[États généraux.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [27 juin 1789.] 105 par 20,000 âmes, ils devraient en avoir 25. Si les blancs seuls sont dans le cas d’avoir des représentants, ils se réduiront par la même raison à 2 députés. Comme je ne veux pas traiter en ce moment la question de l’abolition de l’esclavage, qoi, en effet, doit être renvoyée à un temps plus calme, je vote pour 10 députés à raison de l’étendue du commerce et de l’importance de cette colonie. M. cle Clermont-Tonnerre se borne à faire lecture de l’article de son cahier qui veut que les colonies soient regardées comme provinces. M. Target se borne également à faire connaître le vœu de ses commettants sur l’admission des députés de Saint-Domingue ; il conclut a ce qu’ils ne soient admis que provisoirement. , M. Champion de Cicé, archevêque cle Bordeaux, demande qu’ils soient admis au nombre de ouze, et les autres comme suppléants. M. Legrand. Si l’on admettait un aussi grand nombre de représentants pour Saint-Domingue, |es colonies en réclameraient en proportion, et alors ce nombre pourra s’élever à 200. M. Carat. Cette inégalité de la représentation ne doit pas l’arrêter. M. de Gouy-d’Arcy. Dans un moment aussi intéressant pour le bien public, je ne me permettrai que de dire un seul mot. J’écarterai même tous ces témoignages de respect et de vénération qu’inspire une Assemblée aussi auguste. Ce n’est pas par ambition que la colonie a nommé trente députés et en a envoyé vingt ; elle {n’a eu d’autre vue que de coopérer au bien général, que d’apporter des lumières sur des choses (inconnues dans la métropole: les culturelles mœurs, les richesses, tout y est d’une nature {differente. Il me semble qu’il n’y a qu’une seule objection spécieuse contre la députation au nombre de {vingt. 1 Si vous les admettez, vous a-t-on dit, vous serez obligés d’en admettre deux cents pour les jautres colonies, qui ne tarderont pas à demander {également une députation. Mais à cela je répondrai que la population de .Saint-Domingue, ses richesses pour la balance du (commerce, et ses impôts directs et indirects, excèdent de plus de la moitié les autres colonies ; ainsi donc ce ne serait pour toutes les colonies que quarante députés que vous admettriez parmi vous. M. Lanjuinais, député de Bretagne, dit qu’il .est chargé de s’élever contre l’esclavage des nè-igres, et qu’en attendant que l’humanité et la politique puissent prononcer sur cette question, il me faut des représentants que pour 40,000 représentés : il demande en conséquence que les nègres ne puissent être considérés dans le calcul du nombre des députés de la colonie, des esclaves ne pouvant être représentés par leurs maîtres. M. Bouche. Je propose : 1° Que le nom deprovinces, îles ou possessions franco-américaines soit substitué à celui de colonie: 2° Que les habitants soient convoqués comme les Français ; 3° Que les plaintes contre les administrateurs soient admises après examen ; 4° Que les Franco-Américains soient invités à fournir des mémoires sur la liberté des nègres et sur les moyens d’améliorer leur sort; 5° Que les lois prohibitives soient réformées, et que le tableau des impôts directs et indirects soit vérifié. MM. de Clermont - Tonnerre , Target, Biauzat et. un député de la noblesse de Touraine déclarent qu’ils sont chargés, par leurs cahiers, de demander que l’on s’occupe du sort des noirs. M. de la Rochefoucauld. Le parlement d’Angleterre s’en occupe dans ce moment, et je peux vous annoncer qu’une société, formée au sein de la capitale, travaille depuis longtemps à rassembler tous les matériaux pour cet objet si digne d’être traité dans un siècle de philosophie et d’humanité ; je demande donc que l’Assemblée prenne en considération la liberté des noirs avant de se séparer. On se dispose à aller aux voix sur le second point, savoir quel nombre de députés serait reçu, lorsqu’on annonce que MM. du clergé et de* la noblesse non réunis vont se rendre dans l’Assemblée : ce qui suspend la décision. Il est 4 heures. M. 1c comte de Mirabeau. On vous a annoncé que le Roi venait d’écrire à la majorité de la noblesse et à la minorité du clergé non réunis , pour les inviter à se rendre enfin dans le sein de l’Assemblée nationale. C’est sur cette circonstance que je demande la parole. Messieurs, je sais que les événements inopinés d’un jour trop mémorable ont affligé les cœurs patriotes, mais qu’ils ne les ébranleront pas. A la hauteur où la raison a placé les représentants de la nation, ils jugent sainement les objets et ne sont point trompés par les apparences qu’au travers des préjugés et des passions on aperçoit comme autant de fantômes. Si nos rois, instruits que la défiance est la première sagesse de ceux qui portent le sceptre, ont permis à de simples cours de judicature de leur présenter des remontrances, d’en appeler à leur volonté mieux éclairée ; si nos rois, persuadés qu’il n’appartient qu’à un despote imbécile de se croire infaillible, cédèrent tant de fois aux avis u-de leurs parlements, comment le prince qui a eu le noble courage de convoquer l’Assemblée nationale n’en écouterai t-t-il pas les membres avec autant de faveur que des cours de judicature, qui défendent aussi souvent leurs intérêts personnels que ceux du peuple ? En éclairant la religion du Roi, lorsque des conseils violents l’auront trompé,' les députés du peuple assureront leur triomphe ; ils invoqueront toujours la bonté du monarque ; et ce ne sera pas en vain, dès qu’il aura voulu prendre sur lui-même de ne se fier qu’à la droiture de ses intentions et de sortir du piège qu’on a su tendre à sa vertu. Ils ont été calmes dans uu moment orageux, ils le seront toujours; et ce calme est le signe non équivoque du courage. Mais la journée du 23 juin a fait sur ce peuple, inquiet et malheureux, une impression dont je crains les suites. Où les représentants de la nation n’ont vu qu’une erreur de l’autorité, Je peuple a cru voir 166 ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [États généraux.] un dessein formel d’attaquer leurs droits et leurs pouvoirs. Il n’a pas encore eu l’occasion de connaître toute la fermeté de ses mandataires. Sa confiance en eux n’a point encore de racines assez profondes. Qui ne sait d’ailleurs comment les alarmes se propagent, comment la vérité même, dénaturée par des craintes, exagérée par les échos d’une grande ville, empoisonnée par toutes les passions, peut occasionner une fermentation violente qui, dans les circonstances actuelles et les crises de la misère publique, serait une calamité ajoutée à une calamité? Le mouvement de Versailles est bientôt le mouvement de Paris; l’agitation de la capitale se communique aux provinces voisines, et chaque commotion, s’étendant à un cercle plus vaste, de proche en proche, produit enfin une agitation universelle. Telle est l’image faible, mais vraie, des mouvements populaires; et je n’ai pas besoin de prouver que les derniers événements, dénaturés par la crainte, interprétés par la défiance, accompagnés de toutes les rumeurs publiques, risquent d’égarer l’imagination du peuple, déjà préparée aux impressions sinistres par une situation vraiment déplorable ! Ah! sans doute, ils seraient pardonnables ces mouvements, fussent-ils même ceux du désespoir, à un peuple qui, sous le règne d’un Roi, s’est vu traîné par la perfidie des mauvais conseils, je ne dirai pas sur les bords, mais sur les pentes escarpées du plus affreux des précipices. Et comment les citoyens auraient-ils les mêmes motifs que les députés pour rassurer leur confiance? Ont-ils vu dans les regards mêmes du Pmi, ont-ils senti dans l’accent de son discours combien cet acte de rigueur et de violence coûtait à son cœur ? Ont-ils jugé, par leurs propres yeux, qu’il est lui-même quand il veut le bien, lui-même quand il invite les représentants du peuple à fixer une manière d’être équitablement gouverné, et qu’il cède à des' impressions étrangères lorsqu’il restreint la générosité de son cœur, lorsqu’il retient les mouvements de sa justice naturelle? Si noire Roi était plus qu’un homme, s’il pouvait tout par lui-même, on ne redouterait pas les effets de cette démarche que des conseillers imprudents et pervers luiontarra-chée; il serait inutile de prémunir le peuple con tre les égarements où des intentions criminelles et des séductions adroites pourraient le précipiter. Quand on se rappelle les désastres occasionnés dans la capitale par une cause infiniment disproportionnée à ses suites cruelles , tant de scènes déplorables dans différentes provinces où le sang des citoyens a coulé par le fer des soldats et le glaive des bourreaux, on sent la nécessité de prévenir de nouveaux accès de frénésie et de vengeance ; car les agitations, les tumultes, les excès ne servent que les ennemis de la liberté. Mais les hommes de mauvaise foi qui affectent toujours de confondre la liberté avec les écarts de la licence ; les hommes faibles, incessamment alarmés lorsqu’on leur montre le plus précieux des biens précédé de ses dangers et des convulsions populaires ; le ralliement des partisans du pouvoir absolu, alors armés d’un prétexte ; tant d’infortunées victimes de la fureur du moment, des précautions sanguinaires ou des punitions légitimes; tous ces maux si graves ne sont pas ceux qui, dans ce moment, m’effrayent le plus. Je considère tous les bons effets d’une marche. ferme, sage et tranquille ; c’est par elle seule qu’on peut se rendre les événements favorables, qu’on profite des fautes de ses adversaires pour [27 juin 1789.] le triomphe du bon droit; au lieu que, jetés peut-i être hors des mesures sages, les représentants de la nation ne seraient plus les maîtres de leurs mouvements ; ils verraient d’un jour à l’autre les progrès d’un naal qu’ils ne pourraient plus arrêter, et ils seraient réduits au plus grand des malheurs, celui de n’avoir plus le choix des fautes. Les délégués de la nation ont pour eux la souveraine des événements, la nécessité ; elle les pousse au but salutaire qu’ils se sont proposé, elle soumettra tout par sa propre force ; mais sa force est dans la raison : rien ne lui est plus étranger que les tumultes, les cris du désordre, les agitations sans objet et sans règle. La raison veut vaincre par ses propres armes; tous ces auxiliaires séditieux sont ses plus grands ennemis. A qui, dans ce moment, convient-il mieux qu’aux députés de la France, d’éclairer, de calmer, de sauver le peuple des excès que pourrait produire l’ivresse d’un zèle furieux ! C’est un devoir sacré pour les députés que d’inviter i leur commettants à se reposer entièrement sur eux du soin de soutenir leurs intérêts, et du soin de faire triompher leurs droits en leur apprenant que, loin d’avoir aucune raison de désespérer, jamais leur confiance n’a été mieux fondée. Trop souvent on n’oppose aux convulsions que la misère ou l’oppression arrachent aux peuples, que les baïonnettes; mais les baïonnettes ne rétablissent jamais que la paix de la terreur et le silence qui plaît au despotisme. Les représentants de la nation doivent, au contraire, verser dans les cœurs inquiets le baume adoucissant de l’espérance, et les apaiser avec la puissance de la persuasion et de la raison. La tranquillité de l’Assemblée deviendra peu à peu le fondement de la tranquillité delà France; et ses * représentants prouveront à ceux qui ne connais-1 sent pas les effets infaillibles du régime de la liberté, qu’elle est plus forte pour enchaîner les peuples à l’ordre public que toutes les cruelles mais petites ressources du gouvernement qui ne met sa confiance que dans ses moyens de contrainte et de terreur. ' i 11 serait donc de la prudence des représen-1 tants de la nation de faire une adresse à leurs commettants pour leur inspirer une confiance calme, en leur exposant la position de l’Assemblée nationale ; pour leur recommander, au nom de leurs intérêts les plus chers, de contribuer de toute leur sagesse et de tous leurs conseils au main de l’ordre et de la tranquillité publique, à l’autorité des lois et de leurs ministres ; pour se justifier enfin à leurs yeux quels que soient les événements, en leur montrant qu’ils ont connu tout le prix de la modération et de la paix. Voici le projet d’adresse que je présente : Projet d’adresse de l’Assemblée nationale à ses commettants. « Messieurs, vos députés aux Etats généraux, longtemps retenus dans une inaction bien pénible à leur cœur, mais dont vous avez approuvé les motifs, entraient en activité par le seul moyen qui leur parût compatible avec vos intérêts et vos droits. « La majorité du clergé s’était déclarée pour la réunion; une minorité respectable dans la noblesse manifestait le même vœu, et tout annonçait à la France le beau jour qui sera l’époque de sa constitution et de son bonheur. « Des événements que vous connaissez ont re-