]Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [9 janvier 1790.] aux provinces de s’assembler : donc le vœu des provinces ne peut plus être connu. Ce décret mémorable eût renversé d’avance tout le système fondé sur des adhésions partielles, s’il n’avait pas suffi des vrais principes pour y répondre. Mais de quel étonnement n’ai-je pas été frappé, en voyant qu’on objectait, après les adhésions d’une partie de la Bretagne, le silence du reste ! Est-ce bien sérieusement qu’on vous a proposé cette objection ? Quoi, Messieurs, nous trouverions un signe de consentement dans le silence que nous avons prescrit ! Un peuple, condamné à se taire, serait condamné par son obéissance! Non, de telles pensées n’entrent pas dans l’esprit d’un homme libre. Députés de la Bretagne, souffrez que je vous le demande, de qui tenez-vous vos pouvoirs ? Est-ce des sénéchaussées, ou des municipalités? Vous avez renoncé conditionnellement aux franchises de la Bretagne : l’acceptation de l’Assemblée est également conditionnelle. Mais le terme de cette condition, quel est-il, je vous supplie? N’est-ce pas la ratification de vos commettants? Et vos commettants, les seuls que vous puissiez connaître, les seuls qui vous aient engagés, les seuls qui puissent vous délier, ne sont-ils pas dans les sénéchaussées convoquées régulièrement? C’est ainsi, Messieurs, que tout se réunit en faveur des magistrats de Rennes, et leur position individuelle et les lois delà Bretagne, et les principes du droit des gens. Dispensez-moi d’en dire davantage ; je m’interdis toute péroraison ; les moments sont trop chers, je me résume. Les onze magistrats n’étaient pas le Parlement, ils n’étaient plus la chambre des vacations; c’é-taientonzeindividus, sans fonctions, sanspouvoirs; c’étaient des hommes libres, maîtres d’accepter ou de refuser les nouvelles conditions attachées à leurs offices. La nation bretonne eût-elle changé de constitution, rien ne les obligeait à se charger de ce nouveau dépôt ; mais la vérité est que la nation bretonne ne s’est pas expliquée, n’a pas pu s’expliquer sur les décrets de l’Assemblée : des adhésions partielles ne sont pas un consentement national ; un silence forcé n’est pas un consenle-men t national; en un mot, une province qui ne peut pas s’assembler, ne peut pas se déclarer ; et les pouvoirs, donnés par les sénéchaussées, ne sauraient être révoqués par des opinions de municipalités : les députés des Bretons l’ont eux-mêmes reconnu par leur renonciation conditionnelle ; l’Assemblée l’a reconnu, comme eux, par son acceptation également conditionnelle. Telles sont, Messieurs, mes propositions, tels sont les faits et les raisonnements auxquels j’ose prier les personnes qui doivent Opiner après moi de s’attacher, et je conclus au décret suivant : 11 sera dit par Monsieur le Président aux magistrats de Rennes : L’Assemblée nationale rend justice à la pureté de votre zèle. Vous avez cru devoir réclamer les anciens droits de votre province; mais l’ Assemblée nationale n’a point entendu y porter atteinte. Les députés de la Bretagne n’ont renoncé à sa constitution particulière, que sous l’expresse condition d’être avoués par leurs commettants ; etc’estaussi sous cette condition que l’Assemblée a reçu leur renonciation. Elle vous charge, Messieurs, quand vous serez de retour en Bretagne, d’assurer vos compatriotes qu’ils n’ont pas d’amis plus sincères, et que le roi n’a pas de sujets plus fidèles que nous (1). 145 M. le comte de Mirabeau. Messieurs, lorsque, dans la séance d’hier, mes oreilles étaient frappées de ces mots que vous avez désappris aux Français, ordres privilégiés ; lorsqu’une corporation particulière de l’une des provinces de cet empire vous parlait de l’impossibilité de consentir à l'exécution de vos décrets sanctionnés par le roi ; lorsque des magistrats vous déclaraient que leur conscience et leur honneur leur défendent d’obéir à vos lois, je me disais : Sont-ce donc là des souverains détrônés, qui, dans un élan de fierté imprudente, mais généreuse, parlent à d’heureux usurpateurs? Non : ce sont des hommes dont les prétentions ont insulté longtemps à toute idée d’ordre social ; c’est une section de ces corps qui, après s’être placés par eux-mêmes entre le monarque et les sujets, pour asservir Je peuple en dominant le prince, ont joué, menacé, trahi tour à tour l’un et l’autre au gré de leurs vues ambitieuses, et retardé de plusieurs siècles le jour de la raison et de la liberté ; c’est enfin une poignée de magistrats qui, sans caractère, sans titre, sans prétexte, vient dire aux représentants du souverain : Nous avons désobéi, et nous avons dû désobéir : nous avons désobéi, et cette désobéissance honorera nos noms; la postérité nous en tiendra compte ; notre résistance sera l’objet de son attendrissement et de son respect . Non, Messieurs, le souvenir d’une telle démence ne passera pas à la postérité. Eh ! que sont tous ces efforts de pygmées qui se raidissent pour faire avorter la plus belle, la plus grande des révolutions, celle qui changera infailliblement la face du globe, le sort de l’espèce humaine? Etrange présomption, qui veut arrêter dans sa course le développement de la liberté, et faire reculer les destinées d’une grande nation ! Je voudrais qu’ils se disent à eux-mêmes, ces dissidents altiers : Qui représentons-nous? quel vœu, quel intérêt, quel pouvoir venons-nous opposer aux décrets de cette Assemblée nationale qui a déjà terrassé tant de préjugés ennemis et de bras armés pour les défendre ? Quelles circonstances si favorables, quels auxiliaires si puissants nous inspirent tant de confiance? Leurs auxiliaires, Messieurs, je vais vous les nommer : ce sont toutes les espérances odieuses auxquelles s’attache un parti défait; ce sont les préjugés qui restent à vaincre, les intérêts particuliers, ennemis de l’intérêt général ; ce sont les projets aussi criminels qu’insensés que forment , pour leur propre perte, les ennemis de la révolution. Voilà, Messieurs, ce qu’on a prétendu par une démarche si audacieuse qu’elle en paraît absurde. Eh ! sur quoi peut se fonder un tel espoir ? Où sont les griefs qu’ils peuvent produire ? Viennent-ils, citoyens magnanimes d’une cité détruite ou désolée, ou généreux défenseurs de l’humanité souffrante, réclamer des droits violés ou méconnus? Non, Messieurs; ceux qui se présentent à vous ne sont que les champions plus intéressés encore qu’audacieux d’un système qui valut à la France deux cents ans d’oppression publique et particulière, politique et fiscale, féodale et judiciaire ..... et leur espérance est de faire revivre ou regretter ce système : espoir coupable, dont le ridicule est l’inévitable châtiment. déposé chez M. du Foulleur, notaire au Châtelet, rue Montmartre ; et je renouvelle ici ma déclaration, que tout écrit imprimé, même avec ma signature, qui ne serait pas déposé chez cet officier public, ne serait pas de moi. (t) Nota.. Un exemplaire imprimé de ce discours, sera ire Série. T. XI. 10 146 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [9 janvier 1790.] Oui, Messieurs, tel est le véritable point de vue du spectacle qu’ont offert ici les membres de la cbambre des vacations de Rennes. En vain les soixante-six représentants que les peuples de la Bretagne ont envoyés parmi vous, ces honorables témoins, ces dignes compagnons de vos travaux, vous assurent que la constitution nouvelle comble les vœux d’un peuple si longtemps opprimé, qu’à peine avait-il conçu l’idée de briser ses fers ; en vain la Bretagne, autant qu’aucune autre partie de la France, couronne vos travaux ; en vain une multitude d’adresses que vous recevez chaque jour imprime le sceau le plus honorable et la plus invincible puissance à vos lois salutaires ! onze juges bretons ne peuvent pas consentir à ce que vous soyez les bienfaiteurs de leur patrie.... Ah! je le crois ; c’est bien eux et leurs pareils que vous dépossédez quand vous affermissez l’autorité royale sur l’indestructible base de la liberté publique et de la volonté nationale. Vous en êtes les dignes dépositaires, Messieurs, et certes il m’est permis de le dire, ce n’est pas dans de vieilles transactions, ce n’est pas dans tous ces traités frauduleux, où la ruse s’est combinée avec la force pour enchaîner les hommes au char de quelques maîtres orgueilleux, que vous avez été rechercher leurs droits. Vos titres sont plus importants; anciens comme le temps, ils sont sacrés comme la nature. Les testaments, les contrats de mariage lèguent des possessions et des troupeaux ; mais les hommes s’associent. Les hommes de la Bretagne se sont associés à l’empire français ; ils n’ont pas cessé d’être à lui, parce qu’il ne leur a retiré ni dénié sa protection. Chacune des parties qui composent ce superbe royaume est sujette du tout, quoique leur collection et l’agrégation de leurs représentants soient souveraines. S’il était vrai qu’une des divisions du corps politique voulût s’en isoler, ce serait à nous de savoir s’il importe à la sûreté de nos commettants delà retenir; et dans ce cas nous y emploierions la force publique, sûrs de la faire bientôt chérir, même aux vaincus, par l’influence des lois nouvelles. Si cette séparation nous semblait indifférente, et qu’une sensibilité compatissante ne nous retînt pas, nous déclarerions déchus de la protection des lois les fils ingrats qui méconnaîtraient la mère-patrie, et qui trouveraient ainsi, dans leur propre folie, sa trop juste punition. Mais que nous permettions à des résistances partielles, à de prétendus intérêts de corps, de troubler l’harmonie d’une constitution dont l’égalité politique, c’est-à-dire le droit inaliénable de tous les hommes, est la base immuable, c’est ce que ne doivent pas espérer les ennemis du bien public. Et quand ils professent tout à la fois tant de mépris pour les lois et tant de respect pour l’autorité d’un seul , collusoirement aidée des prétentions aristocratiques qui enchaînaient ou paralysaient la nation, ils professent d’inintelligibles absurdités, ou cachent et réchauffent des desseins coupables. Descendrai-je à ces objections qu’on a tirées des définitions d’un Parlement, d’une chambre des vacations, de l’ordre judiciaire, des fonctions des magistrats, de la nature de leur obéissance, et de toutes ces vieilles distinctions qui peut-être faisaient partie de notre droit public, lorsque nous n’avions ni raison, ni justice, ni éloquence? Eh bien! voici ce que je répondrai. Les pouvoirs de chaque Parlement, a-t-on dit, cessent à l’ouverture de ses vacances : une chambre des vacations ne peut être établie que par des lettres-patentes enregistrées au Parlement, et ses pouvoirs finissent au moment qui est le terme de sa durée. Ce moment était arrivé le 17 octobre. La chambre des vacations était donc sans pouvoirs pour enregistrer le décret du 3 novembre. Si je ne cherchais qu’à embarrasser le faiseur d’objections, qu’à lui opposer la conduite de toutes les chambres de vacations de tous les Parlements du royaume, et même du Parlement de Rennes, je lui dirais : le pouvoir de presque toutes les chambres des vacations du royaume était expiré le 17 octobre : elles ont cependant obéi; elles ont donc enregistré sans pouvoir; et pour se justifier d’un délit, les magistrats de Rennes accusent tous ceux du royaume. Je lui dirais : Si le décret du 3 novembre ne liait pas les chambres des vacations, il n’obligeait pas les Parlements. D’où vient donc qu’aucun Parlement du royaume n’est rentré le 11 novembre? D’où vient que celui de Rennes n’a pas repris ses fonctions ? Nulle autre loi que celle du 3 novembre ne les a suspendus. Leur exercice périodique se succédait, dans l’ancien ordre de choses, en vertu des seules lois auxquelles ils doivent l’existence, et cependant tous les Parlements ont obéi ; mais s’ils ont obéi, la seule chambre des vacations de Rennes est coupable, ou tous les Parlements, même celui de Rennes, sont coupables. Je lui dirais : Tous les membres des Parlements conviennent qu’ils conservent, même pendant leurs vacations, le caractère de magistrats ; que leur pouvoir n’est que suspendu, et qu’un simple ordre du Roi peut les rassembler avant le temps ordinaire de leur rentrée. Or je demande dans quel tribunal aurait été enregistrée la loi qui aurait rassemblé le Parlement? Je demande si rassembler un Parlement avant le 11 novembre, ou une chambre des vacations après le 17 octobre, ne sont pas deux opérations qui tiennent essentiellement au même pouvoir, et s’il y a plus de difficulté à prolonger une époque qu’à devancer l’autre ? Je lui dirais : Si le Parlement n’eiistait pas le 3 novembre, et si la chambre des vacations ne peut être créée que par des lois enregistrées au Parlement, il fallait donc d’abord rassembler le Parlement de Bretagne; et comme la loi qui lui aurait donné des pouvoirs qu’il n’a point aurait eu aussi besoin d’être enregistrée dans un Parlement quelconque, il aurait fallu commencer par créer un Parlement, et un Parlement pour créer la loi; cercle vicieux dans lequel et la chambre des vacations, et ses défenseurs s’enlacent eux-mêmes, et dont il leur sera difficile de sortir jamais sans tomber dans les plus étranges contradictions. Je lui dirais : Eh ! ne voyez-vous pas qu’en dernière analyse ces objections que l’on présente comme si décisives ne sont que cet ancien système des cours souveraines sur le droit d’enregistrement, droit également usurpé sur la nation et sur les rois; droit par lequel nous aurions été éternellement esclaves; droit que ies Parlements ont dix fois abdiqué dans leurs défaites, et qu’ils ont repris lorsqu’ils ont pu espérer d’être vainqueurs; droit qui, même dans les maximes parlementaires, ne peut exister lorsque la nation exerce le pouvoir législatif? L’enregistrement, tel que l’entendent les magistrats coupables, serait une véritable sanction ; mais quelle serait cette étrange constitution où la souveraineté serait partagée ou arrêtée par les corps judiciaires, par des magistrats à finances, c’est-à-dire par quelques individus concurremment avec les députés de vingt- ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [9 janvier 1790.] [Assemblée nationale.] 147 cinq millions d’hommes? N’a-t-on voulu que manifester une décision révoltante? On y a sans doute réussi. A-t-on voulu parler sérieusement? On a joint l’absurdité à l’insolence. On nous a dit encore : « Le magistrat n’est pas obligé de faire exécuter la loi qu’il n'a pas adoptée, et il n’est pas obligé d’adopter, comme magistrat, une loi nouvelle qui ne lui convient pas. Lorsqu’il a reçu ses pouvoirs, il a juré de rendre la justice selon les lois établies. Vous lui offrez maintenant de nouveaux pouvoirs; vous exigez qu’il applique de nouvelles lois ; que répond-il ? Je ne veux pas de ces pouvoirs, je ne m’engage point à faire exécuter ces lois. » Moi, je réponds à mon tour : Ces magistrats, qui ne veulent plus exercer leurs fonctions si elles sont relatives à de nouvelles lois, ont-ils, en désobéissant, abdiqué leurs fonctions, se sont-ils démis de leurs charges? S’ils ne l’ont pas fait, leur conduite est contradictoire avec leurs principes. Qu’ils cessent d’être magistrats, ceux qui regardent les droits éternels du peuple comme de nouvelles lois ; ceux qui respectaient le despotisme, et dont la liberté publique blesse la conscience ; qu’ils abdiquent et qu’ils redeviennent simples citoyens; eh ! qui les regrettera? Mais, du moins, qu'en refusant les nouveaux pouvoirs qu’on leur donne, iis ne prétendent pas exercer les anciens pouvoirs. Je leur réponds : Chaque magistrat, chaque individu eût-il le droit de se démettre, tous les Parlements du royaume n’ont-ils pas reconnu que l’interruption de la justice est un délit, que les démissions combinées sont une forfaiture? Le magistrat, le soldat, tout homme qui remplit des fonctions publiques peut abdiquer sa place; mais peut-il déserter son poste? mais peut-il le quitter au moment même de ses fonctions, à l’approche d’un combat? Dans un tel moment, ce refus du soldat ne serait qu’une lâcheté; les prétendus scrupules du magistrat sont un crime. Je leur réponds encore : Quelles sont donc ces nouvelles lois que l’on forçait les magistrats bretons d’adopter! Nos anciennes ordonnances sont-elles abrogées : le droit romain, nos coutumes et la coutume de Bretagne sont-ils anéantis? N’est-ce point d’après les lois qu’ils ont toujours observées, que ces magistrats rebelles devaient continuer à juger? Ils parlent de leur liberté, de leur conscience; avaient-ils la liberté de n’êlre pas ce qu’ils avaient toujours été? et ce qu’ils appellent une nouvelle loi, est-ce autre chose qu’une nouvelle obéissance? Enfin je leur dis : Que signifie le serment qu’a fait tout magistrat lorsqu’il a promis d’obéir aux lois? Si nous faisons des lois, nos décrets sont compris dans leur serment; leur désobéissance est un crime. S’ils nient que nos décrets soient des lois, cette dénégation n’est qu’un déni de plus. Le refus de reconnaître la loi ne sauva jamais un coupable. Voyez donc les criminelles conséquences où nous conduiraientlesapologistes des magistrats que vous devez condamner. Ce n’est point à la Ici, ce n’est point au législateur qu’ils ont fait serment d’obéir, mais aux lois établies et connues; et, s’il faut les en croire, c’est à eux à sanctionner et à enregistrer les lois; ils n’obéiront donc qu’à leurs propres lois; ils n’obéiront donc qu’à eux-mêmes ; ils sont donc législateurs et souverains; ils partageront du moins la souveraineté ; ils en seront les modérateurs suprêmes : à ce prix les magistrats bretons consentent d’obéir. Mais si ce ne sont point là des crimes, que faisons-nous ici? Quel est notre pouvoir, quel est l’objet de nos travaux ? Hâtons-nous de replonger dans le néant cette constitution qui a donné de si fausses espérances; que l’aurore de la liberté publique s’éclipse, et que l'éternelle nuit du despotisme couvre encore la terre. Enfin, on nous a dit « que les magistrats bretons ne viennent pas ici comme représentants, mais comme défenseurs des droits de la province. » Je leur demande, à mon tour s’ils ne sont pas représentants, comment peuvent-ils être défenseurs? et si la Bretagne a soixante-six représentants dans cette Assemblée, comment cette province peut-elle avoir d’autres défenseurs que les députés qu’elle a choisis pour se faire entendre et exprimer son suffrage? Oui, sans doute, il fut un temps où le prétexte de défendre des peuples qu’on opprimait, fournissait périodiquement des tours oratoires aux faiseurs de remontrances parlementaires, lorsqu’ils voulaient opposer les peuples aux rois, en attendant qu’ils pussent opposer les volontés arbitraires des rois aux peuples; mais ce temps n’est plus. La langue des remontrances parlementaires est à jamais abolie. Défendre les peuples, c’est-à-dire, dans leur idiome, les tromper, c’est-à-dire servir uniquement son intérêt personnel, ménager ou menacer la cour, accroître sa puissance sous les règnes faibles, reculer ou composer sous les gouvernements absolus; voilà quel était le cercle de ces évolutions, de ces parades politiques, de ces intrigues souterraines; un tel prétexte de défendre les peuples excite encore aujourd’hui notre indignation ; il n’aurait dû peut-être exciter que le ridicule. Mais pourquoi chercherions-nous les intentions des magistrats de Rennes dans les discours de leurs apologistes, quand nous avons entendu leur propre défense? Pourquoi nous occuperions-nous d’un délitdont nous avons déjà fixé la nature, et désigné les juges, quand il en est à nouveau commis sous nos yeux ? Ecoutons messieurs des vacations : « Ils sont les défenseurs des droits de la Bretagne ; aucun changement dans l’ordre public ne peut s’y faire sans que les Etats l’aient approuvé, sans que le Parlement l’ait enregistré. Telles sont les conditions du pacte qui les unit à la France. Ce pacte a été jugé et confirmé par tous les Rois. Ils n’ont donc pas dû enregistrer, et c’est par soumission pour le Roi qu’ils viennent le déclarer. » Ils n’ont pas dû enregistrer ! Eh ! qui leur parle d’enregistrer ? qu’ils inscrivent, qu’ils transcrivent, qu’ils copient, qu’ils choisissent parmi ces mots ceux qui plaisent le plus à leurs habitudes, à leur orgueil féodal, à leur vanité nobiliaire, mais qu’ils obéissent à la nation quand elle leur intime ses ordres sanctionnés par son roi. Etes-vous Bretons? Les Français commandent. N’êtes-vous que des nobles de Bretagne? Les Bretons ordonnent ; oui, les Bretons, les hommes, les communes, ce que vous nommez tiers-état; car, sur ce point, Messieurs, comme sur tous les autres, vos décrets sont annulés par les deux premiers ordres de Bretagne ; on nous les rappelle comme existants, on veut nous faire entendre ce mot de tiers-état, mot absurde dans tous les temps aux yeux de la raison, maintenant rejeté par la loi, et déjà même proscrit par l’usage : on vient, dans le triomphe de l’humanité sur ses antiques resseurs, dans la victoire de la raison publi-°PP sur les préjugés de l’ignorance etdelabarba-on vient vous présenter en opposition au rjb, 148 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [9 janvier 1790.] bonheur des peuples, et comme un garant sacré de leur servitude, le contrat de mariage de Charles VIII et de Louis XII; ainsi donc, parce que Anne de Bretagne a épousé un de vos rois, nommé le père du peuple, un autre de vos rois, plus véritablement père du peuple, puisqu’il le délivre de ses tyrans, votre monarque, ne pourra jamais étendre jusqu’en Bretagne les conquêtes de la liberté. On vous parle sérieusement des deux nations, la nation française et la nation bretonne. On sait le parti qu’a pris la nation française; elle est restée, elle restera fidèle à son Roi... ; et la nation bretonne, c’est-à-dire la chambre des vacation de Rennes, quel parti prendra-t-elle ?0n ose vous parler du grand nombre des opposants dans plusieurs des villes de la province... Ah! tremblez que le peuple ne véritie vos calculs, et ne fasse un redoutable dénombrement. {Vifs applaudissements) Etes-vous justes ? comptez les voix ; n’êtes vous que prudents? comptez les hommes, comptez les bras, et ne venez plus parler des deux tiers de la province devant une Assemblée qui a décrété une représentation nationale, la plus équitable qui existe encore sur la terre. Ne parlez plus de ces cahiers qui fixent immuablement nos pouvoirs ; immuablement ! Oh ! comme ce mot dévoile le fond de leurs pensées ! Comme ils voudraient que les abus fussent immuables sur la terre, que le mal y fût éternel ! Que manque-t-il en effet à leur félicité, si ce n’est la perpétuité d’un fléau féodal qui, par malheur , n’a duré que six siècles ? Mais c’est en vain qu’ils frémissent. Tout est changé; il n’y a plus rien d’immuable que la raison, qui changera tout, qui, en étendant ses conquêtes, détruira les institutions vicieuses auxquelles les hommes obéissent depuis longtemps ; il n’y a plus rien d’immuable que la souveraineté du peuple, l’inviolabilité de ses décrets sanctionnés par son Roi, par son Roi, qui, malgré des suggestions perfides, ne fait qu’un avec le peuple, par lequel il règne, par lequel il triomphera de ceux qui veulent fait du monarque un instrument d’oppression publique. C’est lui, c’est le dépositaire de la force nationale, qui protégera la liberté bretonne contre une poignée d’hommes qui osent s’appeler les deux tiers de la province. Il n’offensera point les mânes de Louis XII, en croyant que, dans la liberté générale de la France, la nation bretonne, qui n’est point encore séparée de la nation française, ne doit pas, pour obéir à la teneur du contrat de mariage d’Anne de Bretagne, rester jusqu’à la consommation des siècles esclaves des privilèges de Bretagne, puisqu’il y a encore, comme nous l’apprenons, des privilèges en Bretagne. Privilégiés! cessez de vous porter pour représentants de la province dont vous êtes les oppresseurs. Ne pariez plus de ses franchises our l’enchaîner, de ses libertés pour l’asservir. ous êtes justifiés, dites-vous, par votre conscience; mais votre conscience, comme celle de tous les hommes, est le résultat de vos idées, de ■“ds sentiments, de vos habitudes. Yos habitudes, /os sentiments, vos idées, tout vous dit, tout vous persuade que les communes bretonnes doivent être à jamais esclaves des nobles, en vertu du mariage d’Anne de Bretagne. Quelle est celte conscience qui veut annuler par un pareil titre la déclaration des droits de l’homme et la constitution française ! Voilà, Messieurs, les idées augustes et imposantes qu’apporte parmi vous le chef d’une députation qui compte sur l’hommage, c’est trop peu, sur l’attendrissement de la postérité. Elle apprendra, dit-il, que des magistrats ont eu le courage ..... Singulière prétention de passer à la postérité par un excès de fanatisme et d’orgueil! Mais loin de désirer que la postérité se souvienne de leur révolte, que ne font-ils des vœux pour que la génération présente l’oublie 1 Mais, Messieurs, si notre devoir est de ne point dissimuler la nature et l’étendue de ce délit, il l’est aussi de réprimer les mouvements de notre indignation, et de porter dans nos décrets le caractère d’une inflexible équité. La chambre des vacations de Rennes doit être punie sans doute ; si elle ne l’était pas, par cela même, elle serait au-dessus de l’Assemblée nationale et du Roi; sa conduite et son impunité encourageraient ses adhérents, et pourraient devenir les principes des plus grands malheurs. Elle doit être punie, et vous n’avez pas le droit de faire grâce. Mais par quels juges et dans quelle forme faut-il qu’elle soit punie? c’est ce qu’il s’agit de déterminer. Les magistrats bretons ont-ils commis deux délits ou un seul? Ces deux délits sont-ils d’une nature absolument différente? L’un de ces délits est-il tel qu’il soit impossible de le dénoncer au tribunal qui doit juger le premier? 11 faut dès lors deux peines et deux jugements. Si, pour justifier leur désobéissance, les magistrats bretons s’étaient bornés à des moyens qui ne fussent pas une nouvelle injure; s’ils ri’avaient pas à leur frivole défense, à leurs coupables prétextes, joint des propos séditieux; s’ils n’avaient pas méconnu l’autorité de l’Assemblée devant laquelle ils ont comparu, vous n’auriez qu’à punir leur résistance à la loi. Mais des excès commis sous vos yeux pourraient-ils être jugés par le Châtelet? Un tel délit serait-il susceptible d’information, lorsque c’est vous qui en avez été les témoins, lorsque c’est vous qui les dénoncez? Si l’accusation n’emportait pas conviction, serions-nous en même temps accusateurs et témoins? S’il fallait un tribunal, quel tribunal jugerait que l’accusation n’est pas fondée? Les Parlements n’ont-ils pas mille fois distingué le premier délit d’un accusé, de celui qu’il commet lorsqu’il insulte son juge? Ce dernier délit n’est-il pas jugé sur-le-champ? Le moindre officier public n’a-t-il pas le droit de venger son propre tribunal? Toutes les assemblées n’ont-elles )as le droit de police sur tout ce qui se passe dans eur sein? Quoi ! Messieurs, vous pouvez censurer vos propres membres, et vous n’auriez pas le droit de punir des accusés qui viennent vous insulter! Quoi! un outrage fait à l’Assemblée de la nation pourrait devenir la matière d’un procès ! Une objection aussi absurde ne mérite pas d’être refutée. Je sais que l’Assemblée n’est point un tribunal; je soutiens qu’elle ne doit user du pouvoir judiciaire que pour le déléguer, mais il ne s’agit pas non plus d’exercer le pouvoir judiciaire; informer, voilà ce qui nous serait interdit pour un délit dont nous sommes les témoins; venger la nation d’un outrage, appliquer à des séditieux la peine que leur impose leur propre témérité, qui pourrait nous contester ce droit, si ce n’est celui qui, prévoyant le germe d’une insurrection générale dans le délit qu’il voudrait épargner, ne craindrait pas d’en être le scandaleux apologiste et de s’en montrer le complice ? Voici donc le décret que j’ai l’honneur de vous proposer, et qui sera tout à la fois une grande leçon d’obéissance, et un grand exemple de modération : «< Arrête que les citoyens chargés des fonctions publiques, qui déclarent que leur conscience et leur honneur défendent d’obéir à la loi, se recon- ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Il janvier 1790.] 149 [Assemblés nationale.] naissent par là même incapables d’exercer aucunes fonctions publiques. « En conséquence, l’Assemblée nationale déclare les magistrats de la chambre des vacations de Rennes, parle fait de la déclaration qu’ils ont proférée en sa présence, inhabiles à exercer aucunes fonctions publiques, jusqu’à ce qu’ils aient reconnu leur faute, et juré obéissance a la constitution. « Quant au crime de lèse-nation dont ces magistrats sont prévenus relativement à leur désobéissance aux décrets de l’Assemblée nationale, sanctionnés par le Roi, l’Assemblée en renvoie la connaissance au tribunal déjà chargé provisoirement d’informer des délits de cette nature. « Ordonne que lesdits magistrats soient incessamment traduits par devant ledit tribunal, pour le procès leur être fait jusqu’à jugement définitif. « Arrête de plus de commettre quatre membres de l’Assemblée, pour assister le procureur du roi du siège du Châtelet dans l’instruction et la poursuite de cette affaire. » (Ce discours est fréquemment interrompu par de nombreux applaudissements .) Plusieurs membres réclament la parole. D'autres membres représentent qu’il est plus de cinq heures. M. le Président met aux voix si la séance sera prolongée ou si elle sera continuée au lendemain. L’Assemblée décide le renvoi à lundi, à 9 heures du matin. M. le Président dit qu’il n’y aura pas de séance le soir, attendu la prolongation extraordinaire de celle qui finit, La séance est levée. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. L’ABBÉ DE MONTESQUIOU. Séance du lundi 11 janvier 1790 (1). M. Treilhard, l'un de MM. les secrétaires, donne lecture du procès-verbal de la séance du samedi 9 janvier. La rédaction est adoptée sans réclamation. Le même secrétaire fait ensuite l’énoncé des adresses suivantes : Adresse de félicitation, remerciement et adhésion de la communauté d’Àrsague, sénéchaussée de Sairit-Sever; elle demande que l’annexe de la paroisse soit érigée en cure. Adresse des représentants de la commune de Prades en Roussillon, qui, en rappelant le vœu exprimé, dans le cahier des paroisses qui composent la viguerie de Conflans et Capsir, pour qu’il fût établi à Prades un tribunal judiciaire, avec une attribution définitive déterminée, renouvelle cette demande, et supplie l’Assemblée nationale, lorsqu’elle procédera à la division des départements et districts, de vouloir prendre en considération cette demande. Un tribunal est nécessaire aux paroisses qui forment son arrondissement, et qui auront alors à portée leur administration et leur justice. Adresse des officiers municipaux et habitants de la ville de Farmoutier, qui exprime les vœux les plus ardents pour la conservation de l’abbaye royale qu’elle renferme dans son sein. Quel qu’en soit le succès, ils protestent que la décision ne diminuera en rien le respect et la reconnaissance dont ils sont pénétrés pour les représentants de la nation. Adresse de félicitation et de dévouement du comité de Saint-Cyr et Bourgneuf en Retz; il propose un plan de division du duché de Retz. Adresse de la garde citoyenne de Bar-le-Duc, qui fait le serment solennel” de faire respecter les représentants de la nation et leurs décrets, aux dépens de sa fortune et de sa vie. Adresse de la ville de Morlaas, capitale du Béarn, contenant une adhésion absolue aux décrets de l’Assemblée, et une renonciation expresse à tous ses privilèges, dont elle jouissait depuis plus de 800 ans; elle demande avec instance d’être le chef-lieu de district. Adresse d’adhésion, félicitation et dévouement de la communauté de Valleranguesen Languedoc. Adresse du même genre de la ville de Vauvil-lers en Franche-Comté; elle fait le don patriotique de la somme de 1500 livres, et demande d’être chef-lieu de district. Adresses du même genre de la ville d’Arnay-le-Duc et de la communauté de Saint-Cyr, près Versailles; elles font le don patriotique du produit de la contribution sur les ci-devant privilégiés. Adresses des habitants de diverses municipalités du pays de Grasse, et d’une partie des habitants de la communauté de Scata en Corse, qui annoncent avoir formé une milice nationale qui a fait le serment de suivre et de maintenir tous les décrets de l’Assemblée nationale. Procès-verbal du renouvellement des serments patriotiques des volontaires nationaux de Vannes en Bretagne. Adresses de félicitation et dévouement des officiers du bailliage d’Issoudun et de la ville d’Ar-dres en Auvergne. Adresse du même genre de Château-Villain en Champagne; cette ville fait le don patriotique de la somme de 408 livres, de 14 paires de boucles d’argtût, et de quelques bijoux d’or; elle de-mande'cavec instance a’être chef-lieu de district. Adresses du comité permanent de la ville et juridiction de Lauzun, composée de seize paroisses, et de la milice citoyenne de la ville d’Aix, contenant l’adhésion la plus entière aux décrets de l’Assemblée nationale, et un dévouement sans bornes pour leur exécution. Délibération de la communauté d’Ancelles en Dauphiné, qui fait le don à la nation de la taxe sur les ci-devant privilégiés. On annonce que les députés de la ville de Fontainebleau étant à la barre, offrent un don patriotique de 2,200 livres. Un annonce également les députés du district et le bataillon des enfants-trouvés, de Paris, qui ont offert en don patriotique des boucles d’argent, et autres bijoux pesant 32 marcs 7 gros d’argent, plus une once 1 gros 18 grains en or. M. Le Couteulx de Canteleu. Je suis chargé par M. David Emmanuel de Vélay, Génévois de naissance, habitant à Constance en Suisse, de faire une offrande patriotique de 6,000 livres. De plus, cet étranger demande pour lui, pour sa (!) Cette séance est incomplète au Moniteur ,