la Constitution. J’insiste donc pour que les états de recette et dépense du Trésor public soient imprimés et distribués de quinzaine en quinzaine, avec les bordereaux de la monnaie battue et de son versement dans le Trésor public. M. de Mirabeau. Il y a, sans doute, de la sagesse et de la justice dans les mesures que propose le préopinant; mais, faute de donner attention à la partie monétaire, il a passé sous silence les meilleures raisons. Votre système monétaire, qui est un des plus encombrés qui existent, soit qu’on l’examine commercialement ou politiquement, ressemble aux étables d’Augias; il est tel, que l’on gagne 48 sous 9 deniers 2 quinzièmes par marc, sur les écus, pour en faire des lingots. C’est là un fait que je défie à aucun charlatan du métier de contester, et j’ai de bonnes raisons de me servir du mot de charlatan. On voudrait faire croire que le système monétaire est une science d’adepte; je dis, moi, que rien n’est aussi simple, et que quant à la fabrication il n’est point d’orfèvre qui n’en puisse être juge. Rappelez-vous que je vous ai dit à Versailles que chaque plat, chaque meuble d’argent que le patriotisme faisait porter à la monnaie, étaient un envoi que l’on faisait à Londres. Jugez, d’après cela, si vous devez être surpris de la rareté du numéraire. Lorsque le moment de s’occuper du système monétaire sera arrivé, je demanderai à l’Assemblée la permission de lui apporter mon faible contingent de lumières. Je pense que la mesure de l’impression des bordereaux, quelque bonne qu’elle soit, ne sera pas aussi efficace qu’on le pense, et qu’il n’en faut pas attendre [Assemblée nationale,] ARCHIVES PARLEMENTAIRES-[26 septembre 1790.] toute l'influence que fait espérer le préopinant. M. Camus. Le 11 de ce mois, quand l’Assemblée a décrété qu’il serait versé 20 millions au Trésor publie, elle a renvoyé au comité des finan-ces trois motions ayant pour objets : Tune de faire imprimer les états des recettes et des dépenses; l’autre de contraindre les receveurs des impositions à justifier de leurs recettes; la troisième de ne plus accorder de somme que sur une ordonnance dq roj, contresignée du ministre. Je suis surpris que le comité des finances n’en ait pas rendu compte ainsi qu’il en avait été chargé. Je demande donc que l'on veuille bien adopter le décret que je vais présenter : « L’Assemblée nationale, après avoir entendu son comité des finances, décrète que la caisse d’escompte remettra au Trésor public la somme de 1U millions; « Que les motions faites le 11 de ce mois et renvoyées au comité des finances, ensemble la motion faite ce jour sur l’impression des bordereaux des hôtels des monnaies, seront remises à l’instant au rapporteur du comité des finances, pour que, dans trois jours au plus tard, le comité présente un projet de décret sur lesdites motions; « Que les 10 millions dont la remise est ordonnée par le présent décret seront remis au Trésor pùblic sur la signature de l’ordonnateur dudit Trésor. » (Ge projet de décret est mis aux voix et adopté.) M* le Président, L’ordre du jour est la suite de la discussion sur le mode de liquider la dette publique. M. Iæ CoiUeulx de Cantelen (1). Messieurs, il n’est sans doute aucun bon citoyen qui ne désire concourir au succès du projet vaste et simple de libérer l’Etat d’une grande partie de sa dette par la vente des biens nationaux. Cette idée à peine conçue, on a désiré d’en précipiter l’exécution ; ces premiers mouvements tiennent à notre caractère. Au moment où nous saisissons une grande et belle idée, les délais et les moyens tempérants de la prudence nous irritent et nous importunent. La facilité qu'on a eue de remplir le vide du Trésor public en versant une certaine quotité de délégations sur les biens nationaux et en leur donnant le caractère de papier-monnaie, le succès avec lequel on a ainsi remédié au défaut des recettes, et remboursé 200 millions de capitaux, a persuadé même de très bons esprits que ces délégations ou assignats pouvaient également acquitter la totalité de la dette exigible. On s’est flatté en même temps, et c’est l’illusion la plus générale, que des sommes énormes ainsi rendues aux créanciers, et reversées dans le public, allaient y faire l’effet d’un remboursement réel, et auraient les heureuses influences d’un accroissement de richesses. Le caractère qu’un souverain imprime sur une monnaie ne peut en dénaturer l’essence; ainsi, ce qui paraît le plus important dans la grande question qui nous occupe actuellement, c’est de bien examiner ce qu’est en réalité un assignat. Je renfermerai ma discussion sous ce point de vue principal, et j’éviterai de traiter cet objet (1) Le Moniteur s’est borné à reproduire le projet de.décret proposé par M. Le Gouteulx. 243 sous les mêmes rapports qui ont été déjà présentés à l’Assemblée avec tant de talents et de succès.. L’assignat sur les domaines nationaux est une délégation, non sur des revenus, mais sur des biens-fonds; on ne peut ni on ne doit donc considérer, cette délégation comme un remboursement réel, mais seulement comme un échange contre un bien-fonds. L’assignat, même avec le caractère de monnaie, est purement et simplement la conversion d’un capital dont l’intérêt était payé par une portion des contributions publiques, en un capital en fonds de terre, dont l’intérêt sera payé par les produits de cette terre. Il est donc évident que. cette conversion ne présente en elle-même aucun accroissement dans la richesse publique, qu’il pourra en résulter un emploi plus utile; mais nous n’y observons d’abord qu’un département dans les revenus et les dépenses particulières : ce sont les ci-devant usufruitiers des domaines nationaux, qui, par la conversion et la réduction de leur usufruit, fournissent aujourd’hui ce que payaient ou auraient payé d’autres contribuables. D’ailleurs, le numéraire ne s’obtient et ne s’accroît réellement dans un royaume que par l’accroissement des revenus. La richesse d’un Etat dépend moins de la masse de ce numéraire que de la rapidité avec laquelle il circule, parce que larichesse réelle d’un peuple dépend uniquement de la quantité des productions de la terre et de la quantité du travail des habitants ; en sorte que ce n’est pas autant la somme gagnée qui a été utile à l’Etat, que la manière dont elle a été gagnée, et l’émulation qu’elle occasionne : ce qui conduit à conclure que la quantité positive des marcs d’argent ou du numéraire n’est point en soi Le principe de la culture, de l’industrie et de la population, et, nous le disons de nouveau, il n’y a dans cette opération aucun accroissement de richesses publiques : il n’en résulte dans le royaume aucune quantité positive de marcs d’argent, ou d’arpents de terre au delà de ce qui y était auparavant. Oq peut me dire, il est vrai, que les lettres de change, ou les bons papiers de commerce qui multiplient le travail et vivifient l’industrie, sont des assignats-monnaie à un plus court terme, qu’elles triplent ou quadruplent le numéraire en Europe. En effet, les lettres de change et les papiers de commerce représentent la prodigieuse quantité de denrées des quatre parties du monde, qui sont successivement consommées par ses habitants; mais c’est sur celte consommation successive (qui n’est que l’échange mutuel des productions) que sont délégués en réalité les papiers de commerce. Ainsi, ce ne sont point des assignats sur des capitaux, mais sur des revenus; et, en ce sens, on a dit avec raison que les lettres de change étaient le meilleur et le premier de tous les papiers-monnaie, lorsqu’il est d’ailleurs appuyé sur la bonne foi et l’opinion publique. Mais il ne faut pas perdre de vue que les lettres de change sont, en même temps, une obligation précise et sévère de payer telle somme dans un temps déterminé ; que le numéraire, avec lequel elle doit être acquittée, existe en métal, ou ia monnaie est en chemin, si je peux me servir de cette expression, pour être présentée à son échéance; que ce papier circulant n’est donc qu’une avance sur la mounaie effective qui doit inévitablement être mise successivement en circulation ; que les mêmes valeurs ne peuvent être