41 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 juillet 1790.] léthargie, et réclameraient les droits de l’homme avec une voix que les hommes ne pourraient pas étouffer; nous avons cru que le luxe et la passion de dominer perdraient leurs charmes illusoires; que ces chefs, ces rois, ces dieux de la terre renonceraient aux distinctions idolâtres qu’on leur prodiguait, pour se confondre avec leurs concitoyens, et se réjouir de leur bonheur; nous avons cru que la religion se dépouillerait de ses terreurs empruntées, et qu’elle rejetterait les armes meurtrières de l’intolérance et du fanatisme, pour prendre le sceptre de la paix. Ces événements s’accélèrent aujourd’hui d’une manière étonnante, et nous éprouvons une joie indicible, et jusqu’à présent inconnue, de nous trouver devant cette vénérable assemblée de héros de l’humanité, qui, avec tant de succès, ont combattu dans le champ de la vérité et de la vertu. Puissent les douces émotions d’une conscience satisfaite, et les bénédictions d’un peuple heureux et reconnaissant, être le prix de vos généreux efforts! Puisse le roi patriote, qui a si noblement sacrifié avec vous sur l’autel de la patrie, en partager amplement le fruit 1 Le monarque, qui, en commençant sa carrière, a répandu ses bienfaits sur des régions éloignées, était bien digne d’échanger l’éclat séduisant du pouvoir arbitraire contre l’amour et la gratitude de ses concitoyens. Dans la France régénérée, l’on peut bien l’appeler le premier roi des Français ; mais, dans le langage de l’univers, il sera le premier roi des hommes. Nous n’avons plus qu’un voeu à former : c’est que vous vouliez bien, Messieurs, nous accorder l’honneur d’assister à l’auguste cérémonie qui doit assurer, pour toujours, le bonheur de la France. Lorsque les Français combattaient et versaient leur sang avec nous sous l’étendard de la liberté, ils nous apprirent à les aimer. Aujourd’hui que l’établissement des mêmes principes nous rapprochent davantage, et resserre nos liens, nous ne trouvons plus dans nos cœurs que les doux sentiments de frères et de concitoyens. C’est au pied de ce même autel où les représentants et les soldats citoyens d’un vaste et puissant Empire prononceront le serment de fidélité à la nation, à la loi et au roi, que nous jurerons une amitié éternelle aux Français ; oui, à tous les Français fidèles aux principes que vous avez' consacrés ; car , comme vous, Messieurs, nous chérissons la liber té ; comme vous, nous aimons la paix. Et ont signé : G. Howell, James Sevan, Joël Barlont, F.-L. Tancy, Alex. Contec, Benjamin Jarvis, W.-H. Vernon, Tho. Appliton, N. Harrison, Jh. Anderson. Samuel Blachden, Paul Jones. M. le Président répond : Messieurs, c’est en vous aidant à conquérir la liberté, que les Français ont appris à la connaître et à l’aimer. Les maius qui allèrent briser vos fers, n’étaient pas faites pour en porter : mais plus heureux que vous, Messieurs, c’est notre roi lui-même, c’est un roi patriote et citoyen qui nous a appelés au bonheur dont nous jouissons, à ce bonheur qui ne nous a coûté que des sacrifices, et que vous avez payés par des flots de sang. Deux sentiers différents nous ont conduits au même terme : le courage a rompu vos chaînes ; la raison a fait tomber les nôtres. Par vous la liberté a fondé son empire dans l’Occident; mais dans l’Orient aussi elle compte des sujets, et son trône aujourd’hui s’appuie sur les deux mondes. L’Assemblée nationale reçoit avec une douce satisfaction l’hommage fraternel que viennent lui rendre les citoyens des Etats-Unis de l’Amérique, qui se trouvent près d’elle. Que ceux-là appellent encore leurs frères! Que les Américains et les Français ne fassent plus qu’un peuple : réunis de cœur, réunis de principes, l’Assemblée nationale les verra encore avec plaisir réunis à cette fête nationale qui va donner un spectacle, inconnu jusqu’ici dans l’univers. L’Assemblée nationale vous offre les honneurs de sa séance. M. Robespierre. J’oserai vous faire une proposition déjà devancée par l’impression profonde qu’ont dû. laisser le discours des députés de l’Amérique (IL s'élève des murmures ), de la députation des Etats-Unis (Nouveaux murmures), des citoyens américains, et la réponse de M. le président. Vous avez souvent entendu vos concitoyens parler le langage de la liberté; mais aucun d’eux ne s’est exprimé avec plus de noblesse et d’énergie; l’Assemblée a entendu. . . Je demande, au nom des personnes qu’elle vient d’entendre... (Des murmures interrompent l'opinant), je demande plutôt aux personnes qui m’ont interrompu, qu’elles ne démentent pas, en étouffant la voix d’un membre qui veut parler le langage de la liberté, l’admiration que l’Assemblée a méritée ; c’est ce sentiment qui m’inspire la hardiesse, bien pardonnable à un de vos membres, de penser que je pourrais librement rendre un hommage sincère. (L'impatience de l' Assemblée se manifeste par de nouveaux murmures.) Si, au milieu des circonstances dont vous êtes témoins, je persiste dans la résolution de dire quelques mots... ce n’est pas par un autre motif que de convaincre tous ceux qui sont présents à votre délibération, qu’il n’est interdit à aucun membre d’exercer ce droit de suffrage, caractère essentiel de la liberté, dans une assemblée délibérante, et je ne m’écartais ni de ce principe, ni de ce sentiment, lorsque je voulais vous proposer, le premier, de donner aux citoyens que vous venez d’entendre une marque de considération digne de vous, digne d’eux. (Après quelques phrases que des interruptions fréquentent ne permettent pas à l’opinant d’achever, M. Robespierre propose d’ordonner l’impression du discours des citoyens des Etats-Unis d’Amérique, ainsi que de la réponse de M. le président, et d’accorder à ces citoyens la place qu’ils sollicitent à la cérémonie de la confédération.) M. l’abbé llaury demande l’impression du discours de M. Robespierre. L’Assemblée décrète l’impression du discours de la députation et de la réponse de M. le président. On observe que la demande d’une place à la confédération est déjà accordée par un décret rendu à la séance du matin. On introduit une députation de la congrégation de l'Oratoire , qui dit (1): Messieurs, il eût été flatteur pour notre supérieur général , d’être lui-même auprès de cette auguste Assemblée l’interprête de ses propres sentiments et de ceux de notre congrégation. C’eût été le plus beau jour de sa longue vie. Vous l’excuserez, Messieurs, sur son grand âge et les infirmités qui l’accompagnent, et vous nous permettrez de parler en sou nom et en celui de tous nos confrères. (1) Le discours prononcé par la députation de l’Oratoire n’a pas été inséré au Moniteur. {Assemblé* ARCHIVES PAftILEMEWTÀlBES. [jû juillet 1790.] ta congrégation de l’Oratoire fut regardée dans tons les temps comme congrégation purement française et vraiment nationale. Que né m’est-il permis d’en prendre à témoin plusieurs des honorables membres qui composent cette Assemblée? ils furent l’objet de notre tendresse, ils sont aujourd’hui notre gloire. Et vous, Messieurs, qui partageâtes avec nous de tendres sollicitudes, vous préludiez au bonheur public, en développant dans le cœur de vos jeunes élèves le germe précieux des sciences et des vertus. Toujours animés de sentiments patriotiques, consacrés, par état et par un choix libre, à des travaux utiles à la nation, nous venons renouveler entre les mains de ses augustes représentants, le dévouement le plus inviolable et la soumission la plus entière à vos décrets ; daignez, Messieurs, en recevoir l’hommage. Depuis longtemps nous étions jaloux de consacrer l’époque de la liberté française, par les preuves les moins équivoques de notre zèle. Il existe entre nos mains un dépôt sacré, l’éducation si chère à yos cœurs, les enfants de l’Etat. La plus douce satisfaction que nous puissions recevoir, c’est, Messieurs, que vous ne nous jugiez pas indignes de servir la patrie, en ne cessant de nous livrer à des fonctions si importantes et qui nous honorent. M . le Président répond : Messieurs, la liberté est l’essence de notre constitution, elle l’est aussi de vos statuts. Votre congrégation est depuis longtemps célèbre par ses lumières, utile par ses travaux, respectable par ses vertus. Depuis longtemps elle préside avec succès à nos meilleurs établissements d’éducation publique. Elle a bien mérité de la patrie. Mais, si je lui rends ce témoignage au nom de l’Assemblée nationale , si je récompense aussi glorieusement son zèle et son patriotisme, me sera-t-il permis de me séparer un moment de mes fonctions publiques, et de payer un tribut d’amour et de reconnaissance à ceux qui, dans les premières années de ma vie, employèrent des soins si tendres à former mon cœur et mou esprit, à ceux sans qui je n’eusse jamais été digne de qa’ asseoir parmi les représentants de la nation? Plusieurs de mes collègues qui ont reçu les mêmes bienfaits, partagent, je le vois, l’émotion de mon cœur, et sont prêts à mêler leur voix à la mienne. Je m’estime heureux s’ils m’ont avoué pour leur interprète. L’Assemblée nationale vous permet, Messieurs, d’assister à sa séance. Une députation du régiment de Flandre est admise à la barre et dit : Nous sommes des soldats, nous ne savons pas faire de discours, mais nous savons combattre et sacrifier jusqu’à notre nécessaire pour venir au secours de l’Etat. Les officiers, bas -officiers et soldats du régiment de Flandre vous prient d’accepter leur don patriotique. M, le Président répond : Messieurs, le courage et la générosité sont les éternels attributs de l’armée française et l’Assemblée nationale ne peut être étonnée, ni de votre patriotisme, ni de votre désintéressement. Elle en reçoit l’hommage avec satisfaction et vous permet d’assister à sa séance, Jlf. le général FucJmer est admis à la barre et dit (1 ) : Messieurs, éloigné de la nation qui m’avait adopté, je dévorais dans la solitude le dépit, et, en quelque sorte, l’humiliation de ne pouvoir m’acquitter envers ma bienfaitrice. Je devais finir ma carrière dans le calme et dans l’obscurité; mais tout à coup la voix d’un peuple libre a frappé mon oreille ; et dans le même temps que le bruit de sa sagesse et de ses vertus entraînait mon admiration, j’en recevais l’honorable témoignage de souvenir et d’estime qui commande à jamais toute ma reconnaissance. Je suis accouru et j’ai dit : Gette nation généreuse qui n’a point oublié mon zèle recevra peut-être avec quelque indulgence l’hommage libre et pur d’un enfant de la guerre et de la fortune, qui, sous l’âpre et sauvage écorce d’une éducation formée dans les camps, porte une âme sensible aux bienfaits, la franchise d’un soldat, le dévouement d’un citoyen et l’obéissance d’un sujet fidèle. Messieurs, deux souhaits renferment toute l ambition du reste de ma vie. Citoyen d’une nation qui daigne me compter au nombre de ses enfants, qu’il me soit permis de m’associer à leur fédération auguste et de jurer avec eux de vivre et de mourir pour le maintien des lois de notre commune patrie; et si l’ange qui veille sur les destinées de cet Empire, souffrait jamais que les horreurs de la guerre en troublassent le repos, qu’alors, au rang des guerriers consacrés à le défendre, je puisse payer à l’Etat le tribut de ma juste gratitude, en versant les dernières gouttes de ce sang qu’on a dit glacé, mais dont je saurai prouver et la chaleur et l’énergie, si jamais mon bonheur me fournit l’inappréciable avantage de le voir couler pour la France et pour son roi, Signé : LüCKNER, (Ce discours est suivi d’unanimes applaudissements.) M. le Président répond : Monsieur, l’Assemblée nationale, en s’occupant des diverses parties de la défense publique, a dû porter sur chacune d’elles les regards de l’économie la plus sévère ; mais forcée de résister habituellement aux mouvements de la générosité française, avec quelle joie n’a-t-elle pas saisi les occasions qui lui ont permis de s’y livrer. Yos talents, Monsieur, sollicitaient pour vous une exception honorable. La France qui avait appris à vous distinguer parmi ses ennemis, a désiré vous avoir pour citoyen, et vous avez parfaitement justifié son adoption ; vous la justifieriez mieux encore, s’il se présentait pour vous de nouvelles occasions de vaincre ; et l’Assemblée nationale, en confirmant la munificence du roi, croit n’avoir écouté que les intérêts bien entendus d’un peuple qui aime à faire des vœux pour vos succès. L’Assemblée nationale vous permet, Monsieur, d’assister à sa séance. Plusieurs membres demandent que les discours de l’Oratoire et du général Luckner, avec les réponses du Président, soient imprimés, Gette impression est ordonnée. Les habitants de la paroisse de Mennecy font un don patriotique de 420 livres 10 sois. (1) Le discours de M. le général Luckner est inexac-i tement reproduit au Moniteur .