[Assemblée nationale,] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [27 juillet 1789.] Art. 22. Les hommes étant égaux par nature, la différence des places et celle des moyens ou des forces ne peuvent jamais introduire aucune différence dans leurs droits. Tout privilège est donc un désordre ; les droits, les mêmes pour tous, ne peuvent être enlevés à aucun homme, si ce n’est en punition de ses crimes ou de ses attentats sur les droits d’autrui ; et la peine des mêmes crimes doit être la même, contre tous les membres de la société, sans aucune distinction. Art. 23. Tous les hommes ont un droit égal de remplir les fonctions et les offices établis dans le corps politique, selon leurs talents et leur capacité. Art. 24. Aucun art ni aucune profession établis dans l’Etat ne peuvent être réputés vils et dérogeants. Art. 25. Les droits des hommes, tenant à leur nature, sont inaliénables et imprescriptibles. Aucun homme ni aucun peuple n’ont jamais voulu, ni pu vouloir abandonner ces droits pour eux-mêmes, et moins encore pour la postérité, soit à un homme, soit à un corps. Tout corps politique, dans lequel ces droits sont en péril, quelle que soit sa forme, et quelque temps qu’il ait duré, est un brigandage, et non pas un gouvernement. Art. 26. il n’y a de gouvernement légitime, de quelque nature qu’il puisse être, que celui où non-seulement les droits des hommes sont respectés de fait, mais encore où aucun homme, aucun dépositaire du pouvoir exécutif, ne peuvent les violer impunément. Art. 27. 11 peut y avoir de bons administrateurs dans uii mauvais gouvernement ; mais le caractère distinctif d’un bon gouvernement, c’est d’empêcher que les mauvais administrateurs eux-mêmes ne puissent violer les droits des hommes. Art. 28. En toute société politique, ainsi que dans chaque homme, il y a une volonté et une action. L’action est dirigée par la volonté : ainsi la volonté générale, qui est la puissance législative, doit régir l’action du gouvernement, ou la force exécutrice. Art. 29. La distribution et l’organisation, tant de la puissance législative que de la force exécutrice, régulièrement ordonnée dans ses divers départements, est ce que l’on appelle la constitution de l’Etat. Art. 30. La constitution est bonne, si les pouvoirs sont tellement organisés, qu’ils ne puissent pi se confondre ni usurper l’un sur l’autre, et si la force exécutrice est tout à la fois assez grande, pour que rien ne puisse arrêter son action légitime, et assez subordonnée à la puissance législative, pour que les agents du chef suprême ne puissent pas violer impunément les lois. Art. 31. La constitution est différente de la législation. La première détermine également l’exercice de la puissance législative, et celui de la force exécutrice. La seconde n’est que la principale branche de la constitution. La constitution ne peut être fixée, changée, ou modifiée, que par le pouvoir constituant, c’est-à-dire par la nation elle-même, ou par le corps des représentants qu’elle en a chargés par un mandat spécial. La législation est exercée par le pouvoir constitué, c’est-à-dire par les députés que la nation nomme dans les temps, et selon les formes que la constitution a fixés. Projet de déclaration des droits de P homme et du citoyen, présenté au comité de constitution, par M. MOUNIëR. Nous, les représentants de la nation' française, lre série, T. VIII. convoqués par le Roi, réunis en Assemblée nationale en vertu des pouvoirs qui nous ont été confiés par les citoyens de toutes les classes, chargés par eux spécialement de fixer la constitution de Ja France, et d’assurer la félicité publique, déclarons et établissons, par l’autorité de nos commettants, comme constitution de l’Empire français, les maximes et règles fondamentales et la forme de gouvernement telles qu’elles seront ci-après exprimées. Art. 1er. La nature a fait les hommes libres et égaux en droits. Les distinctions sociales doivent donc être fondées sur l’utilité commune. Art. 2. Tout gouvernement doit avoir pour but la félicité générale. Il existe pour l’intérêt de ceux qui sont gouvernés, et non de ceux qui gouvernent. Art. 3. Le principe de toute souveraineté réside dans la nation : nul corps, nul individu ne peut avoir d’autorité qui n’en émane expressément. Art. 4. Le gouvernement doit protéger les droits et prescrire les devoirs. Il ne doit mettre au libre exercice des facultés humaines d’autres limites que celles qui sont évidemment nécessaires pour le bonheur public. Il doit surtout garantir les droits imprescriptibles qui appartiennent à tous les hommes, tels que la liberté, lapropriété, la sûreté, le soin de son honneur et de sa vie, la libre communication de ses pensées, la résistance à l’oppression. Art. 5. L’est par des lois claires, précises et uniformes, que les droits doivent être protégés, Ips devoirs tracés, et les actions nuisibles punies. Art. 6. Les lois ne peuvent être établies sans le consentement des citoyens ou de leurs représentants librement élus; et c’est dans ce sens que la loi doit être l’expression de la volonté générale. Art. 7. La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ce qui n’est pas défendu parla loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu’elle n’ordonne pas. Art. 8. Jamais la loi ne peut être invoquée pour des faits antérieurs à sa publication; et si elle était rendue pour déterminer le jugement de ces faits antérieurs, elle serait oppressive et tyrannique. Art. 9. Pour prévenir le despotisme et assurer l’empire de la loi, les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire doivent être distincts, et ne peuvent être réunis. Art 10. Tous les individus doivent pouvoir recourir aux lois, et y trouver de prompts secours, pour tous les torts et injures qu’ils auraient soufferts dans leurs biens, dans leur personne ou dans leur honneur, ou pour les obstacles qu’ils éprouveraient dans l’exercice de leur liberté. Art. 11. Nul ne peut être arrêté ou emprisonné qu’en vertu de ta loi, avec les formes qu’elle a prescrites, et dans les cas qu’elle a prévus. Art. 12. Les peines ne doivent point être arbitraires ; mais déterminées par les lois, elles doivent être absolument semblables pour tous les citoyens, quels que soient leur rang et leur personne. Art. 13. Chaque membre de la société, ayant droit à la protection de l’Etat, doit concourir à sa prospérité, et contribuer aux frais nécessaires dans la proportion de ses facultés et de ses biens, sans que nul puisse prétendre aucune faveur ou exemption, quel que soit son rang ou son emploi. 49 290 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [28 juillet 1789.] Art. 14. Aucun homme ne peut être inquiété pour ses opinions religieuses, pourvu qu’il se conforme aux lois, et ne trouble pas le culte public. Art. 1 5. La liberté de la presse est le plus ferme appui de la liberté publique. Les lois doivent la maintenir et assurer la punition de ceux qui pourraient en abuser pour nuire aux droits d’autrui. Art. 16. La force militaire, destinée à la défense de l’Etat, ne peut être employée au maintien de la tranquillité publique que sous les ordres de l’autorité civile. v ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. LE DUC DE LIANCOURT. Séance du mardi 28 juillet 1789 (1). M. le Président a fait part à l’Assemblée de la lettre suivante à M. le duc de Liancourt , président de V Assemblée nationale. « Soissons, le 25 juillet 1789. « Monsieur le duc, peut-être êtes-vous déjà instruit de l’événement affreux qui nous met au comble du désespoir. Un courrier arrivé de Grespy à une heure et demie nous annonce qu’une troupe de brigands a coupé les blés cette nuit dans la plaine de Béthisy. Actuellement, six heures du soir, il arrive des courriers de Villers-Goterets, Pierrefonds et Attichy, où cette troupe se porte dans ce moment-ci ; elle fauche les grains en plein midi. On dit ces brigands au nombre de 4,000. Nous n’avons que 25 hussards qui viennent de partir pour aller à leur poursuite. Le régiment d’infanterie ne peut que garder la ville et les environs; vous sentez, monsieur le duc, le besoin que nous avons de cavalerie et de troupes légères; nous comptons sur vos bontés pour mettre sous les yeux du Roi et de l’Assemblée nationale la position dans laquelle nous nous trouvons, dont les suites seront plus terribles que celles du fléau de la grêle que nous avons éprouvé l’année dernière. « Nous sommes, etc. « Signé : Clamcy, maire, Delabat, etc., etc. » M. lé Président annonce qu’il se propose de faire à cette lettre la réponse suivante : « Vous sentez à quel point je suis pénétré, Messieurs, du désastre affreux dont vous me faites part; je me suis sur-le-champ porté chez M. le comte de Saint-Priest, chargé actuellement du département de la guerre, et lui ai demandé les secours qu’il pourrait procurer à votre malheureux canton. 11 m’a promis de m’envoyer en conséquence des ordres qui seront contenus dans ce paquet. « Je me suis sur-le-champ transporté à l’Assemblée nationale, à laquelle j’ai rendu compte de vos malheurs et de mes démarches ; elle vous a plaints, a partagé vos malheurs et approuvé ma conduite. « J’ai l’honneur d’être, etc. « Signé : DE LIANCOURT. » Cette réponse est approuvée. M. le Président a fait connaître que M. le baron d’Andlau-d’Hombourg, député des bailliages d Haguenau et Wissembourg, obligé d’aller aux eaux de Plombières, l’avait prié d’exprimer à l’Assemblée le regret que lui causait la nécessité où il est d’interrompre ses fonctions pendant quelque temps. Il a été rendu compte d’une délibération prise par la noblesse du bailliage de Châlon-sur-Saône, le 22 de ce mois, par laquelle elle révoque, casse et annulle les pouvoirs impératifs et limités qu’elle avait donnés à ses députés et leur en donne de nouveaux, suffisants, généraux et illimités, pour aviser, remontrer, consentir au bien général, entretenir l’union entre les trois ordres, opiner par tête à l’Assemblée nationale, pour faire entin tout ce qui dépendra d’eux pour le bien du royaume et le bonheur de la nation. Il a aussi été rendu compte d’un arrêté de la noblesse du bailliage de Vitry-le-François et des bailliages secondaires, qui révoque le mandat impératif qu’elle avait donné à ses députés, et les autorise à concourir à toutes délibérations qui seront prises dans l’Assemblée nationale dans quelque forme qu’elles puissent l’être. Une délibération de ta noblesse de la sénéchaussée de Dax, en date du 16 de ce mois, portant ampliation de pouvoirs à ses députés, a été mise sur le bureau par M. le comte de Barbotan. On a donné lecture du procès-verbal de la séance de samedi 25 de ce mois. Sur le rapport fait au nom du comité établi pour la vérification des pouvoirs, l’Assemblée a jugé valables ceux deM. Marsay, député du clergé du bailliage de Loudun; de MM. Lemulier de Bressey et le comte de Levis, députés de la noblesse du bailliage de Dijon ; de M. le comte de Mirepoix, député de la noblesse de Paris intra muros, de MM. Blandin et Moutier, députés du bailliage d’Orléans; de MM. les comtes d’Helmstatt et de Gomer, députés de la noblesse de Sarregue-mines, de MM. l’abbé de Laboissière et Leyris-Des-ponchez, évêque de Perpignan, députés du clergé de Roussillon; de M. de Digoine, marquis du Palais, député de la noblesse du bailliage d’Au-tun; de MM. Duval d’Eprémesnil, le duc de Gas-tries, le président d’Ormesson et le bailli de Crussoi, députés de la noblesse de Paris extra muros; de MM. Garori de la Bevière et de Gardon, baron de Sandrans, députés de la noblesse du bailliage de Bourg-en-Bresse, de MM. le comte de Montcalm-Gozon et le marquis de Badens, députés de la noblesse de la sénéchaussée de Garcas-sone; deMM. de Nicolaï, évêque de Cahors, Ayrol-les et Leymarie, députés du clergé du Quercy; de MM. le duc de Biron, le marquis de Lavalette-Parizot et le comte de Plas-de-Tane, députés de la noblesse de Quercy ; de M. le baron d’Al-larde, député de la noblesse du bailliage de Saint-Pierre-le-Moustier ; de M. le marquis d’Estourmel, député de la noblesse du Gambrésis ; de M. le marquis de Pleure, député de la noblesse du bailliage de Sézanne; enfin ceux de MM. Dubuisson de Douzon, Destutt de Tracy, Coiffier, baron de (1) Cette séance est incomplète au Moniteur .