[19 septembre 1789»] [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES* nous serons privés de la prérogative la plus précieuse, du droit de cité ! Exclus du Corps législatif, nous serions encore exilés dans notre .propre patrie! Nous qui réclamerions, s’il était possible, un droit plus particulier de chérir, de défendre, de servir la constitution que nous aurons fondée, nous n’aurions pas même l’honneur de pouvoir désigner des sujets plus dignes que. nous de la confiance publique. Nous perdrions enfin le droit qu’un citoyen ne peut jamais perdre, sans que la liberté de la nation soit violée, celui de participer à la représentation, d’être électeur ou éligible. M. de Airieu fait sentir la nécessité de s’occuper de l’organisation des pouvoirs, réclame la priorité pour le rapport du comité de constitution, et demande qu’on revienne incessamment à la dernière question de M. Guillotin sur la sanction royale. M. le duc d’ Aiguillon répète la motion qu’il a déjà faite, et prie M. le président de la mettre aux voix. M. Target appuie cette motion : « L’Assemblée décide â l’unanimité qu’il y aura deux jours par semaine consacrés aux finances. Ces deux jours seront le vendredi et le samedi. » « L’Assemblée décide encore que Pavant-veille du jour où le comité des finances fera un rapport, son travail sera imprimé et distribué dans tous les bureaux. » M. de Laborde propose de faire imprimer et distribuer les états des finances du royaume et les états particuliers des départements. (Cette proposition est universellement adoptée.) M. le Président. Le Roi m’a dit: « B.evenez demain soir, et je vous donnerai une réponse aux demandes de l’Assemblée nationale. » M. le garde des sceaux, qui était alors chez le Roi, ayant demandé à Sa Majesté si je pouvais assurer l’Assemblée nationale de ses dispositions favorables, Sa Majesté à répondu avec bonté : « Ah! oui, toujours. » La séance est levée et convoquée pour ce soir sept heures et demie. ANNEXE à la séance du matin de V Assemblée nationale du 19 septembre 1789. Nota. M. le marquis de Gouy-d’Arsy ayant fait imprimer et distribuer un mémoire destiné à servir de complément à son discours sur l’état des finances, nous croyons devoir insérer ce document dans les Archives parlementaires. MOYENS PROPOSÉS A L’ASSEMBLÉE NATIONALE PAR M. LE MARQUIS de Gouy-d’Arsy, pour PRÉVENIR LA BANQUEROUTE JOE L’ETAT (1). Observations préliminaires. Le 7 du mois d’août dernier, les ministres du (1) Ce mémoire , composé rapidement, était destiné à être lu à l’Assemblée nationale, le samedi 19 du mois 41 Roi, envoyés vers l’Assemblée nationale, pour déposer dans son sein les inquiétudes dont le cœur paternel de Sa Majesté était agité, ont dit : Le temps est venu , Messieurs , où une impérieuse nécessité semble vous commander ..... ..... Les conséquences du malheureux état des affaires peuvent être telles, qu’il devienne au-dessus de votre zèle et de vos moyens de prévenir le plus grand désordre , et dans les finances, et dans toutes les fortunes. Vous sentirez la nécessité d’examiner, SANS UN MOMENT DE RETARD, l’état des secours indispensables pour empêcher UNE SUSPENSION DE PAYEMENTS. ... .................... Il faut prévenir une confusion générale ..... Il ne faut pas que les matériaux du bâtiment soient dispersés ou anéantis , pendant que les plus habiles architectes en composent le dessin ..... RÉUNISSONS-NOUS POUR SAUVER L’ETAT ..... . Le mal est si grand que chacun est malheureusement à portée de l’ apprécier. Le même jour, 7 avril dernier, un des orateurs de l’auguste Assemblée, effrayé de l’abîme entr’ou-vert par le désordre des finances, a réclamé des secours prompts et efficaces contre le vœu de la plupart clés cahiers, sous peine , disait-il, de n’avoir plus a faire une constitution et des lois que pour un État QUI N’EXISTERAIT PLUS. Ges terribles vérités si pressantes, il y a deux mois, subsistent aujourd’hui avec bien plus d’empire encore; la plaie s’invétère et s’agrandit : le mal préexistant s’est accru de tout l’équivalent des charges des mois d’août et de septembre; il s’est accru surtout par l’absolu non succès d’un premier emprunt de 30 millions, par l’incertitude encore subsistante du sort d’un second emprunt de 80 millions et enfin par la présence imminente des charges ultérieures à celles qui ont déterminé le décret de ces deux emprunts. En vain chercherait-on à se dissimuler l’étendue du mal ; il est certain que le Trésor public est sans argent comme sans crédit; que la banqueroute, repoussée avec tant d’horreur par les décrets de l’Assemblée nationale , est au moment d’éclater. Or, si l’on veut, en mettant à part le sort des créanciers prêteurs, se représenter pour un jour seulement tous les fournisseurs et tous les agents du pouvoir exécutif sans remboursement et sans salaire , l’armée entière sans solde et sans pain , ne frémit-on pas de penser que quinze jours de septembre courant, à la suite de l’opinion que j’avais entamée sur la situation funeste de nos finances. Si l’on m’avait fait la grâce de m’écouter jusqu’au bout, si quelques personnes , sans doute plus instruites que moi, n’avaient officieusement imposé silence à mon zèle, l’effroi nécessaire qu’aurait causé le début de mon discours, aurait sans doute cédé peu à peu au développement des moyens consolateurs présentés dans cet écrit, et, je ne sais si je me trompe, mais il me semble qu’offrir de telles ressources à un empire sur le bord du précipice, c’est le servir tout autrement que de fasciner, d’une main sacrilège, les yeux de ses modérateurs, ou de les laisser , par un ménagement coupable, ignorer jusqu’à l’abîme qui s’ouvre sous leurs pas.. Frappé des vérités que je viens d’établir, on aurait trouvé peut-être quelque justesse dans des conclusions qui tendaient à supplier l’Assemblée nationale de suspendre momentanément le travail de la constitution elle-même, pour s’occuper uniquement, pendant quelques jours , de la situation des finances, à laquelle est attaché bien certainement aujourd’hui, quoiqu’on en dise, la perte ou le salut de l’Etat (Note de M. de Gouy-d’Arsy). ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 48 [Assemblée nationale.] encore de sommeil et d’inaction peuvent nous conduire à ce point redoutable, où chacun des habitants de ce vaste empire ne connaîtra plus d’autre loi que celle du besoin, d’autre maître que la nécessité. Dans un tel état de crise et d’alarmes, qu’il était salutaire de révéler et qu’il eût été coupable de taire , ce n’est pas en ouvrant des emprunts, quand même on aurait l’espoir de les remplir, qu’on peut prévenir la confusion générale : il faut aller à la source du désordre, reprendre en sous-œuvre l’édifice qui s’écroule, et employer à consolider ses fondations le temps qu’on perdrait à en réparer les surfaces. Le plan dont je vais offrir le développement, et pour lequel je sollicite instamment l’attention de mes collègues, est le résultat d’un travail réfléchi. J’ai recherché les causes de nos maux, j’ai tâché de sonder profondément les plaies de l’Etat, et cet examen m’a conduit naturellement à la connaissance et à l’indication des moyens lucratifs que je soumets à la sagesse et aux lumières de l’Assemblée nationale. Exposition et développement du plan. En faisant abstraction pour le moment des non-valeurs occasionnées par les circonstances actuelles dans la perception des impôts, et en se livrant au contraire à l’espoir de voir nécessairement la force publique rétablie et avec elle le payement exact des contributions légitimes, trois grands malheurs en finance affligent aujourd’hui le royaume : 1° Une dette immense et sans proportion avec la somme des contributions ordinaires ; 2° La disparition de presque tout le numéraire effectif nécessaire à la circulation dans la capitale et les provinces; 3° L’absence de tout autre moyen de circulation équivalant au service des espèces, et nécessaires cependant à l’aisance et à l’économie de toutes les opérations dans un royaume où , indépendamment du commerce intérieur, la masse énorme de la dette publique d’une part, et la somme immense des contributions d'autre part, établissent entre toutes les parties de l’empire une correspondance perpétuelle de recettes et de payements respectifs, et exigent que les moyens d’acquittement soient prompts et multipliés. La présence de ces trois fléaux a multiplié les recherches sur les moyens de les détruire. En parcourant les différentes ressources indiquées isolément par divers observateurs , j’en ai distingué trois dont l’emploi et surtout la sage combinaison me semblent devoir assurer le salut de la chose publique et dont je pense que l’Assemblée nationale ne saurait trop tôt décréter l’usage. g. 1. Du fardeau de la dette publique et du déficit qui en résulte. Sans examiner ici si cette dette immense a son principe dans les emprunts successifs, multipliés à l’excès depuis dix à douze ans, il est au moins certain que ce n’est pas par de nouveaux emprunts qu’on parviendra à combler le déficit ; ces soulagements momentanés peuvent faire une illusion passagère , mais ils aggravent le mal même qu’ils pallient : chaque emprunt approfondit l’abîme ouvert par les précédents, et la dette nouvelle étant presque toujours plus chère que la dette [19 septembre 1789.] ancienne qu’elle sert à éteindre, au vide existant qui se comble, succède un vide plus grand encore a remplir. Voilà l’image et l’effet des emprunts pour la fortune publique comme pour celle des particuliers; le crédit vraiment dangereux par sa nature n’est utile que selon l’usage qu’on en fait ; employé comme intermédiaire entre des besoins réels et pressants et des ressources éloignées mais certaines, il est précieux et salutaire; mais si on le met en œuvre au hasard et pour ainsi dire à vide, sans nul équivalent probable aux échéances, plus funeste alors que propice, il prépare infailliblement la ruine de ceux dont il a pour un moment satisfait les aveugles besoins. Si, en empruntant aujourd’hui pour faire face à l’excédant des dépenses aux recettes du royaume, on avait la certitude, ou seulement l’espoir de trouver dans l’augmentation, ou dans la meilleure répartition des charges publiques, de quoi rétablir d’abord le niveau, et de quoi rembourser ensuite les sommes prêtées, en ce cas sans doute une opération de crédit serait convenable ; encore faudrait-il, avant de l’employer, annoncer, manifester les ressources positives qu’on espère, déterminer le temps nécessaire pour les réaliser et régler sur la somme des besoins à remplir dans l’intervalle la mesure de l’emprunt proposé; mais recourir au crédit sans connaître ni le terme des besoins, ni les moyens de remboursement ; ne s’occuper que des payements échus ou prêts à échoir ; pourvoir par des emprunts insuffisants et renaissants sans cesse à la disette du jour sans se préserver de celle du lendemain et rester ainsi toujours à la veille de la banqueroute et de la dissolution, cette conduite serait plutôt celle de dissipateurs sans expérience que celle de sages modérateurs d’un empire. Sans avoir encore sur la situation des finances de ce royaume les notions précises et mathématiques qu’une longue et soigneuse vérification peut seule procurer, il est cependant des points généraux qui sont suffisamment démontrés et d’après lesquels l’Assemblée nationale peut régler sa marche et ses décrets. 1° A l’ouverture de cette Assemblée les dépenses ordinaires du royaume excédaient les recettes ordinaires d’environ 56 millions. 2° Les payements arriérés suspendus ou prêts à échoir s’élèvent à plus de 500 millions, et ce n’est cependant là qu’une faible portion des capitaux qui entrent dans la formation de la dette publique. 3° Ce double déficit, dont l’un arrête le payement des rentes et le service de toutes les parties de l’administration, et l’autre suspend le remboursement des capitaux, s’accroîtra encore par les non-perceptions de l’année courante. 4° Pressée par les besoins d’août et de septembre, l’Assemblée nationale a décrété, il y a six semaines, un emprunt de 30 millions ; il a été sans succès. On a attribué sa mauvaise fortune à son informe organisation et à la médiocrité du taux de l’intérêt ; on lui en a substitué un nouveau plus séduisant par ses formes et par ses avantages ; ce second emprunt n’a guère plus de succès que le premier parce que, encore une fois, la confiance éteinte ne se ranime que par des emprunts, et qu’à côté des promesses aussi inviolables sans doute que solennelles faites par l’Assemblée nationale aux créanciers de l’Etat, il n’existe encore aucun moyen réel et positif pour commencer à les satisfaire. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [19 septembre 1789.] 49 Moyens de pourvoir au déficit. Ce sera sans doute consacrer le vœu de la nation entière que de lui commander les sacrifices nécessaires à sa prompte libération, et on verra tous les Français apporter à l’envi dans le Trésor public, à titre de taxe patriotique et extraordinaire, le centième, le soixante-quinzième, s’il le faut ou même le cinquantième de leur fortune, si l’Assemblée nationale en décrète la contribution. Le produit de cette taxe suffira pour éteindre absolument la portion la plus dure de la dette publique, c’est-à-dire tout ce qui est arriéré, suspendu ou prêt à échoir, et son mode peut être tel que, sans affliger ni l’industrie ni la médiocrité, elle soit supportée, sans effort par les citoyens avisés dont on facilitera les payements. Les aperçus généraux qu’ont pu procurer toutes les recherches faites jusqu’à présent sur la valeur des biens du royaume ne permettent pas de douter que le centième denier de toutes les fortunes doive produire une somme immense; et si le cinquantième denier a produit en Hollande 450 millions en 1748, ce n’est pas se faire illusion que d’espérer le même résultat du centième denier perçu en France en 1790; mais enfin comme il est possible, d’après les moyens auxiliaires dont on va offrir le tableau, de suspendre encore jusqu’à de nouveaux éclaircissements non pas le décret de la taxe mais la fixation de sa quotité, si le centième denier ne suffisait pas à la libération proposée, l’Assemblée nationale pourrait dans un délai convenu fixer à un et demi au lieu d’un pour cent, le sacrifice des contribuables et observer, dans cette fixation, des différences équitables entre le propriétaire d’immeubles et le capitaliste. g II. De la disparition du numéraire et des moyens de le rappeler à la circulation. Après avoir diminué réellement, par la taxe patriotique ou don gratuit, le fardeau de la dette publique et rendu, par conséquent, bien plus facile le grand travail des proportions à établir entre les charges et les revenus de l’Etat, il faudrait à l’instant même s’occuper de rendre à la circulation le numéraire dont elle est actuellement privée soit par les émigrants, soit par les thésau-riseurs; c’est la seconde partie de la tâche que je me suis imposée et c’est pour la remplir que 'je propose les moyens suivants contre l’un des trois . maux qui affligent les finances. Il existe en France, outre le numéraire monnayé, une quantité considérable d’argent en vaisselle, dont la possession plus superflue que jamais, dans les circonstances actuelles, serait facilement abandonnée et dont on peut faire un bien meilleur emploi pour la chose publique comme pour l’intérêt des personnes. Deux points essentiels paraissent bien constants, savoir que la somme de la vaisselle est immense et que la majeure partie est inutile, il suffira d’ouvrir à cet objet de luxe un débouché commode, lucratif et même honorable pour s’assurer de la prompte conversion en espèces d’une masse énorme d’argenterie, et s’il est quelque chose de douteux dans le plan projeté, c’est de pouvoir satisfaire tous ceux qui voudront en profiter. Nous disons d’abord que la somme de la vaisselle est immense, et quoiqu’on puisse taxer d’arbitraire lre Série, T. IX. toute évaluation sur ce point, cependant si je compare ce que chaque particulier possède constamment en argenterie avec ce qu’il garde ordinairement chez lui en espèces; si je calcule la quantité des matières qui se consomment chaque année et qui sont exclusivement destinées à la fabrication de la vaisselle, je suis sinon forcé de convenir, au moins disposé à penser que la masse d’argent convertie en nature de vaisselle, est égale et peut-être supérieure à celle de l’argent monnayé. Nous disons ensuite que la majeure partie de la vaisselle est inutile : cette assertion, déjà justifiée par les ressources immenses que le luxe subit dans l’ordre actuel des choses, trouvera bien moins de contradicteurs encore à l’ouverture d’une opération politique qui, favorisant une ho-norableœconomie, substituera l’éclat du patriotisme à celui de la richesse, et fera céder à l’amour-propre du citoyen la vanité de l’homme opulent. Le premier titre de recommandation de cette sorte d’appel à un sacrifice imaginaire sera dans l’exemple que vient de donner le souverain, et dans l’adhésion de tous ceux qui, se trouvant placés, par leur rang ou par leur fortune, dans l’ordre supérieur de la société, règlent toujours la marche commune ; bientôt ils auront obtenu autant d’imitateurs, dans l’abjuration commode et facile d’une inutile ostentation, qu’ils avaient eu de rivaux dans l’étalage d’un faste pénible et ruineux. Il parait donc infaillible que provoqués, par un avantage quelconque, à réaliser leur vaisselle, tous les propriétaires accourraient à l’envi. et que les plus diligents seulement pourraient être satisfaits. Il est cependant nécessaire de restreindre, dans les bornes posées par les besoins de l’État, la faveur offerte à cet égard, et comme l’État aura suffisamment acquis, en obtenant, pour le livrer à la circulation, un nouveau numéraire de 400 millions, c’est jusqu’à concurrence de cette valeur que le prix en sera réglé, pour les propriétaires sur le pied avantageux dont on va parler. Ici se présente naturellement le troisième moyen que j’ai indiqué, celui de rétablir dès à présent par un procédé* équivalant au service des espèces, l’aisance et l’économie dans toutes les opérations. g III. De l’établissement d’un moyen de circulation équivalent au service des espèces. Nous avons donné l’idée du moindre produit à espérer du don gratuit du centième denier sur les fortunes du royaume et c’est être resté au-dessous du probable, que de l’avoir porté à environ 500 millions ; mais à côté de cette vérité, il en est une autre non moins digne d’attention : c’est qu’indépendamment des précautions à prendre pour éviter dans la perception de celte taxe l’arbitraire, la fraude et l’inquisition, Userait impossible d’en réaliser le produit avec facilité et promptitude dans un moment de gêne universelle où chaque fortune particulière vient comme la fortune publique, de recevoir une atteinte plus ou moins forte. Vouloir faire payer tout le monde à la fois quand les ressources manquent partout serait une absurdité : de là la nécessité de diviser et de porter à des époques convenables le terme de l’acquittement du don gratuit ; de là aussi la nécessité de suppléer à l’inconvénient de ce retard par la présence d’une ressource équivalente au fond et dans la forme à la possession et au service des espèces. 4 50 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [I? septembre 1789.] Le Trésor public, certain derecevoir,dansla révolution de quajpe ans par exemple, une somme de 500 millions par le versement du don gratuit, pourrait dès à présent, pour sa propre libération et pour l’aisance des opérations de tout le royaume, réaliser par un signe quelconque revêtu de la sanction nationale, cette richesse positive, mais future, et livrer à la circulation des mandats faisant fonction d’espèces, jusqu’à la concurrence de 400 millions à prendre sur la caisse du don gratuit . Ces 400 millions divisés par mandats de 1,200 livres, 600 livres, 300 livres, ou de telle autre somme suivant le plan qui sera donné, porteraient intérêt à 4 0/0 l’an, dont 3 0/0 fixes et 1 0/0 éventuel, et seraient délivrés par préférence d’ici au premier janvier prochain, à ceux qui apporteraient de la vaisselle d’argent, sur un pied supérieur au prix courant de 4 francs par marc; et, passé cette époque, le Trésor public disposerait de ces mandats et les distribuerait à son gré soit contre espèces, soit en payement d’objets échus. Ces mandats seraient admis comme espèces dans toutes les caisses publiques et dans tous payements quelconques soit à Paris, soit dans les provinces. Ils seraient remboursables successivement et par voie du sort dans les quatre années ui seraient données pour terme au payement du on gratuit. Pour la plus parfaite intelligence du plan que je viens d’exposer, je tracerai séparément le projet ou décret qui en statuera l’exécution et ce projet indiquera : 1° Les principales conditions qui doivent servir de base à l’établissement du don gratuit et au mode de sa perception. 2° Le délai pendant lequel on sera admis à la conversion de sa vaisselle en espèces, sur lepied ci-dessus fixé, et jusqu’à concurrence de quelle somme. 3° La forme des mandats sur la caisse du don gratuit, l’époque et les conditions de leur délivrance, celles du payement de leur intérêt, tant fixé qu’éventuel, et de leur extinction en capital. Ces trois procédés une fois déduits, pour se convaincre encore mieux de leur utilité réciproque et des avantages de leur emploi bien combinés, il faut parcourir et analyser les objections et les inconvénients dont chacun d’eux peut être isolément susceptible, et on reconnaîtra que toutes ces objections, tous ces inconvénients disparaissent par le secours mutuel qu’ils se prêtent. Cette considération bien importante à saisir déterminera à adopter en entier et à la fois ces trois opérations distinctes par leur nature, mais dont le rapport respectif est tel que le renvoi ou le rejet d’une des trois peut faire échouer les deux autres. En effet le don gratuit, �solitairement présenté, sera regardé comme insuffsant par tous ceux qui, comparant avec raison l’urgence des besoins actuels avec la lenteur inévitable d’un semblable recouvrement, trouvent que la perception de cette ressource future n’offre qu’un frivole et stérile espoir à côté du malheur imminent de la suspension et de la confusion universelle ; mais cette suspension n’aura pas lieu quand, après avoir assuré l’existence et la quotité de la ressource positive du don gratuit, on le réalisera d’avance dans les mains des créanciers de l’Etat et dans la circulation elle-même par des mandats sur le sort desquels la critique essayerait en vain d’alarmer la confiance', puisque réunissant tous les avantages du numéraire effectif , ils n’ont aucun des inconvénients qui font redouter la présence de tout papier déclaré monnaie. Le légitime effroi qui accompagne la création d’un semblable papier a sa source dans les trois motifs suivants : C’est que la volonté qui lui a donné l’être peut le multiplier à l’infini. C’est que loin d’être le signe d’aucune valeur réelle il est au contraire celui de Y absence de toutes les valeurs. C’est qu’ enfin, sans terme à son remboursement comme sans règle à sa quotité, l’échéance arbitraire fixée pour son extinction n’est jamais garantie par un gage positif, par un équivalent palpable. Or il est suffisamment démontré : 1° Que les mandats délivrés sous la sauvegarde de l’Assemblée nationale n’excéderont jamais les limites qu’elle aura fixées ; 2° Que le produit du don gratuit étant certain, le porteur des mandats donnés sur-à-produit est vraiment saisi d'avance par leur simple possession de la valeur réelle dont ces mandats sont le signe ; 3° Et enfin que cet assignat positif d’une rentrée infailliblement supérieurèau montant de i’as-signation en même temps qu’elle est antérieure à son échéance, assure physiquement l’acquittement exact des mandats et leur extinction au terme fixé. Ces deux premiers procédés adoptés et étayés l’un par l’autre, il restait encore une inquiétude à prévenir, celle de la privation du numéraire; cette privation absolue, pour peu qu’elle se prolongeât, donnerait de grandes entraves au commerce et l’on pourrait craindre qu’elle n’eût sur notre change avec l’étranger une influence plus ou moins lâcheuse. On pourrait nous dire avec quelque fondement : « En vain vous établissez une taxe de 500 millions, en vain vous créez un représentatif de 400 millions; comme votre taxe ne sera entièrement réalisée que dans quatre ans et que votre représentatif n’est que du papier, cette double institution n’apporte pas un écu dans la circulation actuelle; cependant en définitive c’est avec de l’argent qu’il faut solder, ainsi, loin de remédier à l’état de souffrance de votre commerce intérieur et extérieur, son dommage va s’accroître encore par les valeurs fictives que vous mettez en circulation. » Or c’est ce reproche que nous prévenons, c’est ce malheur que nous faisons disparaître par l’appel des possesseurs de vaisselle au secours de la chose publique. Si, comme on est fondé à le croire, l’apport de la vaisselle donne naissance à un nouveau numéraire réel de 400 millions, ces 400 millions versés dans la circulation presque aussitôt que les mandats de même valeur, formeront avec ces mandats une double source de facilités et d’abondance ; et, quand même le résultat de cet appel serait moindre qu’il n’est présumé ; quand il ne donnerait que 100 milllions au lieu de 400, la présence de cette somme de 100 millions serait encore dans .l’état actuel une ressource inapprécia-' ble. Mais autant il est hors de doute que chacun portera son argenterie quand il sera sûr d’en recevoir le prix sur-le-champ en valeurs égales à des espèces par leur solidité comme par leur cours, autant il est douteux qu’on voulût s’en dépouiller si le Trésor public ne pouvait pas à l’instant même en réaliser le prix par le secours des mandats nationaux, ou que ces mandats n’étant qu’un vain signe, et portant à faux n’eussent pas dans le don (Assemblé? nationale. [ ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [19 septembre 1789.] gratuit un gage certain et un moyen, sûr d’extinction. Cette réflexion laisse apercevoir que le décret pour la conversion volontaire de la vaisselle sans le secours des deux autres opérations, resterait sans effet, parce que cette conversion n’est vraiment qu’un auxiliaire propre à vivifier et développer des moyens réel? et positifs co-existants, mais qui, par elle-même n’apporte aucun soulagement à la dette publique. Et comme je veux détruire jusqu’à la trace de toutes les objections raisonnablement possibles contre une opération que je regarde comme le salut des finances, il importe de discuter la seule difficulté que le préjugé puisse encore élever contre l’établissement des mandats nationaux. On objectera à l’établissement de ces mandats faisant fonction d’espèces, l’influence que ce mode de payement, en France, peut avoir sur les rapports commerciaux de ce royaume avec l’étranger; mais cette objection, facile à rendre spécieuse par l’abstraction même de son sujet, ne peut avoir de force réelle que dans la double supposition suivante, savoir : 1° Que les mandats donnés en payement ne seraient pas parfaitement équivalents au numéraire effectif dont ils remplissent momentanément la fonction ; 2° Que le résultat des rapports de notre commerce avec celui des puissances étrangères, serait en définitive à notre charge, c’est-à-dire que, balance faite des sommes que nous avons à recevoir de l’étranger en échange des productions de notre sol et de notre industrie, avec les sommes que nous avons à payer à l’étranger, à cause de l’importation en France des denrées et marchandises des autres puissances, il nous reste une somme quelconque à faire passer hors du royaume pour solder la différence du prix de nos achats avec celui de nos ventes. Je dis qu’il faut que cette double supposition existe. L’une sans l’autre ne suffirait pas pour nous alarmer sur les variations du change ; et en effet : Si notre représentatif est vraiment égal en valeur au numéraire réel, quand même nous serions débiteurs, il importe peu à nos créanciers. que leur payement s’opère sous une forme ou sous une autre, pourvu que les deux formes soient également bonnes. Si au contraire la balance est à notre profit, et que nous soyons créanciers, quand même les mandats que nous faisons concourir avec nos écus au service de la circulation n’auraient pas la même valeur que nos écus, il importe peu à ceux qui nous doivent et qui ayant à nous payer n’ont rien à recevoir de nous, de savoir de quel signe nous faisons usage dans nos payements. A la vérité, quoique la balance de notre commerce général soit à notre avantage, il est des puissances dont nous nous trouvons débiteurs plutôt que créanciers soit dans fous les temps, soit dans de certaines circonstances, et on pourrait me dire que les payements particuliers que nous nous trouvons alors chargés de faire nous coûteront davantage si notre manière de payer est moins parfaite que celle des puissances avec lesquelles nous aurons contracté; mais pour peu qu’on veuille réfléchir sur les rapports respectifs de tous les Etats commerçants et sur les compensations qui s’établissent entre eux par les délégations perpétuelles que fait le royaume débiteur sur ceux dont il se trouve créancier , on verra que les combinaisons et les arbitrages du commerce H maintiennent entre les diverses puissances V équilibre nécessaire pour faire jouir pleinement chacune d’elles de la faveur que sa position lui donne dans la balance générale, et que celles qui ont à recevoir d’une part au moins l’équivalent de ce qu’elles ont à payer de l’autre, sont rarement sujettes à voir exporter leur numéraire : ainsi, pourvu qu’un royaume, dans l’ensemble de ses rapports extérieurs, obtienne un bénéfice quelconque en dernier résultat, la diversité de ces rapports multiplie nécessairement les combinaisons du change; mais elle ne peut jamais altérer que très-faiblement l’état du change à son préjudice. Au reste, il est démontré que nous ne sommes ni dans l’une ni dans l’autre des deux hypothèses que j’ai faites pour appuyer l’objection prévue; et voici comment je le prouve : 1° Les mandats sur la caisse du don gratuit seront équivalents au numéraire effectif dont ils partageront l’office et ils auront même un degré de faveur de plus, comme productibles d’intérêt. Je dis qu’ils seront équivalents à des espèces, si devant en définitive et dans un terme très-court se résoudre en écus, ils forment dans l'intervalle, comme les écus, le signe de convention par lequel on puisse désigner et se procurer toutes les autres valeurs. Or il ne peut subsister de doute ni sur la réalisation de la somme nécessaire à leur extinction, dans le délai fixé, ni sur l'effet de la sanction nationale qui leur donnera cours. La somme nécessaire à leur extinction n’est pas douteuse, si le produit du don gratuit ne l’est pas et si ce produit est supérieur au montant des mandats; or ce produit existera si la nation décrète le don gratuit et il surpassera 400 millions, si elle fixe le taux du don gratuit à un denier tel que, comparé à la somme des richesses du royaume, dans leur plus basse évaluation, et calcul fait de toutes les non-valeurs probables, il en résulte un recouvrement de 400 millions au moins. Mais dans ma proposition ce décret est inséparable de la formation des mandats , donc le produit nécessaire à leur extinction sera incontestablement assuré. Quant à l’effet de la sanction nationale , qui donnera cours à ces mandats, il n’est pas plus permis d’en douter, que de l’exécution de tous ses décrets ; et l’obéissance universelle à tous ceux qu’elle a rendus est un sûr garant de l’inviolabilité de ceux qu'elle promulguera désormais. Donc les mandats nationaux, infailliblement convertibles en écus à une époque certaine @t rapprochée, feront dans l’intervalle le même service que les écus ; donc ils seront équivalents au numéraire effectif. 2° Le résultat de nos rapports de commerce avec l’étranger, loin d’être à notre charge, nous donne au contraire un grand bénéfice dans la balance universelle, et on n’a pas besoin d’insister sur cette vérité dans un royaume dont le numéraire effectif s’est élevé successivement à près de trois milliards et qui n’ayant pourtant pas de mines dans son sein ne peut avoir acquis cette somme immense que par le bénéfice des productions du soi et de l’industrie nationale. Après avoir ainsi constaté la non-existence de la double supposition nécessaire à admettre pour légitimer la crainte de l’influence des mandats nationaux sur le change avec l’étranger, j’admets encore pour un moment que faute de réflexions, les étrangers alarmés d’abord par l’émission de ces mandats fassent refluer dans le royaume par des Kg [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [19 septembre 1789.] ventes à leur perte la portion de nos fonds publics qu ils possèdent aujourd’hui : cette fausse opération de leur part dont nous serons à portée de profiter par les ressources que nous procurera l’accroissement de 800 millions à nos moyens ordinaires de circulation, fera ressortir encore à notre profit l’état du change, car si nous sommes aujourd’hui tributaires de quelques puissances étrangères ; c’est à cause de l 'intérêt qu’elles ont pris dans nos fonds, c’est à cause des arrérages que nous leur payons, et des capitaux que nous leur remboursons sans retranchement, quoiqu’ils les aient acquis au-dessous du pair. Or il serait trop heureux qu’un semblable bénéfice, fait jusqu’à présent par les étrangers sur le gourverriement français, fût reversé dans le sein même de l’Etat. Séance du samedi 19 septembre 1789, au soir . M. Roussillon demande et obtient la parole. Il prie l’Assemblée de lui permettre d’interrompre un moment l’ordre du jour, pour justifier les habitants de la province de Languedoc, ceux de Toulouse en particulier, et le parlement, des faux bruits qu’on a répandus contre eux touchant leur prétendue opposition aux décrets de l’Assemblée nationale, et la fermentation qu’on supposait régner dans la province. 11 atteste que ces bruits sont entièrement démentis par les différentes lettres qu’il a reçues ; que, du côté du parlement, son patriotisme n’a jamais été équivoque ; qu’à l’égard des habitants, ils ont formé quinze régiments d’infanterie et un de cavalerie, pour protéger l’exécution des décrets de l’Assemblée et la liberté nationale contre les efforts des ennemis du bien public ; que le plus grand calme règne à Toulouse, au milieu des fêtes qui s’y répètent en l’honneur de la nation et de ses représentants ; qu’il n’ignore pas les fausses nouvelles que des personnes mal intentionnées ont fait circuler dans la province, et qu’il croit devoir en prendre occasion -de remarquer qu’il devient tous les jours plus pressant d’accélérer, s’il est possible, l’ouvrage de la Constitution, et d’organiser les Assemblées provinciales et les municipalités du royaume. M. le Président rappelle ensuite l’ordre des matières dont l’Assemblée doit s’occuper en commençant par celle relative au recouvrement des droits subsistants et particulièrement de ceux des gabelles. 11 est fait une nouvelle lecture du projet de décret présenté par le comité des finances. Plusieurs membres proposent des amendements. M. Waude, député du bailliage de Saint-Flour en Auvergne, demande, au nom de ses commettants, et en vertu du mandat spécial qu’il en a reçu, que le régime des gabelles soit totalement supprimé, ou que, si cette suppression n’est pas prononcée quant à présent, du moins la franchise du sel, dont jouit la majeure partie de l’Auvergne, soit étendue à la partie actuellement soumise à la gabelle, et qui a été privée de sa franchise par l’injustice et les usurpations successives des fermiers. M. Grégoire, curé d’Emberménil obtient ensuite la parole. M. Grégoire (I). Messieurs, on a développé de puissants motifs pour la suppression de la gabelle, j’en ajoute d’autres qui me paraissent décisifs. Le prix du sel destiné pour la pêche maritime n’est que d’environ 6 deniers la livre ; celui de la gabelle d’environ 13 sous dans les provinces de grande gabelle. Cette disproportion choquante provoque les spéculations frauduleuses, et plus la ferme oppose de précautions, plus la fraude redouble d’industrie. La gabelle influe d’une manière désastreuse sur la pêche maritime, surtout à Dieppe. Le négociant qui veut faire venir du sel des marais salants est asservi à des déclarations réitérées du nom du nayire, de sa contenance, de la quantité qu’il veut embarquer. L’ordonnance lui défend de charger d’autres marchandises que du sel, il ne peut profiter de l’occasion d’un bâtiment qui se trouve en chargement à Bordeaux, à la Rochelle, et il faut qu’il y envoie exprès. Le frêt lui devient très-coûteux. S’il n’a pas besoin d’une cargaison entière, il est obligé de faire revenir son navire à demi chargé, ou de sacrifier l’intérêt du prix et les dangers du déchet d’une double provision (2). A l’arrivée, on le soumet à des formalités infinies dont l’exposé deviendrait fastidieux. Le négociant est ensuite gêné pour la salaison, harcelé pour l’importation, restreint pour le débit. La pêche ne peut fleurir. C’est moins le prix du sel qui excite des réclamations que les entraves par lesquelles on tourmente les citoyens, et cet inconvénient, par contre-coup, frappe sur les mœurs. Soixante mille citoyens, sous le nom d’employés sont constamment armés contre leurs frères. Leurs fouilles sont attentatoires à la liberté civile, au secret des familles, et souvent à la pudeur. Sur ce dernier article je supprime des détails également propres à faire rougir et à faire frémir. Ces formidables sbires envoyent annuellement nombre de français à la chaîne ou à l’échafaud. Dans cette guerre continuelle, l’homme s’avilit et s’irrite. Ainsi la dégradation des mœurs est un des fruits empoisonnés de la gabelle. Plusieurs lettres arrivées du Glermontois, écrites par des personnes qui ont recueilli le vœu public, m’annoncent que les habitants de cette contrée supporteront volontiers 40 sous, ou même 1 écu d’augmentation de l’impôt, pourvu que le fléau de la gabelle ne pèse plus sur eux. En votant la suppression de la gabelle, qui sera remplacée par un impôt proportionné (3), j’ajoute une demande subsidiaire pour ma province. Les trois salines de Lorraine usent du bois de fjuatre pieds de long, et divers arrêts ordonnent à une foule de communautés situées à deux lieues et plus de distance de bois affectés aux salines, d’user du bois de six pieds. Elles en trouvent avec peine quelquefois à six lieues de distance. Le laboureur ne s’en procure qu’avec difficulté, mais le pauvre manouvrier n’ayant ni bêtes de trait, ni voitures, ni moyen de payer (1) Le discours de M. Grégoire n’a pas été inséré au Moniteur. (2) M. Lemoine, ancien maire de Dieppe, a fait d’excellents mémoires sur cel objet. (3) Peut-être serait-il juste que l’impôt qui rem-