794 [États gén. 1789. Cahiers.J ARCHIVÉS VŒU DES TROIS ORDRES DE LA VILLE DE METZ ET DU PAYS MESSIN , Au sujet du nombre respectif des députés de chaque ordre aux Etats généraux. EXTRAIT Des registres des trois ordres de la ville de Metz et du pays Messin du 19 novembre 1788 (1). En l’assemblée de Messieurs des trois ordres dûment convoqués en la forme ordinaire, MM. les commissaires chargés par la délibération du 4 du présent mois, de faire et dresser toutes les instructions et observations nécessaires pour le bien de la ville et du pays messin, au sujet de la prochaine assemblée des Etats généraux (l’un d’eux portant la parole) ont dit : « Messieurs, « Dans ce moment de régénération pour la France, dans ce moment où l’administration appelant de tous côtés la lumière, invite les citoyens à lui faire part de leurs observations pour la meilleure forme de l’assemblée des Etats généraux, les trois ordres qui se sont fait entendre dans toutes les circonstances importantes concernant la province, pourraient-ils garder le silence ? Nous avons, Messieurs, pressenti votre vœu d’après la connaissance que nous avons de votre patriotisme, et nous avons l’honneur de vous présenter quelques réflexions que nous soumettons à vos lumières. « Si nous remontons au berceau de la monarchie, . nous verrons que dans les premiers siècles où les Francs étaient tous égaux, la majesté du souverain sut se concilier avec la liberté du peuple. « Le régime féodal qui s’introduisit quelque temps apres la conquête de Clovis, éloigna pendant un temps de l’administration cette classe importante de citoyens. Mais sous Philippe le Bel, ils rentrèrent dans l’exercice de leurs droits primitifs, et ils eurent voix délibérative dans les assemblées nationales, concurremment avec la noblesse et le clergé. « Ces assemblées en qui réside exclusivement le droit d’accorder des subsides, et qui sont connues depuis ce temps sous le nom d’Etats généraux, ne furent plus convoquées sans que les trois ordres y fussent réunis. « Le premier de ces ordres, organe d’un Dieu de bienfaisance, en attachant le peuple au gouvernement par les motifs d’espérance et d’amour que la religion inspire, exerce un ministère respectable et précieux aux yeux de l’humanité; le second est destiné, d’après la constitution de la monarchie, à consacrer ses jours pour la défense de la patrie. « La noblesse des sentiments de ces deux ordres est connue; aussi, Messieurs, cette conviction encourage-t-elle, lorsqu’il s’agit de plaider devant eux la cause du peuple qui est liée essentiellement au bonheur et a la durée de tout gouvernement. « Cette vérité, si évidente par elle-même, est confirmée par l’histoire. Considérons la Pologne, dont l’origine remonte presque à la même époque que la monarchie française. Ce royaume a conservé son ancien gouverneraentaristocratique, (1) Nous publions ce cahier d’après un manuscrit des Archives ae l’Empire. PARLEMENTAIRES. [Bailliage de Metz.[ le même que la France avait, avant que le tiers-état eût été admis aux Etats généraux. Qu’en est-il résulté1? La Pologne, où il n’y à quedes esclâ-ves et des maîtres, et par conséquent, point de patrie, cet empire, qui, du côté de l’étendue et des ressourcs territoriales, présentait à bien des égards plus d’avantages que la France, après avoir été pendant un siècle le jouet des Etats voisins qui lui ont dicté des lois, s’est vu récemment demembrer sans opposer de résistance. « Les efforts de Pierre Ier et de Catherine II, pour assurer une existence légale et libre au tiers-état dans leur empire, attestent assez bien qu’ils ont senti son importance. « Si, après ces grands exemples, nous consultons nos annales, nous verrons que la ville de Metz et le pays messin, qui anciennement avaient un gouvernement aristocratique, ne jouirent d’une constitution stable et vigoureuse que lorsque les trois ordres de citoyens s’unirent entre eux et consentirent, d’un accord unanime, de supporter en commun toutes les charges du gouvernement ; l’intérêt de la patrie devient celui de chaque citoyen. On vil la république messine, qui n’avait qu’un territoire très-borné, suffire aux dépenses de l’administration intérieure, entretenir chez elle des compagnies de gens armés, soudoyer des princes voisins, soutenir avec des forces inégales des guerres renaissantes pendant trois siècles contre les Lorrains et les Barésiens, sou vent confédérés avec d’autres souverains. Dans ces temps orageux, toutes les volontés, réunies comme un seul faisceau, acquirent une énergie dont on peut difficilement se former une idée. « Le tiers-état est en population, relativementà la. noblesse et au clergé, comme 99 sont à 1. Il partage avec ces deux ordres, dans un rang inférieur et plus pénible, toutes les fonctions qu’ils exercent. C’est lui qui recrute les armées, c’est lui qui, dans les villes et dans les campagnes, surtout, chargé d’annoncer les vérités de la religion, témoin et. consolateur de la misère du peuple, en supporte souvent avec lui le fardeau. « Outre ces fonctions qu’il remplit concurremment avec la noblesse et le haut clergé, il exerce encore le premier et le plus utile des arts ; par ses travaux , il rend la terre féconde, il fait fleurir les manufactures et le commerce, il fournit des orateurs au bareau, des juges dans les tribunaux : en un mot, toutes les classes de citoyens, tous les genres de culture et d’industrie, il vivifie tout, il est l’âme universelle de la société. « Le tiers-état formant, ainsi qu’on vient de l’observer, les 99 centièmes de la nation, supportant presque la totalité du fardeau des subsides, n’est il pas juste qu’il influe également sur leur assiette? Et le moyen d’opérer cette influence égale, peut-il être autre que d’avoir dans les assemblées nationales un même nombre de députés que le clergé et la noblesse réunis ? Qui consultera-t-on pour la fixation des impôts, si ce n’est ceux qui doivent principalement en ressentir le poids? « Et à ce dernier titre, quel droit le tiers-état n’a-t-il pas d’être entendu,, si on considère la surcharge que font retomber sur lui les exemptions des privilégiés? Mais n’anticipons pas sur des questions qui seront sans doute agitées aux Etats généraux. « Bornons-nous à observer que la noblesse pour-rait d’autant moins s’opposer à supporter avec le peuple une partie des impôts, qu’elle n’a plus en sa faveur les mêmes motifs d’exemption quelle (États gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (Bailliage de Metz.] 795 avait autrefois. Du temps de la féodalité, elle était obligée de s’armer et de soutenir la guerre à ses frais, sous la bannière du souverain. Mais maintenant que depuis longtemps elle n’est plus tenue à ce devoir, maintenant que c’est le Roi et la nation qui l’arment et la soudoient, est-il juste qu’elle conserve en totalité des prérogatives, qu’elle n’avait eues qu’à des conditions qui ne subsistent plus? « A l’égard du clergé, il a annoncé lui-même, par l’organe de son président dans l’assemblée des Notables du 25 mai 1"87, que la qualité de ministre des autels ajoutait encore aux devoirs que lui impose celle de sujet et de citoyen ; il a annoncé combien il est éloigné de toute prétention qui uisse aggraver le fardeau des contributions pu-liques. « Ces sentiments où respire le patriotisme, et que le clergé partage avec la noblesse, nous sont un sûr garant que ces deux ordres ne s’opposeront point à ce que leurs voix ne soient qu’égales en nombre à celles du tiers-état dans l’assemblée des Etats généraux, dès qu’il n’en peut résulter qu’une répartition juste et proportionnelle. « La demande du tiers-état est d’autant plus fondée, que dans la réalité, l’ordre de la noblesse et celui du clergé n’en font qu’un, puisqu’ils jouissent à peu près des mêmes prérogatives et exemptions, et que ne s’adonnant ni au commerce ni aux arts, ils ne peuvent guère être considérés que comme propriétaires. « L’égalité qu’on demande pour le tiers-état, outre qu’elle est de toute équité, n’est point contraire à ce qui s’est observé jusqu’à présent pour la convocation des Etats généraux. Aucune loi n’a fixé le nombre des députés du tiers-état à ces assemblées; ils ont été quelquefois en grand nombre, d’autres fois dans une moindre proportion. « Aux Etats de Tours, en 1484, ils ont surpassé celui de la noblesse et du clergé réunis. « La proposition d’envoyer un nombre égal de députés du tiers-état à celui des deux autres ordres doit souffrir d’autant moins de difficultés, que cette proportion a été adoptée pour l’établissement des assemblées provinciales du Berri et de la Guyenne. Elle a obtenu le suffrage des no • tables pour la composition des assemblées provinciales du reste de la France. Ges citoyens respectables, en qui le prince et le peuple ont mis une si juste confiance, pourraient-ils décider différemment aujourd’hui relativement aux Etats généraux? « Cette proportion a été trouvée juste lors de la composition toute nouvelle des Etatsdu Dauphiné, et le gouvernement vient d’y donner sa sanction. « Enfin les trois ordres, par leur demande, ne font que réclamer les droits que leur donne leur constitution. « Du temps de la République, les trois ordres, en vertu d’une ancienne confédération, supportaient également les impôts. Les ecclésiastiques, qui, dans l’origine, ne s’étaient point réunis à la noblesse et au tiers-état, demandèrent d’accéder à la confédération, convaincus que cette union de la noblesse et du peuple tendait à la prospérité de la République et contribuait non-seulement au bonheur public, mais à entretenir l’affection réciproque des citoyens ..... Ils adhérèrent à l’alliance des deux autres ordres et arrêtèrent de se soumettre, eux et leurs biens, aux conditions sous lesquelles elle avait été formée (1). (1) Videntes autem haec ecclesiastici ..... Fædus prae-dictum pro felicitate Reipublicæ induclnm fit initum. « Le tiers-état, en admettant dans la confédération l’ordre du clergé, n’a certainement pas entendu consentir à rien perdre de ses droits; et ce qui le prouve, c'est qu’il a toujours été plus fort en nombre que les deux autres ordres réunis, comme il l’est encore maintenant. « G’est donc la confirmation de la composition actuelle des trois ordres, que vous demanderez, Messieurs, en réclamant l’égalité de suffrages entre le tiers-état et les deux autres ordres réunis; composition maintenue depuis la réunion des trois ordres à la couronne. Ainsi, quand même il serait décidé, pour le reste du royaume, que le tiers-état ne doit pas être en nombre égal, dans les assemblées nationales, aux deux autres ordres réunis, la ville de Metz et le pays messin devraient faire une exception, en vertu de leurs privilèges confirmés par tous nos rois. » La matière mise en délibération, et le procureur-syndic ouï en ses conclusions et réquisitions, rassemblée ayant mûrement examiné et pesé toutes les raisons de justice et d’équité sur lesquelles est fondé le plan de MM. les commissaires, et considérant en même temps que son exécution est essentiellement liée au bonheur des peuples, et indispensable pour le succès des vues bienfaisantes de Sa Majesté, en persistant à sa délibération du 4 dudit mois, a arrêté de demander avec instance que les députés du tiers-état de la ville de Metz et du pays messin, aux Etats généraux, soient en nombre égal à celui des députés du clergé et de la noblesse réunis ; qu’à cet effet sa délibération et les raisons qui la motivent seront imprimées et envoyées sans délai à monseigneur le garde des sceaux, à monseigneur le secrétaire d’État ayant te département de la province, à monseigneur le directeur général des finances et à l’assemblée des Notables, comme le vœu libre et pur de citoyens qui n’ont d’autres vues que le plus grand bien de l’Etat. Fait à Metz, en l’assemblée des trois ordres, le 19 novembre 1788. Signé : Fromantin, archidiacre, chanoine et député du chapitre noble de l’église cathédrale de Metz. Maujean, chanoine et député de la collégiale de Saint-Sauveur. Ristelhubert, chanoine et député de la collégiale de Saint-Thiebault. Dom Jeantin, député de l’abbaye de Saint-Arnould. Dom Breton, député de l’abbaye de Saint-Sym-phorien. Schweitzer, député de l’abbave de Saint-Louis. Wesque, député de l’abbaye dè Sainte-Glossinde. Grépin de La Voivre. Le Duchat de Ru range. Le chevalier de Flin. De Tinseau. Dosquet de Tischemont, de l’ordre de la noblesse. Dedon, conseiller et député du bailliage. Camus ; Bourgeois ; Cunin ; Millet ; Tiebauld. Aubertin, La Lance, Raux de Tonne-les-Prés. Pantaléon ; Vernier, conseiller échevin. Quod etiam nedum ad ipsius civitatis et politise veruvfl et singulorum ipsius statuum et incolarum pacem, di-lectionem et utilitatem opportunum seu nécessarium judicarent, magnà cum civitate amplexi sunt; civibus que ac plebeis prædictis adherere omnino decreverunt et spoponderunt, jugo prædicti fæderis se et sua sponte submittendo, 796 [États gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (Bailliage de Metz.] Harvier, doyen des avocats ; Pierre ; Humbert. Hillaire, conseiller au bailliage; Baudesson ; Chenu. Blouet; Jacquinot, avocat; Collignon; Pantaléon ; Courageux, ancien échevin. Munico ; Janès, député de la paroisse Saint-Jacques. Fizi, député de la paroisse Saint-Martin ; d’Her-mange. Poinsignon, député de la paroisse Sainte-Croix. Ladrague, député de la paroisse de Saint-Maximin. Woirhaye, député de la paroisse de Saint-Eucaire. Pantaléon ; Robiche, députés de la paroisse de Saint-Simplice. Lamarle, député de la paroisse Saint-Gorgon. » Joly, député de la paroisse Saint-Marcel. Sechehaye, député de la paroisse Saint-Livier. Pécheur, député de la paroisse Saint-Victor. Gilbrin, député de la paroisse Saint-Georges. Woirhaye ; Jaunez, députés de la paroisse Saint-Etienne. * Berger, député de la paroisse Saint-Segolêne. Humbert , député de la paroisse Saint-Jean Saint-Vie. Regnier, député de la paroisse Saint-Simon. Et en marge, Sechehaye, procureur syndic. Et plusieurs de Messieurs du clergé, de la noblesse et du tiers-états, qui ont été empêchés d’assis-ter à l’assemblée du matin ayant pris communication de la délibération des autres parts, ont déclaré qu’ils y adhèrent. — Fait à Metz, au greffe de l’hôtel de ville et des trois ordres, le 19 novembre 1788. — Signé Pouchot, député de la collégiale de Saint-Sauveur ; Dom Rossignol, député de l’abbaye de Saint-Vincent ; Dom Irenée Herbin, Dom Duval, députés de l’abbaye de Saint-Clément; d’Anger-ville, ministre et député de la Trinité ; Joly de Maizeroy, de l’ordre de la noblesse ; Leclerc, de La Barre, Rouyer, anciens conseillers échevins ; Rouyer, député de Saint-Maximin ; Mathieu, Lallemand, députés de Saint-Gengoult. Collationné. Signé Fenouil, secrétaire greffier en chef des trois ordres. FIN DU TOME TROIÈISME.