326 JA*semblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. {8 notetnbre 1790.] nation ; que cette propriété est la plus parfaite qu’on puisse concevoir, puisqu’il n’existe aucune autorité supérieure qui puisse la moditier ou la restreindre; que la faculté d’aliéner, attribut essentiel du droit de propriété, réside également dans la nation; et que si, dans des circonstances particulières, elle a voulu en suspendre pour un temps l’exercice, comme cette loi sus-ensive n’a pu avoir que la volonté générale pour ase, elle est de plein droit abolie dès que la nation, légalement représentée, manifeste une volonté contraire; « 3° Que le produit du domaine est aujourd’hui trop au-dessous des besoins de l’Etat pour remplir sa destination primitive; que la maxime de l’aliénabilité, devenue sans motifs, serait encore préjudiciable à l’intérêt public, puisque des possessions foncières, livrées à une administration générale, sont frappées d’une sorte de stérilité, tandis que, dans la main de propriétaires actifs et vigilants, elles se fertilisent, multiplient les subsistances, animent la circulation, fournissent des aliments à l’industrie et enrichissent l’Etat ; « 4° Que toute concession, toute distraction du domaine public est essentiellement nulle ou révocable, si elle est faite sans le concours de la nation; qu’elle conserve sur les biens ainsi distraits la même autorité et les mêmes droits que sur ceux qui sont restés dans ses mains; que ce principe, qu’aucun laps de temps ne peut affaiblir, dont aucune formalité ne peut éluder l’effet, s’étend à tous les objets détachés du domaine national, sans aucune exception; « Considérant enfin que ce principe, exécuté d’une manière trop rigoureuse, pourrait avoir de grands inconvénients dans l’ordre civil, et causer une infinité de maux partiels, qui influent toujours plus ou moins sur la somme du bien général ; qu’il est de la dignité d’une grande nation et du devoir de ses représentants d’en tempérer la rigueur, et d’établir des règles fixes propres à concilier l’intérêt national avec celui de chaque citoyen, a décrété et décrète ce qui suit : Art. 1er. « Le domaine national, proprement dit, s’entend de toutes les propriétés foncières et de tous les droits réels ou mixtes, qui appartiennent à la nation, soit qu’elle en ait la possession et la jouissance actuelles, soit qu’elle ait seulement le droit d’y rentrer par voie de rachat, droit de réversion. ou autrement. Art. 2. « Les chemins publics, les rues et places des villes, les fleuves et rivières navigables, les rivages, lais et relais de la mer, les ports, les havres, les rades, etc., et en général toutes les portions du territoire national qui ne sont pas susceptibles d’une propriété privée, sont considérées comme des dépendances du domaine public. Art. 3. « Tous les biens et effets, meubles ou immeubles, demeurés vacants et sans maître, et ceux des personnes qui décèdent sans héritiers légitimes ou dont les successions sont abandonnées, appartiennent à la nation. Art. 4. « Le conjoint survivant pourra succéder à défaut de parents, même dans les lieux où la loi territoriale a une disposition contraire. » M. Enjubault, rapporteur, relit l’article 5. M. Boussion propose d’ajouter à l’article: « et à l’égard de celles dont la possession aurait été troublée ou interrompue depuis 40 ans, elles y seront rétablies. » M. Merlin demande que l’Assemblée décrète également l’addition suivante : « Les particuliers qui justifieront de titres valables, ou d’une possession paisible et publique depuis quarante ans, seront également maintenus dans leur propriété et jouissance. » Après une courte discussion tes deux amendements sont adoptés et l’article est décrété en ces termes : Art. 5. « Les murs et fortifications des villes entretenues par l’Etat, et utiles à sa défense, font partie des domaines nationaux. Il en est de même des anciens murs, fossés et remparts de celles qui ne sont point places fortes; mais les villes et communautés qui enoutlajoulssanceactuelle, y seront maintenues, si elles sont fondées en titres, ou si leur possession remonte à plus de dix ans; et à l’égard de celles dont la possession aurait été troublée ou interrompue depuis 40 ans, elles y seront rétablies. Les particuliers qui justifieront de titres valables, ou d’une possession paisible et publique depuis 40 ans, seront également maintenus dans leur propriété et jouissance. » M. le Président. Les articles 6, 7, 8, 9 et 10 ont été décrétés les 9 mai et 13 août 1790 (1). M. Tronchet. L’article 11 du comité me semble susceptible d'une modification ; je crois que le premier paragraphe est iDjuste et inutile et j’en demande la suppression. M. Enjubault, rapporteur , ne s’oppose pas à l’amendement qui est adopté, ce qui réduit l’article aux termes ci-dessous : Art. 11. « Les obligations que le roi pourrait avoir contractées pour rentrer dans les droits ainsi concédés, seront annulées comme ayant été consenties sans cause, et les rentes cesseront du jour delà publication du présent décret. » M. le Président. L’article 12 a été décrété le 6 août 1790 (2). M. Enjubault, rapporteur, relit l’article 13 : Art. 13. « Aucun laps de temps, aucunes fins de non-recevoir ou exceptions, si ce n’est celles résultant de l’autorité de la chose jugée, ne peuvent couvrir l’irrégularité connue et bien prouvée des aliénations faites sans le consentement de la nation. M. Ee Déist de Botidonx. Messieurs, sans entrer dans la longue énumération d; s différentes lois et des différentes déterminations des Etats (1) Voir p. 323. (2) Voir p. 324. 827 (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (8 novembre 1790.] généraux, je vaisvous montrer jusqu’à l’évidence qu’on a abusé du principe en confondant ou affectant de confondre l’inaliénabi lité absolue des domaines nationaux avec le principe reconnu de l’Assemblée que les domaines nationaux étaient inaliénables, à moins que la nation ne voulût faire le contraire. Vous avez légitimé les dépenses faites par le roi, vous avez mis au rang des dettes publiques les emprunts enregistrés, vous les avez regardés comme faits comme par le consentement de la nation.Pourquoi n’agiriez-vous pas, parles mêmes principes, relativement aux possesseurs des domaines publics? Si François Ier a pu ordonner une prescription de cent ans, ne pourriez-vous pas faire une loi équivalente ? Je vous propose, en conséquence, le projet de décret suivant, qui portera la tranquillité dans un grand nombre de familles : « Art. 13. Les domaines nationaux demeurent inaliénables sans le consentement de la nation. « 1° La prescription aura lieu pour l’avenir ; et elle doit avoir lieu pour le passé, en matière domaniale. En conséquence, tous les détenteurs qui justifieront avoir joui pendant cent ans, soit par eux, soit par leurs auteurs, jouiront du bénéfice de la prescription. « 2° Tous ceux qui jouissent par contrats, à charge de révision, ne pourrontse prévaloir d’aucune prescription ; « 3° L’Assemblée déclare confirmer, en tant que besoin, toutes les concessions enregistrées en parlement, et les regarde comme faites du consentement de la nation. » (Cet amendement est rejeté par la question préalable.) L’article 13 est adopté sans changement. M. Enjubault lit l’article 14. Il est décrété en ces termes : Art. 14. « L’Assemblée nationale exempte de toute recherche, et confirme en tant que besoin : 1° les contrats d’échanges faits régulièrement dans la forme, et consommés, sans fraude, fiction ni lésion, avant la convocation de la présente session; 2° les ventes etaliénations pures et simples, «sans clause de rachat », même les inféodations, dons et concessions à titre gratuit, « sans clause de reversion, » pourvu que la date de ces aliénations à titre onéreux ou gratuit soit antérieure à l’ordonnance de février 1566. » M. l’abbé Maury. Je demande la permission d’interrompre la discussion pour rendre compte d’un fait qui m’est particulier : En traversant la rue Jacob pour me rendre à l’Assemblée, j’ai rencontré un colporteur qui criait, en me suivant : Grande colère de l’abbé Maury, qui a donné dans l’Assemblée nationale des coups de poing à un député corse. Je n’ai rien dit au premier cri ni au second ; mais au troisième, j’ai saisi le colporteur et l’ai conduit au district ; il y a dit, pour sa justification , qu’ il criait le titre littéral d’un imprimé qu’on lui avait vendu. J’ai demandé qu’on s’assurât de sa personne, et j’ai dit que j’allais rendre plainte contre les auteurs du libelle. Je n’ai qu’à me louer du zèle et de l’bonnêtelé de la garde nationale ; mais en sortant du district, j’ai trouvé trente à quarante personnes, de celles que l’on voit journellement à la porte de cette salle ; elles m’ont hué et menacé du geste. Je demande que l’Assemblée éprenne des mesures pour que ses membres ne soient pas ainsi exposés dans les rues et jusque dans l’avenue de cette auguste enceinte. Les colporteurs se permettent des cris qui sont de véritables cris de haro, qui tendent à appeler le peuple contre les victimes qu’on lui désigne ; je ne sais comment tout cela se serait passé si je n’avais pas opposé le?flegme qui convient à un de vos collègues. Je n’ai point mérité les inculpations de tous les libelles ; je n’ai mis le poing sous le nez de personne; je n’ai attaqué aucun député de la Corse ; je n'ai donc point mérité d’être calomnié, C’est un nouvel exemple des égarements dont le peuple commençait à se corriger; et je somme votre justice autant que votre sagesse, de prendre des mesures pour que de pareils inconvénients n’arrivent jamais. M. de Mirabeau. On ne peut, sans doute, que louer infiniment le calme que le préopinant prétend avoir op posé au tumulte dont il vient de nous faire le tableau ; peut-être pourrait-on saisir cette occasion pour l’inviter à le conserver plus souvent à latribune. Si chacunfaisaiticilarelation de ses faits personnels, et venait, pour des choses aussi puériles, interrompre vos importantes délibérations, il serait peut-être juste de demander ue la tranquillité, la vie même des membres e cette Assemblée fussent également assurées dans la tribune que dans les rues. Si l’on voulait remuer toutes les turpitudes qu’enfante l’esprit de parti, il ne serait pas difficile d’apporter des preuves de la vie d’un député menacé au sein de cette Assemblée. Quant à moi, qui méprise, presque à l’égal, les injures et les dénonciations individuelles ; quant à moi, qui pense qu’autant une dénonciation relative à la chose publique est un devoir sacré, autant la dénonciation d’un fait privé est indigne d’un homme qui a quelque idée juste de la dignité de ses fonctions, je vous promets sûreté : je vous la promets sur la garantie du zèle de la garde nationale, du respect des citoyens pour la loi et pour cette Assemblée dont elle émane... Il est bien étrange qu’on vienne vous occuper de huées, comme si la loi pouvait défendre les huées dans les rues, comme si celui qui en aété couvert, n’en devient pas plus méprisable lorsqu’il s’en plaint. J’ajoute une observation frappante : si le parti vulgairement désigné sous l’expression honorable de parti populaire , s’il est vrai qu’il y ait encore des partis dans cette Assemblée; si, dis-je, il faisait le bilan des affiches satiriques, des libelles dont on l’a entouré, il trouverait le peson de sa balance aussi chargé qu’un autre. L’Assemblée a-t-elle dénoncé les viletés dont on est venu l’investir jusque dans ses corridors? Eh bienl que chaque membre méprise pour son honneur ce que l’Assemblée a méprisé pour le sien. Eh! passons à l’ordre du jour. [On applaudit.) (L'Assemblée décide qu’elle passera à l’ordre du jour.) M. Enjubault, rapporteur , lit l’article 15, qui est adopté comme suit : Art. 15. « Tout domaine dont l’aliénation aura été révoquée ou annulée en vertu d’un décret spécial du Corps législatif, pourra être sur-le-champ mis en vente, avec les formalités prescrites pour l’aliénation des biens nationaux, à la charge par l’acquéreur d’indemniser le possesseur, et de verser le surplus du prix à la caisse de l'extraordinaire.