674 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (28 mai 1791.] et les bestiaux améliorés, si le sol devenu peu coûteux répand sa fécondité sur un sol affranchi, rend les moyens de vivre plus faciles, et concourt à abaisser le prix des objets de consommation, c’est à la liberté que vous devez ces biens. Ah I quand elle n’en promettrait pas de nouveaux, on devrait s’acquitter envers elle par reconnaissance. Agriculteurs, vous devez à la liberté les richesses dont le sol va se couvrir, l’affranchissement de la glèbe et de la personne, les droits de l’homme. Commerçants, vous devez à la liberté, l’essort, l’encouragement de l’industrie ; vous n’avez d’autre terme que celui mis par la nature à vos talents : froissés par l’état présent des choses, élancez vos espérances dans un riche avenir, n’oubliez jamais que l’intérêt du commerce n’est pas celui de quelques commerçants; et puisant une consolation dans l’intérêt de tous, rappelez-vous qu’un privilège exclusif était un attentat contre les droits naturels, un crime de lèse-humanité; pénétrez-vous surtout de cette vérité, que quiconque perd à cela comme vendeur, gagne alors comme acheteur. Créanciers de l’Etat, vous devez à la liberté l’assurance, la conservation de vos droits, l’acquittement sacré de la foi des engagements. Habitants des villes, vous devez à la liberté la suppression des droits aux entrées ; et si elle a épuré, agrandi pour vous les moyens d’existence physique, habitants des campagnes, vous devez à la liberté l’abolition des dîmes, de la féodalité et de tous les droits mis sur les objets de nécessité première; votre état est autant adouci qu’honoré. Citoyens, c’est à la liberté que vous devez ce nom, et la chute des bastilles et la mort du despotisme. C’est pour conserver ces biens inestimables que vous acquittez l’impôt. G’ést à l’impôt que sont attachés tous les liens de la chose publique, l’armée, la flotte, les subsistances, le commerce, les arts, l’agriculture, la dette nationale. G’est l’impôt qui fait circuler le mouvement dans toutes les parties, et qui fait vibrer tous les ressorts quand dans le corps humain le sang s’arrête, l’individu expire. Il en est de même du grand corps de l’Etat; l’impôt en est le sang : quand il cesse d’y circuler, le corps politique meurt. Alors les lumières de la Révolution iraient s’éteindre dans le chaos de l’anarchie, et la nuit de l’esclavage couvrirait encore ce vaste Empire. O Français, vous serez vous-mêmes. Vous ne souffrirez pas que le tombeau dévore le berceau de la Constitution. On a accusé le caractère français de n’être capable que d’un premier et violent effort; démentez cet adage injurieux : continuez l’héroïsme, montrez qu’une suite de sacrifices est digne de la hauteur de votre courage. Mais vous brûlez de secourir la patrie. L’une de vos mains verse l’or sur son autel, l’autre est armée d’un fer qui la protège. J’entends des voix généreuses s’écrier : non, ce n’est point un sacrifice, c’est un devoir sacré ; qu’il soit rejeté du sein des français l’être dégradé qui préférera un métal vil à la précieuse liberté : ou plutôt que le cri de son intérêt le réveille, qu’il écoute la nécessité ; sa voix dit à l’égoïste : il faut donner pour conserver ton or; la liberté dit aux patriotes : O mes fils 1 Voyez ce qu’il en a coûté à tous les peuples de la terre pour m’obtenir : le désintéressement est la première des vertus que j’inspire; si l’apprentissage de mon culte est difficile, la récompense en est douce; parcourez, égalez, surpassez les exemples que vous ont laissés les Grecs, les Romains, les Anglais, les Suisses, les Etats-Unis de l’Amérique : l’univers à les yeux sur vous; l’histoire s’apprête à vous juger, à immortaliser votre gloire* attendez poqr vous reposer sous l’arbre, que la sève ait couru dans les rameaux, et qu’ils donnent de l’ombrage. Oui, refuser de concourir à la chose publique, est un crime d’esclave. Ne point acquitter l’impôt, c’est renoncer aux secours de l’Etat, c’est se déposséder de la protection tutélaire qui veille sur tous : retirer sa mise de la force générale, c’est perdre le gage de sa sûreté particulière ; enfin ne point contribuer aux charges de la nation, c’est moins trahir la nation que se trahir soi-même, ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. BUREAUX DE PÜSY. Séance du samedi 28 mai 1791, au matin ( t). La séance est ouverte à neuf heures du matin. Un de MM. les secrétaires fait lecture du procès-verbal de la séance de jeudi, 26 mai, au soir, qui est adopté. M. Bécherel, évêque et député du département de la Manche, qui était absent par congé, annonce son retour à l’Assemblée. Un de MM. les secrétaires fait lecture du procès-verbal de la séance d’hier, 27 mai, qui est adopté. M. "Vernier. Messieurs, je vous demande la permission de présenter une courte observation au sujet du décret quê vous avez rendu hier relativement à la répartition des contributions. Tout en applaudissant au zèle infatigable de votre comité d’imposition, je crois qu’il est impossible que dans des calculs aussi immenses que ceux qu’a nécessités un tel travail, il ne se soit glissé quelques erreurs : ces erreurs de calcul doivent être exceptées de plein droit du décret. J’en ai reconnu pour ma part dans les articles concernant l’ancienne province de Franche-Comté, et notamment dans les fractions relatives au département du Jura; je les ai désignées au comité, qui s’est aussitôt occupé à les vérifier. Je crois, toutefois, que pour ûe point touchera des calculs infinis, les erreurs qui pourront être reconnues, devront être mises en dégrèvement sur les sols pour livres destinés à cet effet. M. Dauchy, au nom du comité des contributions publiques. Messieurs, pendant la distribution des tableaux et du rapport sur la répartition des contributions, votre comité s’est occupé très activement de la quatrième vérification de tous les calculs nécessaires à une si importante opération ; mais je dois vous dire qu’en raison de là nouvelle division du royaume, quelques départements sont composés de cinq paroisses, et même de six, des anciennes provinces; il a donc fallu faire des opérations de calcul très multipliées sur chacune de ces portions, en procédant paroisse par paroisse. Les différences de régime d’impôts et la multiplicité de quelques-uns dans certaines parties du royaume ont exigé plus de 100,000 opérations de calcul et vous pensez bien que les (!) Cette séanee est incomplète au Moniteur. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [28 mai 1791.] 575 membres de votre comité n’ont pu toutes les faire par eux-mêmes ; quand bien même ils l’eussent pu, cela n’aurait pas garanti leur travail de quelques erreurs presque inévitables. Hier même, lors au décret, votre comité en connaissait quelques-unes, trop peu importantes pour vous arrêter. Nous continuons actuellement cette quatrième vérification commencée et nous vous soumettrons le résultat de ce travail ; mais, quand bien même il y aurait lieu à quelque modération, telle que pour le département du Jura, par exemple, que vous a cité le préopinant, nous croyons qu’il ne doit être rien changé au décret très utilé d’hier. Toutefois, pour que la justice soit rendue à tous, l’Assemblée pourra, sur les fonds de modération décrétés, rectifier ces petites inégalités et elle ne sera pas surprise lorsque, sur un travail aussi immense, nous lui proposerions de destiner quelques centaines de mille livres à cet objet. (L’Assemblée décrète qu’elle passe à l’ordre du jour.) M. Ramel-Nogaret. Je crois, Messieurs, qu’il serait très utile de charger le comité d’imposition de rédiger une adresse à la nation, afin de l’éclairer sur le nouveau mode de contribution publique que vous avez décrété. C’est, à mon sens, le seul moyen de déjouer les manœuvres des malveillants et c’est, de plus, un très bon exemple à donner à nos successeurs. ( Applaudissements .) (L'Assemblée, consultée, décrète la motion de M. Ramel-Nogaret.) M. Prugnon, au nom du comité d'emplacement. Messieurs, le directoire de la Gironde demande à être autorisé à acquérir, aux frais des administrés, le doyenné situé à Bordeaux, et les petites maisons y attenantes, qui sont également nationales, et à y faire les réparations que prescrit la décence pour le logement de l'évêque. Votre comité pense que cet arrangement concilie à la fois l’intérêt de la nation et celui du département. Il paraît également convenable d’autoriser le directoire à placer le séminaire dans la maison des Feuillants : d’un côté, elle est à peu de distance du collège et de la paroisse cathédrale; de l’autre, elle est dans un quartier peu animé, et il n’y aurait qu’un faible parti à en tirer pour la nation, tandis qu’elle vendra très bien les deux séminaires. Une circonstance qui n’est pas d’un petit intérêt, c’est que dans l’église des Feuillants, repose le plus sensé peut-être et le plus relu des philosophes, celui de toutes les heures et de presque tous les âges, Montaigne. Plus heureux en un sens que son compatriote Montesquieu, qui a détrôné doucement tant d’impostures, et préparé le règne de la raison, il a au moins un mausolée presque digne de lui. Si l’église n’était pas conservée, il faudrait déplacer et les cendres et le monument. Avant de quitter ce tombeau, je ne puis me refuser à une réflexion : que l’on ne s’étonne pas en voyant la nation qui a passé pour la plus juste dispensatrice de la gloire, refuser des monuments à ses grands hommes. Si nous ne savons où est la cendre de Corneille, en quel endroit l’on peut porter son tribut sur la tombe de L’Hôpital et de tant d’autres; c’est qu’alors la nation était mineure ; c’est une dette de plus que lui ont laissée ceux qui croyaient jouir éternellement de sa tutelle; elle s’est empressée de la mettre au rang des dettes d’honneur, de faire droit, si je puis m’exprimer ainsi, sur toutes les demandes en réparations que le génie avait à former contre le despotisme, contre ces êtres que l’on nommait censeurs royaux, dont le principal emploi était de mutiler les talents, et de faire des espèces d’eunuques. Pardonnez -moi cet écart; il y a eu, et il y aura à vous faire assez de rapports dont le fond présente la perfection de la monotonie, et le sublime de la stérilité. Je reviens à Bordeaux. Le directoire demande qu’on lui abandonne la jouissance du château ou fort du Ha, pour convertir la tour en prisons criminelles, et pratiquer dans une partie de ce fort des prisons civiles. Il n’y a à Bordeaux, comme dans la très grande partie du royaume, que des cachots malsains, où l’innocent et le coupable sont livrés aux mêmes dangers. Le fort du Ha n’est pas un fort destiné à protéger la ville contre l’ennemi : il a été élevé, au contraire, par Louis XIV, dans la vue de battre la ville qui lui donnait des inquiétudes. On conservera assez d’espace dans le fort pour le détachement des troupes de ligne qui y est ordinairement placé, et qui veillera à la sûreté des prisonniers. On n’aperçoit donc aucun motif qui s’oppose à ce que l’Assemblée ait un légitime égard à la pétition : le calcul des convenances et celui des proportions paraissent également se réunir. Voici le projet de décret que je suis chargé de vous présenter : « L’Assemblée nationale, ouï le rapport de son comité d’emplacement, autorise le directoire du département de la Gironde à acquérir, aux frais des administrés, et dans les formes prescrites par les décrets de rassemblée nationale pour la vente des biens nationaux, le doyenné et trois petites maisons attenantes, pour y loger l’évêque, et à placer le séminaire dans la maison des Feuillants de Bordeaux ; en conséquence, décrète que le grand séminaire, situé paroisse de Saint-Séverin, et celui de Saint-Raphaël, seront vendus dans les formes accoutumées ; « L’autorise également à faire procéder à l’adjudication, au rabais, de toutes les réparations et arrangements intérieurs nécessaires pour le logement de l’évêque, sur le devis estimatif qui en sera dressé; le montant de laquelle adjudication sera supporté par les administrés ; « L’autorise aussi à établir les prisons criminelles dans l’ancienne tour du fort du Ha, et les prisons civiles dans la partie dudit fort qui sera jugée la plus convenable pour cet objet, et le ministre de la guerre donnera incessamment les ordres nécessaires à cet effet. » (Ce décret est adopté.) M. Legrand, au nom du comité ecclésiastique, propose un projet de décret relatif à la réduction et à la circonscription des paroisses des villes de Péronne, Néelle, Montdidier , Doullens, Ham et Abbeville. Ce projet de décret est ainsi conçu : « L’Assemblée nationale décrète : Art. 1er. « Dans le district de Péronne, département de la Somme, toutes les paroisses de la ville et faubourgs de Péronne sont supprimées et réunies en une seule, qui sera établie dans l’église ci-devant collégiale de Sainl-Furcy, sous la même invocation. L’église de Saint-Sauveur sera conservée comme oratoire,