[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [12 mai 1790.] l’estimation, ou pour la valeur de ce qui restera dû à sa municipalité, si cette valeur est inférieure au prix de l’estimation, il sera prélevé, sur le prix de la nouvelle adjudication, le montant de ce qui se trouvera échu avec les intérêts et les frais, et l’adjudicataire sera tenu d’acquitter, au lieu et place de l’acquéreur dépossédé, toutes les annuités à échoir *. Art. 10. Si une municipalité croyait devoir conserver pour quelque objet d’utilité publique une partiedes biens par elleacquis, elle sera tenue de se pourvoir, dans les formes prescrites par le décret du 14 décembre 1789, pour obtenir l’autorisation nécessaire, après laquelle elle sera admise à enchérir concurremment avec les particuliers ; et, dans le cas où elle demeurerait adjudicataire, elle paiera dans les mêmes formes et dans les mêmes délais que tout autre acquéreur. Art. 11. « Pendant les quinze années accordées aux municipalités pour acquitter leurs obligations, il ne sera perçu, pour aucune acquisition, adjudication, vente, subrogation, revente, cession et rétrocession des biens domaniaux ou ecclésiastiques, même pour les actes d’emprunts, obligations, quittances et autres frais relatifs auxdites translations de propriété, aucun autre droit que celui de contrôle, qui sera fixé à 15 sols. » M. Delley d’Agler, rapporteur. Le comité aurait jugé utile d'ajouter un 12e article relatif aux hypothèques, afin de purger les biens vendus de tous les embarras qui répugnent à un possesseur libre, mais il y a renoncé parce qu’il a pensé que l’Assemblée nationale s’occupera incessamment d’une loi générale sur la matière. M. de Volney. Je propose un article additionnel qui serait ainsi conçu : « Le contrat de vente qui sera passé par les municipalités aux particuliers contiendra le débor-nement exact, accompagné du plan visuel des terres achetées, de telle manière que ce contrat devienne un titre suffisant de propriété ; tous autres titres seront supprimés et lacérés sous trente jours. Dans le terme d’un an, à dater du jour du contrat, l’acquéreur sera tenu de fournir, à ses frais, à la municipalité, un plan dressé géométriquement de son terrain. » Les motifs qui me déterminent à proposer cet article seront aisément sentis. Ainsi on ôtera tout moyen de recours aux gens malintentionnés, et les gens faibles n’auront pas même la crainte des revenants. Dans le cas où le même bien serait vendu par partie, le titre originaire ne pourrait se diviser; il faudrait délivrer des copies qui ne se donneraient pas sans frais, et l’on pourrait craindre avec raison que cettedi vision n’occasionnât beaucoup de contestations : les changements de bornement, l’ancienneté du langage et de l’écriture des actes seraient une source de procès : le parti que je propose évitera tous ces inconvénients. Le plan géométral demandé vous procurera des matériaux excellents pour le cadastre qui vous sera nécessaire dans le système général d’impositions que vous admettrez. M. Moreau. La suppression des titres anciens est impraticable. Je demande le rejet de cette partie de l’article proposé par M. de Volney. M. Fréteau. L’article additionnel peut présente! des dispositions utiles ; je demande qu’il soit renvoyé au comité d’aliénation pour en perfec-495 tionner la rédaction, s’il y a lieu, et en perfectionner les dispositions. (Ce renvoi est ordonné.) M. le Président annonce l’ordre du jour de demain et celui de ce soir. L’ordre du jour sera l’affaire de Pau et la suite de la discussion sur le plan d’organisation de Paris. La séance de demain sera ouverte à onze heures. L’ordre du jour portera sur l’article renvoyé aujourd'hui au comité d’aliénation et ensuite sur l’ordre judiciaire. Un de MM. les secrétaires fait lecture de trois lettres envoyées par M. de Saint-Priest: l’une est écrite par ce ministre; les deux autres lui ont été adressées par la municipalité de Marseille. Voici la substance de ces lettres : Lettre de M. Saint-Priest à M. le président de V Assemblée nationale. « Dès le commencement de l’année dernière, des troubles ont régné à Marseille; le roi a fait passer dans cette ville trois régiments d’infanterie et deux cents dragons. Vous savez que ces troubles ont duré pendant longtemps. A peine la nouvelle municipalité a été formée, qu’elle a demandé le renvoi de ces troupes. Elles outen effet été transférées à Aix sur la fin du mois dernier : le 30 du même mois, à quatre heures du matin, à l’instant où l’on venait de baisser le pont-levis du fort de Notre-Dame-de-la-Garde, et de placer la sentinelle, des gens sans aveu se sont jetés sur le factionnaire, lui ont mis le pistolet sur la gorge pour le forcer à se rendre, et il s’est rendu. La garnison a été surprise, et ces gens, au nombre de trente, se sont rendus maîtres de la place. Le peuple et la garde nationale, excités par cette entreprise, se sont portés sur les forts Saint-Jean et Saint-Nicolas, qui ont été remis aux officiers municipaux qui s’y étaient transportés. Le fort Saint-Jean avait fait quelque résistance : elle a été attribuée au chevalier de Beausset, major de cette place. Cet officier, se rendant, le lendemain 1er mai, à la municipalité, accompagné de la garde nationale et de deux officiers municipaux, a été attaqué, poursuivi et massacré. Le roi, sensiblement affecté de ces désordres et des malheurs qui en ont été la suite, a ordonné de poursuivre les coupables avec toute la rigueur des lois. Il m’a chargé de faire parvenir à la municipalité l’ordre d’évacuer les forts, et de les remettre aux troupes auxquelles leur garde avait été confiée. Sa Majesté ne doute pas que l’Assemblée nationale ne reçoive avec satisfaction la communication de ces mesures. M. de Miran, commandant de Marseille, ayant donné sa démission, le roi a choisi M. le marquis de Grillon pour le remplacer. Sa Majesté désire que la qualité de député ne soit pas un obstacle à ce que M. de Grillon accepte ce commandement : elle verrait avec peine que son choix ne fût pas accueilli par l’Assemblée. « P. S. La forteresse de Mon tpellier vient d’être prise par les jeunes volontaires; la remise aux troupes de Sa Majesté en sera également ordonnée. On a appris en même temps ce qui est arrivé à Nîmes. Le roi a fait témoigner sa satisfaction au régiment de Guienne. » Première lettre des officiers municipaux de la ville de Marseille, du 30 avril. « Les approvisionnements extraordinaires faits pour les forts de cette ville, l’artillerie de ces forts augmentée, pt braquée d’une manière menaçante sur la cité,' ont 496 (Assemblée nationale.! ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [12 mai 1790.] inquiété nos concitoyens à un tel point que les opérations de commerce et d’industrie ont été vraiment suspendues. À l’aspect de ces préparatifs effrayants, le génie français n’a pu se contenir dans une lâche inertie; la garde nationale s’est emparée du fort de Notre-Dame-de-la-Garde. A cette nouvelle, deux des nôtres se sont transportés dans ce fort, dont nous sommes maintenant responsables, et que nous gardons à la nation et au roi ... » Seconde lettre des officiers municipaux de Marseille. , en date du 1er mai. « Les commandants des forts Saint-Jean et Saint-Nicolas ayant écrit, après la prise de Notre-Dame-de-la-Garde, que si on les attaquait, ils feraient une vigoureuse résistance, le peuple, toujours effrayé, n’a point été arrêté par ces menaces ; il a marché contre les forts. Nous avons pris alors des moyens de conciliation ; nous avons proposé de faire "faire la garde des forts par la garde nationale, concurremment avec les troupes réglées. Ces propositions ayant été d’abord refusées, nous nous sommes portés aux deux forts; elles ont été acceptées et insérées dans une convention signée par nous et par les commandants de ces places. Ainsi nous avons rétabli la tranquillité dans la ville de Marseille. . . » M. d’André. Je crois qu’il est de mon devoir de vous rendre compte de quelques détails qui ne vous sont pas encore connus, et de vous présenter quelques observations sur des faits convenus. La ville de Marseille devait être calme-, une amnistie avait été accordée ; le grand�prévôt s’était vu dépossédé d’une procédure qui" inquiétait les citoyens; les troupes avaient été renvoyées; l’ancienne garde nationale remplacée par une milice lus agréable à la cité; enfin il n’y avait plus rien demander. Les 22 et 23 du mois dernier, le régiment de Royal-Marine, les dragons et l’artillerie sortirent de la ville. Le 27, à une fête donnée à la municipalité d’Aix, on dit que les ennemis de la Révolution avaient encore des projets, et l’on forma celui de s’emparer des forts. Le 30, cinquante hommes menacent une sentinelle, surprennent le fort de Notre-Dame-de-la-Garde et s’en emparent; ils braquent le canon contre la citadelle et le fort Saint-Nicolas, ce qui engage le peuple à attaquer ces deux places. On dit qu’on a vu un officier municipal parcourir les rues et exciter à cette entreprise : si le fait est vrai, on le saura quand un officier de justice osera faire des informations sans crainte d’être massacré. La municipalité se rassembla; elle décida de sommer les forts de se rendre; M. Jean-François Lieutaud s’opposa à ce parti ; cette opposition ne servit à rien ; la municipalité se transporta dans les deux laces. Le conseil de guerre assemblé au fort aint-Nicolas ne voulait le livrer qu’au roi et à la nation : la municipalité n’était ni l’un ni l’autre. Mais les soldats du régiment de Vexin ayant annoncé des intelligences avec les citoyens, il fallut bien se rendre. Le fort Saint-Jean, dont M. de Beausset est major, fit beaucoup plus de résistance; mais la citadelle étant prise, il se rendit à huit heures du soir. Le lendemain on demanda à M. de Beausset la clé du magasin des poudres et des fusils; il répondit qu’il n’avait pas ces clés; on s’adressa au commandant, qui dit que M. de Beausset les avait : deux officiers municipaux, du nombre des citoyens que le prévôt avait fait arrêter, assurèrent' que c’était par l’ordre du maire qu’ils faisaient cette demande. M. de Beausset dit qu’il voulait parler au maire, et proposa de se rendre à la maison commune : il demanda à y être conduit par mer; on le lui refusa, et il partit avec les deux officiers municipaux et avec un détachement de la garde nationale. Arrivé sur le glacis, il fut insulté par le peuple; il continua sa route; et voyant qu’on l’insultait encore, sans que personne cherchât à le défendre, il voulut se sauver et entrer dans la boutique d’un perruquier; cette boutique lui fut fermée; il reçut un coup de baïonnette dans le dos, il tomba, et fut bientôt massacré. La populace, parmi laquelle la garde nationale était mêlée, se livra sur ce cadavre aux plus affreuses atrocités. Voilà les faits. Que devait faire la garde nationale? On ne peut admettre, dans cette hypothèses, que cinquante hommes sans aveu aient le droit de surprendre une citadelle. La municipalité devait donc ordonner de vider le fort, et prendre les précautions nécessaires pour qu’on ne se portât plus à de semblables entreprises. La municipalité devait employer tous les moyens qui étaient à son pouvoir pour dissiper les attroupements qui se dirigeaient vers les forts. Quel a été le prétexte d’une conduite opposée? De prétendus approvisionnements, des préparatifs hostiles. — Ces préparatifs n’étaient-ils pas naturels? Depuis quatre jours les forts étaient menacés. Mais je vais plus loin : je dis que ces approvisionnements étaient manifestement faux. En effet, le 23, une compagnie d’artillerie était partie avec cinq pièces de canon et plusieurs voitures chargées de munitions ; le 24, une autre voiture chargée de cartouches était sortie et avait été arrêtée à la porte d’Aix. Si on avait voulu faire des approvisionnements, les commandants n’auraient pas laissé sortir ces munitions. Je me dis : les municipalités sont donc souveraines? elles sont donc en guerre avec le roi? Mais je demande si le roi ne s’est pas mis à la tête de la Révolution; si, attaquer des forts qui sont gardés sous ses ordres, ce n’est pas violer tous les principes? La municipalité est donc coupable; l’Assemblée doit donc la blâmer. Si quelqu’un s’élève pour la défendre , je déclare que je le regarde comme responsable de tous les maux qui peuvent arriver. Je vous prie de considérer où nous mènerait une tolérance déplorable. Si une municipalité telle que Marseille venait à s’élever contre vos décrets, et que les moyens qui appartiennent au pouvoir exécutif fussent en ses mains, comment pourriez-vous la réprimer? Si partout les forces du pouvoir exécutif étaient usurpées, il n’y aurait plus de police, plus de gouvernement en France. Je ne parlerai pas de M. de Beausset, mais j’observerai seulement qu’il a été tué d’un coup de baïonnette, à côté de deux officiers municipaux. On a prétendu que cet officier voulait mettre le feu à la poudrière : c’est une chose invraisemblable. Il était gardé à vue dans sa chambre ; le fort était rempli de gardes nationaux ; il y a toujours à la poudrière une sentinelle, le sabre à la main... Je ne vous présenterai pas de projet de décret; c’est bien assez d’avoir été obligé de vous retracer des faits de cette nature, et de vous développer les torts de la municipalité : je l’ai fait parce que j’ai dû le faire; je Fai fait avec le sentiment des dangers que peut attirer sur moi mon exactitude à remplir ce devoir. Toutes mes propriétés, ma femme, mes enfants, sont à cinq lieues de Marseille; j’ai oublié leurs périls et mes intérêts les plus chers, parce qu’il fallait soutenir la Révolution et la liberté, réprimer la licence et l’anarchie.