680 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. « Il n’y a plus en France de distinction d’ordres : en conséquence, lorsque, dans un des bailliages qui n’ont point nommé de suppléants, il s’agira d’en élire à cause de la mort ou de la démission des députés à l’Assemblée nationale actuelle, tous les citoyens qui, aux termes du réglement du 24 janvier, et autres subséquents, ont le droit de voter aux assemblées élémentaires, seront rassemblés, de quelque état et condition qu’ils soient, pour faire ensemble la nomination médiate ou immédiate de leurs représentants, soit en qualité de députés, soit en qualité de suppléants. Les électeurs auront la liberté d’élire leur président et autres officiers. Le présent décret sera porté sur-le-champ par M. le Président à l’acceptation royale. » L’ordre du jour appelle la suite de la discussion sur la division du royavme en départements. M. Aubry du Bochet : J’ai présenté, il y a quelque temps, le plan d’une division du royaume en 203 parties. J’adopte celle qu’a proposée M. le comte de Mirabeau, et je l’ai exécutée sur la carte (lj. Je demande : 1° que l’Assemblée nomme un comité de cinq personnes pour vérifier tous les plans de cette espèce ; 2° Qu’il y soit adjoint des gens éclairés, et que ce comité soit appelé comité de cadastre -, 3° Que la discussion soit ajournée après cette vérification. M. Bengy de Puyvallée, Messieurs, votre comité de constitution vous a présenté les bases d’une division nationale, d’une représentation personnelle, et le plan d’une administration patriotique. Un système, aussi ingénieux que profond, vous a tracé la marche que vous devez suivre pour faire participer tous les habitants de ce vaste empire à la formation des lois auxquelles ils veulent obéir, et pour fixer, par des réglements uniformes, la division du royaume, et l’organisation des corps politiques, dépositaires de la confiance publique, et chargés de faire valoir les intérêts des peuples. En rendant au travail de votre comité le juste tribut d’éloges et de reconnaissance qui lui est dû, qu’il me soit permis de contredire ses principes par des faits, et d’opposer la pratique à la théorie. J’entreprends de vous prouver que le plan de division, de représentation et d’organisation qu’on vous a proposé, ne repose pas sur des bases solides et constitutionnelles. Pour procéder avec méthode, j’établis d’abord des principes qui me paraissent incontestables. Une représentation est imparfaite, lorsque tous les citoyens actifs ne peuvent pas être représentés. Premier principe. Une représentation est inadmissible, lorsqu’elle ne protège et ne défend pas également les droits de tous les citoyens. Second principe. Une combinaison politique est impraticable, lorsqu’elle forme des divisions égales qui donnent des résultats inégaux, lorsqu’elle établit des corps politiques uniformes, qui ne présentent aucune uniformité dans la nature de leurs fonc-(1) Voyez te travail de M. Aubry du Bochet annexé à la séance de ce jour. [a novembre 1789.] tions et l’importance de leur utilité. Troisième principe. Enfin, l'organisation d’un corps politique est vicieuse, lorsque, sous quelque point de vue qu’on l’envisage, elle ne peut garantir la sûreté ni la tranquillité publique. Quatrième principe. En faisant l’application de ces quatre principes au plan de votre comité de constitution, j’espère pouvoir vous démontrer que le génie a quelquefois besoin des lumières de l’expérience. Je dis d’abord que le projet de représentation de votre comité est imparfait, parce que tous les citoyens actifs ne peuvent pas, d’après ce plan, être représentés. Votre comité vous propose de partager la France en 81 départements, chaque département en 9 communes, chaque commune en 9 cantons, et chaque cantons en assemblées primaires. Je pourrais d’abord observer que les ressorts de cette combinaison politique sont tellement compliqués, qu’il serait bien difficile d’en diriger le mouvement: mais j’abandonne tous les raisonnements, pour m’appuyer uniquement sur les faits. L’article 6 du plan proposé par le comité porte que, dans chaque canton, il y aura au moins une assemblée primaire. L’article 8 dit que chaque assemblée primaire sera au moins de 450 votants. Enfin, l’article il dit que chaque assemblée primaire députera un membre sur 200 votants. Les membres du comité de constitution ne connaissent sûrement pas les provinces de l’intérieur du royaume ; ils ne savent pas que, dans plusieurs cantons des provinces du Berry, de l’Orléanais, du Poitou, etc., dans un espace de 2 lieues sur 2 lieues, non-seulement on ne trouverait pas 420 votants pour composer une assemblée primaire, mais qu’on ne pourrait pas même réunir 200 votants. D’après cela, si la population d’un canton ne s’élève pas à 200 votants qu’exige la loi de la représentation, alors un canton tout entier ne pourra pas envoyer un représentant à l’assemblée communale. Alors, si le nombre des citoyens actifs d’un canton n’est que de 180 votants, il y aura 180 citoyens actifs qui ne seront pas représentés. Mais je vais encore plus loin. Dans les provinces que je viens de citer, il y a très-peu d’habitants des campagnes qui soient propriétaires ; ils sont presque tous ou métayers ou locataires. Je viens de vous prouver que, d’après le plan qui vous est proposé, les colons d’un canton pauvre et désert, dont la population ne s’élèverait pas à 200 votants, ne seraient pas représentés. Je vais vous prouver que les propriétaires ne le seraient pas davantage. L’article 4 du projet de votre comité porte que pour être citoyen actif, il faut être domicilié dans le canton, et qu’il faut en outre payer une contribution directe de la valeur de trois journées. La majeure partie des propriétaires habite les villes, et tire tout son revenu des campagnes. Ces propriétaires ne pourront pas exercer le droit de citoyen actif dans les campagnes, parce qu’ils n’y sont pas domiciliés ; ils ne pourront l’exercer dans les villes, parce qu’ils n’y payeront aucune imposition directe, puisque la capitation est actuellement cumulée avec la taille : ainsi, d’après le plan proposé, ni les colons, ni les propriétaires de différents cantons des campagnes ne seront point représentés, et ne pourront jouir du droit précieux de citoyen actif. J’ai donc eu raison de dire que le projet de représentation de votre comité est imparfait, parce [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [5 novembre 1789.] 681 que tous les citoyens actifs ne peuvent pas, d’après ce plan, être représentés. Mais je suppose qu’avec des amendements on puisse parer à cet inconvénient majeur ; je dis que le projet de représentation est encore inadmissible, parce qu’il ne protège et ne défend pas également tous les citoyens de l’empire: second principe que j’ai avancé. Les articles 13, 14 et 15 du plan de votre comité portent que chaque assemblée communale enverra à l’assemblée de département trois députés, à raison du territoire, et qu’elle enverra en outre autant de députés qu’elle aura de vingt-septièmes portions de la totalité de la population du département, et encore autant de députés qu’elle aura de vingt-septièmes portions delà totalité de la contribution du département. J’observe en passant que la machine, au lieu de se simplifier, va toujours en se compliquant; ce qui est déjà un premier inconvénient. Mes concitoyens des campagnes me pardonneront encore si je dis qu’ils auront de la peine à concevoir et à observer cette combinaison, plus ingénieuse que praticable. Quoi qu’il en soit, il résultera de cette combinaison, que les communes les plus peuplées, et par conséquent les plus fortes en contribution, fourniront plus de représentants à l’assemblée du département, et, par une conséquence nécessaire, chaque commune sera inégalement représentée. Or, je soutiens que si on divise chaque département en 9 communes, comme on vous le propose, il est injuste et impolitique que chaque commune ne soit pas également représentée, quelles que soient sa population et sa contribution ; je vais le démontrer. Lorsque les intérêts confiés à différents représentants sont en opposition, il est de justice rigou-jeuse que chaque représentation ait une force égale; et qu’elle puisse opposer une résistance égale; s’il en était autrement, les parties les moins représentées seraient facilement et nécessairement opprimées par celles dont la représentation serait plus forte. Une des fonctions les plus importantes des assemblées de département sera de répartir les impositions entre les 9 communes : il y aura donc entre elles une opposition d’intérêt; mais il ne faut pas que du choc de ces intérêts il résulte des oppresseurs et un opprimé : il est de toute justice que chacun de ces intérêts opposés soit également balancé, également défendu, également protégé par la Constitution, afin de maintenir l’équilibre, et qu’une partie ne soit pas écrasée par l’autre. Ce serait donc mettre le plus faible à la merci du plus fort, que d’établir l’inégalité de la représentation de chaque commune à l’assemblée de département. Ce principe de justice, Messieurs, est consacré par l’exemple des nations étrangères, qui sont les plus jalouses de la liberté et de l’égalité. La Hollande, la Suisse, l’Angleterre et tous les pays où l’administration est confiée à des représentants, n’admettent aucune différence entre le nombre des représentants, quoique la masse des intérêts qu’ils ont à défendre soit différente. Ce que je viens de dire de l’inégalité de représentation des assemblées communales aux assemblées de département, je pourrais le dire avec autant de justice, de l’inégalité de représentation des assemblées de département à l’Assemblée nationale. Ce n’est donc pas sans raison que j’ai dit que le projet de représentation de votre comité était inadmissible, parce qu’il ne protège et ne défend pas également les droits et les intérêts de tous les citoyens de l’empire. J’ai avancé un troisième principe, en disant qu’une combinaison politique est impraticable, lorsqu’elle forme des divisions égales qui donnent des résultats inégaux, lorsqu’elle établit des corps politiques uniformes qui ne présentent aucune uniformité dans la nature de leurs fonctions et l’importance de leur utilité. L’article premier du plan proposé porte que la France sera divisée en parties égales, chacune de 324 lieues carrées. J’avoue, Messieurs, que je ne suis point du tout de l'avis de ceux qui veulent rompre tout à coup les affections et les habitudes nationales, qui croient pouvoir commander au génie, aux usages et aux coutumes des peuples, et les faire plier, à leur gré, sous le joug de leurs volontés particulières ; qui précipitent la loi, au lieu de la préparer ; et qui, dans leur marche rapide, finissent souvent par venir se briser contre l’opinion publique qu’ils îi’ont pas assez respectée. Mais j’abandonne tous les raisonnements pour me borner à des faits. Que penseriez-vous, Messieurs, d’un législateur qui, pour former un tribunal, ne consulterait pas même le nombre des justiciables qui devraient y ressortir ; qui, séduit par le charme de l’uniformité, établirait, par exemple, autant de juges à Pau qu’il en établirait à Paris ? Voilà cependant l’inconvénient dans lequel est tombé votre comité de constitution, par l’égalité de divisions et par l’uniformité des corps administratifs qu’il vous a proposé d’établir. Je vais rendre cette assertion plus sensible par un exemple. La population de la lieue carrée du Berry est à celle de la iieue carrée de Flandre, à peu près comme de 3 à 1. Ce n’est pas tout : la province de Berry, d’après le plan géographique proposé, se trouve divisée en deux départements, à peu près égaux en surface mais très-inégaux en population. La population du département de Berry, qui sera le moins peuplé, sera, à la population de la Flandre, à peu près comme de 5 à 1, de manière que, si le département de Berry contient deux cent mille âmes, le département de Flandre, égal en superficie, contiendra un million d’âmes. Ainsi, de l’égalité de division ou de surface de ces deux départements, il résultera une inégalité de population de huit cent mille âmes. Maintenant, Messieurs, on vous propose d’établir, dans chacun de ces départements, un conseil provincial, qui soit composé d’un égal nombre d’administrateurs. J’observe d’abord que le nombre des administrateurs doit nécessairement dépendre de l’étendue, de la nature et de l’utilité de leurs fonctions. Plus un pays est habité, plus les rapports se multiplient, plus il faut exercer de surveillance et d’inspection ; le travail de l’administration s’accroît en raison du nombre de ceux qui doivent être administrés. Il n’est donc pas raisonnable qu’un département de deux cent mille individus ait une administration aussi nombreuse que celle d’un département d’un million d’individus. A cette considération puissante il s’en joint une autre très-importante. Si on adoptait le plan du comité de constitution, les assemblées de département étant uniformes, les frais d’administra- [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [5 novembre 1789.] 682 tion seraient les mêmes. Il faudrait également payer pendant un mois le séjour des 54 députés de chaque département ; il faudrait également entretenir une commission intermédiaire, avoir à ses ordres un ingénieur, payer à peu près les memes frais de bureau, louer un emplacement aussi vaste pour tenir les assemblées, pour renfermer les archives : tous ces frais, répartis sur une population d’un million d’âmes, seraient peu de chose pour chaque contribuable ; mais toutes ces dépenses, supportées seulement par un département de deux cent mille âmes, formeraient une dépense extrêmement onéreuse pour les peuples. D’où il suit évidemment que la combinaison politique de votre comité est inadmissible, puisqu’elle forme des divisions égales, qui donnent des résultats très-inégaux, et qu’elle établit des corps uniformes qui ne présentent aucune uniformité dans leurs fonctions et leur utilité. 11 me reste à prouver que l’organisation d’un corps politique est imparfaite, lorsque sous quelque point de vue qu’on la considère, elle ne peut garantir la sûreté et la tranquillité publique. Je crois avoir démontré par les faits et les détails dont je viens de rendre compte, que le lan qu’on a' proposé pour organiser les assem-lées primaires, communales et provinciales, est incomplet, et sujet à bien des inconvénients. Pour embrasser l'a totalité du plan, il me reste à faire voir que l’organisation des municipalités qu’on veut vous faire adopter, est impolitique et inadmissible. Je dois d’abord observer que la forme et la consistance qu’on doit donner aux assemblées municipales, dépendent nécessairement de l’influence qu’elles auront dans le corps politique, et de l’étendue des fonctions qu’on voudra leur attribuer;]] me semble donc que votre comité aurait dû d’abord déterminer d’une manière claire et précise, quelles sont les parties d’administration que l’on doit confier aux municipalités, avant de proposer l’organisation qu’on veut leur donner. Il serait imprudent de construire un édifice avant d’avoir examiné l’emploi qu’on en veut faire ; de même, avant de fixer la composition et le régime d’un corps, il aurait fallu déterminer l’usage auquel il était destiné. Les membres de l’Assemblée nationale ne peuvent fixer leur opinion sur la manière de modifier et de composer les assemblées municipales, que lorsqu’on les aura mis à même de connaître et d’approfondir le degré de pouvoir et d’autorité qu’on veut accorder aux officiers municipaux. Un autre objet qui n’est pas moins digne de toute votre attention, parce qu’il tient à l’ordre et à la tranquillité publique, c’eût été d’examiner sous quelle inspection et dans quelle dépendance vous voulez mettre les municipalités. Il me semble que pour donner aux municipalités le degré d’utilité dont elles sont susceptibles, il faudrait que ces corps fussent réguliers dans leur marche, uniformes dans leurs mouvements, toujours contenus dans les bornes qui leur seront fixées par la Constitution, toujours surveillés dans l’exercice des pouvoirs qui leur seront confiés ; il faudrait surtout, que les officiers municipaux, dépositaires de la confiance et de l’autorité publique, fussent responsables de l’usage ou de l’abus qu’ils pourraient faire des fonctions auxquelles ils seront appelés. Je vous avoue, Messieurs, qu’il me paraît difficile de remplir les conditions importantes d’une bonne organisation, si vous adoptez le plan de municipalités, qui vous a été présenté par votre comité de constitution. Les municipalités qu’on vous propose d’établir seront ou dans la dépendance du Corps legislatif, ou subordonnées au pouvoir exécutif, ou enfin elles seront absolument indépendantes. Il n’y a pas de milieu. Si les municipalités sont indépendantes, c’est-à-dire, si elles ne sont soumises à aucune inspection, à aucune surveillance, si elles ne doivent compte à personne de leur gestion, alors, Messieurs, vous établissez autant de républiques indépendantes, qu’il y aura de municipalités dans le royaume; vous manquez le but essentiel que tout législateur doit se proposer, qui est de diriger toutes les branches d’une grande administration vers un centre d’unité ; vos municipalités seront l’image impolitique des districts des grandes villes, qui diffèrent entre eux en principe et en action ; s’il s’élève des contestations entre deux municipalités voisines et rivales, pour les subsistances, pour les contributions, pour les pâturages, etc., etc., il n’y aura plus que la force et les armes qui pourront vider les querelles, et terminer les discussions ; de là une source intarissable de désordre et de confusion. Si les municipalités sont dans la dépendance du Corps législatif, c’est-à-dire s’il s’établit une relation directe entre le Corps législatif et les municipalités ; si, chargées de faire exécuter les décrets de l’Assemblée nationale, elles reçoivent directement ses ordres ou ses décisions; enfin si le Corps législatif dirige leurs mouvements, ou influe seulement sur leurs opérations, alors, Messieurs, vous vous écartez des principes constitutionnels que vous avez consacrés ; vous cumulez le pouvoir exécutif avec le pouvoir législatif; et, de cette confusion des deux pouvoirs, source empoisonnée du despotisme ministériel, naîtront bientôt le désordre, l’anarchie et le même despotisme que nous voulions proscrire pour jamais. Enfin, si les municipalités sont subordonnées au pouvoir exécutif, je vous demande, Messieurs, d’après le plan d’organisation qu’on vous propose, quelle espèce d’inspection et de surveillance le pouvoir exécutif pourra exercer sur des corps réunis en grande masse , pour parler le langage de votre comité, dépositaires d’une autorité redoutable et par le nombre, et par la force d’une milice nationale ; des corps contre lesquels, dans le cas d’insurrection ou de refus de payer l’impôt, la force militaire ne pourra pas même agir, puisqu’elle est impuissante sans l’attache des officiers municipaux. Gomment, avec, de pareilles municipalités, pouvez-vous espérer de voir jamais renaître cet ordre, cette symétrie qui font la beauté d’un édifice national, et qui doivent en éterniser la durée ! Mais si, sous quelque point de vue qu’on envisage le plan de municipalités qu’on vous a proposé, il présente des inconvients et des difficultés insurmontables, il s’ensuit nécessairement que ce plan est impraticable, inconstitutionnel et plus propre à perpétuer le trouble et la confusion, qu’à rétablir le calme, la paix et la tranquillité dont nous avons si grand besoin. Il y a mieux, Messieurs : c’est que votre comité de constitution ne paraît pas même être d’accord avec ses principes, car, pour détruire les liaisons, les habitudes, les affections des habitants d’une même province, qui sont cependant des mobiles bien puissants et bien précieux à conserver, votre comité, au lieu de se rappro- [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [5 novembre 1789. ] gg3 cher de l’ancienne division du royaume par généralités, qui paraissait la plus simple et la mieux adaptée au génie et au goût des peuples qu’un légistateur doit consulter, votre comité, dis-je, a coupé la France comme un morceau de drap, en 81 pièces, pour en faire 81 départements; par conséquent, il a diminué l’influence des corps administratifs ; au contraire, il augmente la consistance, il accroît la force des municipalités qu’il veut rendre indépendantes; mais il. ne fait pas attention que, de cette combinaison erronée, il résulte deux inconvénienls majeurs: le premier, c’est que si les corps municipaux opposent trop de résistance à l’action des corps administratifs et du pouvoir exécutif, il n’y a plus dans l’Empire de subordination, et par conséquent plus d’ensemble, plus d’accord et plus d’unité ; le second, c’est que s’il venait à s’établir une coalition entre le pouvoir exécutif et quelques-unes de ces municipalités redoutables, coalition qui pourrait très-promptement être l’ouvrage d’une intrigue ou d’un changement dans l'opinion publique; alors l’existence même du Corps législatif se' trouverait compromise ; et l’édifice élevé à la liberté, serait bientôt renversé et anéanti. La puissance, la prospérité du corps politique dépendent du concert et de l’ensemble des parties qui la composent; elles s’entraident, se soutiennent et se balancent par leur propre poids; mais l’Etat chancelle et se dissout au moment où l’équilibre est détruit. La force et les armesqu’on met entre les mains de tous les citoyens, sont plutôt, Messieurs, le signal de la licence, que le rempart de la liberté. Une Constitution sage, qui a pour base les règles immuables de la justice; un patriotisme éclairé, qui réunit les cœurs, les intérêts et les volontés ; une surveillance attentive, qui réprime les abus ; une prudente économie, qui pourvoit à tous les besoins ; un concert unanime, qui assure la stabilité des opérations ; voilà, Messieurs, les véritables garants du bonheur des peuples et de la liberté publique. Je ne me permettrai plus qu’une réflexion. En matière d’administration, je pense qu’il faut plus consulter la pratique quela théorie. L’expérience est l’école du sage et le guide du législateur éclairé. Ce principe posé : La province dont j’ai l’honneur d’être représentant, a été appelée la première à goûter les douceurs d’un gouvernement patriotique. L’administration provinciale du Berry n’a pas pu faire tout le bien qu’elle aurait désiré. Elle a souvent été arrêtée dans sa marche par les formes compliquées auxquelles elle était assujettie. Le premier inconvénient qui a frappé les membres de l’administration, a été, pour parler le langage de M. le comte de Mirabeau, l 'aristocratie municipale . Dans quelques cantons de la province, les paroisses des villes s’étendaient fort au loin dans les campagnes. Cette partie des campagnes était tyranniquement subjuguée par les villes, surtout dans la répartition de l’impôt et dans la contribution aux charges publiques. L’administration provinciale n’a pu parvenir à soustraire les campagnes à l’inquisition et aux vexations municipales, qu’en mettant une ligne de démarcation entre les villes et les campagnes, et en établissant deux collectes distinctes et séparées. Votre comité de constitution vous propose, par son plan, de consacrer complètement l’abus que l’administration provinciale à détruit dans la province de Berry. Les assemblées municipales, réunies en grande masse, seront établies, d’après le plan proposé, dans la ville la plus considérable de l’arrondissement de la commune. Pour peu qu’on ait connaissance des provinces pauvres et désertes de l’intérieur du royaume, et de l’espèce de ses habitants, il est aisé de concevoir que le conseil municipal sera toujours composé des propriétaires les plus aisés ; la portion la plus pauvre sera subjuguée, et bientôt victiméepar la plus riche. L’ascendant des villes se manifestera avec les efforts les plus destructeurs et les plus tyranniques pour les campagnes ; et lasses enfin d’un joug accablant, les campagnes provoqueront à leur tour un nouvel ordre de choses. Cette considération, Messieurs, mérite toule votre atlention. Je me résume et je dis que, quelque ingénieux que soit l’ensemble du plan de votre comité de constitution, quoiqu’il renferme les notions les plus profondes delà science des gouvernements, et qu’on puisse y puiser les connaissances les plus utiles pour l’organisation des corps politiques, il présente néanmoins, dans les détails, des inconvénients frappants sur la division de la France, sur la représentation nationale, et sur l’organisation des corps administratifs. Avant de lier uns idées à un plan général de représentation et d’administration, il est nécessaire d’examiner rapidement les bases sur lesquelles doivent reposer la représentation nationale et l’administration intérieure du royaume. Lorsque je vous ai fait part, à la séance de jeudi dernier, de mes observations, je n’avais ni entendu ni lu le plan de M. le comte de Mirabeau. Quoique mes principes soient presque d’accord avec les siens sur la représentation personnelle, j’avoue cependant que j’ai été frappé de deux inconvénients à la lecture de son projet. Je trouve d’abord que les départements qu’il propose d’établir, sont trop faibles en population. L’ordre public et l’intérêt national semblent exiger que les divisions du royaume, que vous allez conserver par une loi constitutionnelle, puissent circonscrire dans un même arrondissement les diverses espèces de pouvoir, de manière que les peuples d’un même département soient soumis au même régime ecclésiastique, administratif et judiciaire. Un département qui ne contiendrait que trente six mille citoyens actifs, comme le propose M. de Mirabeau, formerait un diocèse d’une trop petite étendue; il semble que l’œil attentif d’un premier pasteur vigilant peut se porter sur un troupeau plus nombreux. En multipliant le nombre de départements, on augmente considérablement les frais d’administration, qui deviendraient nécessairement une charge onéreuse pour les peuples. On diminue la surveillance du gouvernement en la fixant sur un trop grand nombre d’objets. Enfin, si, d’après un système politique et uniforme, on voulait établir une cour de justice dans chaque département, il semble que le nombre de justiciables neseraitpas proportionné à la dignité et à l’importance d’un tribunal suprême. Les affaires forment les hommes. On ne peut espérer d'avoir des juges éclairés, des défenseurs instruits, qu’autant qu’ils pourront réunir les connaissances aux lumières de l’expérience et à l’habitude du travail. D’ailleurs, plus on multipliera les tribunaux, plus il en coûtera à la nation pour les honoraires des juges. 684 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [5 novemnre 1789.] Cette objection s'appliquerait encore mieux au plan du comité de constitution, à raison des différences énormes de population qu’il introduit. La seconde observation que j’ai faite sur le plan de M. de Mirabeau, c’est que les assemblées primaires me paraissent trop compliquées: il me semble qu’il est tombé dans l’inconvénient qu’il reproche au plan du comité : c’est de rassembler plusieurs villages, éloignés les uns des autres, pour composer ainsi , d'éléments inégaux, une assemblée de cinq cents citoyens ; ce qui serait difficile et embarrassant dans les pays déserts et incultes. Maintenant, Messieurs, pour bien juger des bases sur lesquelles la représentation doit être appuyée, il faut la considérer par rapport au droit inhérent àchaque individu, et relativement à l’intérêt que chaque portion de l’Empire peut avoir à la représentation. La déclaration des droits a consacré un principe inaltérable, que tous les hommes naissent et de-égaux en droits. Certainement, le droit de représentation est un des droits les plus précieux, puisque tout individu à le même intérêt à la formation de la loi sous l’empire de laquelle il doit exister. Ainsi, le citoyen pour qui et par qui la loi est faite, a le droit d’y concourir par son suffrage médiat ou immédiat. Ainsi la représentation doit avoir pour unique objet le droit inhérent à l’homme, et non pas la valeur ou l’étendue du sol qu’il habite. Si l’on examine l’intérêt que chaque division du royaume peut avoir à la représentation nationale, il semble, an premier coup d’œil, que plus un département contribue à l’entretien de la chose publique, plus il doit avoir d’influence sur la législation ; mais on ne fait pas attention que plus un pays est fertile, plus il a ‘de richesses, plus ses habitants ont de jouissances et plus ils sont redevables à la puissance qui les défend, et à la force publique qui garantit leurs propriétés ; le tribut qu’ils payent à la patrie est proportionné à l’avantage qu’ils en retirent, et à la protection qu’ils en reçoivent ; la contribution qu’ils acquittent est de leur part un devoir de justice rigoureuse. Mais un devoir ne constitue pas un droit exclusif. Il n’est donc pas vrai de dire que plus un département contribue à la chose publique, plus il doit avoir d’influence sur la législation. La représentation nationale ne peut donc pas avoir pour base la contribution. Quand il s’agit de défendre la patrie, chaque homme est soldat, et doit payer de sa personne ; de même, lorsqu’il s’agit de représenter la nation, tout homme est citoyen, et a le droit de faire compter son suffrage. C’est donc par le nombre des citoyens qu’il faut calculer la représentation nationale. La population est donc la véritable base de la représentation. Je ne m’étendrai pas davantage sur cette vérité incontestable, qui a été si clairement, si parfaitement démontrée parM. de Mirabeau. J’ajouterai seulement que, pour porter la représentation nationale au degré de perfection dont elle peut être susceptible, il faut qu’elle soit rapprochée autant qu’il est possible de tous les citoyens qui ont droit d’y concourir, et que les délégués de la nation soient choisis par des électeurs nommés immédiatement parle peuple. Il faut que la représentation soit telle que ceux qui seront élus ne puissent porter à l’Assemblée nationale aucune affection particulière, aucun intérêt local qui détournent leurs regards du seul et unique objet qui doit les fixer, le bien général de l’Eta et la prospérité publique. Enfin, il faut que sous tous les rapports ils puissent se considérer, non comme les députés d’une province, mais comme les représentants et les législateurs de la nation. Tels sont, Messieurs, les principaux caractères qui me paraissent convenir à une véritable représentation nationale. lime reste à établir, en peu de mots, les bases d’une bonne administration. Il me semble, Messieurs, qu’au lieu de se perdre dans des conceptions ingénieuses et analytiques, il faut consulter les mœurs et le génie simple des peuples auxquels on veut donner des lois; je pense qu’en bravant les erreurs on doit ménager les affections, et même les préjugés. Il me semble que l’administration la plus simple sera toujours la plus parfaite, parce qu’elle sera la plus utile à l’intérêt public. Les corps administratifs doivent être tellement constitués, qu’une régénération politique garantisse la liberté nationale, que leur marche assure la diversité de leurs mouvements, qu’une correspondance facile soit le garant d’une prompte exécution, que leur activité ne soit point ralentie, qu’elle soit sans cesse éclairée, jamais arbitraire, et toujours subordonnée; enfin, il faut que l’action partie du centre se porte sans effort vers toutes les extrémités, et qu’une réaction sagement combinée se fasse sentir, sans aucun choc, des extrémités jusqu’au centre. Telle est l’idée que je me suis formée d’une bonne administration. Je sens maintenant, Messieurs, qu’il est plus aisé de tracer les règles que d’en faire l’application, d’indiquer les difficultés que de les résoudre, et je n’oserais vous présenter mon opinion personnelle, si je n’étais encouragé par votre indulgence. Plan de division politique de représentation nationale et d'organisation administrative (1). Art. Ier. La France sera partagée en soixante - dix divisions inégales en superficie, mais égales, autant qu’il sera possible, en population; ce qui suppose environ trois cent soixante mille individus par division, et environ soixante mille citoyens actifs. Art. 2. Chaque division ou département aura une assemblée provinciale, qui sera divisée en dix arrondissements ou districts qui seront inégaux en surface, mais égaux en population, autant qu’il sera possible; ce qui suppose, relativement à la population totale du département, soixante mille individus, et soixante mille citoyens actifs par districts. Dans la division des départements, on se rapprochera, le plus qu’il sera possible, de l’arrondissement actuel des généralités. Art. 3. Chaque district n’aura d’autre division que celle des villes et des paroisses de campagne qui seront dans sa circonscription. Art. 4. L’Assemblée nationale sera composée de sept cents membres. Chaque division du royaume ou département enverra à l’Assemblée dix députés; et attendu qu’il y a soixante-dix départements, il en résultera le nombre de sept cents députés. Art. 5. L’assemblée provinciale sera composée (1) Le plan de division du royaume proposé par M. Bengy de Puyvallée n’a pas été inséré au Moniteur. [S novembre 1789.] 685 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. de soixante membres, à raison de six députés par district, et en outre d’un procureur générai syndic. Art. 6. Chaque assemblée de district, qui ne sera qu’une assemblée d’élection, sera composée des députés des villes et des paroisses de campagne, qui seront compris dans sa circonscription ; il y aura dans chaque district un procureur syndic. Art. 7. Pour former l’assemblée de district, chaque ville et chaque paroisse de campagne s’assembleront d’abord séparément, et nommeront un député sur cinquante citoyens actifs, pour envoyer à l’assemblée de district. La population de chaque district étant de soixante mille individus et de dix mille citoyens actifs, il s’ensuivra que l’assemblée de district sera à peu près composée de deux cents citoyens actifs. Art. 8. Une paroisse qui ne réunirait pas cinquante citoyens actifs, enverra toujours un député à l’assemblée de district. Une paroisse qui réunirait plus de cinquante citoyens actifs, ne pourra élire deux députés que lorsque le nombre de ses électeurs s’élèvera à cent; elle nommera trois députés pour cent cinquante citoyens actifs, quatre pour deux cents, ainsi de suite. Art. 9. Une ville dont la population s’élèverait à soixante mille individus, qui forment à peu près la population d’un district, formerait seule un district, si la population s’élevait à cent vingt mille âmes, elle formerait deux districts, ainsi de suite. La ville de Paris, sortant de la règle ordinaire, formera seule un département. Art. 10. Tous les députés qui auront été nommés par les villes ou paroisses comprises dans chaque district, se rendront, au jour indiqué par la convocation, au chef-lieu du district. Art. 11. Tous les députés se réuniront par devant le premier officier municipal du chef-lieu du district. Ils nommeront un président, un secrétaire et quatre scrutateurs; après quoi ils nommeront, par la voie du scrutin, un député de leur district pour les représenter à l’Assemblée nationale. Us nommeront ensuite, dans la même forme, un suppléant, après quoi, toujours dans la même forme, ils procéderont à la nomination de trois députés de leur district à l’assemblée provinciale; enfin, ils éliront le procureur syndic de leur district (l). Art. 12. L’assemblée provinciale s’assemblera tous les ans ; ses séances dureront un mois; elle sera renouvelée par moitié tous les deux ans ; elle élira son président et son procureur général syndic, à la clôture de chaque séance. Le procureur général syndic pourra être continué, mais toujours en vertu d’une nouvelle élection. Avant de se séparer, elle nommera dix de ses membres, pour composer la commission intermédiaire avec le procureur général syndic, qui n’aura jamais que voix consultative. Art. 13. Les paroisses de campagne étant très-inégales en superficie et en population, on les arrondira de manière qu’il y ait dans chaque pa-(1) Si l’Assemblée nationale se déterminait en faveur d’une assemblée de district administrative, les mêmes électeurs procéderaient à la nomination des membres dè l’assemblée de district, mais elle ne servirait qu’à compliquer la machine, à raison des rivalités, des divisions qui s’élèveraient entre les assemblées de district. roisse un curé et un vicaire ; pour y parvenir, on fera les réunions que les localités exigent, et que le clergé sollicite depuis longtemps ; au moyen de quoi on diminuera le nombre des paroisses qui auront une certaine consistance inégale en superficie, mais égale, autant que faire se pourra, en population. Art. 14. Chaque ville, chaque paroisse de campagne, auront chacune une municipalité distincte et séparée. Les officiers municipaux seront élus par tous les citoyens actifs de chaque ville ou paroisse, et renouvelés par moitié tous les ans. Le nombre des officiers municipaux sera dans la proportion fixée par les articles 47 et 48 du plan du comité de constitulion. Art. 15. Les municipalités des villes ou des paroisses de campagne seront indépendantes les unes des autres. Art. 16. L’assemblée provinciale déterminera la portion de contribution que chaque ville ou paroisse de campagne devra supporter, mais chaque municipalité fera ensuite séparément la distribution de ce que chaque contribuable devra payer. Àrt. 17. Le procureur syndic de chaque district sera élu tous les deux ans, et ne pourra être continué qu’en vertu d’une nouvelle élection. U remplira, dans l’étendue de son district, les fonctions du ministère public en fait d’administration seulement; il aura des rapports continuels avec toutes les municipalités, il leur fera passer les ordres, les instructions, les lettres et paquets de la commission intermédiaire ; il entretiendra avec ladite commission une correspondance directe, il lui fera parvenir tous les renseignements dont elle pourrait avoir hesoin; il dirigera, sous les yeux des municipalités les travaux publics, les routes qui pourront traverser son district ; enfin il se concertera avec chaque municipalité sur tous les objets qui pourront intéresser l’avantage particulier de chaque paroisse, et le bien générai du district. Art. 18. Lorsqu’une affaire intéressera deux ou plusieurs paroisses, les syndics se réuniront dans Je lieu qui leur sera le plus commode, pour en conférer ensemble en présence du procureur syndic qui n’aura jamais que voix consultative. Art. 19. Toutes les contestations qui s’élèveront entre deux municipalités voisines, seront portées, par voie de conciliation, devant l’assemblée provinciale ou la commission intermédiaire, qui prononcera un jugement qui sera exécuté provisoirement, sauf l’appel au tribunal qui sera établi par la loi. Art. 20. Les officiers municipaux seront tenus de rendre compte de leur gestion à l’assemblée des citoyens actifs qui se réunira pour nommer leurs successeurs. Art. 21. Les procureurs syndics des districts seront tenus de rendre compte de leur conduite et de leur gestion aux assemblées d’élection de leur district et à l’assemblée provinciale. Art. 22. Les membres qui composeront la commission intermédiaire de l’assemblée provinciale, ne pourront y avoir voix délibérative que lorsqu’ils lui auront rendu compte de leur gestion et de leur administration. Art. 23. Les assemblées provinciales seront dans l’ordre et la dépendance du pouvoir exécutif, mais tous les membres de l’administration provinciale seront collectivement ou individuellement responsables de leur conduite au Corps législatif, ainsi que les ministres et autres agents du pouvoir exécutif. 686 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES» [5 novembre 1789.] Art. 24; Tous administrateurs, tous officiers municipaux qui auront commis quelques abus dans l’exercice de leurs fonctions ou qui se seront rendus coupables de quelque faute grave qui intéressera l’ordre public, ou qui seront accusés de quelque crime delèse-nation, seront dénoncés et renvoyés au tribunal suprême que l’Assemblée nationale aura établi pour connaître de ces sortes de délits. Qu’il me soit permis, Messieurs, en Unissant, de vous rappeler combien il importe , pour le maintien de l’ordre, du bonheur et de la tranquillité publique, que vous vous occupiez, sans relâche, de cette Constitution qui est le but essentiel de vos travaux, comme elle est le but le plus ardent des peuples. Jusqu’ici, les dépositaires de l’autorité, sans méthode et sans plan, ont méconnu les lois ;de l’ordre et de la justice ; ils se sont fait des principes aussi variables que les circonstances ; ils ont pris pour règle de leur conduite l’intérêt du moment ; et par une suite de prestiges et d’erreurs, ils ont brisé les ressorts du corps politique, et l’ont conduit sur le bord du précipice. Appelés à régénérer toutes les parties de cet empire, hâtons-nous, Messieurs, d’établir sur des bases inébranlables cette heureuse Constitution, qui doit rendre à la France son lustre, sa vigueur et son énergie; empressons-nous de faire goûter aux peuples les douceurs de cette heureuse liberté après laquelle ils soupirent; ne la laissons pas échapper de nos moins. Souvenons-nous que les révolutions des empires commencent toujours par le bris de la liberté et de l’égalité, et qu’elles finissent souvent par l’anarchie ou par la servitude. On demande et l’Assemblée ordonne l’impression et la distribution du discours de M. Bengy de Puyvallée. M. Pellerln (1). Messieurs, il s’agit d’établir les bases de la représentation personnelle de tous les citoyens du royaume, aux Assemblées des villes, des provinces, et de la nation elle-même ; assemblées auxquelles tous les Français ont droit d'être appelés, mais dans lesquelles un petit nombre seul a droit de représenter la multitude. Votre comité de constitution vous à présenté un plan qui embrasse sous un seul point de vue toutes les parties de ce vaste empire; qui n’en fait qu’un tout homogène; qui faisant disparaître les inégalités morales, civiles et politiques qui distinguent encore les différentes provinces de France , successivement conquises , échangées, données ou réunies, les soumettra toutes à un seul et même régime* à une seule et môme administration principale, à laquelle toutes les administrations particulières seront subordonnées'. Ce plan est grand; il est majestueux; Puisque la France ne doit plus offrir ces disparités monstrueusesqui plaçaient dansuh grandroyaume une foule d’Etats particuliers qui se régissaient par des principes différents, tant d’administration que de législation ; puisque les provinces privilégiées sont appelées à un ordre de choses qui en assurant leur liberté, garantit leurs véritables franchises, elles ne doivent plus connaître, sans doute, ces distractions qui établissent entre elles et les provinces d’élection des rivalités odieu-(1) L’opinion de M. Pellerin est incomplète àti Moniteur. ses, source de division pour des sujets du même prince, pour des citoyens de la même patrie. Il faut donc aujourd’hui un ordre général d’administration en France : il faut un seul plan de gouvernement. Toutes les provinces en sentent la nécessité; tous leurs représentants en ont conçu le projet : la difficulté est de le réaliser ; et il faut en convenir, cette difficulté est grande. Elle n’est pas encore, elle ne sera pas tout à l’heure résolue, et si vous me permettez de vous le dire, Messieurs, je ne crois pas qu’elle puisse l’ètre irrévocablement dans le cours de la législation actuelle. Votre comité de constitution vous a tracé un mode d’exécution du nouveau plan projeié. D’autres idées vous ont été présentées à cet égard par plusieurs honorables membres de cette Assemblée. Leur objet est de simplifier, autant qu’il est possible, la forme à observer dans les assemblées des représentants de la nation, tant pour ce qui concerne l’administration, que pour ce qui concerne la députation à l’Assemblée nationale et les élections graduelles qui doivent la précéder. Sans doute, Messieurs, vous adopterez celui des plans qui vous ont été ou qui vous seront encore proposés, qui vous paraîtra le plus simple et de l’exécution la plus facile. En politique, comme en mécauique, c’est la simplicité qui est le chef-d’œuvre de l’art. Cependant s’il est bien iniportant de ne pas multiplier dans le royaume les assemblées élémentaires qui produiraient dans toutes ses partieset dans le même temps, un mouvement trop général, il est peut-être également intéressant de ne pas réduire tellement les assemblées intermédiaires, qu’elles produisent l’effet, ou . de ne pas offrir une représentation parfaite, ou défaire naître des obstacles dans la réunion des éléments de l’Assemblée nationale. Si les projets qui vous ont étésoümis, Messieurs, conservaient dans chaque province, non pas un régime particulier, qui nedoit plus y exister, mais une administration principale par rapport aux différentes parties de cette province, et subordonnée à l’administration générale du royaume, il paraîtrait facile d’établir un plan de division simple et convenable à tous les intérêts. Trois assemblées pourraient partager chaque province. Les premières assemblées seraient celles des municipalités établies dans les bourgs et dans les villes et formées par l’élection libre des citoyens actifs des paroisses de leur arrondissement. Les secondes assemblées seraient des assemblées de district composées des députés de plusieurs municipalités réunies par département, Le nombre des districts serait proportionné à l’étendue, à k population et aux richesses ou à la contribution des provinces. Chacune de ces assemblées du second ordre aurait la partie d’administration relative à son territoire. Enfin la troisième assemblée dans chaque province serait l’assemblée provinciale, à laquelle seraient subordonnées les assemblées de district comme elle serait subordonnée elle-même à l’Assemblée nationale. Les députés à l’assemblée provinciale comme ceux qui seraient envoyés à l’Assemblée nationale seraient nommés par lès assemblées des districts, soit dans leur sein, soit dans le nombre des autres citoyens éligibles de leurs départements. Voilà, Messieurs, Cbtnmënt j’ai pensé que pourrait être composée l’administration de chaque province. Si les différents plans qui vous ont été proposés ne m’apprenaient que Von veut changer la division actuelle du royaume par provinces, [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [5 novembre 1789.J 007 changement que l’on prétend être réclamé par les publicistes et par les bons administrateurs et que l’on regarde comme nécessaire pour assurer la liberté de la nation et prévenir le retour des privilèges particuliers qui ont été sacrifiés à l’intérêt général, Si j’étais pénétré, Messieurs, de la nécessité de cette division et si je croyais comme les honorables membres qui l’ont proposée, que le salut de la nation, que la conservation de sa liberté, que sa prospérité sont attachés à ce nouvel ordre de choses, je ne balancerais pas à en demander l’exécution ; je la provoquerais de toutes mes forces; je ne le céderais en zèle à aucun de vous, Messieurs, et déjà j’aurais sollicité de mes commettants leur adhésion formelle à un changement que les représentants de la France n’auraient préparé que pour son bonheur. Mais précisément, Messieurs, c’est que je suis persuadé qu’un nouveau partage du royaume ne peut y produire que du trouble et qu’il sera réellement le mal des provinces qui jusqu’ici ont eu une administration particulière! Dans cette persuasion il est de mon devoir de vous exposer mes motifs d’opposition au projet du comité. De quelque manière que vous les jugiez, j’aurai acquitté ma dette, d’abord envers vous à qui je suis comptable, non pas de l’opinion d’autrui, mais de la mienne et ensuite envers mes commettants de qui je suis obligé de défendre les intérêts toutes les fois que je les crois blessés sauf à vous à redresser mes erreurs et à décider dans votre sagesse ce que vous croyez vraiment utile pour ceux mêmes que je représente. Le plan projeté d’une nouvelle division du royaume peut convenir peut-être aux provinces qui n’ont jamais eü d’administrations particulières OU qui n’ont obtenu cet avantage précieux que depuis que le plus juste des rois a rendu à ses peuples l’exercice d’ün droit naturel dont les avait dépouillé le pouvoir arbitraire, celui de partager librement avec l’Etat, le produit de leurs revenus ou de leur industrie. Trop longtemps écrasées soiïs le régime oppresseur de la fiscalité, livrées au despotisme et souvent aux caprices d’un commissaire plus souverain dans 10 département que le monarque lui-même, les provinces d’élection restituées à leur première liberté, consentiront probablement sans difficulté à un plan nouveau d’administration et aux divisions proposées, quelque multipliées qu’elles soient. Il leur est indifférent d’avoir plusieurs administrations principales ou de n’en avoir qu’une seule; c’est toujours elles qui, dans le nouvel ordre dé choses, exerceront envers elles-mêmes Cette partie importante du pouvoir exécutif qüi, pour le bonheur de la nation� échappe aujourd’hui des mains des intendants. Ainsi, que le ressort de leur administration soit borné ou qu’il soit étendu, c’est la même chose pour ces provinces; elles peuvent désirer même n’être pas chargées d’une administration trop vaste ; elles feront toujours bien ce qu’elles feront librement pour leurs intérêts ; et parce qu’elles le feront plus facilement lorsque leur administration sera peu compliquée, il n’y a pas lieu dé croire qu’elles troubleront jamais le partage quelconque qui sera établi ; elles le troubleront encore d’autaut moins qu’elles y auront elles-mêmes concouru. Mais en sera-t-il de même des provinces d’Etats qui ont toujours eu, qui ont toujours conservé le droit d’avoir une administration particulière, relativement au royaume et générale pour toutes les parties de ces provinces ? Adopteront-elles une division qui, en morcelant leur administration politique, la dénaturerait au point, non pas seulement de changer le nom de cette administration, mais d’en substituer quatre, cinq, sept ou huit à une seule ? La province de Bretagne, dont j’ai l’honneur d’être un des représentants, consentira très-certainement au nouvel ordre politique et civil que l’Assemblée nationale établira pour la prospérité du royaume; mais, très-probablement aussi, cette province ne consentira que très-difficilement à perdre ses Etats, plus anciens dans l’Armorique que l’établissement des Francs dans les Gaules, et à partager leur administration en cinq, sept ou huit administrations supérieures, également principales. A ces mots à’Etats et d’Etats de Bretagne, je vous prie, Messieurs, de ne pas croire que je réclame pour la conservation des assemblées bretonnes, qui depuis deux siècles étaient devenues le fléau de cette province. Des assemblées prétendues politiques dans lesquelles la noblesse entrait individuellement pour dominer sur deux millions d’hommes représentés par quarante-deux députés qu’ils n’avaient pas môme la liberté de choisir, étaient des assemblées non pas administratives, mais oppressives , non pas protectrices, mais destructives de la liberté des peuples : les Bretons ont attaqué l’administration de leurs Etats, et ce colosse, élevé par le despotisme de l’aristocratie, est tombé en pièces ; il ne se relèvera jamais. Mais, si je suis loin de redemander des Etats d’une constitution aussi vicieuse, je n’entends pas dire qu’il n’en faut plus en Bretagne; qu’une administration provinciale y serait dangereuse ; qu’il faut anéantir cette unité de régime, pour lui substituer une multitude de régimes particuliers et indépendants de toute autre surveillance que de celle de l’Assemblée nationale. Indépendamment de cette longue habitude où est la Bretagne d’avoir une administration commune à toutes ses parties, et à laquelle elle ne renoncera pas tout d’un coup sans y avoir été préparée par le temps, par l’expérience, par les effets nécessaires de sa nouvelle situation respectivement à la France, cette province a de grands besoins qui exigent de grandes ressources, et ces ressources n’existeront plus dans un état de division qui isolera chaque partie détachée du tout, qui rendra les divers départements de cette grande corporation ainsi morcelée, étrangers les uns aux autres. La Bretagne a des dettes immenses : si elles sont réparties entre les cinq ou sept départements qu’on voudra lui donner, il y en aura plusieurs qui ne pourront pas acquitter leur contribution sans une gêne effroyable : il faudra donc que l’Etat s’en charge, et peut-être que l’intérêt de la province, que celui de ses créanciers s’opposeront à cette libération apparente dont On voudrait se servir ensuite pour étayer une sürtaxe dans les contributions de cette province à la masse générale des impôts, ou pour la grever d’un impôt qu’elle ne doit pas connaître. ; La Bretagne a des travaux publics considérables à supporter, auxquels l’expose S& situation sur la mer ; des quais et ports, déS jjühts et chaussées; sa navigation intérieure, Son commerce, les encouragements qu'il demande, les débouchés nécessaires, les grands chemins� tous ces objets également importants demandent une administration générale : divisez la province en 688 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [b novembre 1789.] cinq ou six départements ; les uns seront en état de fournir aux dépenses qui leur seront relatives ; les autres n’en auront pas la faculté, et dès qu’ils seront étrangers les uns aux autres, aucun de ces départements ne voudra venir au secours d’un autre département; ainsi une partie de la même province sera dans une situation florissante pendant qu’une autre sera dans un état de négligence et d’abandon : une administration commune prévient un pareil désordre, elle porte partout ses regards ; et lorsqu’elle est également juste, toutes les parties du territoire qu’elle régit sont également traitées, également favorisées : les besoins sont satisfaits là où ils existent réellement ; le canton qui réclame est assuré de trouver des secours qu’il ne se fût jamais procurés, s’il eût été livré à ses propres ressources. Enfin, Messieurs, lorsque vous aurez établi l’impôt et réglé sa répartition, sans doute que vous laisserez à chaque province le soin d’en faire l’assiette et la levée, suivant ce qui conviendra le mieux à ses intérêts, à son genre de produclion ou d’industrie? Et comment se ferait dans la Bretagne une assiette uniforme? comment se ferait une perception régulière ? à qui les contribuables porteraient ils leurs plaintes, avec la confiance de trouver dans leurs juges, même poids, même mesure ? Des administrations séparées et respectivement principales , comme respectivement indépendantes, introduiraient dans la même province une confusion de règles et de principes qui établiraient entre les contribuables une inégalité de traitements souverainement injuste, et entre les administrations elles-mêmes des rivalités dangereuses pour l’ordre public de la province. J’ajouterai pour dernier trait à ce tableau que je ne fais encore que crayonner, que si la France veut exposer les provinces qui jusqu’à présent ont pu opposer une résistance courageuse aux entreprises des agents du pouvoir exécutif, à perdre peu à peu cette force qui a si utilement servi la nation elle-même, il n’y a qu’à morceler les provinces d’états, et surtout la Bretagne; bientôt chaque département deviendra successivement la proie d’un pouvoir qui aura toujours assez d’étendue pour gêner les administrations, et assez de moyens pour les vexer quand il voudra. L’Assemblée nationale subsistera. Oui, Messieurs; mais ce Corps législatif entrera-t-il dans tous les détails d’une administration devenue minutieuse par la multiplicité extrême des corps administratifs? Qu’il donne aux provinces de l’énergie, ou qu’il conserve du moins à celles qui en ont cette force politique, cette ressource puissante qui a préparé le bonheur de la France, et à qui peut-être elle en devra la condamnation. J’ai entendu dire qu’il y a lieu de craindre d’établir des corps administratifs assez forts pour entreprendre de résister au chef du pouvoir exécutif, et qui puissent se croire assez puissants pour manquer impunément de soumission au Corps législatif. Cette crainte est chimérique, Messieurs ; quelque considérable que puisse être une administration de province, elle ne sera jamais en état, quand elle oserait le tenter, de résister à l’autorité légitime du pouvoir exécutif, et de se soustraire aux volontés de la nation entière. Un autre a dit, Messieurs, qu’après avoir aboli les prétentions et les privilèges des provinces, il serait imprudent de laisser subsister une administration qui pourrait offrir des moyens de les réclamer et de les reprendre. Mais en quoi consistaient les privilèges de quelques provinces, et entre autres de celle de Bretagne ? Dans la délibération sur les lois et sur l’impôt : voilà quels étaient les principaux privilèges de cette province, si l’on peut qualifier de ; privilèges ce qui était droit et franchise naturelle, ce que la nation recouvre elle-même aujourd’hui, et ce que la Bretagne n’a abandonné que parce qu’elle exercera, de concert avec la nation, ces droits essentiels à tout peuple libre. Ils sont donc abandonnés ces prétendus privilèges. Oui, Messieurs, la Bretagne est soumise à vos sages décrets, et sa soumission ne peut jamais être ni altérée, ni affaiblie par l’effet d’une administration absolument étrangère à l’exercice de ses anciens droits. Mais enfin, l’esprit de province n’est-il pas nuisible? Oui, quand il s’exerce sur des prétentions particulières ; et, encore une fois, il n’existe plus de prétentions de cette espèce ; l’esprit de province est aujourd’hui l’esprit national, puisqu’il n’existe plus de véritable autorité que dans la nation, et que je ne réclame pour ma province qu’une administration subordonnée à la nation, et sous la surveillance continuelle et immédiate de rassemblée permanente qui la représentera. Je demande donc pour la Bretagne, en tous cas, au nom de mes commettants, que les administrations de département qui y seront établies ressortissent à une administration supérieure et principale, dont l’Assemblée voudra bien régler l’organisation d’une manière convenable, laquelle administration correspondra immédiatement avec l’Assemblée nationale. M. le duc de La Rochefoucauld. Les anciennes divisions du royaume seront-elles changées? Telle est la première question. Je réponds pour l’affirmative, parce qu’il est sans contredit très-avantageux de rompre les habitudes des provinces, et de détruire de grands corps qui deviennent dangereux parce qu’ils sont inutiles quand il n’y a plus d’oppression ministérielle à redouter. M. de Mirabeau a proposé 120 divisions, et dans chacune une assemblée provinciale , et autant de municipalités que de paroisses ; il demande la suppression des corps administratifs intermédiaires. Je ne puis d’abord adopter cette suppression. Il y aurait si loin de la municipalité à l’assemblée provinciale, qu’il faudrait établir des individus pour intermédiaires ; mais ces correspondants seraient anssi nuisibles que les subdélégués des intendants. En admettant donc des corps intermédiaires, les divisions de M. de Mirabeau deviennent trop resserrées. J’adopte en conséquence la division du comité ; mais je me réfère à l’amendement de M. Barnave. Mais, en considérant les assemblées de divers degrés sous le rapport de la représentation, je reconnais la nécessité de rapprocher les représentés des représentants, et j’adopte avec M. Barnave la suppression des intermédiaires. J’ajouterai seulement qu’il est nécessaire de fixer à deux ou trois jours après la nomination des électeurs l’élection des députés. Cette précaution me paraît un moyen sûr de déjouer les intrigues. M. le comte de Dieuzie adopte le plan du comité, et propose, pour faire la division en deux jours, de réunir les députés des généralités, et de les engager à diviser leurs provinces en parties équivalant à une soixantième du royaume, et au plus à un quatre-vingtième. 689 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [5 novembre 1789.] M. Faydel présente des observations sur les dettes des provinces, des diocèses et des municipalités ; il désirerait que le comité fût allé au-devant des moyens de remédier à l’embarras que ces dettes occasionneront dans les divisions et sous-divisions. Il ne faut pas attacher assez d’importance à l’égalité des divisions, pour oublier tous les obstacles qui résulteront des localités. On ne s’est point occupé d’une considération qui mériterait cependant quelque examen. Dans l’étendue d’un département, il y aura des assemblées administratives dont les "frais seront considérables. Il se peut que la population de celte division soit très-peu nombreuse; alors chaque individu se trouvera chargé d’une imposition locale immense. 11 me paraît convenable, ajoute-t-il, de laisser les généralités faire leur arrondissement. De cette manière, les divisions en départements ne donnent lieu à aucune réclamation. M. de Sinéty (1). Messieurs, en rendant justice au plan qui vous a été présenté par votre comité de constitution, pour l’organisation municipale du royaume, en admirant môme les principes politiques sur lesquels ce mécanisme est édifié, en reconnaissant enfin la sagesse des motifs qui ont déterminé votre comité, je ne puis me dissimuler les inconvénients qu’il présente dans son exécution ; et la discussion très-lumineuse à laquelle il a donné lieu m’a confirmé dans l’opinion que j’en avais conçue à la première lecture. Je ne viens point, Messieurs, défendre l’antique constitution des provinces de pays d’états. Les vices de leur administration sont connus des honorables membres de ces provinces qui, presque toutes, réclament des changements et des réformes, et vous dénoncent des abus dont ces établissements politiques sont entachés. Réunir en un seul et même esprit d’administration tous les citoyens de ce vaste Empire, et détruire les intérêts particuliers, pour faire naître le seul intérêt public, c’est, sans contredit, l’idée la plus patriotique, bien digne des représentants de la nation ; et les circonstances où nous nous trouvons facilitent cette heureuse révolution ; mais elle peut aisément s’opérer sans admettre, dans tout son ensémble, le plan de division proposé par votre comité. J’y trouve des inconvénients majeurs ; qu’il me soit permis, Messieurs, de vous faire observer ceux qui ne vous ont pas été exposés, en adhérant à toutes les sages réflexions ue les préopinants vous ont détaillées dans la iscussion du plan soumis à votre délibération. S’il m’est permis de dire mon avis particulier, j’observerai que je ne conçois pas pourquoi la nécessité urgente d’organiser promptemenltoutes les municipalités du royaume, pour ramener l’ordre et la tranquillité, ne vous a pas déterminés, Messieurs, à commencer ce grand ouvrage par la formation des municipalités, au lieu de la faire précéder par la division du royaume en différents départements. Puisque nous avons depuis si longtemps adopté la figure emblématique d'un édifice immense et majestueux, pour définir le grand ouvrage de notre Constitution, j’oserai vous faire observer, Messieurs, que pour élever ce vaste édifice, il eût fallu commencer par rassembler les matériaux (1) Le discours de M. de Sinéty n’a pas été inséré au Moniteur. lre SÉRIE, T. IX. qui doivent par leur réunion servir à la formation, les tailler et les façonner, donner à chaque pierre de l’édifice la forme et la coupe au moyen desquelles elles doivent s’adapter pour élever et construire l’ensemble. Les matériaux, les pierres de cet édifice sont, sans contredit, les municipalités de toutes les villes, bourgs et villages. Il faut leur donner la forme, la coupe par lesquelles elles doivent se réunir, et je considère les déDar-tements de tout le royaume, qui doivent être formés par la réunion de plusieurs municipalités, comme la clef de voûte qui, dans la composition de tout édifice, est la dernière pierre à poser. Commençons donc, Messieurs, par former les municipalités primaires. La nécessité politique, impérieusement indiquée par les circonstances, nous en impose la loi; toutes les villes du royaume le réclament ; la tranquillité publique en dépend, et une observation importante doit nous y engager: c’est que les municipalités étant formées, et l’ordre étant par elle établi, nous pourrons nous livrer avec moins de précipitation et plus de réflexion au plan de réunion des municipalités primaires, pour former les assemblées communales et de département, dont l’existence n’est, à la rigueur, nécessaire que pour l’administration. Quant aux principes de la représentation primaire, communale et nationale, je ne puis que rendre hommage aux sages idées de votre comité de constitution. Je crois cependant, dans mon avis particulier, ne devoir pas admettre la distribution des départements et des assemblées communales qui vous est proposée. Je pense que, sans démembrer, comme le propose votre comité, toutes les provinces du royaume, dont la nature a fixé les limites, il suffit de former dans chaque province dont l'administration est trop étendue dans le mode actuel, un plus grand nombre de départements ou administrations provinciales supérieures, conformément à la population et à l’étendue territoriale de chaque province. Déjà votre comité de constitution, abandonnant sa première division géométrique du royaume en départements, vous a offert de consulter les députés des provinces sur cette distribution. Ainsi, laissons à chaque députation réunie de chaque province le soin de proposer à l’Assemblée nationale, n’ayant égard qu’autant qu’il sera possible au plan géométrique de votre comité, la division en départements qu’ils jugeront convenable et avantageuse à leur province. Et l’on avouera que c’est entrer dans les vues de votre comité de constitution, que de procéder ainsi. J’ai de la peine à concevoir encore pourquoi votre comité ne vous propose, Messieurs, que 720 administrations communales dans lesquelles seules il y aura des municipalités, et pourquoi il n’établit dans toutes les autres villes, bourgs et villages du royaume que des bureaux d’administration communale. Gomme administrateurs, ces bureaux sans doute doivent être subalternés à l’administration communale, chef-lieu du ressort ; mais quant à la police intérieure des villes, bourgs et villages, il faut des officiers municipaux dans chacun, qui aient les mêmes pouvoirs et la même action que ceux des 720 villes municipales. 11 faut des chefs partout où il y a des citoyens réunis, pour maintenir l’ordre et la police. Le plan de votre comité de constitution, qui ne vous présente que 720 villes municipales, prive au moins les deux tiers des villes du royaume et 44 ggO [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [S novembre 1789.] tous les autres lieux habités, de chefs absolument nécessaires et essentiels au bon ordre, à la tranquillité et au bonheur des citoyens, qui sans eux seraient, au moins dans beaucoup de circonstances, livrés momentanément à une anarchie dangereuse. Après avoir osé. Messieurs, exposer mon opinion sur quelques points principaux du plan de votre comité, qu’il me soit permis de soumettre à votre sagesse un seul objet particulier à la ville de Marseille, dont j’ai l’honneur d’être le représentant, et qui peut également intéresser plusieurs villes de commerce de premier ordre. Un de nos honorables membres, M. Delandine, vous a exposé hier ses considérations sur les grandes villes de commerce, en vous priant d’observer combien il est difficile et même impossible de réunir, d’amalgamer, de fondre en un même esprit d’administration les grandes vues spéculatives des villes de commerce avec les intérêts locaux et privés des pays agricoles. Il a réclamé ue le Forez ne fût pas réuni à l’administration e Lyon, et vous a fait sentir combien cette réunion pourrait être désavantageuse. J’adopte pleinement l’opinion de M. Delandine ; et, par des motifs différents, je conclus, comme lui, à ce que les grandes villes de commerce, telles que Marseille, Lyon, Bordeaux, Nantes, Rouen, aient particulièrement, à l’instar de la ville de Paris, une administration supérieure et non subalternée à aucun chef-lieu de département de l’intérieur des provinces où elles sont situées. Il est impossible d’espérer jamais que les opérations des grandes villes dé commerce et leurs intérêts puissent être dirigés et mis en action par l’administration supérieure des villes et pays agricoles, auxquels on veut les subalterner. De deux choses l’une, Messieurs, ou l’administration supérieure sera composée d’un plus grand nombre de citoyens actifs des villes de commerce, et alors l’intérêt du commerce dominera l’intérêt de l’agriculture, ou les citoyens actifs agricoles seront en plus grand nombre que les commerçants ; et, dans ce cas, le commerce sera mal représenté et sacrifié. Gardons-nous, Messieurs, de mettre les hommes et les intérêts en opposition. Il est une observation essentielle, que je ne dois pas vous dissimuler. G’est qu’il importe à la prospérité du commerce que l’administration des grandes villes commerçantes ait une correspondance prompte et directe avec le pouvoir exécutif et les ministres. Les opérations les plus essentielles à leurs intérêts exigent une célérité qui n’admet pas dans les villes très-importantes une administration subalternée ; et il serait très-impolitique de les obliger à suivre les différents degrés d’administration auxquels votre comité de constitution veut les soumettre pour arriver, par eux, aux agents supérieurs du gouvernement. La population très-considérable, et par conséquent la police de ces grandes villes de commerce, ne réclament pas moins en leur faveur la nécessité de cette correspondance directe et sans intermédiaire avec le gouvernement, que l’intérêt et la prospérité de leur commerce. En accordant, Messieurs, à ces principales villes de commerce une administration supérieure, et non une subalternée, vous les soumettrez à tous les principes d’organisation que vous adopterez pour toutes les administrations supérieures ; et lorsque j’ose ici plaider en faveur des grandes villes de commerce du royaume, qu’il me soit permis de vous faire observer, Messieurs, que Marseille, par l’étendue et l’importance de ses spéculations, et par sa position qui la met dans le cas de réunir dans son sein le commerce de l’univers entier, au très-grand avantage de l’Etat, exige plus qu’aucune autre ville cette administration supérieure dont elle a toujours joui, et que je réclame pour elle. Elle se soumettra certainement avec respect et confiance au mode de représentation, et aux règles d’administration que vous croirez devoir fixer. Quoiqu’elle obtienne une administration supérieure et non subalternée, dont on veut la priver, ou la déposséder, elle n’en aura pas moins l’esprit publie et national, et les sentiments de patriotisme qui l’ont toujours distinguée et qui doivent réunir tous les Français. Je conclus donc, Messieurs, si vous me le permettez, et je demande : l°que l’Assemblée nationale commence, avant tout, à déterminer la forme et les principes d’organisation de toutes les municipalités dans toutes les villes, bourgs et villages du royaume; 2° Que toutes les députations de chaque province se rassemblent, pour former dansleurspro-vinces la réunion des municipalités subalternes et primaires, qui doivent établir les assemblées communales inférieures et les assemblées provinciales supérieures, et pour fixer le nombre de ces assemblées provinciales supérieures qu’elles croiront nécessaire en raison de l’étendue et de la population de leurs provinces, et en suivant la situation et la totalité de leur territoire ; 3° Enfin, que les grandes villes de commerce, Marseille, Lyon, Bordeaux, Nantes, Rouen, obtiennent des administrations supérieures et non subalternées, aux mêmes titres et pouvoirs que les administrations provinciales supérieures, en réunissant à leur ressort le territoire de leur banlieue, dans les limites qui forment aujourd’hui leur enceinte. J’appuierai, Messieurs, cette troisième partie de ma motion d’une considération de la plus grande importance. Ces villes ont toutes contracté des dettes considérables qu’elles seules et leur banlieue doivent acquitter. 11 ne serait ni juste ni praticable de faire participer à l’acquit de ces dettes anciennes les territoires intérieurs des provinces, que votre comité de constitution réunit, dans son plan, à l’administration communale ou provinciale de ces grandes villes. Elles ont en outre des charges particulières, nécessitées même par les intérêts du commerce, et qui seront toujours étrangères et indifférentes aux administrations territoriales. L’acquittement de ces dettes anciennes, et la continuité nécessaire de ces charges particulières des villes de commerce, rendent leur réunion à l’administration des villes de l’intérieur des provinces impossible et impolitique, et réclament fortement une administration supérieure et non subalternée en faveur des grandes villes de commerce, Votre sagesse, Messieurs, pèsera ces réflexions ; c’est avec confiance, respect et soumission que j’ose ici vous les présenter, M. Bouche présente quelques considérations sur la division de la Provence (1). (1) Voy. plus loin, annexé à la séance de ce jour, le mémoire de M. Bouche sur la division de la Provence. [Assemblée nationale.] ARCHIVÉS PARLEMENTAIRES. [5 novembre 1789.] M. le due de Lévis (1). Il m’est impossible d’apercevoir le rapport qu’il y a entre des lieues carrées et des députés. Ou ne voit point, par exemple, pourquoi le lac de Genève, s'il ôtait compris dans une des provinces de France, serait privé de représentants qui lui appartiendraient� autant de titres qu’aux landes de Bordeaux et de Bretagne. Vainement a-t-on voulu corriger les inconvénients qui résultent de cette forme vicieuse, par les autres députations accordées à la population et à la contribution. Ces palliatifs ne servent qu’à montrer qu’en s’écartant des principes on est obligé de multiplier les ressorts et de compliquer les mouvements. Cependant à qui appartient le droit de se faire représenter, si ce n’est à des hommes et non aux champs et aux richesses ? Autrement si les provinces ont le droit d’envoyer plus de députés en raison de leur contribution, il s’ensuivrait que les particuliers qui payent le plus devraient avoir le plus d’influence sur le choix des députés, ce qui serait injuste et ce qui devient cependant la conséquence du système proposé par le comité de constitution ; d’ailleurs, par votre déclaration, tous les citoyens sont égaux en droits; or, le plus beau de tous est d’avoir des représentants, et le comité semble dire qu’il faut avoir des richesses pour être représenté. J’opine donc pourque les bras soient représentés, et non les écus, et pour que la population soit la seule règle qui fixe le nombre des représentants envoyés à l’Assemblée nationale par chaque canton et département. M. Barrère de ¥Ieuïac (2). La base territoriale est fausse ; un pays est couvert de moissons, un autre de bruyères; ici les hommes sont entassés dans des villes ; à côté les campagnes sont désertes ; des habitations nombreuses couvrent une province; des forêts, des sables, des marais couvrent la surface d’une autre; ainsi par les différences qui se trouvent dans les qualités du terrain, dans les degrés de fertilité et dans la nature de ses productions, la mesure territoriale est trop inégale, trop injuste pour être adoptée. La base contributive n’est pas plus exacte puisque les impôts sont très-variables par la nature des richesses et de l’industrie ; c’est d’ailleurs une base honteuse, puisque ce ne sont pas les métaux, mais les hommes qu’il faut représenter ou administrer. La seule base digne du législateur est celle de la population, parce que les lois sont faites pour les hommes et non pour les terres. Les hommes font l’Etat, ils forment les lois, ils remplissent l'administration, et quoique le terrain nourrisse les habitants, il doit se resserrer ou s’étendre sous le compas de l’administrateur, suivant son degré d’utilité. Ge n’est pas qu’on doive négliger la base territoriale, puisque l’administration devient plus pénible et plus dispendieuse dans les grandes distances, mais ce n’est là qu’une base secondaire. Quant au degré de représentation, le plus petit nombre est préférable ; deux degrés sont plus rapprochés du peuple, il élira plus directement ses représentants, il surveillera mieux ses administrateurs ; deux degrés de représentation rendent les élections plus générales et plus populaires ; (1) Le discours de M. le duc de Lévis n’a pas été inséré au Moniteur. (2) L’opinion de M. Barrère de Yieuzac est incomplète au Moniteur. 691 deux degrés d’administration la rendent plus salutaire et plus économique. Les municipalités sont à la liberté politique ce que les jurés sont à la liberté civile, c’est-à-dire la base essentielle à établir ; donner à chaque ville, bourg et village, une municipalité indépendante, c’est réunir le principe représentatif et détruire à leur origine tous les liens de l’administration; ne pas laisser à chaque bourg ou village un régime municipal honoré de ce nom, c’est rappeler des idées humiliantes de sub alternation aU lieu de faire naître des rapports plus doux d’intérêt et de réunion. _ Je propose donc d’établir deux sortes de municipalités : les unes secondaires, les autres princi-pales. Voici les articles que je soumets à votre délibération : 1 0 Déterminer de quel nombre d’individus chaque département sera composé ; 2° Renvoyer aux députés de chaque province le soin d’appliquer cette base de population sur le territoire, pour pouvoir établir par un décret particulier la division des assemblées provinciales ou de département, sauf à elles à perfectionner par la suite ces divisions j 3° Arrêter qu’il n’v aura que deux degrés de représentation et d’administration; 4° Déterminer de que! nombre d’individus sera composé chaque arrondissement subordonné à l’assemblée de département ; 5° Etablir dans chaque ville, bourg et village, une municipalité secondaire, et dans certaines villes et bourgs des municipalités principales auxquelles les secondaires ressortiraient pour certains objets; 6° Déterminer le nombre d’habitants nécessaire pour former une municipalité principale, de manière que chaque assemblée provinciale puisse adopter le principe au territoire, La suite de la discussion a été ajournée, afin de permettre à l’Assemblée de s’occuper d’affaires urgentes. M. de Talleyrand, évêque d’Autun , présente au nom du comité de constitution un règlement provisoire de police pour la ville de Paris , rédigé sur la demande des administrateurs de la commune. M. le comte de Mirabeau présente sur l’article 8 un amendement ayant pour objet d’interdire au lieutenant de maire, ou au conseiller assesseur, la faculté de condamner à huit jours de prison; il fait remarquer que toutes les lois du royaume n’autorisent un pareil fait que pour vingt-quatre heures, comme simple précaution et noa comme peine. M. Démeunier convient que c’est donner trop d’autorité aux magistrats de police ; cependant, eu égard aux circonstances actuelles et dans une ville comme Paris, la police a un plus grand besoin d’une force réprimante ; il propose par sous-amendement de réduire ce pouvoir à un emprisonnement de trois jours. Cet amendement est mis aux voix et adopté* M. Defermont propose d’ajouter que l’emprisonnement ne pourra être ordonné que de l’avis de deux notables adjoints. La question préalable est demandée et adoptée* M. Dupont de IVemours. L’Assemblée a