380 [États gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Sénéchaussée, de Forcalquier.] intérêt personnel lui imposerait ce devoir indispensable, serait le remède le plus efficace et le seul que ses habitants réclament de la bonté du monarque. C’est à Tournoux et Gleisolles que fut établi le camp général de Sa Majesté aux guerres de 1744;. à cette occasion, les bois, les maisons, les denrées, tout fut sacrifié au service des troupes et à la formation des magasins. Les habitants de cette contrée malheureuse n’ont cessé depuis lors de réclamer le payement des fournitures qu’ils avaient faites et des dommages qu’ils avaient soufferts, sur les états de liquidation dressés par M. Sercy, chargé de cette partie dans le mois d’août 1751. Mais leur faible voix n’a pu encore parvenir aux pieds du trône. Si leur local fut, dans les dernières guerres, jugé le plus propre pour l’établissement d’un camp général, la conservation de ses habitants en devient d’autant plus précieuse à l’Etat, qu’en les abandonnant à leur infortune, ils seraient, dans le cas d’une nouvelle rupture, privés d’un avantage qu’ils ne pourraient se procurer ailleurs. Le village de Tournoux, situé sur une élévation, est privé de l’eau nécessaire à son usage domestique; depuis longtemps les habitants ont épuisé leurs forces et leurs ressources pour se procurer une fontaine, mais la dépense excessive qu’ils sont obligés de faire a rendu iusqu’à présent leurs efforts impuissants, et ne leur laisse d’espoir d’y parvenir que dans l’iudemnité qu’ils réclament de la justice du souverain. Signé à l’original : Pierre Gavien. Paraphé, ne varietur, l’assemblée tenant. Signé Gurault. DOLÉANCES PARTICULIÈRES Des habitants du vallon de Fours. Par-devant nous, les députés de la ville et communauté de Barcelonnette, nommés par délibération prise au conseil de ladite communauté, dans l’église du collège de Saint-Maurice de ladite ville tenue le 25 du présent mois de mars pour procéder à la rédaction du cahier de plaintes, doléances et remontrances des quartiers, paroisses, hameaux et particuliers de ladite ville et communauté de Barcelonnette, est comparu sieur Alexis-Armand Ménager, habitant de la paroisse et vallon de Fours, syndic et procureur fondé de ladite paroisse et vallon, lequel nous a représenté qu’en suite des lettres de Sa Majesté du 2 mars 1789 pour la convocation des Etats généraux à Versailles le 27 avril prochain et règlement y annexé, et de l’ordonnance de M. le préfet de Barcelonnette, tout quoi a été publié et affiché audit lieu le 22 du courant, il se rendit, mercredi dernier, 25 du présent mois de mars, au conseil convoqué à Barcelonnette, ledit jour, dans ladite église du collège de Saint-Maurice, pour y procéder, conjointement avec les autres habitants de ladite ville et communauté de Barcelonnette, d’abord à la rédaction du cahier de plaintes, doléances et remontrances à faire à Sa Majesté, et présenter les moyens de pouvoir subvenir aux besoins de l’Etat, ainsi qu’à toutee qui peut intéresser la prospérité du royaume et celle de tous et chacun des sujets de Sa Majesté ; qu’en conséquence la paroisse et vallon de Fours ayant plusieurs plaintes à porter et plusieurs réclamations à faire, il aurait voté et demandé à pouvoir en fairearticledans ledit cahier de plaintes, doléances et remontrances. Que MM. les consuls / lui répondirent que ce n’était point le jour ni le moment, et qu’il n’aurait pour cela qu’à s’adresser à MM. les députés qu’on allait nommer et choisir, et qui seraient chargés de recevoir les plaintes de chacun et de rédiger ledit cahier de doléances, ce qui est cause que ledit comparaissant s’adresse à nous pour nous prier et requérir, au nom de tous les habitants de ladite paroisse et vallon de Fours, d’insérer et de faire un article exprès, dans notre cahier de plaintes, doléances et remontrances des réclamations, et pétitions desdits habitants de Fours qui sont ainsi que suit. Le lieu de Fours est un village assez considérable, dépendant de la communauté de Barcelonnette, ayant paroisse et succursale; il est composé decentcinquantedeux habitations, formant en tout neuf cent trente individus; sa situation se trouve au fond de quatre montagnes escarpées, dans le climat le plus froid de la vallée, les abords sont inaccessibles plus de six mois de l’année par la quantité de neige qui tombe en hiver, et par le défaut de chemins. Ce village est éloigné de six heures de marche de la ville de Barcelonnette dont il fait la quinzième partie de l’afflorinement du cadastre. Cette position désagréable et pénible laisse les habitants exposés à manquer des secours nécessaires en cas de maladie : ils n’ont sur les lieux ni chirurgien ni notaire ; aussi arrive-t-il souvent que les malades périssent faute de soulagement et que des familles se détruisent faute de disposition de la part de leurs chefs ; on a presque toujours vu les pupilles dépouillés de leurs principales ressources, lorsque les pères sont morts sans disposer de leurs biens. Il ne se passe pas d’année qu’il n’y ait des morts par accident, soit en hiver par les coulées de neige, soit en été pour faire paître les troupeaux à travers les montagnes escarpées qui dominent le village; dans ces événements malheureux, il est arrivé souvent que les cadavres ont pourri sur la place, faute de justice sur les lieux, ou qu’ils sont restés trois mois ensevelis sous la neige. Ce tableau, tout effrayant qu’il est, n’est point exagéré; l’éloignement du cher-lieu et la difficulté des chemins rendent le hameau de Fours isolé, et comme séparé du reste de la vallée. Les habitants gémissent depuis longtemps dans ce désordre ; jamais le corps de la communauté n’a rien fait pour leur hameau : ponts, chemins, répartition publique, tout a toujours été à leur charge, jamais on ne les a admis à aucune charge municipale, ils n’ont jamais eu ni consuls, ni défenseurs , ni conseillers ; jamais aucun habitant n’a participé à l’administration; cependant la ville a toujours été attentive à les surcharger d’impôts; quelque misérable que soit le hameau par sa position et son peu de produit, les habitants ont toujours supporté les plus fortes charges. On ne craint pas de dire que la ville a toujours abusé de son pouvoir à leur égard ; aussi, avant de succomber sous le joug accablant qu’ils portent ils ont pris la résolution de profiter dans ces temps heureux de la justice du Roi bienfaisant qui les gouverne, et de faire leurs derniers efforts pour se soustraire, s’il estpossible, à l’administration du chef-lieu. Dans cette vue, ils ont pris une délibération le 24 juin dernier, par-devant M. Tirau (notaire, après avoir obtenu permission de M. le préfet de Barcelonnette de s’assembler), par laquelle les habitants ont unanimement nommé des préposés pour traiter toutes les affaires qui les intéressent, former le plan le plus avantageux, prendre avis et agir auprès des puissances qui pourront connaî- [États gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Sénéchaussée de Forcalquier.J tre de leurs affaires, avec promesse d’approuver et ratifier tout ce qui sera fait. En exécution de cette délibération les habitants, de Fours avaient pris des mesures pour parvenir à faire séparer leur paroisse de la communauté de Barcelonnette, et à se faire ériger en corps de communauté particulière, mais ils n’ont encore pu y parvenir. Le nombre de cent cinquante-deux habitations et de neuf cent trente individus est une population assez considérable pour mériter une administration particulière ; les charges que le village paye s’élèvent à une somme assez forte pour favoriser leur réclamation ; mais par-dessus tout, l’éloignement du lieu de Fours de la ville de Barcelonnette, les obstacles qui se rencontrent six ou sept mois de l’année pour la communication, les accidents fâcheux qui arrivent à chaque instant, et enfin les désordres qui se multiplient chaque jour uniquement pour n’avoir aucun chef sur les lieux qui en impose au public : ces différents motifs réunis doivent être assez frap-ants pour favoriser la juste prétention des Imitants de Fours. Ils demandent donc, leurs motifs étant des plus justes, d’être séparés de la communauté de Barcelonnette, à l’administration de laquelle ils n’ont jamais été appelés, soit à cause de l’éloignement et de la difficulté de la communication, soit à cause de l’empire absolu que la ville a toujours exercé sur cette paroisse et vallon. 11 ne leur est plus possible de rester unis à la communauté de Barcelonnette; six heures de marche font une distance trop considérable pour concourir à une même administration, surtout dans les pays horribles et sans communication par la quantité de neige qui y tombe, et qui forme des coulées qui emportent et engloutissent pres-ue annuellement nombre de personnes, la moin-re affaire les expose à des frais et à des dangers considérables; pour ne pas se ruiner en frais, on préfère souvent d’abandonner les prétentions les plus justes; delà l’impunité des crimes et la hardiesse des mauvais sujets qui se prévalent du défaut de justice ; cet endroit étant sans chef, la loi du plus fort l’emporte et le désordre devient universel. Les habitants sont assez nombreux pour mériter une administration particulière; lorsqu’ils se gouverneront eux -mêmes, ils pourvoiront aux moyens d’établir une communication moins dangereuse, de se procurer les secours nécessaires à l'humanité dans un pays isolé, et ceux qui seront à la tête de l’administration, ayant une autorité légale, maintiendront le bon ordre et la justice dans tout le vallon. Telles sont les pétitions et doléances que ledit vallon et paroisse de Fours adresse à notre seigneur Roi, et que ledit sieur Alexis Arnaud comparaissant nous a remis et prié et requis d’insérer et d’en faire un article exprès dans notre cahier de plaintes et doléances que nous sommes chargés de rédiger, nous déclarant que c’est tant en son nom qu’en celui des habitants pour lequel il se fait fort, et en fait au besoin son fait et cause propre, quoique suffisamment pourvu par eux de pouvoirs, soit en vertu de celui à lui donné par la susdite délibération prise le 24 juin dernier, par-devant M. Tirau, notaire, soit ensuite du pouvoir verbal encore à lui donné par lesdits habitants dimanche dernier ,22 du courant, attendu que par rapport à l’éloignement et aux mauvais chemins, ils n’ont pu se rendre en cette ville de Barcelonnette, ni moins encore se procurer un notaire qui rédigeât en forme publique leurs intentions et désirs à cet égard, dont Sa Majesté n’a entendu priver aucun individu dans son royaume, ce qui arrive aujourd’hui à Fours, étant au cas imprévu auquel il espère de la bienfaisance de Sa Majesté et de la justice du plus vertueux des ministres (M. Necker) qu’il sera remédié à l’avenir ; et acte. Et a signé Alexis Arnaud, syndic et procureur; J. -Baptiste Arnaud, Baptiste Arnaud, J. -Jacques Arnaud, Bar-nabé Arnaud, Jean-Antoine Arnaud, Jean-Louis Arnaud, Joseph Arnaud, Barnabé Jaufred, Jean-François Leautaud, Jean-Baptiste Leautaud, Joseph Jouffred, Jean-Joseph Goyen, Jean-Joseph Leautaud, Joseph Jaufred, Jean-Jacques Bellon, Alexis Loutaud, Jean-Joseph Gonin, Jean-Joseph Jaufred, Jean Leautaud, Jean-Baptiste Lentad, Joseph Jaufred, Jean-Baptiste-Pierre Leautaud, Jean-Baptiste Seand, Jean-Honoré Jaufred, Jean-Charles-François Leautaud, Thomas-Pierre Jouffraud , Jean-Jacques Bellon, Joseph Joutard, et Gurault.