395 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (29 mai 1791.] nous verrons tout s’écrouler avec rapidité; que nous servira notre Constitution, quand nos provinces seront la conquête des peuples voisins? J’entends dire que l’anarchie est complète. Je pense, moi, qu’il n’est point impossible de rétablir l’ordre et la discipline si les clubs cessaient enfin d’abreuver les soldats de leurs poisons, si au lieu de les égarer par un faux patriotisme, on. ne leur vantait que le véritable, qui est le dévouement aux lois et l’amourde l’honneur; si enfin, ouvrant les yeux sur l’abîme daDS lequel des factieux, des intrigants, des philosophes, des ignorants, des traîtres peut-être peuvent précipiter notre malheureuse patrie, nous songions sérieusement à préparer des défenses de l’espèce de celles qui décident du sort des armées, au lieu de nous amuser à des lieux communs de métaphysique ;si enfin on rappelait seulement le soldat français à des principes naturels, si on rendait sa confiance à ses officiers, nous trouverions encore des armées françaises. Nos grenadiers sont encore de la même trempe que ceux de Denain, de Fontenoy et de Berghen. Mais ces grenadiers, si justes appréciateurs du mérite militaire qui ne consiste pas seulement dans la bravoure, savent si leurs officiers ne leur sont pas nécessaires, et s’il est aisé de les remplacer. Ou parle d’un complot, à peu près général, d’expulser les olficiers par la violence et même d’en massacrer quelques-uns désignés. Ce complot n’est encore que dans la résolution des conspirateurs; il ne circule encore que dans les clubs où on sait qu’il a été agité. Car je suis loin de croire les soldats de l’armée capables d’y avoir adhéré. Plusieurs régiments auxquels on a osé en faire des insinuations ont répondu d’une manière digne de cet honneur qui a toujours caractérisé le soldat français. L’imagination a peine à se prêtera la croyance d’un pareil projet. Mais faut-il le dire? Déjà plusieurs événements trop constatés autorisent toutes les défiances, et accréditent des bruits qui eussent été tout à fait incroyables dans tout autre temps. Les officiers occupent leurs places sous l’autorité de la loi. S’ils ne méritent plus sa protection, elle doit prononcer légalement leur destitution. Tant qu’elle ne l’aura pas prononcée, elle doit les protéger avec énergie. Qui de nous peut dire que . ce n’est pas là notre devoir ? Et ne serait-ce pas méconnaître cette souveraineté de l’Assemblée nationale, dont on nous parle tous les jours, que de douter qu’elle n’en ait la possibilité, comme elle en a le droit? Nous nous rendons donc coupables si nous n’en déployons pas toute la puissance, dans cette grande circonstance, avec la force nécessaire pour faire respecter les lois et y soumettre tous les militaires depuis le premier grade jusqu’au dernier. Je pense donc que l’Assemblée nationale doit mander le ministre de la guerre, pour qu’il rende compte de l’armée et des précautions qu’il a du prendre pour arrêter les désordres qui la détruisent; et qu’elle doit le rendre personnellement responsable des insurrections qui arrivent dans les régiments, toutes les fois qu’il n’aurait point employé les moyens que lui donne la loi pour les prévenir. Car c'est un crime égal contre la sûreté de l’Etat, que de démanteler ses forteresses ou de dissoudre ses armées. Ces observations étaient livrées à l’impression, lorsqu’on a rendu compte à l’Assemblée de ce que les olficiers du régiment de Dauphiné ont été renvoyés par leurs soldats. La conduite que l’Assemblée va tenir dans cette occasion fera connaître si elle a encore la puissance défaire observer les lois. Car, si nous souffrons cet acte séditieux, nous prouvons à l’Europe entière que nous sommes sans force, et nous prononçons nous-mêmes l’état d’anarchie où est réduit l’Empire. Nous dira-t-on encore que l’insurrection est le plus saint des devoirs, lorsqu’elle a lieu pour le renversement des lois que nous-mêmes avons faites ? ASSEMBLÉE NATIONALE PRÉSIDENCE DE M. MERLIN, EX-PRÉSIDENT. Séance du dimanche 29 mai 1791 (1). La séance est ouverte à onze heures du matin. Un de MM. les secrétaires fait lecture du procès-verbal de la séance d'hier au matin, qui est adopté. M. le Président donne connaissance à l’Assemblée d’une adresse du sieur Domergue, ci-devant receveur des décimes à Narbonne, place qu’il a remplie pendant 46 ans. (Cette adresse est renvoyée au comité des pensions.) Un membre du comité de vérification propose d’accorder un congé d’un mois à M. de Saint-Mars, député du département de Seine-et-Oise, et à M. de Trie, député du département de la Seine-Inférieure. (Ces congés sont accordés.) M. Bouche, au nom du comité de vérification. Messieurs, il y a dans ce moment dans la ville de Colmar, chef-lieu du département du Bas-Rhin, une insurrection très vive; et cette insurrection est dirigée contre tous les pouvoirs. De mauvais citoyens ont égaré le peuple en lui persuadant que la religion est en danger; l s corps administratifs n’ont déployé aucune force; la pluralité des officiers municipaux s’est mise à la tête des factieux ; le tribunal de justice a refusé de faire informer. Dans cet état de choses, les bons citoyens ont écrit à la députation d’Alsace, au nom de laquelle j’ai l’honneur de vous parler en ce moment, pour empêcher que le mal ne fasse de plus grands progrès. Il y a dans cette ville un régiment de chasseurs commandé parM. Louis deNoailles et qui y tient garnison�; on a tâché de séduire ce régiment et on a voulu l’engager à se réunir aux factieux. Les bons citoyens et la députation dAlsace désireraient comme une chose très nécessaire et tiès instante que M. de Noailles, membre de l’Assemblée nationale, connu par son zèle et son patriotisme, allât se mettre au moins pendant quinze jours à la tête de son régiment pour rétablir l’ordre. C’est pour obtenir cette demande de la députation d'Alsace qne j’ai l’honneur de vous pr er d’ac-curder un congé de quinze jours à M. de Noailles, (1) Cette séance est incomplète au Moniteur.