[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 mai 1791.] Département de la Haute-Garonne. A la municipalité de Ga-telsarrasin ........ 12,500 1. 1 s. » d. « Le tout ainsi qu’il est plus au long détaillé daus les décrets de vente et états d’estimation respectifs annexés à la minute du procès-verbal de ce jour. » (Ce décret est adopté.) M. le Président fait donner lecture par un de MM. les secrétaires d’une nouvelle lettre des commissaires des citoyens de couleur , ainsi conçue : « Monsieur le Président, « Après être restés, jusqu’à ce jour, sous l’oppression des colons blancs, nousosionsespérerque nous ne réclamerions pas en vain auprès de l’Assemblée nationale des droits qu’elle a déclaré appartenir à tous les hommes. « Si nos justes réclamations, si les malheurs, si les calomnies que nous avons éprouvés jusqu’à ce jour, sous la législation des colons blancs, si enfin les vérités que nous avons eu l’honneur de présenter hier à la barre de l’Assemblée ne peuvent l’emporter sur les prétentions injustes des colons blancs, celles de vouloir être sans notre participation nos législateurs, nous supplions l’Assemblée de ne pas achever de nous dépouiller lu peu de liberté qui nous reste, celle de pouvoir abandonner un sol arrosé du sang de nos frères ( Murmures au centre et à droite ; applaudissements à gauche.)... et de nous permettre de suir le couteau tranchant des lois qu’ils vont préparer contre nous. « Si l’Assemblée se décide à porter une loi qui fasse dépendre notre sort de vingt-neuf blancs, nos ennemis décidés, nous demandons d’ajouter par amendement au décret qui serait rendu dans cette hypothèse, que les hommes libres de couleur pourront émigrer avec leur fortune, sans qu’ils missent être inquiétés ni empêchés par les blancs (Murmures et applaudissements.) « Voilà, Monsieur le Président, le dernier re-ranchernent qui nous restera pour échapper à Ja vengeance des colons blancs dont nous sommes menacés, pour n’avoir cessé de réclamer auprès le l’Assemblée des droits qu’elle avait déclaré appartenir à tous les hommes. ( Applaudissements a gauche et dans les tribunes.) « Nous sommes, avec respect, etc., « Signé : Raymond. » M. I�avie. Je vous prie, M. le Président, de rappeler sévèrement les tribunes à l’ordre. M. Ijucas. Je demande l’impression de la lettre et le renvoi à demain de la suite de la discussion du projet sur les colonies, afin que les opinions aient le temps de s’éclairer. M. de Custine. Une semblable lettre n’est faite que pour porter le trouble dans l’Assemblée. (A gauche : Non! non!) M. Goupil-Préfeln. Je demande la question préa'ablc sur l’impression. Plusieurs membres : L’ordre du jour! A gauche : L’impression! L’ajournement! (L’Assemblée rejette la demande d’impression de la lettre des commissaires des citoyens de 89 couleur et décrète qu’elle passe à l’ordre du jour.) L’ordre du jour est la suite de la discussion du projet de décret des comités des colonies, de Constitution, de marine et d' agriculture et de commerce, sur l’initiative à accorder aux assemblées coloniales dans la formation des lois qui doivent régir les colonies et sur l'état civil des gens de couleur (1). M. Rewbell (2). L’amendement que je veux proposer tend à augmenter l’initiative libre, préalable et spontanée des colons blancs, à les rendre entièrement maîtres de la délibération prochaine, à leur assurer une prépondérance certaine dans toutes les délibérations futures, et cependant à empêcher toute délibération dans les l'es sur l’état des gens de couleur libres. Permettez-moi de développer cet amendement; je ne serai pas long. Qu’avez-vous fait, Messieurs, en décrétant le premier article du projet? Vous avez rassuré pour toujours les colons bbmes sur leur propriété; vous les avez dispensés de délibérer sur l’état des personnes non libres : car il est évident que, dès qu’ils ne pourront jamais être forcés d’émettre un vœu sur l’état de ces personnes, ils ne délibéreront jamais sur leur état. Il faut achever votre ouvrage, et dispenser aussi à jamais les colons blancs de délibérer sur l’état des gens de couh ur libres, car s’il y a une fois une délibéra-lion dans les îles sur une matière aussi délicate, il vous deviendra impossible d’arrêter la fermentation qu’une délibération pareille y excitera nécessairement, et je croirai dès lors les îles perdues pour nous. (A droite : Allons donc!) Rappelez-vous ce qui est arrivé en France. On a donné une espèce d’initiative aux nobles sur le droit politique du tiers état. Dès lors, le tiers état s’est réveillé; dès lors, il a triomphé des deux antres ordres : et il est évident que si le tiers état n’avait pas été égal en courage et en génie avec les deux autres ordres, s’il ne leur avait pas été supérieur en nombre, s’il ne les avait pas anéantis par la toute-puissance du poids de sa supériorité numérique, vous auriez eu en France la guerre civile la plus cruelle. Craignez donc de réveiller les gens de couleur libres dans les îles; craignez d’exagérer leurs espérances ; redoutez de trop exciter les craintes et la haine des blancs; et, par conséquent, empêchez toute délibération dans les îles sur l’état des personnes. Je le répète, Messieurs, achevez votre ouvrage. Vous le pouvez et vous le devez ; et c’est ici le moment de dire qu’on ne s’est pas encore entendu en parlant sans cesse de liberté politique. En France, vous avez assuré à tout le monde la liberté civile et politique. Je dis politique, car en décrétant des conditions pour être citoyen actif, vous n'avez exclus personne de l’habilité à devenir citoyen actif, vous n’avez fait que suspendre l’excrcice des droits politiques du citoyen non actif, jusqu’à ce qu’il ait les qualités requises par la loi pour cet exercice. Vous avez fait plus pour les îles : vous y avez même suspendu l’exercice de la liberté civile pour une classe d’hommes. Pourquoi ne pourriez-vous donc pas y modifier ou plutôt y graduer l’exercice des droits politiques pour une autre classe d’hommes ? Dès que vous en avez le pouvoir, vous en avez le devoir ; je le répète, sous (1) Voy. ci-dessus, séauce du 14 mai 1791, p. 69, (2) Ce discours est incomplet au Moniteur. 90 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES* [15 mai 1791.1 peine de perdre les colonies. Si vpus voulez les conserver, augmentez vos bienfaits envers les colons blancs; augmentez l’initiative libre, spontanée et préalable que vous leur avez déjà donnée. Ils craignent d’être effacés et opprimés à leur tour par les colons de couleur. Eh bien ! assurez à ces blancs une prépondérance éternelle; mais point de délibération nécessaire, mais point de congrès pour délibérer sur l’état des gens libres de couleur. Dites, Messieurs, dès à présent, que vous ne délibérerez pas sur l’état des gens de couleur qui ne sont pas nés de père et mère libres, sans le vœu préalable, libre et spontané des colonies; et il est évident qu’il n’y aura jamais ni dans la métropole, ni dans les îles aucune délibération sur l’état des personnes qui ne sont pas nées de père et mère libres. Faites plus : ajoutez que les assemblées coloniales actuelles subsisteront. Mais aussi, en revanche, assurez dès à présent aux gens de couleur nés de père et mère libres, leurs droits politiques et leur admission dans les assemblées paroissiales et coloniales futures. Cette classe de colons de couleur, rassurée sur son sort par cette disposition, vous bénira; les autres colons de couleur, non admis encore, mais assurés que leurs enfants deviendront habiles à exercer les droits politiques, resteront tranquilles et joindront sans doute leurs bénédictions à celles de leurs frères; et si les colons blancs qui, au moyen de cet amendement et des dispositions que je propose, resteront les maîtres absolus de la délibération prochaine, et conserveront éternellement leur prépondérance en talents, en génie, et en nombre dans les délibérations futures; si, dis-je, ils persistent à rejeter ce tempérament, méfiez-vous d’eux ; ils veulent entretenir la fermentation dans les îles; ils veulent exciter des troubles; ils veulent être injustes; ils méditent leur indépendance; elle est peut-être déjà résolue; ils sont peut-être déjà pénétrés de l’esprit de ces 85 qu’ils ont eu l’air de persécuter dans l’origine. Ainsi, au nom de la patrie, au nom de l’humanité, au nom du salut commun de la France et des lies, j’invite tous les bons citoyens de cette Assemblée qui abjurent tout parti et qui détestent tout esprit de faction, à se réunir à ma voix pour faire décréter dès à présent, en principe, que le Corps législatif ne délibérera, pareillement jamais sur l’état des gens de couleur qui ne seraient pas nés de père et mère libres, sans le vœu préalable libre et spontané des colonies; que les assemblées coloniales actuelles subsisteront; mais que les gens de couleur, nés de père et mère libres, seront admis dans toutes les assemblées paroissiales et coloniales futures, s’ils ont d’ailleurs les qualités requises (On applaudit.) Et faites attention qu’en décrétant ce principe, toute discussion sur le projet de décret est terminée; tous les autres articles deviennent pour ainsi dire inutiles. Voici mon amendement : « L’Assemblée nationale décrète que le Corps législatif ne délibérera jamais sur l’état politique des gens de couleur qui ne seraient pas nés de père et de mère libres, sans le vœu préalable, libre et spontané des colonies ; que les assemblées coloniales actuellement existantes subsisteront ; mais que les gens dé couleur nés de père et de mère libres seront admis dans toutes les assemblées paroissiales et coloniales futures, s’ils ont. d’ailleurs les qualités requises. » (Applaudissements.) M. Goinbert. Messieurs, j’avais demandé la parole pour faire le même amendement que le préopinant; cependant, j’observerai à l’ Assemblée que cet amendement n’est pas du tout dans les principes décrétés pour la nation française. Si toutefois il peut concilier tous les esprits, s’il peut ramener tous les bons citoyens, en prenant un parti mitoyen qui pourra procurer la paix et la concorde dans les colonies, j’appuie de tout mon pouvoir, comme bon ciioyen et comme cultivateur, l'amendement proposé par M. Rew-bell ; et je crois que ce n’est pas nuire aux colonies que d’admettre un projet qui, sans rien ôter aux affranchis, donnerait des droits légitimes aux hommes de couleur qui sont véritables citoyens. (Applaudissements.) Plusieurs membres : Aux voix ! aux voix ! MM. Malouet et Moreau de Saint-Méry. Non I non I M. ftegnaud (de Saint-Jean-d’ Angêly). Messieurs, depuis plusieurs jours , l’Assemblée a donné à la discussion qui nous occupe toute la latitude nécessaire pour que tous les bons esprits aient pu fixer leur opinion. Il est temps que nous terminions enfin la discussion, que nous cessions des débats sur des intérêts extérieurs et que nous passions aux objets de la Constitution intérieure de la France. (Murmures et applaudissements.) M. I�avle. En s’adressant au centre , vous voulez enlever le décret; vous n’y parviendrez pas. M. Gombert. A cause que M. Lavie a une triste habitation, il fait grand bruit; cela fait bien voir que c’est l’intérêt qui le guide. M. Regnaud (de Saint-Jean-d’ Angély). Assez longtemps, une lutte d’opinions s’est établie; assez longtemps, tous les intérêts, toutes les passions peut-être se sont agités, se sont heurtés dans l’Assemblée (A droite : C’est l’amour-propre !)... Il est temps enfin que tous les amis de la liberté , tous les bons citoyens viennent à bout, s’il est possible , de trouver un terme moyen qui puisse rallier tous les amis de la France, de la liberté et de la Constitution (A gauche :Et de l’humanité!)... et qui conserve au moins la portion des droits des hommes de couleur libres que la justice et l'humanité peuvent, de l’aveu de tous, arracher sans danger aux vues politiques dont on vous a effrayés. Je crois que, puisque vous êtes malheureusement forcés, par une. lutte que nous avons tous aperçue, de composer avec un principe qu’en mon particulier je désirerais qu’il fût possible de consacrer dans toute son étendue, puisqu’il faut composer absolument, je crois, dis-je, que la situation actuelle de l’Assemblée doit l’engager d’adopter la proposition qui vient de lui être faite. C’est dans cet esprit que j’appuie le projet de décret ou l’amendement de M. Rewbell ; et qu’il me soit permis de vous rappeler des faits qui doivent vous décider à l’adopter. Toute l’Assemblée est témoin que lorsque le premier article du décret a été proposé, lorsque vous avez donné aux colons l’initiative absolue sur l’état des hommes non libres, il n’avait pas encore été question de cet objet. Un sentiment bien facile à saisir vous animait quand vous avez [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 mai 1791. ] adopté cet article. Lorsque, le cœur serré de douleur peut-être, ( C’est vrai!) vous vous êtes levés pour consacrer le droit que vous avez donné aux colons, vous avez voulu céder cette portion des droits de l’humanité pour en conserver au moins un autre ; vous avez voulu une composition avec les passions, avec l’intérêt ou l’amour-propre qui , autant que la politique , attaquaient le principe que vous vouliez défendre. Vous avez cru enfin que les colons tranquilles surleur propriété, sur le sort des hommes non libres, céderaient, ainsi que leurs défenseurs, sur l’article qui intéressait les hommes libres. Et cependant, Messieurs , qu’est-il arrivé ? C’est que le premier article que vous regardiez comme une portion cédée dans l’espérance qu’on en céderait une autre, qui était parfaitement juste, n’a fait que fortifier les espérances et anéantir ce que vous aviez espéré. Après avoir gagné le premier article qu’on n’avait pas demandé, on veut encore conquérir ce que vous avez voulu sauver. Eh bien 1 je le dis avec douleur, pour l’intérêt même que vous défendez, cédez, s’il le faut encore, une portion de ce qu’on voudrait enlever en entier pour avoir au moins une partie de ce que réclament l’humanité et la justice. ( Vifs applaudissements.) J’invoque ici le témoignage des colons eux-mêmes , j’invoque celui des plus ardents partisans de leur opinion ; et j’atteste que le parti que propose M. Rewbell ne peut avoir aucun de ces grands inconvénients qu’on vous a fait valoir avec tant d’emphase. Elle ne compromet pas les vues de cette politique dont les clameurs veulent étouffer le cri de l’humanité et de la justice. J’atteste l’Assemblée que, si on rejette cette mesure, les passions, l’intérêt personnel, un misérable orgueil peuvent seuls diriger les opposants ; et de tels mobiles ne gouverneront pas l’Assemblée. ( Applaudissements .) J’atteste enfin que tous ceux qui s’opposeront à la proposition qui vous a été faite et que je crois devoir appuyer de tout mon pouvoir, que ceux-là, dis-je, seront responsables des événements qui pourront suivre. ( Applaudissements à gauche.) Ils ont assez provoqué la responsabilité sur nos têtes; ils ont assez dit qu’ils nous annonçaient les maux qui pourraient suivre d’une détermination plus étendue. Eh bien ! j’atteste que cette responsabilité, dont on vous a fait tant de bruit, doit retomber sur la tête de ceux qui nous ont menacés ; je leur dis à mon tour, et avec plus de raison, qu’ils seront comptables de tous les crimes et de tous les malheurs qui pourront résulter de cette opposition, s’ils s’obstinent à repousser un parti qui coûtera sans doute à prendre à beaucoup de ceux qui m’entendent, mais qui semble leur être commandé par l’humanité même qui les aDime et par la justice qui les conduit. Je demande donc qu’on ferme la discussion et qu’on aille aux voix sur la proposition de M. Rewhell. (Vifs applaudissements à gauche.) Un grand nombre de membres à gauche se lèvent et demandent à aller aux voix. M. Barnave. Je demande la parole. M. Lucas. Vous devez exécuter les ordres de l’Assemblée, Monsieur le Président; on fait la motion d’aller aux voix : meltez-la à la délibération. M. Barnave insiste pour avoir la parole. Un grand nombre de membres à gauche se lèvent et demandent à aller aux voix. M. Moreau de Saint-Méry. Je demande la parole. ( Aux voix! aux voix! — Bruit.) M. le Président. Je ne mettrai pas aux voix que vous ne fassiez silence. M. Barnave. Monsieur le Président, je demande la parole. (Aux voix! aux voix!) M. Lavie. On veut escobarder le décret. (Le silence se rétablit.) M. Barnave. Je demande la parole. M. le Président. On fait la motion de fermer la discussion; d’un autre côté, plusieurs personnes demandent à parler contre la proposition de fermer la discussion. A gauche : Non ! non ! vous devez fermer la discussion; consultez l’Assemblée.! M. Barnave paraît à la tribune. (Non ! non ! Aux voix !) M. le Président. Plusieurs personnes demandent à parler sur la motion de fermer la discussion ; je n’ai d’autre devoir que de donner la parole. (A gauche : Non pas, Monsieur le Président, aux voix IJ Voix diverses à gauche : Si vous n’avez pas le courage de consulter l’Assemblée, quittez le fauteuil. — Consultez l’Assemblée, Monsieur le Président, elle seule doit faire la loi. MM. Barnave et Moreau de Saint-Méry insistent pour avoir la parole. MM. de Folleville, Malouet et l’abbé Maury demandent que M. Barnave soit entendu. M.ie Président. Je vais consulter l’Assemblée pour savoir si la discussion est fermée sur l’amendement de M. Rewbell. (A gauche: Oui! oui I — A droite: Non 1 non 1) Je ne peux rien mettre aux voix dans le tumulte que l’on fait, . . Messieurs, la question consiste à savoir si l’on accordera la parole à quelqu’un. A gauche : Non, Monsieur, non ; il s’agit de fermer la discussion. M. le Président. Que ceux qui sont d’avis d’accorder la parole à quelqu’un se lèvent. (L’épreuve a lieu.) A gauche : Vous êtes injuste, Monsieur le Président ; on vous a demandé, à une très grande majorité, de fermer la discussion. A droite: La contre-partie, Monsieur le Président ! (La contre-partie a lieu.) Plusieurs membres : Il y a doute ; l’appel no* minai! 92 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 mai 1791.] M. le Président. On demande que dans le doute un opinant soit entendu contre la question préalable; ensuite on mettra aux voix si l’on fermera la discussion. M. de Tracy. Si on en entend un, il faudra en entendre deux. ( Non ! non ! aucun!) M. Boissy-d’Anglas . Monsieur le Président, l’appel nominal sur le fond. M. le Président. Monsieur Barnave, parlez 1 M. Rœdercr. Monsieur le Président, je demande que vous prononciez de deux choses l’une: ou le décret, ou que vous avez du doute. M. le Président. Sur la motion de M. Rœ-derer, je prouonce hautement que j’ai du doute, de même que dans les deux précédents appels nominaux : voilà une prononciation. A gauche : Recommencez l’épreuve ! M. Foucault-BLardimalie. Lorsqu’il y a du doute , l’Assemblée est dans l’usage de continuer la discussion. M. Rewbell. Je vous supplie d’écouter M. Barnave. Certes, la cause que nous défendons serait bien peu favorable si elle ne triomphait pas des arguties de nos adversaires. Si ses raisons sont mauvaises, il faut les rejeter, mais si eilt-s sont bonnes, il ne faut pas redouter d’entendre l’apôtre du despotisme des colons blancs ( Montrant M. Barnave.) ; le voilà ! Dormez-lui la parole. (Applaudissements à gauche.) M. Barnave. Monsieur le Président, veuillez dire à l’Assemblée si elle veut m’entendre en silence. ( A gauche : Non 1 non !) M. Deïavigne. Je demande que M. Barnave soit rappelé à l’ordre. M. le Président. Pourquoi çà? M. Deïavigne. Pour la manière dont il parle; si j’en disais autant, on me mettrait dehors. M. le Président. Monsieur Barnave, vous avez la parole. M. Darnave. Je ne parlerai que si l’on veut s’engager à ne pas m’interrompre. (A gauche: Pas de condition, Monsieur, pas de condition !) M. le Président. M. Barnave, sur la réclamation de M. Rewbell, avait obtenu la parole ; comme il s’est élevé du tumulte lorsqu’il allait parler, je vais mettre aux voix si on veut l’entendre. (A droite: Oui ! Oui 1 — A gauche : Non 1 non !) Un membre à gauche: Je propose, pour amendement, que si M. Barnave est entendu, on rouvre la discussion pour en entendre d’autres. M. Regnaud {de Saint-Jôan-d’ Angély). Vous ne pouvez pas rouvrir la discussion pour entendre un seul individu. M. le Président. Il me paraît que plusieurs membres de l’Assemblée ne sont pas parfaitement au fait de l’état dans lequel est laquestion. Ils sont arrivés après que la discussion a été engagée. M. Rewbell a proposé un amendement. Après la proposition de M. Rewbell, on a proposé que la discussion fût fermée sur cet amendement ; M. Barnave avait la parole contre la proposition de fermer la discussion. J’ai mis aux voix ; l’épreuve m’a paru douteuse. J’allais faire l’appel nominal , lorsqu’on m’a représenté que l’usage constant de l’Assemblée était dans le doute de donner la parole. J’avais donnélaparole à M. Barnave, on l’a interrompu. M. Rewbell a demandé lui-même qu’il fût entendu au moment où M. Barnave a commencé, il a été de nouveau interrompu. Je dois donc consulter l’Assemblée pour savoir s’il parlera ou s’il ne parlera pas. {Applaudissements à droite.) (L’ Assemblée décide que M. Barnave sera entendu.) M. Barnave (1). Si la question qui nous occupe, au lieu d’être une question d’intérêt public, était une question d’intérêt personnel, il y a longtemps que j’aurais cessé d'insister pour la parole. {A gauche : Allons! allons! au fait ! — A droite: A l’abbaye les interrupteurs!) Si la question qui nous occupe, au lieu d’être une question importante d’intérêt national, devait être une question personnelle, je n’aurais pas insislé pour conserver la parole, ou plutôt je ne l’aurais jamais demandée, car je n’ignore pas les propos qui se répandent dans la salle soit par passion personnelle, soit par l’ignorance profonde qu’on a du véritable état de la question. Je méprise trop ces injures pour daigner m’en occuper .{Murmures prolongés à U extrême gauche.) Un membre à gauche: Il insulte les cultivateurs, nous n’avons pas besoin de leçons! M. de Clapier. Oh ! le brave homme ! M. Barnave. On nous accuse de consommer inutilement le temps de l’Assemblée et de faire de celte question une querelle d’amour-propre. Il est cependant vrai que le comité n’a pas encore varié sur la proposition qu’il a faite à l’Assemblée; que lorsqu’il a fait sa proposition, il a dû la croire éminemment nécessaire ; que, la croyant prolondément nécessaire, il n’a pas dû l’abandonner, et que ce n’est point de nous, c’est de nos adversaires que sont venues ies tergiversations, les propositions mixtes, les variations perpétuelles, et i’iuconséqueuce poussée jusqu’à sacrifier, à la conservation des colonies, la liberté civile que chacun tient du seul droit de la nature, et à ne pas vouloir suspendre pour le même but, suspendre pendant quelques mois l’exercice des droits politiques dont l’intérêt social doit seul déterminer l’étendue. {Murmures à gauche ; applaudissements à droite.) Aujourd’ h ui même, l’amendement de M. Rewbel 1 qu’on vous propose est directement coulraire au dernier décret que vous avec rendu hier. Vous avez rendu un décret par appel nominal suivant lequel il y a lieu à délibérer sur la motion de M. Merlin, tendant à donner aux colonies la proposition de l’état politique des hommes de couleur et nègres iibres. On propose aujourd’hui de prononcer sur l’état politique des hommes de couleur et nègres libres. Donc on marche contre le décret rendu hier. {Murmures prolongés à gauche.) (1) Le discours de M. Barnave n’a pas été inséré au Moniteur. 93 [Assemblée natiouale.J ARCHIVES PAREE.tlEiN f AIRES. [13 mai 179 1. J Il est donc vrai que ce sont nos adversaires et non pas nous qui éludent le véritable point de la délibération, et qui la prolongent aussi indéii-nioient. Je ne m’arrête point sur ce point. J’attaque directement l’amendement proposé et j’établis son inadmissibilité par la situation des opinions de l’Assemblée sur l’état de la question, et par ce qui a été antérieurement résolu par elle. Il est enfin arrivé le moment où ceux qui, plus tard que nous, ont voulu admettre les raisons ne nécessité qui militent dans les colonies non seulement pour le maintien du régime colonial, consacré par votre premier décret, mais pour l’établissement d’un moyen d’exécution nécessaire à ce même régime, consistant dans un intermédiaire entre l’homme qui jouit de tous les droits de citoyen, et celui qui ne jouit pas même du droit de la liberté. 11 est aujourd’hui reconnu dans cette Assemblée que, dès l’instant qu’on croit la conservation des colonies assez importante pour avoir adopté le premier article arrêté, puisqu’on a voulu le but, on doit vouloir le moyen. Cet indispensable moyen est une zone intermédiaire plus ou moins étendue, plus ou moins épaisse, si je puis m’exprimer ainsi, mais une ligne intermédiaire, une distance placée par l’opinion et palpable pour les sens entre le citoyen et l’homme non libre, puisque l’amendement qui vous a été proposé tend lui-même à adopter une mesure de cette sorte et qu’il a été appuyé par la partie de l’Assemblée, qui s’est le plus fortement opposée au projet du comité. S’il est vrai qu’une discussion prolongée vous a prouvé à tous ce qui, avant cette discussion, était si loin de vos idées, vous pouviez bien croire que nous, qui avons acquis les notions les plus approfondies et qui avons déjà eu raison contre vous dans une des questions, nous pouvons aussi avoir raison dans l autre, quand nous vous disons que ce n’est pas actuellement, que c’est sur la proposition des assemblées coloniales que ce terme doit être déterminé. Déjà vous nous avez cédé sur le fond : croyez donc que nous devons avoir raison sur la marche qui doit y conduire. Voici ce que je pose en fait, et quand je n’aurais pas pour preuve tous les faits qui se sont passés dans les colouies, et dont ceux qui en ont étudié les affaires, qui en ont travaillé les intérêts, ont essentiellement connaissance, je pourrais même m’appuyer sur ce qui a été dit hier à la barre par les commissaires des hommes de couleur : j’affirme, dis-je, que si, malgré l’initiative que l’Assemblée nationale a promise sur cet objet, elle rend un décret qui statue conformément à l'amendement qui lui est propusé, elle ne peut eu attendre aucun effet salutaire ; que le décret tournera dans les colonies contre les hommes de couleur, même de la part des blancs, qui sont les plus disposés à proposer des mesures d’une même nature. ( Murmures à gauche.) Je pose en fait qu’on a tiré des conclusions très fausses d’une phrase que j’ai moi-même prononcée. J’ai du, et j’ai dit avec raison, que parmi les blancs des colonies, les blancs propriétaires et éclairés étaient favorables aux hommes de couleur : et qu’en général, la classe qu’on appelle improprement les petits blancs, leur était contraire. J’ai dit une chose vraie, si les hommes blancs propriétaires obtiennent l’initiative qui leur a été accordée. Mais c’est faire rentrer dans leur âme les sentiments favorables aux hommes de couleur, que de la leur retirer : c’est perdre, par une marche inconséquente et hâtive, tous les fruits du système qui doit nous conduire, par l’union des classes d’hommes libres, à la tranquillité, à la conservation des colonies. {Applaudissements.) Je dis que si l’Assemblée nationale, malgré ces considérations, rend aujourd’hui un décret conforme à l’amendement qui lui est proposé, il est extrêmement a craindre que le décret ne soit pas même exécuté; que dans six mois, même avant ce terme, les gouverneurs des colonies vous annoncent que dans la situation où elles sont, que dans la fermentation que vo're décret aura produite, ils n’auront pas même osé en ordonner la promulgation. ( Murmures à gauche.) Je vous rends compte des faits qui me sont entièrement conuus, et que la plupart de vous ignorent absolument. Il est constant que les choses se passeront ainsi ; que la plus grande influence des gouverneurs dans les colonies ne pourra peut-être pas même s’étendre jusqu’à prévenir les maux, les désastres particuliers qu’occasionnera contre les hommes de couleur, de la part d’une partie de la classe des blancs, ce décret précipité, inconsidéré, inattendu, manquant au décret précédent, qui ne trouvant aucun esprit disposé, qui, trouvant toutes les classes de blancs réunies contre lui, à raison de la forme dans laquelle il aura été rendu, deviendra trop certainement un arrêt de défaveur contre la classe des hommes de couleur et peut-être plus malheureusement encore un arrêt de proscription contre quelques-uns d’entre eux. C’est ainsi que l’avenir ie prouvera. Un des opinants, qui le seul peut-être a traité la question dans son véritable sens, et non pas suivant les circonstances, mais suivant les principes politiques qui doivent la déterminer, un des opinants, qui a produit le pins d’impression sur vous, a commis cette seule erreur : il a pensé que ie décret que vous enverriez dans les colonies, en faveur des hommes de couleur, deviendrait par son exécution, la perte de la race des blancs. Mais je change le fait en ceci, et je vous dis contre mon vœu qu’il ne sera pas exécuté. Je vous dis que dans la situation actuelle de3 choses, ces mêmes hiaucs, dont il ferait amener successivementlasoumission, ont assez de moyens dans les mains, pour le repou-ser avec un avantage certain, et que l’insistance de vos gouverneurs ne feront qu’assurer la perte et la subversion ües îles. ( A gauche : ce serait l’abomination de la désolation.) Si le pouvoir exécutif avait actuellement dans la colonie l’énergie qu’il avait avant la Révolution, si toutes les puissances n’étaient pas actuellement par le mouvement spontané de celte révolutiou entre les mains d’hommes élus par les citoyeus, c’est-à-dire par les blancs, il serait peut-être rigoureusement possible que votre décret fût exécuté contre les volontés, contre la conliance, contre Ja prospérité future des colonies; si je parle de ces choses, je les connais et presque personne, dans l’Assemblée, n’a les données nécessaires pour en juger sainement : Oui, je l’affirme, votre décret quand la force suffirait pour le faire exécuter, votre décret ruinerait la confiance entre les colonies et vous : et la confiance est le seul lien durable qui puisse vous les conserver. Votre décret révolterait, irriterait davantage encore les jalousies et les haines qui peuvent exister entre les deux classes que vous auriez 94 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 mai 1791.] voulu assimiler. Vous anéantissez par cette marche-là le lien essentiel, la base fondamentale du régime colonial, qui est l’esprit de reconnaissance, de la part d’une classe envers l’antre. Ce lien vous l’établissez et vour le cimentez par la marche qui vous est proposée. Lorsque les hommes de couleur jouiront de leur état politique, sur la proposition des assemblées coloniales, les divisions cesseront, parce qu’il se sera fait entre eux un échange de bienfaits et d’affection. Les divisions cesseront, parce que les uns auront obtenu de vous l’exécution de vos promesses, et que les autres auront trouvé dans leur justice l’accomplissement de ce que leur prescrivait la saine politique. Tel sera le résultat si vous suivez la marche que nous vous prescrivons. Mais celui du projet qu’on vous propose serait totalement opposé. Dans l’adoption de ce décret, méfiance entre les colonies et vous, irritation des haines entre les colons blancs et les hommes de couleur, résistance directe à la loi, atteinte à votre dignité, et peut-être, si les étrangers viennent y prendre part, des suites des événements plus graves ..... I A gauche : En voilà assez!) Si, conformément à ce qu’on attend de vous, parce que vous l’avez promis, vous laissez aux assemblées coloniales l’initiative sur cet objet, vous la ferez accomplir de deux manières, ou par les assemblées coloniales séparément, ou par une réunion de commissaires peu nombreuse de toutes ces assemblées coloniales. Si la proposition estfaite par les assemblées coloniales séparément, il s’établira entre elles un esprit de crainte et de méfiant e. Elles craindront que vous n’ayez séparé leur vœu que dans l’intention de le pousser plus loin que l’intérêt politique, que la praticable justice. 11 s’ensuit qu’aucune d’elles ne voudra essuyer le reproche d’avoir fait une proposition qui paraît entraîner les autres au delà de leurs propres propositions. Aucune d’elles ne voudra avoir auprès de ces petits blancs, race actuellement redoutable par l’état d’anarchie qui y règne, ne voudra, dis-je, avoir, auprès de cette classe, la défaveur résultant d’avoir fait une proposition plus favorable, plus avantageuse pour les hommes de couleur, que les autres assemblées coloniales. Les assemblées coloniales, opinant séparément sur cette question, opineront dans les villes des colonies, au milieu de cette même classe ennemie des hommes de couleur, assaillie de toutes parts par les préjugés coloniaux et qui ne laisseront pas subsister le degré de faveur ou plutôt le degré de sage politique, l’esprit de justice qui doit déterminer leur vœu. Si, au contraire vous adoptez le comité que nous vous proposops, toutes ces raisons disparaissent ; ce comité très peu nombreux sera mû directement par les saines idées... {Ce n'est pas là la question!) M. le Président. Monsieur Barnave, rentrez dans la question. M. Barnave. J’y reviens ; je m’en tiens donc à rejeter l’amendement ; et je me réserve, dans le cas où il sera rejeté, de proposer ensuite, sur la motion de M. Merlin, deux autres amendements tendant à la rapprocher, ou à la rendre absolument semblable à la proposition du comité; la seule parmi toutes celles qui ont été faites, dont je garantisse le succès. ( Murmures à gauche .) En conséquence, dans le moment actuel, je me borne à vous dire que l’amendement de M. Rew-beil, quelque soit en lui-même le reproche ou l’approbation dont le fond de son opinion peut être susceptible, est destructif de l’initiative de la proposition accordée aux assemblées coloniales : or, cette initiative est la base du système que nous vous avons proposé, et le seul gage du succès de notre opération; que si vous prenez un autre parti, le moindre des inconvénients sera de voir votre décret sans exécution, et peut-être avec trop de vraisemblance, le commerce, les manufactures et la propriété nationale, victimes de votre marche inconséquente, aveugle et précipitée. {Murmures.) Je demande donc la question préalable sur cet amendement, et qu’on aille aux voix sur la proposition de M. Merlin. {Murmures à gauche ; applaudissements à droite.) M. Robespierre. Je ne crois pas avoir besoin de répondre à la première observation du préopinant, par laquelle il a voulu écarter la discussion, en prétendant que votre décret d’hier avait préjugé la question actuelle, puisqu’il est évident que déclarer qu’il y a lieu à délibérer sur une motion, ce n’est point adopter la motion elle-même, à plus forte raison rejeter les amendements qui pourraient y être proposés. M. Barnave a voulu trouver un autre préjugé, et il a mêlé à ce préjugé l’idée d’un reproche. H a prétendu qu’ayant déjà consenti à une modification de la liberté, ou plutôt ayant déjà consacré en quelque sorte l’esclavage dans un article que_ vous avez décrété, vous ne deviez pas être si difficiles sur le reste, et que vous deviez continuer de suivre la route qui vous était tracée par les défenseurs des colons blancs. Et moi je dis et je crois que personne n’a ici le droit de nous faire un tel reproche; et certes si, dans l’un de vos décrets, vous avez prononcé le mot &’ hommes non libres , vous ne l’avez pas fait librement, et il est aisé de connaître ceux ui nous ont réduits à cette cruelle extrémité. ous n’avons que trop acquis le droit d’exiger le prix d’un si grand sacrifice, et j’atteste à l’Assemblée que quand nous nous y sommes résolus, ou plutôt quand vous vous y êtes résolus, car ce ne fut jamais mon opinion, vous avez compté sur ce prix, et que vous n’avez consenti à cet acte extrême de complaisance, pour ceux qui dominaient alors notre délibération, qu’à condition qu’il vous serait permis, au moins, de suivre les principes de la justice et de l’humanité envers des hommes que vous n’aviez pas trouvés dépouillés de la liberté, mais que vous avez trouvés libres et que vous devez conserver libres. {Applaudissements à gauche.) Aussi l’objection du préopinant tourne en entier contre lui-même. Le préopinant n’a pas été plus heureux, à mon avis, lorsqu’il a cherché un autre préjugé de la question actuelle dans vos décrets précédents ; car, Messieurs, il est un de vos décrets qui accorde, de la manière la plus formelle et la plus précise, les droits de citoyens actifs aux hommes libres de couleur. Certes, s’il est un moment où l’on puisse invoquer le principe si souvent réclamé, qu’on ne peut revenir sur vos propres décrets, c’est, sans contredit, celui où il est question d’un décret qui consacre les droits les plus sacrés de l’humanité, qui conserve à des hommes des droits précieux et imprescriptibles qui leur appartenaient avant ce décret. Or, ce décret-là existe, il est le titre inattaquable des hommes libres de [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES [15 mai 1791.] 95 couleur ; c’est celui par lecfuel vous assurez indistinctement les droits de citoyen actif à toutes les personnes indistinctement dans les colonies, avec la seule condition qu’elles seront propriétaires et contribuables. Or, si le mot toute personne est le terme le plus général quel’on puisse employer; s’il renferme à plus forte raison tous les citoyens libres avant le décret, il est évident qu’il s’applique aux hommes de couleur comme aux hommes blancs; et par conséquent il est impossible, à la vue d’un pareil décret, d’élever encore aucune objection contre les hommes libres de couleur, à moins qu’on ne vous propose formellement et directement de révoquer votre décret. Mais, dit-on, votre décret ne sera point exécuté, et par conséquent vous perdrez vos colonies. Quoi ! si vous prononcez en faveur des hommes libres de couleur, votre décret sera méprisé par les hommes blancs! Et cependant on vous assure que le vœu des blancs était d’accorder les droits de citoyen actif aux colons de couleur. M. Barnave lui-même vous a dit mille fois que les colons blancs étaient attachés à la mère patrie, qu’ils sont pleins d’un respect sincère pour les décrets de l’Assemblée nationale. Il vous a lui-même présenté les hommages respectueux, les protestations de fidélité de cette assemblée coloniale, contre laquelle il avait provoqué vos décrets; il vous a dit que tous les colons étaient réunis dans les mêmes sentiments de fidélité à la mère patrie, aux représentants de la nation française ; et aujourd’hui M. Barnave suppose que la répugnance qu’éprouvent les blancs pour accorder les droits de citoyen actif aux hommes de couleur est si forte, si impérieuse, qu’elle les déterminerait à fouler aux pieds vos propres décrets. Et comment après cela, Messieurs, pouvez-vous penser que le vœu qui vous sera adressé par les colons serait de réclamer eux-mêmes les droits de citoyen actif en faveur des citoyens libres de couleur ? Il est impossible de concilier ces contradictions, et de ne pas apercevoir que le projet qui vous est proposé tend à dépouiller définitivement les hommes de couleur de leurs droits, et à vous rassurer par de faux prétextes sur l’injustice atroce qu’on vous propose. J’ajoute qu’il n’est pas permis aux membres de l’Assemblée nationale qui se chargent de cette pétition de dire : « Si vous ne nous accordez pas ce que nous vous demandons, nous nous révoltons. » Je dis que la plus grande des faiblesses, la plus haute imprudence des représentants de la nation serait de céder à de pareilles menaces ; ce serait renverser de vos propres mains les bases de votre autorité. ( Applaudissements à l'extrême gauche.) Qu’il me soit permis, Messieurs, de rapprocher encore cette objection de celle qui vous a été faite par un autre orateur qui, au jugement de M. Barnave, est celui qui a fait la plus vive impression sur l’Assemblée : si, entre les deux orateurs qui ont défendu le plus vivement la cause des colons blancs, il y avait une contradiction manifeste sur le moyen qui a servi de base à leur opinion, il en résulterait sans doute que leur opinion ne doit pas inspirer une grande confiance. Or, tandis que d’un côté M. Barnave vous a dit que les colons les plus forts refuseraient d’exécuter votre décret, de l’autre vous savez très bien ue M. l’abbé Maury vous disait ; « Si vous accor-ez les droits de citoyen actif aux hommes libres de couleur, les hommes libres de couleur, étant plus forts, s’empareront de la domination, feront révolter les nègres et égorgeront les blancs. {Applaudissements à gauche.) Il est donc impossible de sacrifier à de pareilles terreurs, à de pareils sophismes, les droits les plus sacrés de l’humanité, et les principes les plus précieux de notre Constitution. Aussi suis-je loin d’appuyer sous ce rapport l’amendement de M. Rewbell. Au contraire, je sens que je ne puis point adopter cet amendement. Je sens que je suis ici pour défendre les droits des hommes libres de couleur en Amérique, dans toute leur étendue ; qu’il ne m’est pas permis, que je ne puis pas, sans m’exposer à un remords cruel, sacrifier une partie de ces hommes-là à une autre portion de ces mêmes hommes. Or, je reconnais les mêmes droits à tous les hommes libres, de quelque père qu’ils soient nés, et je conclus qu’il faut admettre le principe dans son entier. Je crois que chaque membre de cette Assemblée s’aperçoit qu’il en a déjà trop fait en consacrant constitutionnellement l’esclavage sur les colonies. M. l’abbé Maury. Je demande la parole. Plusieurs membres demandent que la discussion soit fermée. (L’Assemblée, consultée, ferme la discussion.) M. Lavie, secrétaire, donne lecture de la rédaction proposée sous forme d’amendement par M. Rewbell et ainsi conçue ; « L’Assemblée nationale décrète que le Corps législatif ne délibérera jamais sur l’état politique des gens de couleur qui ne seraient pas nés de père et mère libres, sans le vœu préalable, libre et spontané des colonies; que les assemblées coloniales actuellement existantes subsisteront ; mais que les gens de couleur nés de père et mère libres seront admis dans toutes les assemblées paroissiales et coloniales futures, s’ils ont d’ailleurs les qualités requises. » A droite : La question préalable ! A gauche : Aux voix ! aux voix I (L’Assemblée, consultée, décrète qu’il y a lieu à délibérer sur l’amendement de M. Rewbell.) M. Robespierre. Je demande, par sous-amen-dement, qu’on retranche de la rédaction de M. Rewbell la disposition qui porte que le Corps législatif ne délibérera jamais sur l’état politique des gens de couleur qui ne seraient pas nés de père et mère libres, sans le vœu préalable, libre et spontané des colonies. Il faut que tous les hommes libres de couleur jouissent de tous les droits qui leur appartiennent. (Murmures.) Voix diverses ; La question préalable ! — L’ordre du jour 1 Plusieurs membres : L’amendement n’est pas appuyé ! Au centre : Si I si ! (L’Assemblée passe à l’ordre du jour sur le sous-amendement de M. Robespierre.) M. l’abbé Maury (1). Les précautions que doit (1) Le discours de M. l’abbé Maury n’est pas au Moniteur. 96 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [13 mai 1791,] prendre le législateur pour assurer la justice et les bonnes mœurs m’engagent à vous proposer, par sous-amendement, deux dispositions. Je demande que l'Assemblée nationale ne se contente pas d’indiquer dans son décret les gens de couleur nés de père et mère libres; mats que, pour prouver le grand respect dont elle est pénétrée pour toutes les grandes idées morales sur lesquelles ie bonheur üe la société est fondé, elle ajoute : nés de père et mère libres en légitime mariage (. A gauche : La question préalable !)... Je demande, Messieurs, deux conditions et je vais en établir les principes : La première condition, c’est que les gens de couleur soient nés de légitime mariage; la deuxième, c’est qu’ils soient tenus de prouver l’état de liberté do leurs père et mère. M. Rœderer. Ah ! mon Dieu ! quelle horreur ! M. Prieur. Est-ce qu’on n’est pas toujours né libre ? M. Lucas. La liberté est de droit commun ; c’est l’esclavage qui doit être prouvé. (Bruit.) M. l’abbé Maury. Je vais développer les motifs de mes deux propositions, et je vous prie de vouloir bien les écouler avec d’autant plus d’impartialité que, dans ce moment, vous venez de décréter ce qui était en questiou, c’est-à-dire que par le fait vous enlevez aux colOuies l’initiattve sur l’état des pet sonnes. ( Murmures à gauche.) Par conséquent, Messieurs, il est de votre sagesse (. Murmures à gauche : Votre amendement /),.. il est de votre justice de faire dans ce moment (Aux voix l'amendement deM. Rewbell !)...de faire dans ce moment pour vos colons blancs ce que vos assemblées coloniales elles-mêmes auraient fait, si elles avaient calculé i’interêt de l’humaui.é combiné avec leur sûreté personnelle. Or, Messieurs, ne soyez pasdupes de toutes les calomnies qu’on a prodiguées de part et d’autre dans cette discussion. P-rsontie, et moi en particulier je déclare hautement mon opinion, personne n’a voulu priver indéfiniment les hommes de couleur de l’exercice des droits politiques; on vous a demandé seulement de les leur accorder avec précaution, de les y amener avec tranquillité, de les leur accorder graduellement. On vous a proposé >.t je paile à des représentants de la nation ; je ne parle pas à des hommes de paru (Il désigne la gauche.) qu’on ne persuaderait jamais ..... (Murmures : Votre amendement !) On vous a proposé, dis-je, que les colons blancs vous indiquassent les précautions à prendre. Puisque vous voulez rendre un décret, vous devez le rendre sage, car vous ne voulez pas immoler tous vos colons blancs. Mon premier sous-amendement est donc que l’exercice des droits politiques ne pourra être accordé aux hommes de couleur que lorsqu’ils seront nés de légitime mariage, et voici mes motifs : Il y a, Messieurs, dans vos colonies, des hommes affranchis de deux espèces; il y a des hommes nègres libres; il y a des hommes de couleur qui sont à la deuxième et peut-être à la troisième génération de leur affranchissement. Mais, Messieurs, ce que l’on ne vous a pas dit, et ce qui est pourtant vrai, c’est que les nègres libres sont infiniment plus intéressants que ce qu’on appelle ici les hommes de couleur ; car un nègre libre est un homme qui a mérité personnellement par sa conduite d’obtenir son affranchissement, tandis qu’au contraire ( Votre amendement!)... l’homme de couleur n’a rien fait pour mé.iter la liberté et qu’il ne doit le plus souvent son existence qu’à la plus honteuse prostitution. Des législateurs, qui sentiront la nécessité de protéger les mœurs publiques, n’assimileront jamais un bâtard à un enfant légitime ; et c’est ie-pendaut ce qui résulterait de votre décret. J’ai donc raison de demander, par premier sous-amendement, que, pour être admis à l’exercice des droits politiques, les hornims ue couleur, auxquels vous voulez soumettre les colons blancs, leurs anciens maîtres, soient tenus de prouver qu’ils sont nés de légitime mariage. Je demande, en second sous-amendement, que, pour être admis à l’exercice des droits politiques, quant aux colonies, tous les hommes de couleur soient tenus de prouver l’état de liberté de leurs père et mère. Prenez garde, Messieurs, que nous sommes en France et que nos principes constitutionnels sont inapplicables aux colonies. Je dis que la plupart de ces enfants n’ont jamais été légalement affranchis; je ne demande pas qu’on leur donne des fers, mais je demande qu’on puisse leur dire, au moment où ils demanderont à prendre place parmi les administrateurs de leur pays, de ce pays qui n’est pas la France, qui n’est pas même une province du royaume de France, car les colonies ont un mode d’existence particulier (A gauche : Nous savons cela!),... je demande qu’on paisse leur dire : Vous êtes dans un pays où l’esclavage, pour les hommes de couleur, est le droit et où la liberté est l’exception. (Murmures.) Voulez-vous participer (Murmures.)... Messieurs, je vous prie de ne pas me rendre responsable de vos lois ; ce n’est pas moi qui les ai faites... Je demande, si le titre de citoyen, le titre le plus beau que nous connaissions dans l’ordre social, est quelque chose à vos yeux, je demande, dis-je, qu’on ait ie droit de dire à un homme qui porte encore sur son front l’empreinte de l’esclavage ..... (Murmures. — C'est une horreur! — La discussion est fermée!)... Vous voulez être citoyen ;eh bien! nous sommes prêts à vous accorder ce droit; mats il faut que vous nous prouviez que la loi vous a recouuu libre. ( Murmures et interruptions.) Je ue fais pas cet amendement à la légère; je le fais parce que vos colonies sont remplies d’uue foule de malheureux qui, nés d’un blanc et d’une négresse, ont reçu facilement la liberté ; mais qui, abandonnés ensuite. par leur père, sont devenus des aventuriers. (Aux voix! aux voix!) M. Goupil-Préfeln. Messieurs, en demandant la question préalable sur les deux sous-amendements qui vieunent de vous être proposés, je propose un autre sous-amendement qui consiste en ceci : « Les gens de couleur libres, nés de père et mère libres et non affranchis. » (Murmures.) M. Roederer. Je demande la question préalable sur tous les sous-amendements. (L’Assemblée, consultée, décrète qu’il rt’y a pas lieu à délibérer sur les sous-amendements.) M. Bégouen. Vous répondrez des colonies, Messieurs. A droite : C’est indigne 1 M. de LIricu. Je proteste formellement contre [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [16 mail79l.] 97 un décret qui assassine nos frères des colonies et je le déclare en face du peuple. (-4 l'ordre ! à l'ordre!) M. Lavie. Voulez-vons donc faire égorger nos frères? . M. Malouet. Si on ne va pas à l’appel nominal, nous nous retirerons ; c’est une infamie. (Le côté droit se lève et réclame à grands cris l’appel nominal.) (Bruit.) M. de Gony d’Arsy. Monsieur le Président, ces amendements sont ia question véritable; dans cette question, la responsabilité est immense. Il importe donc de connaître ceux auxquels la France pourra reprocher incessamment la perte de ses colonies. En conséquence, je réclame, au nom de celle que je représente, et j’ose dire au nom de toutes, l’appel nominal. (A droite: Oui ! ouil) M. le Président. Lorsque ces deux jours-ci j’ai eu du doute sur les épreuves, je n’ai pas prononcé ;... (A droite : L’appel nominal I) Voix diverses à droite \ : Du doute, Monsieur le Président, à une majorité de 150 voix ! G’est affreux. — 11 ne suffit pas que vous n’ayez pas de doute, il faut que nous-mêmes nous n’en ayons aucun. M. le Président. Voulez-vous bien me laisser parler ?... Lorsque j’ai eu du doute ces jours derniers, je n’ai même pas prononcé ; j’ai ordonné sur-le-champ l’appel nominal, mais aujourd’hui, le bureau et moi n’ayant pas eu de doute, j’ai dû prononcer et je l’ai fait. M. Foneault-Fardimalie. Avez-vous eu hier égard à ma réclamation?... La délibération était la même que celle-ci... Répondez I M. de Lachèze. Monsieur le Président, vous ne devez pas avoir une conduite d’hier et une conduite d’aujourd’hui. Au centre : La conduite est égale et uniforme. M. le Président. On oppose ma conduite d’hier à celle d’aujourd’hui. (A droite : Oui ! oui 1)... M. l’abbé Grégoire. On se trompe très fort. M. de Gouy d’Arsy. Mettez aux voix l’appel nominal; je le réclame. M. le Président. Hier, le bureau et moi étions unanimement certains qu’il y avait du doute; aujourd’hui il n’y a aucune inceriitude pour nous, la majorité est bien acquise pour la question préalable. ( Murmures à droite.) M. Foucault-Aardimalie. Ces messieurs feront silence si vous répondez à ma question. M. le Président. Quoique MM. les secrétaires et moi soyons tous d’accord aujourd’hui, en présence des réclamations qui s’élèvent, je vais mettre aux voix s’il y a du doute dans l’Assemblée. (A droite : Non 1 non 1) M. Martineau. II n’y a pas de doute. 1" Série. T. XXVI. (L’Assemblée, consultée, déclare à une grande majorité qu’il n’y pas de doute.) M. Foucault-I�ardimalie. Je demande que tout ce débat soit inséré dans le procès-verbal, afin qu’il soit constaté que nous avons constamment fait nos efforts pour sauver, les colonies, que nous n’avons rien obtenu et que c’est vous, Monsieur le Président, qui les perdez aujourd’hui. (A droite : Oui ! oui !) M. le Président. Les sous-amendements ayant été rejetés par la question préalable, je mets aux voix l’amendement principal de M. Rew* bell; il est ainsi conçu : « L’Assemblée nationale décrète que le Corps législatif ne délibérera jamais sur l’état politique des gens de couleur qui ne seraient pas nés de père et mère libres, sans le vœu préalable, libre et spontané des colonies ; que les assemblées coloniales actuellement existantes subsisteront ; mais que les gens de couleur, nés de père et de mère libres, seront admis dans toutes les assemblées paroissiales et coloniales futures, s’ils ont d’ailleurs les qualités requises. » (L’épreuve a lieu ; le côté droit crie : Point de voix! Le côté gauche et les tribunes applaudissent.) M. le Président prononce : L’Assemblée nationale a décrété l’article de M. Rtwbell. M. d’Aubergeon de Murinais. Non, Monsieur le Président, l’Assemblée nationale n’a pas décrété, et nous réclamons l’appel nominal. (A droite : Oui ! oui ! nous le réclamons tous;) M. le Président. On réclame l’appel nominal. (Murmures à gauche.) A gauche : Il n’y a pas de doute ! A droite : Le doute existe tel qu’hier ! L’appel nominal 1 M. le Président. Je vais consulter l’Assemblée pour savoir s’il y a du doute et s’il faut procéder à l’appel nominal. (L’Assemblée, consultée, décide à une grande majorité qu’il n’y a p«s ne doute et qu’il n’y a pas lieu de précéder à l’appel nominal.) (Applaudissements prolongés à gauche et dans les tribunes.) M. le Président annonce l’ordre du jour de demain et lève la séance à trois heures et demie. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. D’ANDRÉ. Séance du lundi 16 mai 1791 (1). La séance est ouverte à neuf heures du matin. Un de MM. les secrétaires donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier, qui est adopté. (1) Cette séance est incomplète au Moniteur. 7