128 mars 1791.] |3 g [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. un projet de décret sur l’article qui fait actuellement Pobjet de la délibération, l’objet du rapport du comité et de son avis. Je ne sortirai point des bornes de la discussion; je ne rengagerai point la discussion. J’ai mon avis sur ce qui forme la matière de l’article 8 proposé par votre comité et, quoique je sois bien sur que mon avis ne sera pas suivi, j’ai le droit de le proposer. Voici donc mon projet de décret : « L’Assemblée nationale, ouï le rapport de son comité sur l’article 8 du projet de décret concernant la résidence des fonctionnaires publics, déclare et reconnaît que la personne sucrée du roi est exempte de toute juridiction et de toute peine, dans tous les cas et dans tous les temps, sans exception ; que nulle puissance, fût-elle fortifiée par la volonté même du roi, ne peut le déclarer justiciable, que tout acte de cette nature, qui dérogerait directement ou indirectement à ce principe fondamental de la Constitution et de la liberté française ( Rires à gauche.)... serait un crime et de la part de ceux qui l'auraient proposé et de la part de ceux qui l’auraient décrété. (Rires.) Plusieurs membres : Aux voix ! aux voix ! M. Duval d’Eprémcsnil. «... que toute supposition qui tendrait à provoquer... » Un membre : A Gharenton ! M. Duval d’Eprémcsnil. Il y a un vieux proverbe qui dit : Rira bien qui rira le dernier. (Rires.) Soyez conséquents à vos principes et souffrez que je le sois aux miens. Je continue mon projet : « Que toute supposition qui tendrait à provoquer la moindre peine sur la tète royale ne peut sortir que de la bouche d’un insensé ou d’un factieux. (Rires -prolongés,)... » M. Rewbell. Sans doute qu’on doit entendre les fous, puisqu’on entend monsieur dans l’Assemblée nationale. M. Duval d’Eprémesnil « ..... que tout projet de loi dans lequel sont appliquées à la personne du roi des expressions irrévérencieuses ou des dispositions pénales, est un manquement aux principes de la Constitution française, à ceux de la monarchie, aux vœux, aux ordres des commettants, à leurs plus chers intérêts, aux décrets même. » (Murmures) ..... Un membre : L’Assemblée se déshonore en écoutant de pareilles folies. M. Regnaud (de Saint-Jean-d'Angêly ,) Envoyez les huissiers le chasser de la tribune, monsieur le Président ! M. le Président. A moins que l’Assemblée ne l’ordouDe, je ne dois pas, monsieur, vous laisser la parole. (Applaudissements prolongés.) M. Duval-d’Eprémcsnïl. On ne peut refuser de m’écouter : « ..... L’Assemblée nationale déclare... » (Murmures.) M. Prieur. A l’Abbaye ! à l’Abbaye ! M. Chabroud. Nous ne sommes pas ici pour entendre des extravagances ; je demande l’ordre du jour. M. Foucault-Eardimalie. M. d’Eprémesnil a le droit de parler. Ce qu’il propose est très raisonnable et on doit l’adopter; le projet du comité est criminel. (Murmures à gauche.) M. Duval d’Eprémesnil. Voilà ma profession de foi ; vous n’en voulez pas. Je déclare à ceux qui ne l’approuvent pas que je proposerai à ceux qui l’approuvent de la signer. M. de Jessé. Je demande l’impression du décret de M. d’Eprémesnil et le renvoi au comité d'aliénation, (lires et applaudissements répétés.) M. de IKontlosiei». Je demande la question préalable sur l’article du comité. M. Démeunier. Et moi, le renvoi au comité. M. de Faucigny-Eueinge. Nous ne prenons pas part à cette délibération; nous nous retirons. Un membre à gauche : Bon voyage, Messieurs! Un grand nombre de membre de la droite sortent de la salle. (L’Assemblée, consultée, décrète qu’il y a lieu à délibérer sur l’article du comité et rejette, par la question préalable, la motion du renvoi de cet article au comité.) M. de Ea Rochefoucauld. Je suis entièrement de l’avis de l’article qui vous est proposé. Les principes ont été suffisamment discutés; il ne s’est établi de véritable discussion que sur le mode d’application. Je demande que l’article soit décrété et que le mode d’application soit renvoyé au comité. (L’Assemblée, consultée, décrété l’article 8 du projet du comité et charge son comité de Constitution de lui présenter incessamment un mode pour l’exécution de ce décret.) M. le Président lève la séance à quatre heures. PREMIÈRE ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU LUNDI 28 MARS 1791. OPINION de M. Malouet sur la loi de la résidence du roi et sur son abdication présumée. Je ne proteste point contre un décret, parce que cette forme blesse l’Assemblée nationale et que je ne veux point m’écarter du respect qui lui est dû, mais j’exprime mon opinion sur une loi parce que j’en ai le droit comme citoyen ; et je motive mon avis, parce qu’en ma qualité de membre du Corps législatif je veux qu’on ne puisse se méprendre sur les motifs qui me font approuver ou rejeter une loi. Le vœu le plus unanime et le plus solennellement prononcé par la nation est celui par lequel elle reconnaît un chef suprême dans la personne du roi régnant et de ses légitimes successeurs suivant l’ordre de primogéiuture dans la famille royale. [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [28 mars 1791.) 439 La Constitution a consacré ce vœu national et reconnu l’inviolabilité du roi. Ce principe fondamental une fois posé, la personne du monarque est, sous tous les rapports, hors de la ligne des autres citoyens. Inviolable comme la souveraineté, il en est le représentant perpétuel et inamovible ; toute dénomination commune aux officiers de l’Etat est inapplicable à celui qui est seul indépendant de toute juridiction, et à la dignité duquel nul autre ne peut être assimilé ; dépositaire de la force publique, il n en est responsable que dans la personne de ses agents ; gardien des lois, il doit les faire exécuter, mais elles ne peuvent l’atteindre quant aux peines qu’elles prononcent que dans la personne de ceux qui violeraient pour lui et en son nom ce dépôt sacré. Tel est donc le caractère éminent de la royauté, que placée au centre de toutes les fonctions pu bliques, elle n’appartient à aucune parce qu’elle e:t supérieure à toutes ; elle les dirige selon l’esprit des lois ; elle peut tout pour en empêcher la violation, car elle doit réuuir toutes les forces de Ja loi ; mais si le monarque veut en opérer le renversement, sa puissance, semblable aux flots de l’Océan, se brise sur le rivage contre la barrière de la responsabilité ; et la force publique, sans agir sur lui, réagissant sur elle-même, semble alors veiller autour du trône pour en écarter jusqu’au souffle impur qui pourrait en ternir l’éclat. Ainsi, dans un Etat libre et bien constitué, la majesté du trône rehausse la dignité et garantit ta liberté nationale, étroitement unies à l’indépendance de la Couronne. On ne peut placer le monarque au rang des fonctionnaires publics sans renverser toutes ces idées. On peut encore moins le soumettre à des peines éventuelles, puisqu’il est seul inviolable, puisqu’il ne peut, seul et sans le secours de ses agents responsables, porter aucune atteinte à la liberté publique. La loi proposée était inutile, car la tyrannie d’un prince ne se maintient que par la force, et ne peut être détruite que par la force. Elle était dangereuse; car la royauté étant nécessaire à un grand peuple pour le maintien même de sa liberté, il faut lui conserver religieusement, les formes les plus augustes, en écartant tous les moyens de tyrannie. Je n’ai donc pu donner inon suffrage à une loi qui m’a paru inutile et dangereuse. Et comme en ma qualité de représentant de la nation, il ne m’est pas permis d’aller au delà des droits et des pouvoirs qui m’ont été conférés, je ne me reconnais ni le droit, ni le pouvoir de détruire, dégrader ou altérer l’indépendance du monarque, étant seulement autorisé à régler l’exercice de son autorité dans les différents ministères, emplois et agences qui lui sont subordonnés. DEUXIÈME ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU LUNDI 28 MARS 1791, Compte rendu par une partie des membres de l’Assemblée nationale, sur le décret du 28 mars 1791. Nous, députés soussignés, considérant : 1° que le décret du 28 mars, portant ces mots : « Si le « roi sortait du royaume et si, après avoir été « invité par une proclamation du Corps législa-« tif, il ne rentrait pas en France, il serait censé « avoir abdiqué la couronne » renferme une disposition pénale destructive de l’inviolabilité de la personne du roi et de l’hérédité du trône : De l’inviolabilité, puisque prononcer une abdication présumée dans un cas prévu n’est autre chose que prononcer d’avance la peine de déchéance de la Couronne, rendre par conséquent justiciable le monarque qui ne peut, dans aucun cas, être soumis à aucune juridiction. En effet, annuler l’inviolabilité du roi dans un cas, c’est l’atténuer dans tous et préparer des moyens pour la détruire entièrement; De l’bérédité, puisque prononcer qu’il est des cas où celui qui est légitimement revêtu de la couronne par le droit de sa naissance, peut être contraint à l’abandonner, lui vivant, à son successeur, c’est intervertir l’ordre de la succession et s’exposer à avoiren même temps deux monarques, dont l’un serait roi par le droit de la naissance et l’autre en vertu de la peine prononcée par la loi contre son prédécesseur; 2° Que le droit de succession au trône par ordre de primogéniture est également attaqué de la manière la plus précise, par un autre décret en date du 29 mars, portant ces mots : « Dans le c même cas l’héritier présomptif et, s’il est mi-« neur, le parent majeur, premier appelé à l’exer-« cice de la régence, seront censés avoir renoncé « personnellement et sans retour, le premier à « la succession au trône et le second à la ré-« gence si, après avoir été pareillement invités « par une proclamation du Corps législatif, ils ne « rentrent pas en France » ; disposition qui, sous le nom d’une renonciation de l’héritier présomptif, prononce en effet contre lui une véritable exhérédation; Considérant que ces deux principes de l’inviolabilité de la personne du roi et de l’hérédité du trône sont la sauvegarde de la liberté et de la tranquillité publique : Celui de l’inviolabilité parce qu’il est seul capable d’assurer la liberté des fonctions et l’indépendance du monarque représentant héréditaire de la nation, qui, soumis à la loi, ne peut l’être à l’autorité de représentants momentanés, ni à aucune autre, sans qu’il en résulte une confusion de pouvoirs destructive de tout ordre et de toute liberté ; Celui de l’hérédité, parce que, en réglant d’une manière invariable, et par l’ordre de la nature, qu’aucune circonstance ne peut changer, celui de la succession au trône, il peut seul ôter toute espérance aux chefs de parti et tout prétexte aux factieux ; Considérant que ces deux principes tiennent à l’essence de la monarchie française comme de toute monarchie héréditaire.