480 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [14 décembre 1790.] blic, en l’appuyant sur trois bases immuables qui lui manquaient : la foi nationale, l’impôt proportionnel et l’i conomie administrative. Vous avez assuré pour jamais la paix intérieure ne cet Empire, en transformant tous les citoyens en soldats et tous les soldats en citoyens; en faisant, pour ainsi dire, de chaque famille une forteresse, et de ces familles, ralliées au premier signal, un mur d’airain qui environne chaque cité, qui entoure chaque hameau, et qui les rend impénétrables au 1er des conspirateurs. Vous avez assuré de même la paix extérieure en ouvrant une nouvelle carrière à ces rares orgueilleuses qui ne voulaient s’illustrer que par les batailles; en abdiquant celte ambition des conquêtes qui, du char de la gloire, semait les calamites dans les triomphes, et la stérilité dans la magnificence; en enchaînant ce mécanisme ministeriel, qui, sous le nom de politique, se jouant des alliances, des potentats et des nations, était une conspiration impunie contre le genre hun ata. Vous avez consacré enfin l’esprit philosophique, et tous les arts qu’il éclaire, et tous les principes qu’il a rectifies, et la dignité humaine qu’il a rétablie, et la majesté du peuple qu'il a fait reconnaître; vous avez consacre ces idées sublimes, en les gravant avec vos lois dans toutes les tètes, dans celles mêmes qui leur semblaient inaccessibles. Un grand problème historique occupera la postérité. C’est le parallèle de deux phénomènes contemporains, du congrès qui a sauvé l’Amérique, et de I Assemblée qui a délivré la France. Si le premier a eu des armées à combattre, la seconde avait des obstacles plus uifiictn s à surmonter, un long amas de préjugés à détruire, un long rempart de privilèges à démolir. Treize républiques naissantes ont dompté une monarchie antique et iormidable : mais cette monarchie était éloignée de leurs muradies, et l’Océan était en quelque sorte et leur barrière et leur allié. Nous avons terrassé ou plutôt désarmé un despotisme dominant dans nos murs, et tout puissant encore sur des miaginairotis longtemps asservies. L’Amérique présentait un peuple nourri des sentiments de l’indépendance, et qui soutenu par elle s’est avancé fièrement et régulièrement vers sa conquête. — Plus éloig ésd’un terme si heureux, dans un clan sublime, nous avons franchi d’un seul pas l'intervalle immen-e de l’esclavage à la liberté. — Nous avons détrôné en un jour cent mille tyrans, nous avons chasse d’un regard nulle imposants fantômes. Enfin si l’Amérique a devancé la France, la France a peut-être surpassé l’Amérique : l’une a eu la supériorité d’un grand exemple, et vous avez donné à l’autre la supériorité d'une législation plus accomplie. Le plus hardi des géomètres disait : Donnez-moi de la matière et du mouvement, et je crée un monde. — Il dirait aujourd’hui : Donnez-moi des hommes et la Constitution française, et je je crée une nation. Signé : Kersaint, président ; Pastoret, secrétaire. M. le Président. Messieurs, l’Assemblée nationale voit avec une vive satisi action , mais sans surprise, l’attachement inviolable que le corps électoral de Paris manifeste pour la Constitution. Choisi par des citoyens amis de la liberté, qui ont tout sacrifié pour elle, qui ont bravé les dan gers les plus menaçants pour conquérir des droits si longtemps méconnus et outrages, il a dû se pénétrer de cet esprit civique et de ce saint amour de la patrie. Vous êtes chargés, Messieurs, d’une mission importante et redoutable. Le peuple vous a confié le plus précieux de ses droits, celui qui consiitue essentiellement sa liberté politique, celui qu’il ne peut sans péril exercer par lui-même. Combien vous seriez coupables de le tromper! mais que vous méritez d’éloges pour avoir si dignement seconde ses vœux ! Le trait le plus frappant dans les choix que la sagesse et la justice vous ont inspiiés, c’est que vous n’avez pas borné vos regards à l’horizon qui vous environne, vous les avez étendus sur toute la France; et partout où vous avez aperçu des talents, et surtout des vertu-, vous les avez accueillis, vous les avez appelés avec fraternité au sein de cette cité, le centre de l’Empire. Continuez, Messieurs, à répondre toujours aussi glorieusement à la confiance dont vous êtes honorés. Les principes qui vous animent, et que vous venez d’exposer avec tant de noblesse et d’énergie, sont de sûrs garants qui nous répondent de l’avenir. Ces principes sont maintenant ceux de tons les bons français : et il est bien doux, bien consolant pour l’Assemblée nationale, de pouvoir rendre ici un hommage éclatant aux diverses assemblées électorales de France. Partout (des exceptions rares ne doivent pas être comptées), partout ceux à qui le peuple a remis ses înieiêts, ont senti combien ce dépôt était sacré ; partout ils ont été pénétrés de l’importance et de la nécessité de n’élever aux places que ceux qui en étaient dignes. Les fonctions de la société reposant ainsi entre des mains pures et fidèles, que pourront faire les ennemis du bien public? Leurs efforts impuissants viendront se briser au pied de l’édifice que nous avons élevé à la liberté. Ce monument fera l’étonnement de nos neveux: puisse-t-il servir de modèle aux nations! et le temps, il faut l’espérer, ne fera qu’ajoulerà sa majesté. (L’Assemblée accorde à la députation l’honneur de la séance et ordonne l’impression des discours et adresse.) (L’Assemblée décide ensuite que le projet de décret des comités des finance, d’agriculture et de commerce, et du comité militaire, sur les messageries, ne sera pas soumis à la discussion avant d’avoir été imprimé et distribue.) M. le Président lève la séance à dix heures et demie. ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU 14 DÉCEMBRE 1790. MANDEMENT de Monseigneur Tarchevêgue prince-électeur de Trêves. Clément Wenceslas, par la grâce de Dieu, archevêque de Trêves, prince-électeur du Saint-Empire, etc., etc. [Assemblée nationale.] Au clergé séculier et régulier de l’un et de l’autre sexe de la partie de notre diocèse soumise à la domination française; salut et bénédiction. Nous manquerions essentiellement au devoir de premier pasteur de vos âmes, si, dans ce moment, où, par un démembrement aussi incompétent qu’attentatoire, on veut rompre te lien qui nous a lié si étroitement à vous, mes très chers frères, nous ne réclamions et ne soutenions authentiquement nos droits lésés par la disposition de quelques articles du décret de l’Assemblée nationale, touchant l’organisation du clergé de France; et nous ne pourrions échapper le reproche de mercenaire dans le sens de l’Evangile, si, dans des circonstances aussi désolantes, nous ne vous faisions connaître toute l’étendue de la sollicitude que nous n’avons cessé de porter sur une portion aussi précieuse de notre diocèse; sollicitude dont nous avons de tout temps donné des preuves bien sensibles, sollicitude qui, bien loin de se ralentir, acquiert une nouvelle activité, à proportion des obstacles qu’on veut y porter; sollicitude enfin aussi indispensable pour nous dans ces temps de calamités, qu’encourageante pour vous dans les périls ou perplexités auxquels vous vous trouvez exposés. Quoique éloignés de vous personnellement, nous sommes toujours avec vous d’esprit et d’affection ; rien ne nous empêchera jamais de suivre le devoir que nous avons à remplir vis-à-vis de vous, et de vous faire connaître la voix de laquelle vous ne pouviz vous détourner sans prévarication. L’aulorité ecclésiastique est aussi indépendante de la civile, que leur objet est différent; l’une ne peut pas empiéter sur les droits de l’autre, sans introduire une confusion qui serait aussi nuisible au bien et à la tranquillité publique, qu’elle serait subversive de Turfre et de la bonne harmonie; le divin législateur, qui disait que son règne ri était point de ce monde , a donné les clefs à Saint-Pierre et le pouvoir aux apôtres, sans le concours de l’autorité civile, et sans les y assujettir dans l’exercice de ces mêmes pouvoirs. Un évêque, canoniquement institué, tient ses pouvoirs et sa juridiction de Dieu; aucune puissance civile ne peut enlever, ni restreindre cette juridiction sans l’intervention de l’autorité de l’Eglise; toute disposition contraire anéantirait l’ordre hiérarchique institué par Jésus-Christ, établi par l’Eglise, et maintenu par le concours même de l’autorité civile. Nous présumons trop bien de la religion de nos confrères dans l’épiscopat pour oser croire qu’aucun d’eux voulût empiéter sur la juridiction d’un autre, et s’immiscer d’aucune manière dans l’administration d’une partie d’un diocèse qui ne serait unie au sien qu’en vertu de l’autorité civile seulement. Nous sommes de même bien éloignés de croire qu’aucun veuille abandonner sou troupeau, en tout ou eu partie, sur la simple disposition d’un pareil decret. Le moindre doute à ce sujet, serait injurieux à des pontiies du Seigneur élevés sur le chandelier de l’Eglise, pour éclairer et instruire les fidèles. Notre présente réclamation se trouvant, outre une possession immémoriale, appuyée et fondée sur la teneur de différents tracés solennels, tant publics (1) que particuliers (2), eu vertu desquels les archevêques-électeurs de Trêves ont été maintenus dans la possession de leur juridic-(1) Traité de Westphalie eu 1646. Traité de Munster en 1648. Traité de Fontainebleau en 1661. (2) Traité particulier de Versailles en 1783. I1'0 Série, T. XXI. 481 tion métropolitaine sur les trois évêchés de Metz, Toul et Verdun, de même que sur les portions qui ont été distraites pour l’érection des deux nouveaux évêchés de Nancy et Saint-Dié. Nous nous regarderons toujours comme métropolitain des évêchés de Metz, Toul, Verdun, Naocy et Saint-Dié, avec toutes qualifications, droits et juridiction qui compétent à tout aichevêque sur ses suffragants. Nous nous regarderons de même toujours comme ordinaire immédiat de la partie de notre diocèse qui s’étend sous la domination française, avec tons droits et juridiction, dans lesquels les archevêques-électeurs de Trêves ont été maintenus par la teneur des mêmes traités susmentionnés. Etant donc autorisé à envisager ce démembrement décrété par l’Assemblée national», comme une violation formelle des susdits traités, nous protestons contre et le regardons co mne nul et sans effet. Eu conséquence, nous vous déclarons-: 1° Que nous continuerons, comme ci-dovant, à nous donner tous les soins peur cette précieuse portion de notre troupeau, duquel ou ne peut nous séparer que par la force et la violence; 2° Que vous ne devez et ne pouvez reconnaître, pour votre supérieur ecclésiastique, aucun autre évêque, et u’avoir recours en aucun cas, et pour chose quelconque, à celui qui ne vous serait désigné que par 1 autorité civile; 3° Que toute absolution donnée en vertu des pouvoirs demandés et obtenus d’un autre évêque que de nous, serait, hors le cas de mort, nulle, par le défaut radical de juridiction ; 4° Que tout ecclésiastique qui, en vertu d’une telle autorité, oserait recevoir l'institution canonique d’un autre évêque que de nous ou de nos archidiacres, ne peut être regardé que comme un intrus, et ses fonctions, de plein droit, nulles et sans effets ; 5° Déclarons que tout curé actuel, quoique canoniquement institué, qui oserait exercer sur les portions d’autres paroiss-.-s qui lui eclnrraient, d’après une nouvelle distribution ou circo'iscrip-tio i de cures non autorisée par noos, une juridiction quelconque, encourra même, relativement à sa propre paroisse, la peine de suspense prononcée par les canons contre tout usurpateur ou violateur du droit de juridiction d'autrui. Du reste, nos très chers frère-, convaincus de votre attachement aux devoirs de votre état, attachement que plusieurs d’entre vous, et surtout celles qui, faibles aux yeux du monde, l’étonnent néanmoins, et le confondent par leur force et persévérance, ont poussé jusqu’à l’héroïsme, nous vous faisons part de la douce consolation que nous ressentons, et pour laquelle nous rendons grâce au père des miséricordes. Nous vous exhortons, nous vous prions, par les entrailles de Jésus-Christ, de rester fidèles dans votre vocation. Et vous, pasteurs, nos fidèles coopérateurs dans le saint ministère, redoublez de zèle envers vos ouailles; instruisez-les de leurs devoirs; retenez-les dans l’obéissance et la soumission à l’autorité légitime; ni le dépouillement de vos biens, ni l’avilissement dans lequel on veut vous réduire, ni tes contradictions que vous essuyez, ni les traitements même les plus durs auxquels vous êtes expnsés, ne doivent ralentir votre ardeur à procurer le salut des âmes confiées à vos soins. La prudence, l’activité, l’intrépidité même de voire zèle, doivent triompherde tous les obstacles et entraves qu’on veut y mettre : vous ressouvenant des paroles de l’apôtre des Gentils, qui.prê-34 ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [14 décembre 1790.J [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES* [15 décembre 1790.] m chant dans les fers, disait que la parole [de Dieu ne se laissait point enchaîner. Gardez-vous, néanmoins, nos très chers frères, de vouloir, par un zèle repréhensible, attirer les foudres du ciel sur les méchants, et sur ceux qui vous persécutent; imitez plutôt, imitez votre divin modèle; mettez-vous entre le vestibule et l’autel; priez pour ceux qui vous maudissent; fléchissez le ciel par vosgémissements;détournez, par vos sanglots, les maux dont la nation pourrait être accablée. Par cetle conduite, si digne de la sainteté du caractère dont vous êtes revêtus et de la mission que vous exercez, vous convaincrez les peuples que c’est à tort qu’on a cherché à vous enlever leur, confiance; et les peuples, revenus de leurs préventions et égarements, béniront le ciel de leur avoir ménagé et accordé de tels pasteurs et de tels médiateurs. Fait à Goblentz, le 26 novembre 1790. t Clément, archevêque et électeur. ASSEMBLÉE NATIONALE, PRÉSIDENCE DE M. PÉÏION. Séance du mercredi 15 décembre 1790 (1). La séance est ouverte à neuf heures et demie du matin. M. l ari», secrétaire , donne lecture des procès-verbaux des deux séances de la veille. 11 ne se produit aucune réclamation. M. Bouche. La Provence est actuellement une mer. On y va en bateau. Soixante-quatre bâtiments chargés de marchandises sont en ce moment ensablés aux Bouches-du-Rhône. Les eaux ne seront totalement retirées que vêts la mi-février. Dans cet état il est impossible de faire proi éder aux estimations de biens nationaux. Je réclame pour elles, de la justice et de la bienfaisance de i’Assemb ée, une prolongation de délai jusqu’à la tin de février. M. Camus. Je ne m’oppose point à la demande qui vous est faite, mais j’observe qu’en fixant un délai fatal votre intention a été de borner la faveur accordée aux municipalités. Les ventes surpassent les estimations au delà de toute mesure et lu gain accordé aux municipalités ne se fait qu’aux dépens de la nation. Enfin leur intervention n’est plus aujourd'hui d’aucune utilité. Je demande le renvoi au comité d’aliénation. (Ce renvoi est prononcé.) M. le Président. Les comités réunis des finances , d’imposition et de mendicité demandent à présenter un décret concernant les hôpitaux de la ville de Rouen. M. Ce Coutculx, rapporteur. Messieurs, il est instant de secourir les deux hôpitaux de Rouen. Le premier sous le nom d’Hôpital général des valides, a en revenus. ..... 387,169 i. 15 s. 9 d. dont il faut déduire ..... . .. 80,060 accordées par le roi sur les droits réservés qui expirent au 31 décembre prochain. L’insuffisance totale et annuelle des deux hôpitaux est de 250,694 liv. 18 s. 11 d. L’état qui a été levé, au 29 septembre dernier, des individus de l’Hô, ital général, monte à 2,477; celui des malades à l’Hôtel-Dieu à 5,591. 1! en résulte que le nombre des journées d’individus de cet hôpital, y compris les domestiques, monte, année commune, à 178,803 ; ce qui donne par jour, à la charge de cet hôpital, 489 malades. On réclame donc les secours dus à trois mille individus dans l’excès de leur mbère, de leurs maladies, de leur vieillesse et de U urs infirmités. C’est à la fuis satisfaire à des vues d’humanité et de saine politique. Les soins continuels qu’on donne au peuple dans ses maladies et souffrances le préservent au moral comme au physique d’une contagion dangereuse, particulièrement dans les grandes villes. Le moyen que le département de la Seine-Inférieure propose de proroger pour venir au secours de ces deux hôpitaux en détresse est la prorogation des droits réservés qui se perçoivent à i’e; trée de cette ville et qui expirent au 31 décembre. Ces droits étaient originairement des droits consentis par les habitants de Rouen, pour fournir à un don graduit ; ils ont élé établis par la déclaration du roi du 3 janvier 1759. Us devaient acquitter ie don gratuit à divers termes convenus pour son payement; leur produit annuel se trouva excéder la quotité déterminée des payements à chaque échéance. La municipalité de Rouen, qui administrait alors leur perception, appliqua i’excedant au soulagement des hôpitaux. Le don gratuit entièrement acquitté (et il le fut exactement), ces droits devaient cesser; le roi en avait donné sa parole, mais l’abeé Terray y eut peu d’égard ; il en fit ordonner la prorogation en 1768, et ils furent aussitôt compris dans le bail de la régie générale, sous la dénomination de droits réservés-. Tous les corps et les différents chefs qui représentaient alors pour les habitants de Rouen fiient les plus fortes et les plus vives réclamations. (1) Celte séance est incomplète au Moniteur.