606 [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [1er juillet 1790.) Veulent-ils avant leur destruction venger l’ancien régime ? Le 14 juillet qui sera un jour de fête et de bonheur pour tous les citoyens français, serait-il pour quelques-uns un jour de deuil et de larmes ?... Il faut, dans ces' circonstances, voiler la statue de Ja loi... Le 22 mars, l’Assemblée a ordonné le rétablissement des barrières, sans ordonner en même temps la poursuite des coupables. Ce silence du Corps législatif aurait dû servir de règle aux tribunaux. Le comité des rapports propose le projet de décret suivant : « L’Assemblée nationale, considérant que la procédure criminelle commencée par la cour des aides de Paris et renvoyée à l’élection de cette ville, ayant pour but de poursuivre les auteurs des incendies des barrières, qui a eu lieu dans le mois de juillet 1789, pourrait jeter des alarmes, non seulement dans la capitale, mais encore dans tous les départements où de pareilles procédures pourraient être faites ; que l’insurrection du 14 juillet ne doit laisser d’autre souvenir que celui de la liberté conquise, que d’ailleurs, si quelques excès de la nature de ceux dont le procureur du roi a rendu plainte se sont mêlés aux mouvements d’un peuple qui recouvrait ses droits, et qui, dans toute autre circonstance, seraient sévèrement punis, sont tellement liés aux événements qui les accompagnent, que ce serait s’exposer à confondre l’innocent et le coupable que de vouloir en poursuivre les auteurs, a décrété et décrète : « Que la procédure criminelle commencée le 24 février dernier, à la réquisition du procureur général de la cour des aides de Paris, concernant l’incendie des barrières, au mois de juillet de 1789, et renvoyée en l’élection, demeurera comme non-avenue; que défenses seront faites, tant à ladite cour qu’aux officiers de l’élection, d’y donner aucune suite; que les personnes arrêtées en vertu de décrets rendus dans cette procédure, et non prévenues d’autres délits, seront mises en liberté; et que le président se retirera devers le roi, pour le supplier de donner les ordres nécessaires pour l’exécution du présent décret. » M. l’abbé llaury. Il est aussi contraire à mes principes qu’à mon caractère de solliciter la sévérité de l’Assemblée nationale contre une portion égarée de mes concitoyens; mais je sais que l’impunité est opposée au bon ordre. Je demande donc que l’on m’écoute sans prévention; ma conclusion ne sera peut-être pas très opposée aux principes du comité. Les impôts indirects sont une partie essentielle du revenu public. La ville de Paris paye un huitième des impôts indirets du royaume, c’est-à-dire 70 millions... 70 millions... 70” millions au moins. (Il s'élève des murmures). On m’a mal entendu, je répète... Plusieurs membres : Aux voix 1 M. l’abbé Mlaury poursuit : Je me renferme dans la motion faite sur la forme du décret que vous avez à rendre. J’examine d’abord si la conclusion du comité est exacte.... Ne vous laissez pas aveugler par des préventions personnelles. Il est de principe chez tous les peuples, et dans toutes les lois raisonnables, de suspendre l’exécution d’un jugement; jamais nulle part on n’a encore suspendu l’instruction d’un procès. Vous n’ignorez pas que dans notre jurisprudence .criminelle aucun citoyen ne peut requérir même la punition d’un coupable, et que la loi a réservé à l’homme public le droit de poursuivre un délit public. Les états généraux de Paris, d’Orléans, de Blois ont ordonné au procureur général de la cour des aides de requérir l’exécution des lois sur l’impôt, toutes les fois qu’elles ont été violées. Or, de quoi s’agit-il ici? Il s’agit d’un délit public, que le procureur général est obligé de poursuivre, sous peine de forfaiture. Quand même vous considéreriez l’Assemblée comme substituée au conseil privé, à ce conseil où l’on examinait si les jugements rendus par les divers tribunaux de justice étaient conformes aux lois et aux ordonnances, je vous rappellerai qu’il n’était pas au pouvoir du conseil privé d’arrêter l’instruction d’un procès. Jusqu’à ce moment, le conseil privé a été chargé de recevoir des requêtes en cassation et de casser les jugements. Aussi a-t-il été défini par un grand magistrat, par M. d’Aguesseau, le garde du corps de la loi ; c’est-à-dire que tous les citoyens français venaient réclamer de lui qu’il remît la loi en vigueur lorsqu’elle avait étéméconnue.Cen’estdonc pas la suspension de l’instruction d’un procès que l’on peut vous demander, mais l’anéantissement d’un jugement... Le législateur peut accorder une grâce, mais il ne peut pas autoriser l’impunité ; et ce serait l’autoriser que d’interrompre une procédure. Ce qu’on vous propose n’est donc point légal ; dans cette occasion, je me crois obligé de faire une réparation publique aux habitants de Paris, que l’on confond avec des brigands qui ont incendié les barrières. C’est pour intéresser votre patriotisme que d’on confond deux décrets différents; d’une part, ce sont les barrières que l’on vous présente ; de l’autre, c’est la Bastille et lesprisons d’Etat, etc... Vousavez rendu un décret pour faire reconstruire ces barrières ; en avez-vous rendu pour faire reconstruire la Bastille ! On vous propose d’aller aux voix... Il est démontré que mon obstination à soutenir la justice excite des rumeurs dans l’Assemblée. Je dis que les hommes qui, sous prétexte de la liberté, n’ont cédé qu’à des mouvements d’intérêt personnel; que des hommes qui, pour être libres, ont causé l’anarchie et le désordre, n’ont point de droit à votre indulgence. Ils vous intéressent, je le conçois ; je partage cet intérêt. Mais comme législateur, c’est déshonorer la liberté, que de la voir dans de pareils excès. C’est déshonorer la liberté que de confondre les véritables défenseurs, les représentants de la nation, avec les auteurs du désordre et de l’anarchie. Je dis donc que le procureur général était obligé de poursuivre ceux qui ont brûlé les barrières ; je dis que la perquisition du coupable et que la puni tion de ce crime public intéressent lacapitale, puisqu’elle paye 70 millions en impôts indirects. Il est donc impossible de couvrir du voile de l’impunité une insurrection criminelle. Vous pouvez faire grâce, mais empêcher la loi de prononcer une peine, ce serait un abus coupable. Or, ce n’est point une grâce, que l’on vous demande, c’est donc l’impunité que l’on vous propose de décréter, et vous ne le pouvez pas, vous ne le devez pas... Il n’est certainement ni dans l’intention, ni dans les principes de l’Assemblée, de prononcer un jugement d’impunité. Vous pouvez accorder une grâce, la solliciter. Mais dans ce moment, le coupable n’est pas convaincu ; le magistrat chargé du ministère public poursuit l’instruction du délit ; il remplit un devoir que vous devez protéger. — Je conclus, I Assemblée nationale. J ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [2 juillet 1790.1 607 et je demande que l’instruction soit poursuivie, en ordonnant toutefois que le jugement ne pourra être exécuté sans que préalablement l’Assemblée nationale n’en ait eu connaissance . M. Vernier. M. l’abbé Maury excelle dans l’art d’égarer l’opinion. Pour le moment je me borne à rappeler un arrêt de la cour des aides, rendu le 28 mai, qui assujettit les citoyens nouvellement enclos dans les barrières à payer le gros et le détail pour les vingtièmes. M. Poignot. L’opinant a été mal renseigné, car le fait qu’il avance est inexact. La cour des aides mérite au contraire toute confiance. La discussion est close et le décret suivant est rendu: «L’Assemblée nationale, ayant entendu son comité des rapports, décrète que la procédure criminelle commencée le 24 février dernier, sur la réquisition du procureur général de la cour des aides de Paris, concernant l’incendie des barrières, au mois de juillet 1789, et renvoyée à l’élection, demeurera comme non avenue; que défenses seront faites, tant à ladite cour des aides qu’aux officiers de l’élection, d’y donner aucune suite; que les personnes arrêtées ensuite des décrets rendus dans cette procédure, et non prévenues dans d’autres délits, seront mises en liberté, et que le président se retirera par devers le roi, pour supplier Sa Majesté de donner les ordres nécessaires pour l’exécution du présent décret. Les deux Fribourgeoisqui étaient retenus sur les galères de France et dont un décret de l’Assemblée a ordonné l’élargissement demandent à être reçus à la barre. Une opposition marquée à cette demande se manifeste. M. Robespierre demande la parole en faveur des Fribourgeois. M. l’abbé Millet obtient la parole et dit: Messieurs, il est inutile de vous représenter que les deux forçats qui demandent à être admis à la barre ne sont libres que par votre décret qui ordonne l’élargissement des forçats étrangers et que par conséquent ils sont sous le sceau du crime qui les a fait mettre aux galères. Mais ce qui n’est pas indifférent, c’est de vous faire observer que les ordonnances du roi, qui ne sont point annulées, défendent aux forçats sortis des galères d’approcher de la capitale et du lieu où réside Sa Majesté, à plus de dix lieues de distance; que par conséquent les forçats sont infracteurs de la loi ; je demande donc qu'ils ne soient point admis et qu’on passe à l’ordre du jour. Cette proposition est mise aux voix et pres-qu’unanimement adoptée. La séance est levée à dix heures du soir. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. LE PELLETIER. Séance du vendredi 2 juillet 1790 (1). La séance est ouverte à neuf heures du matin. (1) Cette séance est incomplète au Moniteur. M. Robespierre, secrétaire , présente une rédaction plus étendue du procès-verbal de la séance du mercredi 30 juin. M. Moreau réclame contre la teneur du second article additionnel (art. 24) relatif au traitement du clergé actuel qui ne rend pas axacte-ment l’intention de l’Assemblée. M. Chasset, rapporteur, dit que le rédacteur du procès-verbal s’est borné à transcrire le texte même de l’article tel qu’il a été décrété par l’Assemblée et qu’il n’y a pas lieu de le modifier. M. le Président met le procès-verbal aux voix. Il est adopté sans changement. M. l’abbé Mouglns de Roquefort propose, avant de passer à l’ordre du jour, d’ajouter à l’article 26 du décret sur le traitement du clergé actuel, une disposition particulière par laquelle tous procès actuellement existants relativement aux réparations à faire aux bâtiments ecclésiastiques seraient anéantis. M. Camus rappelle que l’Assemblée a décidé que tout article additionnel sur la matière serait renvoyé au comité ecclésiastique. Il demande, en conséquence, l’ordre du jour qui est prononcé. M. Populus, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la séance du jeudi matin 1er juillet. 11 est adopté. M. le Président. M. l’abbé Grégoire demande la parole pour une motion sur les lettres de cachet - (Mouvement de surprise.) M. l’abbé Grégoire. Je crois nécessaire de vous dénoncer des abus qui ne vous sont pas connus. Malgré vos soins il existe encore des Français embastillés, en pays étranger, en vertu d’ordres arbitraires émanés de l’ancien ministère français. Il y en a, dit-on, encore dans le Wurtemberg, à Sprandau, à Stettin, en Poméranie. J’ai une requête pour l’Assemblée, envoyée de cette dernière ville par un Français. Voici sa lettre, que je tiens; je vais vous en lire des passages. « . . . . ........ Je suis un homme timbré ou je ne le suis pas. Dans le premier cas, pourquoi me fait-on une pension dont je ne dois jouir que chez l’étranger? Pourquoi pas dans ma patrie? N’y a-t-on pas des petites maisons et des médecins assez habiles pour rétablir un cerveau dérangé? Si je ne le. suis pas, pourquoi m’éloigne-t-on de ma patrie ? Me défend-on d’écrire et de parler à qui que ce soit? Ou je suis un fourbe, un scélérat, qui s’est rendu coupable des plus grands crimes; ou je ne suis rien de tout cela. Dans le premier cas est-il naturel de faire une pension à un tel homme? Pourquoi ne pas le faire ramener en France pour le punir comme il le mérite et servir d’exemple? Dira-t-on que c’est pour ménager l’honneur de la famille? un fourbe, un imposteur ne déshonore jamais une famille dont il n’est pas, et en fût-il cent fois, les fautes sont personnelles. S’il n’est pas tel, pourquoi ne pas le laisser jouir des droits de l’homme ? O Sire I ô mes augustes compatriotes, serai-je donc le seul qui ne participera pas aux sacrifices que vous avez faits pour rendre vos sujets, vos compatriotes heureux! Non, sans doute, jugez-moi,