744 (Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [25 novembre 1790.] arez à la France, et après vous avoir fatigués e nos plaintes nous n’aurons plus à vous faire entendre que les accents de notre reconnaissance et de notre félicité. » M. le Président répond : « L’Assemblée nationale a déjà témoigné sa satisfaction aux habitants de la province du nord de Saint-Domingue et à leur assemblée provinciale. Vous n’avez pas eu besoin d’être entendus pour être jugés, car vous vous étiez fait précéder par des preuves éclatantes de patriotisme. « L’Assemblée nationale est invariable dans ses intentions pour la prospérité de la colonie, comme pour le maintien des droits de la nation qu’elle représente. Résolue à serrer leurs liens par de nouveaux rapports d’affection et d’utilité réciproque, l’expression de sa volonté vous garantit qu’elle prendra tous les moyens d’en assurer l’exécution, et que vous recueillerez, pour prix de vos généreux services, la récompense qui seule est digne de vous : la paix et le bonheur de votre patrie. « L’Assemblée nationale vous permet d’assister à sa séance. » M. Gérard, député de la province du sud de Saint-Domingue. J’avoue que je n’ai pas entendu sans étonnement les membres se disant députés de la province du nord de Saint-Domingue vous dire qu’ils vous exprimaient les vœux et les sentiments delà colonie, et vous faire des promesses en son nom. J’ai des procès-verbaux de onze paroisses qui ont révoqué leurs pouvoirs; j’ai des pièces authentiques qui prouvent que dix-neuf paroisses ont désavoué la prétendue assemblée du nord. Ainsi, non seulement ils ne vous présentent point le vœu de la colonie, mais ils ne vous expriment pas même le vœu de leur province. M. le Président. Je déclare qu’avant d’admettre MM. les députés de la province du nord de Saint-Domingue, j’ai vérifié leurs pouvoirs. M. Barnave. Ce n’est pas sans surprise que j’entends le préopinant, qui s’est toujours distingué par son patriotisme, vous répéter les allégations des partisans de la ci-devant assemblée générale de Saint-Domingue, séante à Saint-Marc, allégationsque cette assemblée elle-même répand ; c'est sans doute parce qu’il est mal instruit qu’il parle de la sorte de l’assemblée provinciale du nord. Les députés que vous venez d’entendre ont parlé au nom de l’assemblée représentative de cette partie importante de la colonie; ils tiennent d’elle leurs pouvoirs, ils ont le suffrage de la plus grande partie de cette paroisse. Quelques paroisses ont, à la vérité, embrassé le système et la défense de l’assemblée générale; mais le plus grand nombre des paroisses, les plus riches, les plus peuplées, sont constamment restées attachées à vos principes, et même parmi les premières il en est plusieurs qui, depuis le départ de Rassemblée de Saint-Marc, nous ont fait parvenir leur rétractation : car l’influence seule de cette assemblée, qui cherchait à établir un système d’indépendance dans la colonie, avait égaré leur patriotisme. Ne nous arrêtons pas à des allégations vagues; que l’Assemblée n’abandonne pas des principes qu’elle a adoptés. Je demande que le discours des députés de Saint-Domingue et la réponse du président soient imprimés, qu’il leur soit remis une lettre de satisfaction, et que M. de Reynaud, véritable député de la province du nord, soit entendu. (On applaudit .) M. Gérard. C’est Rassemblée provinciale du nord qui a été l’origine de tous les désordres dans la colonie. M. Barnave. Je suis fâché que le préopinant me force de prolonger cette discussion, et qu’un zèle, que je ne suspecte point, prenne la place de ce que j’appellerais mauvaise foi dans un autre. Oui, Rassemblée provinciale du nord a été égarée dans les commencements par quelques intrigants qui, depuis, se sont fait nommer à Rassemblée générale; mais, à compter du moment de leur séparation de Rassemblée provinciale, celle-ci a suivi une conduite toujours sage et ferme, et s’est constamment opposée aux efforts faits par Rassemblée générale pour exciter les troubles et provoquer l’indépendance des colonies. Egarée au commencement par quelques hommes, elle a grandement réparé ses erreurs. Il est temps de récompenser de votre estime et de votre bienveillance, d’encourager par vos suffrages ceux qui ne se sont jamais écartés delà loi, et qui ont ramené à la soumission ceux ;qui s’étaient montrés rebelles. ( L'Assemblée renouvelle ses applaudissements.) M.Beynaud, député de la partie du nord de Saint-Domingue. Pour vous faire connaître les sentiments de Rassemblée provinciale du nord, ses principes et les règles de sa conduite, il suffit de vous lire une lettre tirée de la correspondance de cette assemblée à la députation de Saint-Domingue; elle est datée du 10 octobre... « Nous vous prions de vous concerter avec les commissaires que nous envoyons en France, et de recueillir tous les renseignements nécessaires pour déjouer efficacement les manœuvres de Rassemblée de Saint-Marc, de préparer le travail de la nouvelle constitution de Saint-Domingue, de ne pas vous départir des demandes contenues dans notre dernière adresse à Rassemblée nationale. Nous vous interdisons toute réunion avec Rassemblée générale, etc ..... » M. Barnave. En disant que la province du sud est la seule qui soit restée attachée à Rassemblée de Saint-Marc, on a pu croire que je l’inculpais. Je dois, pour rendre un témoignage à la vérité et pour sa justification, ajouter que cette province a déclaré qu’elle se soumettrait à la décision de l’Assemblée nationale quand elle serait rendue. — J’insiste sur la motion de l’impression du discours et de la réponse, et sur la lettre de satisfaction qui doit être écrite à Rassemblée provinciale du nord. (Ces trois propositions sont adoptées.) M. de France, député du département de l'Ardèche, expose à l’Assemblée que l’inondation du 11 de ce mois a causé les plus grands ravages dans les départements et détruit un pont sur la rivière de l’Ardèche, absolument nécessaire à la communication publique; il sollicite les secours de la nation, tant pour le rétablissement de ce pont, que pour Je soulagement des malheureuses victimes de cet événement. (L’Assemblée renvoie cette pétition au comité des finances, pour, sur son rapport, être statué ce qu’il appartiendra.) Un de MM. les secrétaires annonce à l’Assemblée 745 {Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. {25 novembre 1790.] que la Société royale de médecine a l’honneur de lui présenter un nouveau plan de constitution pour la médecine en France, duquel plan un exemplaire est déposé sur le bureau. (L’Assemblée nationale en ordonne le renvoi au comité de Constitution.) M. le Président. L’ordre du jour est un rapport du comité d'agriculture et de commerce sur la franchise de Bayonne, Saint-Jeen-de-Luz et une partie du Labour (1). M. Lasnier de Vanssenay, rapporteur, Messieurs, votre comité d’agriculture et de commerce vous a proposé, pour l’avantage du commerce national, le reculement des barrières aux frontières extrêmes du royaume. L’article 10 do votre décret constitutionnel, du mois d’août 1789, déclare : que tout privilège particulier des provinces, principautés, pays, cantons, villes et communautés d’habitants, soit pécuniaires, soit de toute autre nature, sont abolis sans retour, et demeureront confondus dans le droit commun de tous les Français. C’est d’après ce principe, que vous avez déjà décrété la suppression de la franchise du port de Lorient. Les villes de Bayonne et de Saint-Jeau-de-Luz, aiusi qu’une parïie du pays de Labour, ont obtenu, en 1784, une franchise. Laisserez-vous subsister, moditierez-vous ou supprimerez-vous ce privilège? Tel est l’objet de votre attention. Votre comité d’agriculture et de commerce ne peut fixer la place des barrières qu’après le décret que vous allez prononcer. Cette question intéresse autant les manufactures du royaume et. les pays voisins, que le territoire qui jouit de la franchise. La ville de Bayonne, ainsi que le pays de Labour, sont divisés en deux fartions : l’une pour la franchise et l’autre contre. Le rapporteur est prêt à vous donner lecture d’une infinité de pièces qui justifient cette division d’opinions; mais, comme il faudrait un temps considérable pour les lire, et que le vôtre est précieux, je vais me borner à vous en faire une analyse juste et concise. Les partisans de la franchise de la ville de Bayonne vous exposent que le commerce de leur ville a augmenté, d’un quart au moins, depuis l’établissement du privilège, que, sans lui, la ville de Bayonne verra son commerce s’appauvrir, et que le pays presque stérile a besoin de cette faveur; que son port, dont l’entrée est difficile et périlleuse, cessera d’être fréquenté, s’il perd sa franchise; que, sans elle, le commerce d’étranger à l’étranger lui devient impossible; que tous ses rapports avec l’Espagne vont s’anéantir; que les acheteurs, qui venaient de l’Aragon, de la Castille et de la Navarre, par les défilés des Pyrénées, s’approvisionner dans les magasins des Bayonnais, iront porter leurs achats à Saint-Ander, Bilfiao et Saint-Sébastien qui jouissent d’une franchise, et s’enrichiront de leurs dépouilles. Le parti contraire soutient que la franchise n’est utile qu’à quelques gros négociants qui font la fraude avec l’Espagne et la France; qu’elle est destructive du commerce national, en introduisant dans les deux royaumes, exemptes de droits, les marchandises du Nord et de l’Angleterre; qu’elle a détruit beaucoup de foires et de marchés utiles au commerce national, et qu’enfin elle a plongé dans la misère la classe nombreuse des marchands et des ouvriers qui vivaient du commerce légitime des articles de nos manufactures. Ils ajoutent qu’elle a détruit les pêches, ressource précieuse à l’industrie des Bayonnais, en comblant leur ville des produits de la pêche étrangère. Les armateurs de Saint-Jean-de-Luz et de Giboure prétendent que la franchise écrase leur industrie pour la pêche; qu’elle ruine 3,000 matelots, l’élite de la marine française, qu’elle empêche d’en former, faute de travail, et que c’est un objet digne de l’attention des législateurs. La partie du Labour, hors de la franchise, le pays des Landes, le pays de Soûle vous exposent : que, depuis l’établissement de la franchise, les campagnes se désertent ; que les laboureurs quittent la charrue pour courir à lafraude ; que leurs terres ne sont pas cultivées ; que la population des campagnes diminue rapidement ; que la franchise de Bayonne obstrue le débouché de leurs denrées, gêne leurs approvisionnements et porte un préjudice effrayant à leur pays. Ils se plaignent qu’une cabale, soudoyée par les partisans de la franchise, a forcé les bons citoyens à garder le silence, par la crainte des menaces qu’on leur faisait. MM. les députés du pays des Landes à l’Assemblée nationale, au nombre de quatre, ont signé cette réclamation. Enfin, Messieurs, dix-sept municipalités voisines, dont les délibérations sont en bonne forme, ainsi qu’une autre des habitants de Bayonne, qui a huit pages de signatures, en sollicitent l’anéantissement. Plusieurs villes de manufactures réclament contre les franchises en général, et particulièrement contre celle dont jouit la ville de Bayonne, en ce qu’elle facilite l’introduclion en fraude, dans le royaume, des toiles de la Silésie, des étoffes de laine, de la quincaillerie et autres objets fabriqués dans l’Allemagne et l’Angleterre. L’administration des finances a fait remettre à votre comité un mémoire très détaillé, dans lequel elle représentequ’il est impossible de garder la fraude à Bayonne, que ses efforts ont été infructueux, et que le commerce national en souffre autant que le produit du fisc. Votre comité a consulté les députés extraordinaires des villes de commerce près l’Assemblée nationale, et leur avis est de supprimer la franchise de Bayonne, comme aussi contraire à l’intérêt général du commerce, qu’à celui de Bayonne, et de son voisinage en particulier.il ne reste donc plus qu’à vous présenier ses réflexions. Le décret mémorable du mois d’août 1789 prescrit textuellement toutes les franchises : mais votre comité a pensé qu’il ne devait frapper que ces privilèges odieux qui favorisaient des individus, ou une partie du royaume, aux dépens des autres, et qu’il était, peut-être, des privilèges politiques qui, ne nuisant à personne et favorisant le commerce particulier d'une place, pouvaient mériter leur conservation. S’il existait, en effet, qu’un de nos ports eût, par le bonheur de sa position, un avantage réel dans le trafic des marchandises étrangères, sans nuire au commerce général ou particulier de la nation, le comité n’a pas pensé que la rigueur absoluede la loi dût lui refuser la jouissance d’un profit individuel, effet de sa position ou de l’objet singulier deson commerce; car ce serait la frustrer d’un avantage que lui offrait la nature, parce qu’elle ne l’offrait qu’à lui seul, et cette privation deviendrait injuste et douloureuse. Entrant plus avant dans cette hypothèse, Messieurs, nous avons estimé que lorsqu’un de vos (1) Ce rapport est incomplet au Moniteur.