530 [Assemblée nationale.] M. Robespierre monte (On demande de nouveau réfaction.) M. Robespierre reste à la tribune. M. RiqHetti l’aîné, ci-devant de Mirabeau, rédige un nouveau projet de décret dont il fait lecture, et qui est conçu en ces termes : « L’Assemblée nationale décrète que le directoire du département de la Meurthe et les municipalités de Nancy et de Lunéville sont remerciés de leur zèle ; « Que les gardes nationales, qui ont marché sous les ordres de M. de Bouille, sont remerciées du patriotisme et de la bravoure civique qu’elles ont montré pour le rétablissement de l’ordre à Nancy ; « Que M. Désilles est remercié pour son dévouement héroïque; « Que la nation se charge de pourvoir au sort des femmes et des enfants des gardes nationales qui ont péri; « Que le général et les troupes de ligne sont approuvés pour avoir glorieusement rempli leur devoir ; « Que les commissaires, dont l’envoi a été décrété, se rendront sans délai à Nancy, pour y prendre les mesures nécessaires à la conservation de la tranquillité, et l’information exacte des faits, qui doit amener la punition des coupables, de quelque grade et état qu’ils puissent être. » M. Robespierre demande encore la parole. (L’Assemblée décide que la discussion est fermée et adopte le projet de décret.) M. le 'Président lève la séance à trois heures et demie. ANNEXES A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU 3 SEPTEMBRE 1790. Nota. L’Assemblée nationale, dans sa séance du 28 août 1790, ayant fait appel aux lumières de tous les citoyens pour résoudre la question du remboursement de la dette exigible, reçut un grand nombre de mémoires sur cette question. Nous insérons ici trois des opinions qui furent communiquées au comité des finances, imprimées et distribuées à tous les députés. PREMIÈRE ANNEXE. MÉMOIRE sur la proposition d’acquitter la dette exigible en assignats , par M. Condorcet. Di meliora piis, erroremque hostibus ilium. C’est avec douleur que je vois une opinion dangereuse compter au nombre de ses défenseurs un homme accoutumé à exercer sur les esprits l'empire de l’éloquence : et combien son autorité n’est-elle pas plus effrayante, si l’on songe qu’il a constamment employé son éloquence et sa raison à la défense des principes conservateurs de l’ordre, de la liberté, de la justice,- que l’opinion qu'il défend aujourd’hui est contraire à celles [3 septembre 1790.] qu’il a longtemps et glorieusement professées; et que la foi publique est exposée à une honteuse violation par celui même qui, plus que personne nous avait appris que le salut autant que l’honneur du peuple français obligeait à la respecter? On lui doit de croire qu’il n’a pu céder qu’à là conviction intime d’une nécessité absolue. Avant que la proposition de créer deux milliards d’assignats eût obtenu le suffrage de M. de Mirabeau, on pouvait la regarder comme un de ces rêves que l’avidité en délire présente à l’ignorance : aujourd’hui il faut croire qu’elle mérite un examen sérieux, et je vais m’y livrer. Je considérerai l’opération en elle-même; je lâcherai d’en bien faire sentir tous les vices; j'essaierai enfin de montrer que, loin d’être exigée par les circonstances, loin d’être ce remède unique auquel il faut se hâter de recourir malgré son danger et l’incertitude de ses effets, c’est au contraire celui de tous les remèdes que les circonstances défendent le plus impérieusement d’employer. Les biens nationaux sont spécialement consacrés au remboursement de la dette exigible ; cette dette , y compris 400 millions d’assignats, est évaluée à deux milliards et demi. Les biens à vendre peuvent rapporter environ 70 millions; et, en supposant que 50 millions soient vendus au denier 30, et le reste au denier 25, on peut en espérer deux milliards. On doit se proposer quatre objets dans cette vente : le premier d’être juste envers les créanciers ; le second de vendre, le mieux qu’il est possible, les biens nationaux ; le troisième, de les vendre de la manière le plus avantageuse pour la prospérité publique, qui demande que les propriétés soient divisées, et que le plus grand nombre des chefs de famille soit attaché au sol par la propriété, comme il doit l’être à la patrie par la bonté de ses lois; le quatrième, est de vendre promptement. La justice envers les créanciers exige qu’ils soient traités comme le seraient des créanciers ayant hypothèque sur les terres d’un particulier, c’est-à-dire qu’ils soient payés à mesure que les terres seront vendues, en leur tenant compte des intérêts. Le débiteur peut encore cependant être injuste envers le créancier : 1° si la liquidation rend exigible une dette du créancier qui ne l’était pas auparavant, ce qui peut avoir lieu ici relativement aux propriétaires d’offices quelconques, qu’on remboursera sur les biens nationaux. Mais le remède est simple; que tout soit, jusqu’au moment de la vente finale des biens nationaux, réglé précisément de la même manière que si le propriétaire de l’office l’avait mis en vente, et qu’il y fût resté pendant cet espace ; 2° si le créancier qui comptait recevoir la somme due, qui, en conséquence, avait pris des engagements, se trouve, par le retard que cause la liquidation, hors d’état de les tenir. Cette injustice a été faite au mois d’août 1788, et on doit la regarder comme irréparable, parce qu’il est impossible de reconnaître aujourd’hui ceux à qui elle a fait un autre tort que la perte de l’intérêt des payements suspendus. Ainsi, le droit des créanciers de l’Etat se borne au remboursement de ce qui est dû, pourvu que ce remboursement soit fait à mesure delà vente, et en tenant compte des intérêts. La meilleure vente des biens nationaux dépend 1° de la distribution de ces biens; 2° de la plus grande concurrence des acheteurs. ARCHIVES PARLEMENTAIRES. à la tribune. à aller aux voix, sauf [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [3 septembre 1790.] 53» On a proposé de ne point vendre de grandes masses de biens, mais des parties isolées, et seulement des corps de fermes, ou la totalité des biens affermés au même fermier exploitant. Cette dernière condition était nécessaire, parce que les personnes chargées de la vente n’auraient pu distinguer celles de ces fermes qui peuvent être divisées sans perdre de leur valeur, et celles dont la division diminuerait le prix r d’ailleurs, puisque ces biens, ainsi réunis, avaient trouvé un fermier qui regardait comme avantageux de les exploiter, il est évident qu’ils doivent trouver un propriétaire qui croira utile pour lui de les acquérir. Cependant une clause permet encore la division, mais c’est dans un cas où elle est évidemment avantageuse. Pour augmenter la concurrence des acheteurs, on a proposé de recevoir immédiatement en payement les créances qui devaient être acquittées sur le prix de la vente : cette disposition est juste, elle est avantageuse à la masse des créanciers, puisqu’elle tend à augmenter la valeur de leur gage. Elle n’est injuste envers aucun d’eux, parce qu’autremeut ils auraient été remboursés par le sort sur le prix des ventes; et qu’entre des personnes qui ont un droit égal, il n’y a pas d’injustice à donner une préférence à ceux qui procurent le bien commun de tous. Enfin elle est encore avantageuse à tous ceux de ces créanciers qui auraient eu le désir d’acquérir ces biens, en ce qu’elle leur en facilite les moyens, puisque autrement iis auraient été obligés de faire les avances d’une partie des acquisitions, et si le sort ne les avait pas favorisés, de vendre leurs effets sur la place, et peut-être de les vendre à perte. Le troisième objet est de faire en sorte qu’une quantité considérable de ces biens soit achetée par les cultivateurs eux-mêmes. Cette condition doit être subordonnée à celle d’une vente avantageuse; aller plus loin, ce serait être injuste envers les «autres classes de citoyens. Ainsi l’on a dû adopter la subdivision des biens qui tend à remplir ces deux conditions; niais on n’a pas dû refuser aux créanciers le droit de concourir avec l’argent, parce qu’il est de justice rigoureuse que celui qui doit et qui ne peut payer, prenne du moins lui-même en payement ce qu’il doit. Cependant, si parmi diverses manières d’admettre ces créanciers, il y en avait une qui tendît à exclure de ces acquisitions les cultivateurs, les propriétaires de campagne, ce serait une puissante raison pour ia rejeter. La promptitude de la vente est d’une grande importance; mais elle doit être subordonnée à l’intérêt de bien vendre, à celui de ne pas vendre par grandes masses. J’évalue à deux ans la durée nécessaire de cette opération : ce n’est pas trop pour qu’elle soit bien faite, pour que la concurrence soit réelle, qu’elle puisse avoir lieu partout, pour tous les biens ; car il ne suffit pas que tous aient trouvé des acheteurs, il faut que chacun en puisse trouver plusieurs. Une inégalité scandaleuse dans le prix des différents biens, des accusations multipliées de partialité et de malversations, un mécontentement général seraient la suite d’une précipitation exagérée. Examinons maintenant les trois moyens que l’on propose. Le premier consiste à convertir la totalité de la dette exigible en billets portant 5 0/0 d’intérêt, qui seront admis dans les ventes, concurremment avec les assignats déjà créés, et l’argent comptant ; le second convertit cette même dette en assignats, portant ou ne portant pas intérêt, admis en concurrence avec l’argent, ou même à l'exclusion de l’argent; le troisième consiste à suivre l’une et l’autre de ces méthodes à la volonté des porteurs de créances. Par le premier moyen, la justice est remplie à l'égard des créanciers, puisqu’ils recevront l’intérêt de leur dette au taux courant. La tranquillité de ceux dont les charges sont hypothéquées est à couvert; ils payeront l’intérêt jusqu’à la vente finale, mais la nation le leur paye également, et après la vente finale, s’ils n’ont pas formé de conventions avec leurs créanciers, la valeur qu’auront alors les effets nationaux qui resteront les met à l’abri de tout danger. De plus, il est évident que leurs créanciers n’ont pas à se plaindre : ils auront pour hypothèque, au lieu d’une charge garantie par la nation, des effets également garantis par elle. Quant aux effets mis en dépôt pour des cautionnements, leur transformation en nouveaux effets ne produit aucun changement; ceux qui les ont admis auront seulement, comme les créanciers hypothécaires sur les charges, l’avantage de pouvoir, s’ils le veulent, substituer au cautionnement une hypothèque eu terres. La concurrence est établie : car un effet, s 5 0/0, est à peu près (sauf le plus ou le moins de confiance) équivalent à une somme d’argent qu’on préfère d’employer en terres au lieu delà placer; celui qui a cet effet se dira: ou j’aurai une terre me rapportant un revenu qui me convient, ou j’aurai de l’argent dont je ferai l’usage que je voudrai, ou il me restera un effet sur la nation qui, vu le petit nombre de ceux qui subsisteront ne peut être regardé comme un mauvais placement ; ainsi, il ne portera pas les terres au delà de leur valeur; il ne payera pas trente mille francs eu effets ce qu’il n’aurait voulu payer que vingt mille francs en argent ; il n’exclura point, par ce haussement indéfini de prix, le cultivateur, le petit capitaliste qui n’a que de l’argent. La dette une fois ainsi liquidée, et le payement des impositions rétabli, il ne faudra qu’un très court espace de temps pour que la nation se trouve dans l’assiette naturelle à tout état riche; c’est-à-dire ayant du crédit pour emprunter dans les besoins extraordinaires, n’étant plus obligée d’avoir recours à des ressources ruineuses, et pour jamais dégagée des fers des agioteurs. Survient-il des besoins extraordinaires dans l’intervalle? Il reste la création d’une somme en papier-monnnaie équivalente à ces besoins, somme nécessairement trop, faible pour produire un bouleversement dans l’Etat, ni un changement ruineux dans les prix. L’intérêt de 5 0/0, intérêt courant, n’est qu’une justice à l’égard des créanciers. En supposant deux ans pour la vente , on aurait seulement à payer , pour un an qui est le terme moyeu, la différence entre la valeur du revenu des biens nationaux, et l’intérêt de ces sommes c’est-à-dire, à cause des 400 millions d’assignats, la différence de 70 millions à 92, ou 22 millions, si on donne pour 1,600 millions de ces papiers, et celle de-70 à 117, ou 47 millions, si on en distribue pour 2 milliards et 100 millions. Supposons maintenant que l’on substitue des assignats à ces billets, on trouvera d’abord deux différences essentielles : ils ont un moindre intérêt, ils sont un papier-monnaie qu’on est forcé de recevoir. La première condition est une injustice envers les créanciers; caron leur doit l’iQtérêt au taux Gourant : cette injustice n’est pas compensé» 522 [AîtemLléf nationale.] ARCHIVES PARLEMEMAIRES. [3 septembre 1790.] par la dignité du papier-monnaie à laquelle ces assignats sont élevés ; car tous ces créanciers de l’État ne sont pas débiteurs à leur tour, et il y a des dettes que les honnêtes gens ne payent pas en papier-monnaie: d’ailleurs, s’ils usent de cette facilité, l’injustice retombe sur celui à qui ils devaient tant de marcs d’argent ou d’or, et non un papier avec lequel on peut acheter des biens nationaux, et ce tort est égal à la différence entre la valeur nominale de l’assignat et sa valeur en argent. La masse des billets à 5 0/0 étant la même que celle des assignats, il ne peut y avoir de différence dans l’empressement d’acheter, mais les billets à 5 0/0 sont précisément ce qu’exigeait la justice, les assignais sont donc au-dessous. Ils produisent une banqueroute précisément égale à cette différence de valeur. On propose d’admettre exclusivement les assignats, sans permettre à l’argent de concourir ; Cela suppose que les biens nationaux, et non le prix des biens nationaux, appartiennent aux propriétaires de la dette exigible ; et c’est supposer, entre la valeur des assignats et celle de ces biens, une égalité absolue dont on ne peut même se flatter d’approcher. Cependant, si la masse des assignats est au-dessous de la valeur des biens, on dépouille la nation en faveur des créanciers; si, au contraire, on en crée trop, et que, par une suite de cette abondance excessive, les biens soient payés en assignats au delà de leur valeur, on dépouille les créanciers. Or, comme on ne peut guère connaître qu’à 3 ou 400 millions près, la valeur de ces biens, on risque de faire une injustice de 3 ou 400 millions, soit à la nation, soit aux créanciers. Avec des billets à 5 0/0, on n’est exposé à aucun de ces inconvénients. Admettre les assignats seuls ou en concurrence avec l’argent , c’est éloigner des acquisitions les cultivateurs, les habitants des campagnes, les petits propriétaires qui économisent sur leur revenu. Dans le premier cas, iront-ils acheter de§ assignats sans savoir si la seule pièce de terre qu’ils désirent, la seule qui leur convienne, ne leur sera pas enlevée par un autre? Trouveront-ils à faire promptement une autre acquisition d’une valeur à peu près égale, dans les limites du cercle étroit où ils peuvent acquérir? Attendront-ils que la terre leur soit adjugée pour acheter des assignats dont le prix peut varier d’un jour à l’autre? Cette incertitude suffit pour éloigner, pour dégoûter ces hommes simples , mais déliants. Dans le second cas , supposons que les assignats perdent 10 0/0, en offrant dans l’enchère 1,100 livres en assignats, on offrira précisément la même chose que 1,000 livres en argent. Je sais qu’un cultivateur peut acheter ua bien plus cher qu’aucun capitaliste, parce qu’il n’achète pas le revenu seul, mais l’avantage déplacer des avances de culture sur un terrain qui lui appartient , mais celui d’avoir un emploi plus assuré de son temps et de son travail. Or, cet avantage qui subsistera tant qu’ils n’auront à craindre que la concurrence, soit de l’argent des capitalistes , soit de billets à 5 0/0, doit s’évanouir devant un papier qui ne peut être regardé comme un placement , et dont le sort, après la vente totale des biens, resterait dans une incertitude effrayante. Les porteurs d’assignats doivent vouloir acquérir à tout prix, et la concurrence n’aura lieu qu’entre eux. Si donc l’on considère la vente des biens nationaux, on ne trouve dans la préférence donnée aux assignats qu’in justice ou désavantage. L’utilité de la multiplication de ce papier forcé serait-elle donc suffisante pour l’emporter sur des considérations si importantes ? On a dit que cette multiplication serait utile pour le commerce; mais si on les crée pour les éteindre promptement par l’achat des biens nationaux, ils ne seront pas employés en entreprises de commerce? D’ailleurs, qui ne sait que le papier de banque ne peut être utile au commerce, si l’on n’est pas libre de le refuser, s’il n’est pas convertible en argent à volonté, si l’émission n’en est pas faite pour les besoins du commerce, de manière qu’il se proportionne à ces besoins. Rien n’est plus facile, lorsqu’il peut être échangé, parce qu’alors si une émission a été un peu trop forte, ce qui était superflu est bientôt rapporté à la caisse. Mais proposer de faire des entreprises nouvelles avec un papier forcé, non convertible en argent, créer ce numéraire fictif, dans l’idée que, ne sachant qu’en faire, on l’emploiera pour un commerce quelconque, c’est ce qu’il est impossible de proposer sérieusement. De tel papier ne produit qu’un genre de commerce destructif de tous les commerces utiles, celui du papier même. Il existe moins de quatre cents millions d’assignats-monnaie , et ils perdent 6 0/0 contre l’argent ; combien perdront deux milliards de papier? Car ces quatre cents millions ont aussi pour gage la totalité des biens nationaux ; et si ce gage ne rassure pas pour quatre cents millions, il ne rassurera pas pour deux milliards; et si l’emploi très commode des assignats dans les affaires, n’en soutient pas 400 millions, ce même emploi en soutiendra-t-il cinq fois davantage? On propose de couper les assignats, et d’avoir des banques où l’on échangera les petites sommes. Mais quel en sera le résultat? Il faudra dans chaque ville un bureau où se fera l’échange, et où chaque jour l’on portera la somme nécessaire pour les petites dépenses ; il faudra donc chaque jour une somme renouvelée dans chaque ville pour remplir cet objet. Ce ne sont pas ici des capitalistes de Paris, des gens ayant au moins deux cents francs de comptant qu’il faut satisfaire ; ce sont des ouvriers, des gens sujets à s’irriter, et fort peu au courant des spéculations sur le papier. Il faut donc ou fournir régulièrement l’argent, le fournir promptement, ou s’attendre à une émeute, et il faut le renouveler tous les jours, le renouveler partout; et comment, si on considère les dispositions actuelles du peuple, son penchant naturel à la défiance, fruit de l’ignorance et de l’oppression ; ce que les circonstances et les manœuvres ont ajouté à ce penchant, et la facilité que celte nouvelle cause de trouble donne pour ces manœuvres, ne sera-t-on pas effrayé des suiles qu’un tel établissement peut entraîner? D’ailleurs, à quel prix achètera-t-on cet argent et celui qu’il faudra pour la dépense publique, car les impôts en produiront beaucoup moins? N’en coûtera-t-il pas beaucoup plus que les 5 0/0 d’intérêt qui, dans le premier projet, sont accordés aux créanciers? et, sous ce point de vue, à qui la création de ces assignats serait-elle utile? A ceux qui vendront à la nation de l’argent au poids de l’or, et à qui on serait obligé de donner ce qu’on ôte injustement aux créanciers. Chamillard proposait autrefois à Gatinat de payer l'armée d'Italie avec l'argent que les Génois prêteraient , peut-être. N’exposons pas aux mêmes risques la paye de nos troupes. La rareté du numéraire tient en grande par- (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (3 septembre 1790. J 533 fie à l’existence d’un papier forcé qui perd sur la place. Ou aime mieux garder de l’argent et payer en papier; garder de l’argeut, et en acheter avec du papier pour les dépenses courantes. Si du moins en créant, il y a quelques mois, ce papier forcé, pour obéir à la nécessité, on y eût apporté le remède qu’un tel papier doit toujours porter avec lui, c’est-à-dire un intérêt qui permette de le garder comme placement, il eût moins embarrassé la circulation; mais alors on a écouté les sophismes des agioteurs, on a préféré leur intérêt à celui de la nation. Osons espérer qu’on ne les écoutera plus. On a dit que cette conversion de la dette, exigible en billets à 5 0/0, favoriserait l’agiotage ; mais personne n’ignore que l’unité de papier est un des plus sûrs moyens de le détruire ; mais personne n’ignore qu’un papier forcé, un papier que les circonstances, comme son emploi, exposent à des variations artificielles , personne n’ignore qu’un tel papier est de tous, celui qui prête le plus au genre d’agiotage le plus dangereux, c’est-a-dire au jeu des effets, et que si la loterie royale est une table de pharaon, où la puissance publique invite la nation, créer ces nouveaux assignats, c’est l’inviter à une table de passe-dix. Jusqu’ici les assignats n’étant pas coupés au-dessous de 200 livres, n’étant pas tombés au-dessous d’environ 6 0/0, il en est résulté peu de changement dans le prix des denrées, vu surtout que le détailleur vendant avec profit, l’argent qu’il recueillait trouvait un dédommagement dans ce profit ; mais en multipliant les assignats, en les divisant par petites parties, on ne peut éviter un haussement dans les prix, ce qui a Je double inconvénient de faire un véritable vol à tous ceux dont le revenu est en argent, et de réduire à la misère ceux qu’ils faisaient vivre. Si l’augmentation était graduelle et constante, la masse du papier et des métaux payant autant de denrées et d’ouvrages que la masse seule des métaux, alors cette dernière considération deviendrait nulle ; mais elle reste tout entière, si l’augmentation est passagère et variable. Ce n’est pas ici un milliard en papier qu’on ajoute à un milliard en métaux, mais deux milliards de papier qui n’en valent qu’un seul, et qui font cacher l'argent. L’erreur consiste toujours ici à confondre les effets d’un papier qu’on emploie par commodité, et ceux dont on se défait par nécessité. C’est ainsi qu’en parlant de la valeur que doit conserver aux assignats le gage immense qui leur est accordé, on confond cette hypothèque avec un nantissement, et le droit plus ou moins exclusif d’être admis à enchérir dans les ventes, avec une collocation déterminée sur une partie quelconque; on confond ce qui peut soutenir un effet représentant une créance avec ce qui serait nécessaire pour soutenir un papier de circulation. Je n’ai point encore répondu à M. de Mirabeau, jusqu’ici mes principes sont les siens; j’ai employé les armes avec lesquelles il a combattu l’agiotage et le papier-monnaie. Maintenant les circonstances ordonnent-elles de recourir à ce moyen défectueux en lui-même? Dans un temps où la Constitution de l’Etat n’est ni exécutée ni même achevée, où les pouvoirs créés par elle n’ont encore ni acquis toute leur activité, ni obtenu l’autorité nécessaire, où les lois sont peu respectées, où l’ordre est sans cesse troublé, où la perception des impôts n’est pas certaine, où le peuple sait qu’il est maître, mais ne sait pas comment il doit l’être, dans un pareil moment les moyens qui exigent le moins de confiance, qui excitent le moins de mouvements, qui obligent le moins le peuple à changer ses habitudes, sont les seuls qu’il soit sûr, qu’il soit utile, qu’il soit honnête d’employer. Dans ces mêmes circonstances, les législateurs doivent examiner, avec une réflexion profonde, les mesures ou populaires ou paraissant l’être, qui leur sont proposées, ne les prendre que s’il est bien prouvé qu’elles sont justes et utiles; mais sont-elles une fois adoptées, ils doivent les suivre; revenir alors sur ses pas, c’est appeler le désordre, c’est offrir un prétexte aux mécontents, une excuse à la violation de la loi, de3 moyens à ceux qui veulent troubler la paix. N’est-il point possible maintenant qu’il se glisse des abus dans la vente des biens nationaux, qu’il éclate des mécontentements? laissera-t-on ces abus subsister, ces mécontentements s’accroître? ou retardera-t-on les ventes ? Les cultivateurs, les gens de la campagne ne verront-ils pas avec humeur, 20,024 livres de papier l’emporter sur 20,000 livres de leur argent, quoiqu’il soit public que ce papier a été acheté pour une moindre somme? Encore moins verraient-ils sans colère que leur argent est refusé, qu’il faut, avant d’acheter, l’échanger contre le papier qu’un marchand leur vendra. Quelle idée auront-ils de ce marchand, qu’ils appelleront franchement un agioteur! combien ne sera-l-il pas aisé de les porter à des violences! Ces derniers inconvénients sont moins à craindre dans le premier projet: 1* parce que les porteurs de contrats à 5 0/0 ne pousseront jamais les terres fort au-dessus de leur valeur ; 2° parce que ces contrats n’auront pas une valeur marchande au-dessous de leur valeur nominale. Mais supposons que tons les inconvénients soient égaux, combien les conséquences sont-elles différentes? Dans le premier cas, il ne résulte aucune secousse, on a le temps de rétablir l’ordre. Les ventes se ralentiront pendant quelques semaines dans un coin de la France; les biens seront vendus à un prix plus bas; les créanciers, payés avec ce prix reçu en argent, entreront en concurrence. Dans le second, à la nouvelle d’un tumulte bientôt exagéré, ce papier forcé, qui inonderait la capitale, baisserait en un jour de 20, de 30 0/0 ; cette chute produirait des augmentations subites dans le prix, et je demande alors commeut le setier de blé montant en un jour, peut-être de 24 à 36 livres en papier, vous maintiendrez le pain à 3 sols en argent : comment on pourra, au milieu de ces variations nominales, mais qui paraîtront réelles aux yeux d’une partie du peuple, qui le seront pour lui, puisque le même papier payera d’un jour à l’autre des quantités différentes d’une même marchandise, comment on pourra faire respecter la propriété des possesseurs de denrées, et à quel prix ils feront des marchés à crédit, quand, suivant la bonne foi et le hasard des circonstances, le même mot peut exprimer des choses dont la valeur diffère de moitié, et change en un jour. J’ignore le degré des maux que la multiplication excessive du papier-monnaie a causés en Amérique; mais les Américains n’étaient pas comme les Français, entassés dans un territoire borné; les agitations particulières n’y dégénéraient pas en convulsions générales ; les Américains n’étaient point partagés en deux classes, dont l’une cherchait à se venger de l’oppression et de l’insolence de l’autre; les Américains com- 534 [Assen.Wée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [3 septembre 1790.) battaient pour leur liberté, pour leur vie, pour leurs biens ; il s’agissait de repousser un ennemi qui avait voulu les effrayer par le meurtre et le pillage; le papier était pour eux une véritable monnaie obsidionale ; elle avait l’excuse de la nécessité; la nôtre n’en aurait point d’autre qu’un excès de confiance dans les idées de quelques commerçants en papier. Mais , on objectera peut-être que ce papier-monnaie, promptement absorbé par des ventes, ne peut avoir ces effets funestes. Ainsi l’on dit à l’un : il va donner une nouvelle vie à l’Etat, il animera le commerce , les manufactures ; à l’autre, hélas 1 permeltez-nous de le créer, il passera de la main des créanciers dans le Trésor national, et on se hâtera de le brûler: à peine sa faible existence sera-t-elle remarquée. Cependant, durant le temps plus ou moins long, plus ou moins paisible , qui sera nécessaire pour la vente, ces mouvements dans les prix, ces variations dans la valeur du papier nuiront à toute espèce de commerce et d’industrie, menaceront de troubler la paix, et, grâce à l’existence de ce papier forcé, le plus petit désordre pourra causer des maux incalculables. Un décret accorde à ceux qui ne peuvent payer en argent comptant la facilité de s’acquitter d’une partie déterminée du prix, en payant une annuité de douze ans. Cette clause, décrétée en faveur des habitants de la campagne et des acquéreurs peu riches, sera-t-elle révoquée ?Non, sans doute: une disposition si populaire, si favorable au pauvre, n'est pas de celles que l’on peut changer. Il faudra donc leur accorder la facilité de né payer que 12, 20 0/0 en papier-monnaie; mais si beaucoup prennent ce parti, combien alors la destruction de ce papier forcé n’est-elle pas lente et embarrassée? Cette seule condition ne détruit-elle pas les magnifiques avantages de ce projet? Sans doute, il sera possible que les acquéreurs, au lieu de devoir l’annuité à l’Etat, s’arrangent pour la payer même à un plus faible intérêt aux porteurs d’assignats, comme aux porteurs de billets à o 0/0; mais ce moyen ne doit pas être forcé ; il serait imprudent d’v compter; enfin s’il n’est pas généralement employé, les résultats des deux méthodes sont bien différents, puisque l’une conduit à un remboursement graduel de papier à 5 0/0, dont il ne résulte aucun embarras; l’autre à une longue conservation de papier-monnaie. Est-ce l’intérêt des créanciers qui peut excuser cette mesure? Non, car ou ne voit pas pourquoi ils préféreraient du papier qui rapporte un intérêt faible ou nul à du papier qui rapporte -5 0/0, si l’un et l’autre peuvent servir égaie--meat à l’achat des biens naiionaux ? Est-ce que •du papier forcé leur paraîtrait commode pour payer leurs dettes ? Cette commodité ne séduira pas les gens honnêtes. Est-ce qu’ils trouveront avantageux d’être seuls acquéreurs? Ce ne sont pas non plus les gens honnêtes que séduira ce privilège exclusif qui serait nui pour eux. U n’est pas douteux que la nature des affaires de quelques négociants en papier ne leur fasse désirer k multiplication du papier forcé; mais la nation doit-elle se régler sur l’intérêt de quelques particuliers ? N’est-il pas elair que, presque sans exception, tous les marchés actuels eat été formés d’après des spéculations sur ce qui va bientôt arriver? Et je demanderai pourquoi la nation favoriserait une de ces spéculations plus qu’une autre : celle du capitaliste qui a calculé dans l’hypot hèse d’une inondation d’assignats, plutôt que celle du capitaliste qui a calculé dans l’hypothèse d’une création de billets à cinq 0/0. Je demanderai pourquoi ce serait Paul, créancier de Pierre, plutôt que Pierre, créancier de l’Etat, qui serait forcé de chercher son payement sur les biens nationaux; pourquoi enfin ce serait sur lui, qui ne doit rien, que tomberait l’embarras qui peut résulter de cette opération ? Nous ne devons pas oublier une dernière considération, qui oserait répondre qu’il ne surviendra point de besoins extraordinaires auxquels les impôts ne pourront suffire, ou que ces impôts même n’éprouveront aucun déficit; qui oserait répondre qu’alors oh trouverait à emprunter, pourquoi donc s’ôter la dernière ressource de la nécessité absolue, l’usage du papier forcé, ou en confondant celui qui sera créé pour les besoins dans la masse de cette énorme émission, se condamner à marcher encore dans les ténèbres? Le troisième projet consiste à laisser aux créanciers le choix des deux moyens. La perte de six pour cent qu’éprouvent aujourd’hui les assignats montre qu’ils surpassent les besoins du commerce, ce qui conduit à cette conclusion évidente, qu’il ne faut en créer que dans le cas de la nécessité absolue. Mais rien n’empêche qu’au moment où la vente des biens ecclô-satistiques sera ouverte, on n’offre aux porteurs de contrats à o 0/0 le remboursement en assignats, à mesure qu’ils rentreront au Trésor royal, et suivant l’ordre de leur demande. On pourrait employer à cette conversion la moitié des assignats,* et on brûlerait le reste. Cette mesure serait utile aux particuliers, sans nuire à la chose publique, parce que les assignats diminuant à chaque fois qu’ils se présenteraient dans les ventes, atteindraient bientôt un terme où ils n’excéderont plus les besoins de la circulation. Ce qui seul peut séduire dans le projet d’acquitter la dette exigible eu assignats, c’est la diminution d’intérêts à payer. Eh bien, que l’on n’impose pas les intérêts de la dette; que dans les deux années, terme auquel on peut fixer la durée des ventes, ils soient compris avec les remboursements, ce qu’il est aisé de faire, même sans retarder le payement de ces intérêts ; qu’en-fin durant ce même espace, on ait égard à la différence réelle entre la valeur perpétuelle des rentes viagères et des pensions ecclésiastiques et leur valeur présente, et qu’on impose 25 millions de moins, somme évidemment inférieure de beaucoup à cette différence; qu’ensuite après deux ans, lorsque les biens nationaux aliénés à des particuliers auront ouvert une nouvelle source de richesses, lorsque les mouvements causés par la Révolution, dans la distribution des richesses et des travaux, auront fait place à uu nouvel équilibre, l’on fasse un nouveau calcul, et qu’aiors l’on proportionne l’impôt au besoin. Gomme on ignore et le montant de la dette exigible, et la valeur des biens ecclésiastiques, et ce que pourront exiger les besoins extraordinaires, cette mesure, dans toutes Les hypothèses, est la seule que l'intérêt du peuple puisse conseiller. L’on craint que le ministre présent ou futur ne consomme peu à peu les ressources. Si l’Assemblée nationale ne trouve pas un moyen de prévenir ce mal dans un ordre de choses simple, clair, qui n’oblige le Trésor public à aucune opération de banque, comment I’em pêcherait-elle après une opération qui rend incertain le produit de l'impôt et la masse des dépenses, diminue Tua ou augmente l’autre, oblige à des achats forcés de [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [3 septembre 1790.] 535 sommes immenses en argent, et néeessite enfin des secours extraordinaires, quand même la nation n’aurait point de mesures de défense à prendre, quand même les impôts seraient régulièrement payés, et par la seule existence du papier-monnaie? Ces besoins, auxquels on suppose que le ministre appliquerait une partie de nos ressources, sont-ils réels? il faut bien y pourvoir. Sont-ils imaginaires? il faut savoir éviter le piège; mais de tous ces remèdes, le plus dangereux sans doute, est celui qui ne préserverait de la facilité d’abuser, qu’en privant de la possibilité d’agir. Je n’ai point parlé de l’idée d’admettre dans les ventes les porteurs des contrats de rentes constituées. Cette question est d’une autre nature, et je la crois moins importante qu’elle ne le paraît. Si on considère le droit rigoureux, cette dette est exigible ; si on ne considère que l’opinion, elle ne l’est pas. Si ces contrats ne sont pas admis, la diminution de la dette produite par les ventes en augmentera cependant la valeur, et l’opération sera utile à ces créanciers, quoiqu’ils n’y aient pas concouru. S’ils sont admis, ils ne porteront pas beaucoup plus haut le prix des ventes. Entre des contrats à 5 0/0 et des terres il y a une balance, dont, sans un discrédit absolu, on ne s’écartera jamais beaucoup. L’accélération ae la vente des biens nationaux, la concurrence nécessaire pour les porter à leur valeur, la justice pour les créanciers, tous ces intérêts, loin d’exiger la création de nouveaux assignats, exigent donc, au contraire, que cette mesure soit abandonnée. Elle ne peut être d’aucune utilité au commerce, elle ne remédiera point à la stagnation du numéraire, dont l’existence d’un papier forcé, à un bas intérêt, est une des principales causes. Le moyen de remédier à cette stagnation est, au contraire, d’appeler au payement de la dette les capitaux, qui sont resserrés entre les mains des cultivateurs et des petits propriétaires, capitaux très faibles chez chacun d’eux, mais immenses par leur nombre; c’est par conséquent d’exciter cette classe de citoyens à l’achat des biens nationaux, et non de les en éloigner. Le moyen de faire cesser la stagnation, c’est de rétablir la confiance, et la confiance ne peut être ranimée que par une sage constitution de l’administration du Trésor national, par des opérations simples, calculées, qui appellent cette constance et qui n’en exigent point, par la certitude de n’être pas exposés à voir les législateurs adopter des spéculations effrayantes-Le rétablissement de l’ordre doit précéder celui de la confiance : telle est la loi de la nature : vouloir rétablir la circulation par la peur de l’avilissement des papiers, et non par la confiance, c’est proposer de multiplier les animaux qui dévorent les .grains pour animer le commerce des subsistances par la crainte de les voir détruire ; vouloir faire naître la confiance avant que l’ordre soit rétabli, c’est proposer d’y croire avant qu’il existe. Supposons enfin que l’émission de 2 milliards d’assignats soit décrétée ; supposons qu’il en résulte seulement une partie des désordres qu’elle peut entraîner; supposons que même on parvienne à faire cesser ces désordres, en suspendant l’opération, car il est vraisemblable que cette nécessité se fera sentir longtemps, avant l’émission totale : alors n’est-il pas à craindre que cette grande erreur, ou, si l’on veut, le mauvais succès d’une mesure si hardie n'affaiblisse dans les -esprits cette opinion si vraie, si consolante, qui Tait regarder l’égalité des citoyens, l’unité du pouvoir législatif, comme les éléments nécessaires d’une Constitution libre, opinion qui a été jusqu’ici la base de la Constitution française ? N’y a-t-il pas de danger à faire dire qu’une seconde Chambre de propriétaires plus riches aurait prévenu le désordre? et de ce qu’une fois elle aurait été évidemment utile, n’en conclura-t-ou pas qu’il faut l’établir pour toujours ? Cette opinion de l’unité du pouvoir législatif n’a existé longtemps que dans la tête de quelques philosophes. L’expérience a prouvé qu’elle est du nombre de celles qui germent le plus difficilement dans l’esprit des hommes habitués aux affaires. L’Assemblée nationale s’est acquis des droits à la reconnaissance du genre humain, en donnant le modèle d’une Constitution qui ne met aucun obstacle au perfectionnement des lois, des formes d’administration, en un mot, d’aucune des institutions sociales ; elle a donné un grand exemple, en proposant de substituer des moyens combinés par la raison à cette force d’inertie que produit la nécessité de réunir à une même volonté des corps animés de divers intérêts, et dirigés par des préjugés différents. Mais la nation, effrayée par les malheurs qu’entraînerait l’adoption du projet d’assignats, ne changerait-elle pas son admiration en inquiétude? Ne regarderait-elle pas ces deux Chambres, qui lui paraissent, aujourd’hui si odieuses, comme un port qui la préserverait d’éprouver à l’avenir de pareils orages? Ainsi cette opération menace à la fois la Constitution, et par le danger d’une subversion totale qui peut en être la suite, et par celui d’un changement d’opinion qui en altérerait les principes. Législateurs de la France, daignez écouter la voix d’un citoyen qui vous respecte, qui vous a souvent admirés, qui ne flattera jamais. Cet échange perpétuel de l’argent contre le travail, ce principe de la prospérité des nations, languit aujourd’hui : mais quelle en est la cause? l’inquiétude qui empêche l’uu de travailler, l’autre de commander le travail, au troisième d’en employer les produits; faites cesser cette inquiétude, achevez la Constitution, afin que les uns ne redoutent plus de reprendre leurs fers, et les antres d’éprouver dans leur fortune des bouleversements nouveaux. On vous parle d’attacher les citoyens à la Révolution, par la crainte de voir s’évanouir entre leurs mains les papiers que vous aurez créés ; mais qu’importent à cette crainte la forme et les conditions de ces effets? cette terreur n’existe-t-elle pas déjà non pour les papiers seulement, mais pour tous les geures de propriété ? Les bons, les mauvais citoyens, tous veulent que la Révolution s’achève; mais il suffit aux uns d’une Constitution quelconque, qui, livrée aux hasards des événements, puisse, en cédant à la force toujours constante de la corruption et de l’intérêt personnel, se rapprocher de ces Constitutions où l’intrigue, l’avidité, l’ambition peuvent impunément déployer toute leur activité, faire jouer tous leurs ressorts. Les autres ne veulent qu’une Constitution vraiment libre, portant avec elle des moyens de se perfectionner, moyens sous lesquels elle ne pourrait se défendre contre l’action imperceptible, mais infaillible du temps. Tel est le bienfait que nous attendons de vous. Montrez-nous daas la Constitution des législatures suivantes des principes qui nous assurent qu’elles ne feront que de bonnes lois. Donnez au 536 [Assemblée nationale. [ ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [3 septembre 1790. conseil responsable du prince une Constitution, qui, bornant les fonctions des ministres à ce qu’il est évidemment utile de leur confier, et fixant ces limites avec précision, éloigne la défiance, et les présente au peuple comme ses agents et non comme ses ennemis. Donnez à l’administration des finances et du Trésor public une Constitution qui puisse la soustraire à toute espèce d’influence, qui, sans gêner les opérations, en écarte l’arbitraire, de manière que cette administration puisse toujours agir et ne puisse jamais tromper, éclairer la législature et jamais l’égarer, servir la nation et jamais la corrompre. Alors chaque pouvoir sachant comment il doit agir, ce qu’il lui est imposé défaire, et où il doit s’arrêter, prendra une marche plus régulière et plus ferme. Celui qui voudrait troubler la paix trouvera partout un pouvoir agissant au nom de la loi, et n’exécutant que la loi, un pouvoir, qui remontant de chaînon en chaînon jusqu’au pouvoir suprême offrira, jusque dans la dernière de ses ramifications, la force de la nation tout entière. Hâtez-vous d’établir les jurés; car des citoyens libres ne se laissent juger qu’avec impatience par des hommes qui n’ont pas leur estime, et vous ne pouvez croire que tous aient assez de vertu pour que le soupçon ne dégénère jamais en résistance. Etablissez l'impôt, et montrez aux citoyens qu’ils ne payeront que pour le maintien de la prospérité publique, qu’ils payeront avec égalité, que l’impôt sera désormais un sacrifice d’argent et non une source d’atteintes à la liberté, une dépense et non une vexation, un devoir et non une servitude. Alors vous verrez renaître l’ordre, et la confiance le suivra. Alors vous verrez disparaître, sous une administration vigilante, sage, digne de l’estime publique, ce gouffre que le despotisme avait creusé et que les orages inséparables des premiers moments d’une Révolution devaient accroître. La fécondité de notre sol est augmentée de tout ce que les animaux sauvages, jadis plus respectés que les hommes, enlevaient aux cultivateurs. Notre industrie est augmentée de tout ce que l’oppression et la tyrannie lui faisaient perdre d’énergie et d’autorité. Nos richesses ne se sont pas éloignées de nous; elles attendent pour reparaître le moment où elles seront employées à l’acquisition des biens que vous avez rendus aux citoyens, au remboursement des droits onéreux, dont vous leur avez permis de s’affranchir ; elles attendent la paix dont on a besoin pour se livrer ù ces arrangements domestiques; elles reparaîtront avec elle; et la paix ne peut renaître chez un peuple que vous avez appelé à la liberté, si vous ne lui donnez un gage qui la lui garantisse pour toujours, et ce gage c’est le système complet d’une Constitution égale et libre . Mais songez en même temps que l’opération qu’on vous propose est incompatible avec celte Constitution , dont l’heureux achèvement est votre devoir et notre espérance : car, suivant les principes de cette Constitution, vous voulez sans doute une administration toute publique, où tout soit réglé par la loi, dont les agents ne puissent échapper aux regards delà nation: et cette opération suppose des mesures promptes, arbitraires et secrètes; elle suppose que vous accorderez au ministre des finances une confiance illimitée ; que vous ratifierez toutes les dépenses sur sa parole; que vous l’autoriserez à opposer des manœuvres secrètes aux manœuvres des agioteurs; et cette dictature de la finance ne peut durer quelques années sous une Constitution d’ailleurs libre, sans la corrompre à jamais. P. S. On a prétendu qu’il fallait bien se garder d’exposer avec franchise les inconvénients des assignats, dans la crainte de les discréditer, s’ils venaient à passer ; c’est proposer de ne pas dire que l’arsenic est un poison, de peur d’en dégoûter les malades à qui on voudrait le donner comme un remède. C’est en même temps un aveu du danger de toute mesure qui suppose une confiance prompte et constamment à peu près la même, c’est-à-dire deux choses contradictoires ; car cette confiance paisible est nécessairement l’ouvrage du temps. Je n’ai rien dit de l’extrême danger de la con-Irefaction d’un papier forcé, de l’impossibilité de suivre, pour un papier national, l’usage que suivent volontairement quelques banques publiques. On parle beaucoup de l’intérêt que l’on épargne à la nation ; mais comme il ne s’agit que de l’intérêt d’un an, et qu’il est prouvé par le fait que les assignats perdront au moins cet intérêt, on voit que leur création ne soulagerait pas la nation, et substituerait seulement à un impôt proportionnel un impôt inégal et sous formede banqueroute auquel il faut ajouter tout ce que la nation perdrait sur les assignats qu’elle donnerait pour les marchés libres, ou qu’elle serait obligée de convertir en espèces. Au reste, il a été longtemps possible, peut-être l’est-il encore de substituer, au papier forcé et aux quittances de finances, un papier libre qui serait vraiment utile à la circulation et au commerce. Mais cette possibilité suppose avant tout l’existence d'une administration des finances qui réunisse à une grande activité la confiance de la nation, et qui doive ces deux avantages non aux qualités personnelles de ses membres, mais à sa Constitution même. Nouvelles réflexions sur le projet de payer la dette' exigible en papier forcé, par M. Condorcet. Un maudit Écossais, chassé de son pays, Vint changer tout en France et gâter nos esprits. L’espoir trompeur et vain, l’avarice au teint blême, Sous l’abbé Terrasson calculaient son système, Répandaient à grands flots les papiers imposteurs, Vidaient nos coffres-forts et corrompaient nos mœurs. Art. 1er. Tout papier forcé est une injustice du genre de celles que la nécessité excuse, mais dont elle seule peut absoudre. Or, une émission de papier-monnaie, pour payer la dette exigible, ne peut être nécessaire, car cette dette exigible doit être acquittée parla vente des biens nationaux, et tout papier y peut être également employé dès que la nation qui les vend consent à le recevoir. Art. 2. On doit l’intérêt au taux courant de toute somme exigible dont, par l’impossibilité de la payer, on retarde le remboursement. Or, payer en papier forcé, ce n’est pas rembourser, parce qu’un papier forcé n’a point une valeur réelle, et qu’il n’est pas même signe de valeur reconnu par l’opinion, mais un simple gage. On doitdoncl’intérêlau taux courant quand on rembourse en papier forcé. Art. 3. Tout papier forcé doit perdre, parce qu’il n’est pas l’équivalent de la quantité de monnaie dont il exprime la valeur, et il n’en est pas l’équivalent : 1° parce qu’il ne peut-être em- «37 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [3 septembre 1790.] ployé dans les relations étrangères; 2° parce qu’il ne peut être forcé dans les marchés libres par leur nature. Tout remboursement en papier forcé est donc une véritable banqueroute, et en prononçant Je mot de remboursement de dette exigible en papier forcé , on prononcerait ïinfàme mot de banqueroute qu’on avait juré de ne prononcer jamais. Art. 4. Quand on a proposé de créer du papier forcé pour la nécessité du service public, on a dit : Les ennemis de la nation, étrangers ou français, pourraient trop aisément décréditer un papier libre, destiné à des dépenses nécessaires au maintien de la paix. Le maintien de l’ordre, la sûreté de la totalité des fortunes était le prix du sacrifice inégal, injuste en lui-même, commandé par cette mesure. Mais on ne peut se servir de cette même raison lorsqu’il s’agit d’effets destinés à faciliter le payement de la dette exigible par la vente des biens du clergé, car le discrédit d’un papier libre, fût-il total, n’empêcherait pas de l’employer à ces acquisitions. Ceux donc qui ont approuvé l’emploi du papier forcé pour payer des intérêts ou des parties delà dépense publique seulement, et en y attachant un intérêt au taux courant, et qui aujourd’hui s'élèvent contre une émission d’un papier semblable destiné à un autre usage, sont très conséquents, et leur opinion est également fondée sur les règles de la plus stricte justice. Mais ceux qui ont combattu la première émission et qui demandent la seconde, ont soutenu deux propositions, non pas contradictoires, mais contraires, c’est-à-dire pouvant être toutes deux fausses et non toutes deux vraies à la fois. Art. 5. Tout papier circulant, c’est-à-dire reçu librement en payement à la place des espèces, ‘a pour condition essentielle l’opinion qu’il peut être réalisé à volonté. Si celte opinion est constante, on est également certain que personne ne le refusera, ce qui lui conservera son crédit, môme dans un autre I ieu que celui où il peut être réalisé. Il n’est pas nécessaire que ce payement soit possible le jour de la demande. On fait le commerce avec des lettres de change, même à termes très longs. Ainsi, par exemple, si un effet porte avec lui la certitude d’obtenir pour remboursement une terre de même valeur au lieu d’argent, le temps plus long qu’exigerait cette mise en possession peut ne pas l’empêcher d’être un effet circulant. Il arrivera seulement que cette valeur, quoique égale, n’étant pas de la même nature ni propre aux mêmes usages que l’argent, la circulation de ce papier sera moins active ; il sera ce que sont, dans le commerce, les lettres de change payables dans un pays avec lequel on fait moins d’affaires. Art. 6. Tout papier forcé doit, pour condition essentielle, devoir être éteint successivement, à des époques déterminées, par une valeur en monnaie ou par une valeur réelle rigoureusement égale à sa valeur nominale (nous avons déjà dit ourquoi les intérêts au taux courant doivent y tre compris) comme une monnaie obsidionale a pour condition essentielle que, le siège fini, elle sera retirée. Art. 7. L’hypothèque la plus sûre ne suffit donc f»oint pour accréditer un papier circulant. Dans e commerce ordinaire, l’homme le plus riche en terres est obligé, s’il veut que ses billets circulent, de les faire à ordre, c’est-à-dire payables à présentation. Art. 8. L’hvpothèque la plus sincère ne suffit donc point pour que la justice soit gardée dans l’établissement du papier forcé; il faut de* plus que chaque porteur ait la certitude de recevoir pour son papier une valeur égale. Or, la condition d’être admis au payemeut d’une acquisition en terres dans uue masse de ventes quelconque, ne garantit ni l’époque du payement, ni même un payement égal à la valeur. Il faudrait que la masse du papier fût évidemment au-dessous de la valeur de l’hypothèque. Il faudrait que chaque porteur de papier fût sûr d’acheter un bien tellement au taux commun, qu’il pût en réaliser à volonté la valeur en argent. Cette condition ne peut donc servir ni pour l’émission d’un papier libre, ni pour celle d’un papier forcé, surtout si la masse de ce papier peut surpasser celle des biens. Art. 9. Si, par une suite quelconque de la défiance, la valeur de la terre prise en payement d’une créance en papier forcé était, suivant le taux commun des biens-fonds, soit avant, soit après l’opération, au-dessous de la valeur nominale exprimée par ce papier, on aurait fait banqueroute d’une somme égale à la différence. Mais il n'y a pas banqueroute si cette terre avait été achetée en papier non forcé portant intérêt au taux commun, parce que le porteur de ce dernier papier pouvait le garder sans essuyer aucune perte, et qu’ainsi son choix était libre. Art. 10. Le prix des denrées croît avec l’augmentation du numéraire destiné à les acheter : donc un numéraire fictif à qui on offre de nouveaux usages ne produit point une augmentation de prix proportionnelle à celle du numéraire. Mais quand ce numéraire fictif est un papier forcé, il y a augmentation dans les prix, parce que le papier a une valeur nominale supérieure à sa valeur réelle. (Voyez n° 3.) Or, toutes les fois que le payement d’un même nombre de livres nominales ou numéraires peut-être effectué avec des valeurs réelles différentes, lés prix se règlent sur une valeur moyenne entre les deux, mais en se rapprochant beaucoup de la plus faible. Ils se régleraient même, presque rigoureusement, sur la valeur la plus faible, si les effets qui ont cette valeur étaient généralement employés dans le commerce. De plus, cette différence de valeur n’étant point constante, il doit résulter de la création d’un par pier forcé une variation dans les prix. Or, une augmentation dans les prix, quand elle est la suite d’une loi, est une injustice envers tous ceux dont le revenu exprimé en livres nominales, se trouve réellement diminué, puisqu’il représente alors une moindre quantité de denrées. Et une augmentation ainsi qu’une variation dans les prix sont un mal pour le peuple, parce que les salaires ne se proportionnent aux prix que lentement ; d’où il résulte qu’ils sont en général proportionnels au prix commun, et non au prix courant des denrées. Ceci est une vérité non seulement de raisonnement, mais de fait. Un enchérissement subit dans le prix du pain, n’a jamais été indifférent au peuple, quand ce renchérissement l’a porté au-dessus au prix commun. Art. 11. Il résulterait donc de la création d’assignats employés à payer la dette exigible : 1° banqueroute d’intérêts dus légitimement, u°2 ; 2° banqueroute de la perte que subiront ces assignats, n8 3; 3° banqueroute à l’égard des créanciers, qui, par crainte, surachèteraient le3 biens nationaux, n° 9; 4° impôt sur ceux des citoyens qui ont leur revenu en argent ; 5° impôt sur le *538 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [3 septembre 1790. peuple, pour lequel on renchérit artificiellement le prix des denrées. Art. 12. Les grandes opérations de ce genre ont l’inconvénient d’entraîner ceux qui les adoptent hors de leurs mesures. Bientôt l’embarras résultant de la multiplication du papier forcé, fera proposer : 1° d’abroger la facilité accordée de payer en douze ans; 2° de renoncer au système adopté de vendre par petites parties. Je ne répéterai point ce que j’ai dit sur l’imprudence de revenir sur deux opérations si populaires. Je ne m’arrêterai pas à observer que la vente par grandes parties conduirait à d’odieuses et viles spéculations, comme je n’ai point parlé des honteux profits que cette opération prépare aux débiteurs de mauvaise foi, aux agioteurs, aux joueurs, aux spéculateurs, qui auraient pu préparer d’avance, et les moyens de le faire réussir, et ceux d’en profiler. Mais j’insisterai sur une considération plus importante. Les principes de la Constitution française ne peuvent conduire à un ordre paisible et durable, que dans un pays où la pluralité des chefs de famille, habitant les campagnes, ont une propriété foncière. L’Assemblée nationale a senti cette vérité. Toutes celles de ses lois qui peuvent influer sur la division des fortunes tendent à la favoriser ; elle a paru regarder la vente des biens du clergé comme une circonstance heureuse qui multiplierait en peu de temps le nombre des propriétaires, qui opérerait en quelques années un changement pour lequel il eût fallu plusieurs générations. Sacrifiera-t-on ce système de vente si bien combiné avec celui de la Constitution? Il est vrai que les capitalistes peuvent acheter pour revendre ; mais : 1° Pourquoi rendre incertain et dépendant de leur volonté un avantage que l’on peut s’assurer sans elle? 2° Pourquoi priver la nation ou les citoyens du bénéfice que ces capitalistes feront sur les reventes; 3° N’est-il pas évident que la division sera nécessairement et beaucoup moindre et plus lente? Art. 13. J’ai montré que les assignats proposés n’étaient pas même un papier forcé, tel qu’il doit être établi lorsque la nécessité obligea en créer. J’ai prouvé qu’il ne peut exister de nécessité de créer du papier forcé pour faciliter l’acquisition des biens nationaux (l). Quant à ces motifs si honteux de créer des papiers sans intérêt et sans confiance, afin d’accélérer les ventes, parce que la crainte s’empresserait de les placer, et d’attacher les citoyens à la Révolution par la peur d’être ruinés; quant à ces ridicules efforts pour lier la cause des amateurs d'assignats à la noble cause de la Constitution, ce serait faire injure à l’Assemblée nationale, que de croire avoir besoiu de réveiller l'indignation et le mépris qu’ils méritent. DEUXIÈME ANNEXE. Discours sur les finances , prononcé à la séance du 13 août 1790, de la société des amis de la Constitution , par M. COUGET-DESLANDES, membre de la société des amis de la Constitution , en sa ft) Le iprojet de faire aocroire que du papier forcé ranime la circulation, parce que la crainte de le voir baisser le fait passer de main en main, ne mérite pas une réfutation sérieuse. qualité d'affilié , citoyen de la ville de Dijon , électeur et confédéré du département de lu Côte-d'Or (1). — Imprimé par le vœu de la société des amis de la Constitution , et présenté par l'auteur au comité des finances. Messieurs, les observations que je vais avoir l’honneur de présenter à cette société ont pour objet de démontrer d’une manière évidente: 1° que l’émission des assignats papier hypothèque et monnaie , est une opération parfaitement combinée ; 2° qu’une nouvelle émission d’assignats est préférable à une émission de quittances de finances; 3° que les assignats procureront ta circulation de l’argent; 4° qu’ils promettent la baisse de l’intérêt de l’argent; et, en dernier ordre, j’établirai que la baisse de L’intérêt de l’argent est essentiellement liée au système de l’imposition. Avant d’arriver aux démonstrations que j’ai> nonce, je prononcerai hardiment que la création des assignats est une des opérations dont l’effet sera le plus prompt et le plus général; qu’elle détournera les malheurs que pourrait occasionner la rareté du numéraire retiré de la circulation. La ressource dernière que les ennemis de la Révolution ont cru obtenir de la rareté du numéraire leur est enlevée par la prévoyance de l’Assemblée nationale ; mais ils essayent encore aujourd’hui d’en rompre les mesures, de répandre de la méfiance sur ces effets, de les rendre inutiles et à la chose publique et aux intérêts particuliers. Cependant s’il est une grande et salutaire opération, c’est l’émission des assignats circulables et forcés portant un intérêt modéré, qui peut ramener au même prix celui que la convention a déterminé parmi nous pour l’argeut. § 1. Je dois remonter aux sources de no s malheurs communs. L’intérêt de l’argent ne s’est élevé en France, à un prix extraordinaire, que par l’effet des emprunts successifs du gouvernement. Il attirait continuellement à lui tous les capitaux ; sou crédit diminuait cependant en raison de ses besoins ; mais l’intérêt de l’argent augmentait pour tous dans la même proportion. Les capitalistes, plus riches de leur crédit que de leurs fonds, plaçaient habilement leurs reconnaissances dans toutes les mains; ils épiaient les besoins de l'État; ils absorbaient tout l’argent des particuliers pour le lui prêter; et ils ne remettaient dans la circulation le surplus, qu’après avoir réalisé leurs spéculations; c’est-à-dire lorsqu’ils avaient fait une usure énorme avec l’État. Ainsi, Messieurs, s’accroissait la dette publique; ainsi l’argent acquérait sur la place un prix excessif, comparé à sa valeur réelle, qui ne devrait être déterminée qu’en raison des avantages que l’argent procure aux emprunteurs. Toutes les fois que la hausse de l'intérêt a été occasionnée par une opération du gouvernement, c’est-à-dire lorsque l'intérêt était fixé par ua emprunt public à un prix convenable aux capitalistes, ceux-ci, se prévalant de ce qu’on appelait le taux du prince, ne laissaient circuler les espèces dans le commerce qu’au même prix tout au moins. Ainsi l’argent paraissait abondant, (1) M. Gouget a rempli pendant 13 ans les fonctions de substitut de M. le procureur général du parlement de Bourgogne : il e3t encore titulaire de net office, et n’a jamais travaillé ni dans le commerce ni dans la finance. S’il a commis quelques erreurs, il désire