[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [3 novembre 1789.] 654 M. Bafnave, secrétaire donne lecture du procès-verbal de la séance cl’hier; mais après quelques observations, il est décidé qu’il sera relu à la prochaine séance. M. le Président annonce que MM. An son et Salomon ont été nommés par l’Assemblée dans ses bureaux pour inspecter le travail des commis. M. Delabat, prieur de Saint-Léger, dont les pouvoirs ont été vérifiés, est admis en qualité de député de Soissons.en remplacement de M. Delet-tre, démissionnaire. M. le marquis de Beauharnais, suppléant de Paris dontles pouvoirs ont été également vérifiés, est admis à remplacer M. le comte de Lally-Tol-lendal démissionnaire. M. Gayla de La Garde, général de Saint-Lazare, suppléant de Paris, dont les pouvoirs ont été vérifiés, est admis en remplacement de M. Veytard, curé de Saint-Gervais, démissionnaire. M. Cochon de Lapparent, suppléant des communes du Poitou, dont les pouvoirs ont été vérifiés, est admis en remplacement de M. d’Abbaye, démissionnaire. M. Bernard, syndic du chapitre de Wissem-bourg, député des dix villes jadis impériales d’Alsace, donne sa démission et demande un passeport pour retourner dans sa province à raison de sa santé, sans attendre l’arrivée de son suppléant; sa demande est accordée. M. le Présideot communique à l’Assemblée deux lettres. L’une est de M. de Nicolaï, premier président de la Cour des comptes, contenant des observations relatives aux finances ; cette lettre est renvoyée au comité des finances. L’autre, de M. le comte de Gassini, représente que les ingénieurs occupés à lever différentes cartes de Bretagne, ont été inquiétés dans leur travail ; il demande qu’ils soient autorisés par l’Assemblée nationale à le continuer. Cette autorisation est accordée. L’ordre du jour était de suivre la délibération sur les conditions de Véligibilité ajournée jeudi dernier, toutes choses étant demeurées en état. M. le coiMte de Mirabeau demande la parole sur un objet qui n’est pas exactement àl’ordre du jour, mais qui paraît y avoir quelque rapport. En ce moment, dit-il, toutes les anciennes municipalités sont prêtes à se renouveler: lorsqu’il est question de les détruire, vous devez empêcher ce renouvellement ; c’est dans celte vue que je propose la motion suivante : « Décréter que les municipalités actuelles subsisteront jusqu’à ce que la nouvelle organisation soit arrêtée ; que cependant les échevins qui doivent sortir de place, sortiront et seront remplacés par cinq personnes pour les villes où il y a trois échevins, et par trois personnes pour les villages. Ges nouveaux officiers municipaux seront élus librement au scrutin. » M. de Praslin offre de la part des officiers, bas officiers et soldats du régiment de Beaujolais, une somme de 13,000 livres. M. le Président est chargé d’écrire à ce régiment pour lui témoigner la sensibilité de l’Assemblée. Après des débats fort tumultueux sur la question de savoir à quel point devait être reprise la la délibération de jeudi dernier, l’Assemblée regarde comme régulièrement et définitivement rendus tous les décrets qui y ont été portés. M. Target représente que, puisqu’il s’agit de reprendre la discussion sur le plan du comité, il est indispensable de mettre à la délibération un article présenté il y a peu de jours, et relatif à l’éligibilité des ministres et agents du pouvoir exécutif. Cet article est ajourné. M. Gaultier de Biauzat demande qu’on s’occupe à l’instant de l’organisation des municipalités. Trois pouvoirs, dit-il, régnent dans chaque ville : la municipalité ancienne, le comité permanent et la garde nationale. Tout annonce l’anarchie et réclame vos soins et votre activité. En créant un corps, on doit d’abord établir ses éléments; les municipalités sont les éléments du corps politique. M. Démeunier. J’opine pour que, selon un ancien décret, vous discutiez le projet de division du royaume proposé par le comité de Constitution et non l’organisation des assemblées municipales qui doit être une suite de ce projet. Après de légères discussions, l’Assemblée adopte cet avis. On fait lecture des articles du plan relatif à la division générale du royaume. M. Thouret, membre du comité de Constitution, lit un discours où il développe les motifs qui ont déterminé le comité dans ses propositions. M. Thouret (1). Messieurs, voire comité en se livrant au travail dont vous l’avez chargé, en a reconnu toute l’importance ; et il est impossible que vous n’en soyez pas pénétrés vous-mêmes, au moment où vous allez consommer ce grand ouvrage par vos décrets. Les objets traités dans les deux parties du rapport du comité, sont essentiellement la Constitution. C’est beaucoup, sans doute, d’avoir établi la permanence du Corps législatif, et d’avoir décidé comment les lois seront faites à l’avenir : mais cela ne fait pas à beaucoup près la Constitution. Les membres du Corps législatif seront des représentants de la nation; pour avoir des représentants, il faut les élire. Les administrations provinciales et municipales seront de même composées de députés élus. Il faut donc parvenir à distribuer la représentation avec égalité, d’abord entre les différentes parties du royaume, ensuite entre les différentes parties de chaque province, et fixer l’ordre des élections: il faut d’ailleurs déterminer avec précision le rang que les diverses classes d’administrations tiendront dans l’ordre des pouvoirs publics, la nature et l’étendue de leur autorité ; ou rien ne sera véritablement fait pour la Constitution. Ceci posé, il est facile de reconnaître quelles dispositions d’esprit il faut apporter au traitement de ces importantes matières. Etablir la constitution d’un grand empire, est une des plus hautes entreprises dont l'intelligence humaine puisse s’occuper. Il n’y faut donc pas employer des idées trop vulgaires, aussi nuisibles au succès de cette œuvre sublime, qu’incompatibles avec sa dignité. Etablir la Constitution, c’est, pour nous, reconstruire et régénérer l’Etat. 11 ne faut donc pas qu’une pusillanimité routinière nous tienne asti) Le Moniteur ne donne qu’un sommaire du discours de M. Thouret. [3 novembre 1789.) [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. servis à l’ancien ordre des choses, quand il est possible d’établir de meilleures bases, et nécessaire de disposer les ressorts du gouvernement pour les nouveaux effets qu’il s’agit d’en obtenir. Comme il n’y aurait pas de régénération si rien n’était changé, il n’y en aurait qu’une superficielle et passagère, si les changements se bornaient à de simples palliatifs, en laissant subsister les causes des anciens vices. N’entreprenons pas de faire la Constitution, si nous ne voulons pas régénérer à fond. Établir la Constitution, est une œuvre infiniment épineuse en ce moment d’anarchie, parce que la méditation grave et lente qu’elle exige, parait inconciliable avec les besoins pressants quisollicitentde toutes parts des remèdes prompts. Mais les difficultés ne doivent pas vaincre notre courage; les besoins locaux et du moment ne doivent pas détruire le bonheur général et permanent qui est attaché à faire une bonne Constitution. Les besoins particuliers sont une raison décisive pour accélérer sans distraction le travail des décrets constitutionnels, mais n'en peuvent être une d’en brusquer la composition. Ne vaudrait-il pas mieux ne pas faire cette Constitution tant désirée, que de la faire défectueuse, insuffisante et incomplète ? Etablir la Constitution, c’est travailler pour les siècles, et élever un édifice auquel il est très-désirable qu’on ne voit pas nécessité de retoucher souvent. Il serait donc également malfaisant et inconsidéré, soit de précipiter ce qui doit être combiné avec maturité, soit de manquer à semer au moment opportun tous les germes de la prospérité publique, même ceux qui doivent être lents à se développer et à fructifier. Etablir la Constitution, c’est porter au nom de la nation, en vertu du plus puissant de ses pouvoirs qui n’existe qu’en elle, et non dans aucune de ses parties, la loi suprême qui lie et subordonne les différentes parties de l’Etat au tout. L’intérêt de ce tout, c’est à dire de la nation en corps, peut seul déterminer les lois constitutionnelles ; et rien de ce qui tiendrait aux systèmes, aux préjugés, aux habitudes, aux prétentions locales, ne peut entrer dans la balance. Si nous nous regardions moins comme les représentants de fa nation, que comme les stipulants de la ville, du bailliage ou de la province d’où nous sommes envoyés ; si, égarés par cette fausse opinion de notre caractère, parlant beaucoup de notre pays et fort peu du royaume, nous mettions des affections provinciales en parallèle avec l’intérêt national ; j’ose le demander, serions-nous dignes d’avoir été choisis pour les régénérateurs de l’Etat? Et si de tels sentiments pouvaient exister parmi nous, s’y montrer, et parvenir à être accueillis, comment oserions-nous penser à faire une Constitution? Rappelons-nous ce que nous pensions unanimement avant la confusion et la destruction des trois ordres. La Constitution nous paraissait, avec raison, impossible; mais que devrions-nous attendre, si les provinces venant à remplacer les ordres, décuplaient les oppositions et les traverses? Rappelons-nous encore ce que nous pensions des mandats impératifs, lorsqu’on s’en faisait des titres contre notre réunion. « Un bailliage, une province, disions-nous, simples membres, et parties sujettes de la nation, ne peuvent lui dicter des lois, faire prévaloir leurs opinions particulières, ni empêcher le bien général, par ce qu’elles croient être de leur intérêt particulier. Il n’y a point de représentants de bailliage et de province, il n’y a que des représentants de la nation. » Si ces vérités sont indubitables, c’est surtout en matière de Constitution, dont les premières maximes sont celles de l’union politique de tous les membres de l’Etat en un seul corps, et de la subordination de toutes les parties, au grand tout nalional. C’est, Messieurs, d’après les considérations que je viens d’exposer, et en recueillant toutes les impressions qu’elles doivent naturellement faire sur vos esprits, que vous apprécierez sainement les raisons qui se présentent pour et contre le plan de votre comité. Je les applique spécialement à la partie fondamentale de ce plan, qui concerne la nouvelle division territoriale du royaume. C’est moins en niant les avantages politiques de cette division, qu’en y supposant des inconvénients, qu’on l’a combattue jusqu’ici. De tous les genres d’attaque, celui-ci est le plus aisé, parce qu’il n’y a aucun plan dans une matière aussi difficultueuse contre lequel on ne puisse faire quelques objections ; mais il est aussi le moins concluant, parce que le vrai point de décision n’est pas que le plan soit exempt de toute espôced’inconvénients, mais qu’ils soient moindres que ses avantages, ou moindres que les défectuosités actuelles. Depuis longtemps les publicistes et les bons administrateurs désirent une meilleure division territoriale du royaume ; parce que toutes celles qui existent sont excessivement inégales, et qu’il n’y en a aucune qui soit régulière, raisonnable, et commode, soit à l’administrateur, soit à toutes les parties du territoire administré. Il y a d’ailleurs une confusion de divisions très-embarrassante, puisqu’il n’y a pas un seul genre de pouvoir ou d’autorité qui n’en ait une particulière ; en sorte que le même lieu pourrait appartenir à autant de districts divers qu’il y a de différentes espèces de pouvoirs publics. Tout le monde sent combien dans un vaste empire, il importe pour l’uniformité de l’administration, pour la bonne surveillance des administrateurs, pour la facilité des gouvernés* d’avoir des divisions de territoire à peu près égales, et d’une étend ue calculée sur celle qui convient au meilleur exercice des différents pouvoirs. L’époque la plus convenable pour poser ce fondement d'une foule d’améliorations futures, est celle, où la puissance nationale déployant toute son énergie, reconstitue l’Etat, et où la désorganisation de l’ancien gouvernement fait sentir le pressant besoin, en même temps qu’elle a produit l’attente d’un nouvel ordre de choses, et a disposé les esprits à le recevoir. Si le moment actuel n’est pas mis à prolit, si la nouvelle division territoriale n’est pas liée à la nécessité d’admettre la Constitution dont elle fera partie, et dont on ne peut plus se passer, il faut y renoncer pour jamais. Sur quel prétexte en reproduirait-on la proposition, après que la nation elle-même aurait ratifié de nouveau les anciennes divisions en les établissant pour bases constitutionnelles des nouveaux districts de représentation et d’administration ? Je sais bien qu’on paraît craindre qu’en ce moment où les hommes sont, comme malgré eux, entraînés vers leurs anciennes liaisons, parce que le gouvernement , dit-on, n’a pas la force de les rallier à lui, on ne risquât à augmenter la confusion, en voulant rompre les unités provinciales. Mais, 1° il est assez naturel que, dans ce mo- 056 [Assemblée nationale.] ment du passage à la liberté, et du relâchement des anciens pouvoirs, les citoyens aient vu dans leurs anciennes relations le moyen de mieux supporter la commotion passagère qui les agite. Cette affection produite par les circonstances doit cesser avec elles, et cédera, n’en doutons pas, au sentiment universel de douceur et de sécurité que l’établissement de la Constitution répandra dans toute la France. 2° On s’est replié sur les anciennes liaisons, parce que le gouvernement n’a pas la force de rallier à lui; mais c’est la nation qui va tout rallier à elle par la Constitution. Qui ne sentira pas que l’attachement à la grande union nationale vaut mille fois mieux que l’état de corporation partielle qui sera désavoué par la Constitution? 3° Enfin ces affections d’unité provinciale qu’on croit si dangereux de blesser ; ne sont pas même offensées par le plan du comité ; puisque aucune province n’est détruite, ni véritablement démembrée, et qu’elle ne cesse pas d'être province, et la province de même nom qu’auparavant, pour avoir des districts nouveaux de représentation ou d’administration. Le comité présente quatre-vingt divisions nouvelles, parce que sous ces deux rapports, l’étendue de trois cent vingt-quatre lieues carrées, dont chaque division est composée, paraît la plus avantageuse. Elle donne lieu d’ailleurs à de bonnes subdivisions intérieures, puisque chacune fournil neuf districts de commune , qui se fractionnent encore chacun en neuf cantons : distribution heureuse, sur laquelle on pourra, avec le temps, établir le mécanisme facile de toutes les parties du régime intérieur de chaque administration. Une surface de trois cent vingt-quatre lieues, offre une étendue moyenne, qui convient à des districts d’élection directe, qui convient encore plus à des districts d’administration, et qui pourra convenir par la suite pour réunir dans les mêmes divisions l’exercice des autres pouvoirs publics. Ne désespérons pas que le jour viendra, où l’esprit national étant mieux formé, tous les Français réunis en une seule famille, n’ayant qu’une seule loi, et un seul mode de gouvernement, abjureront tous les préjugés de l’esprit de corporation particulière et locale, La Constitution doit prévoir, provoquer et faciliter ce bon mouvement, qui rendra la nation française la première et la plus heureuse nation du monde. Mais c’est des départements administratifs surtout, qu’il importe essentiellement de borner l’étendue. Cette précaution est nécessaire politiquement, et d’ailleurs l’intérêt de chaque territoire administré l’exige. La position n’est plus la même qu’elle était avant la révolution actuelle. Lorsque la toute puissance était par le fait dans les mains des ministres, et lorsque les provinces isolées avaient des droits et des intérêts particuliers à défendre contre le despotisme, chacune désirait avec raison d’avoir son corps particulier d’administration, et de l’établir au plus haut degré de puissance et de force qu’il était possible; mais toutes les provinces sont maintenant associées en droits et en intérêts, et la liberté publique est assurée par la permanence du Corps législatif. 11 ne s’agit plus aujourd’hui que de conserver l’esprit, et d’assurer les effets de la Constitution actuelle. Craignons donc d’établir des corps administratifs , assez forts pour entreprendre de résister au chef du pouvoir exécutif, et qui puissent se croire assez puissants pour manquer impunément de soumission à la législature. Les membres de ces corps seront déjà très-forts par leur caractère de députés [3 novembre 1789.] élus par le peuple : n’ajoutons pas à cette force d’opinion la force réelle de leurs masses. Considérons ensuite que l’intérêt des gouvernés se joint ici à la nécessité politique. Cet intérêt consiste à ce que le district de chaque administration soit mesuré, de manière qu’elle puisse suffire à tous les objets de surveillance publique, et à la prompte expédition des affaires particulières. En administration, c’est aux effets réels et à l’efficacité de l'exécution qu’il faut principalement s’attacher ; parce qu’une administration n’est bonne qu’autant qu’elle administre réellement. Or elle ne remplit bien cet objet que lorsqu’elle est présente, pour ainsi Mire, à tous les points de son territoire, et qu’elle peut expédier avec autant de célérité que d’attention toutes les affaires des particuliers. Cette exactitude sans laquelle le bien ne se fait pas, ou ne se fait qu’à demi, serait impossible à des administrations qui auraient un trop grand territoire. C’est donc aux citoyens mêmes qu’il importe de multiplier les administrations pour resserrer les districts. Il semble au premier coup d’œil qu’il n’y a pas d’objections qui puissent balancer tant d’avantages; et l’examen des principales difficultés qui ont été faites, confirme cette vérité. Première objection. Vous changez, nous dit-on,. les anciennes divisions des provinces ; vous les anéantissez en confondant leurs territoires. — Quand cela serait, quel inconvénient en résulterait-il que celui qu’un préjugé fécond en maux politiques suppose et exagère? Puisque le gouvernement est devenu national et représentatif, puisque tous les citoyens y concourent, puisque les lois, les impôts et les règles d’administration vont être les poèmes dans toutes les parties du royaume; qu’importe à quelle division de son territoire onsoit attaché, les avantages politiques et civils étant parfaitement égaux dans toutes? 11 serait bien désirable, sans doute, que l’Assemblée pût l’aire ce mal imaginaire qu’on reproche au plan du comité, pour acquérir le bien réel et inappréciable de détruire l’esprit de province, qui n’est dans l’Etat qu’un esprit individuel, ennemi du véritable esprit national. Si sou influence nous domine ici, je répète que nous ne ferons pas, ou, ce qui est pire peut-être, que nous ferons mal la Constitution ; mais il faut calmer d’un seul mot ces alarmes conçues trop légèrement à l’idée des provinces confondues ou morcelées. Lanouvelle division, dont le comité n'aj’amais entendu que l’exécution sci ait rigoureusement géométrique, peut se faire presque partout, en observant les convenances locales, et surtout en respectant les limites des provinces. Si quelques-unes de leurs frontières présentent des irrégularités, dont le redressement serait désirable pour la perfection du pian , je ne crains pas de dire que ce redressement serait avantageux aux lieux mêmes sur lesquels il s’opérerait. Chaque province, perdant quelque chose d’un côté, gagnerait de l’autre à peu près également. Enfin, aux frontières respectives des provinces, les mœurs, les habitudes, les relations d’affaires et de commerce, n’apportent aucun obstacle à la transposition des districts administratifs; parce que les paroisses qui se touchent aux extrémités de deux provinces ont beaucoup plus d’affinité entre elles, sous tous les rapports physiques et moraux, qu’avec les paroisses du centre ou de la frontière opposée de leur propre province. SECONDE objection. Le plan du comité divise au moins les provinces dans leur intérieur, et il ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Assemblée nationale. J ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [3 novembre 1789.] t)N7 les affaiblit en les désunissant. — La division d’une y province en plusieurs districts de représentation et d’administration, ne la désunit pas plus que les autres divisions en diocèses, en généralités, en bailliages, en élections, entre lesquels son ter-" ritoire est partagé. Je peux citer la Normandie pour exemple: elle a eu depuis très-longtemps >* trois administrations ; elle est divisée en trois généralités, formant trois ressorts d’intendance; y elle a trois districts d’assemblées provinciales : elle n’en subsiste pas moins sous son nom, et en un seul corps de province, elle aurait, dans le plan proposé, quatre administrations, et ne cesserait pas pour cela d’être la Normandie. Ainsi, l’inconvénient supposé n’a point de réalité. — J’ajoute que c’est l’avantage des grandes provinces d’obtenir plusieurs corps administratifs parce qu’un seul ne suffirait pas aux nombreux dé-r taiis de leur gouvernement, et parce que c’est le moyen de partager entre plusieurs villes l’avantage d’être chefs-lieux d’administration, qui, sans cela resterait, avec toute l'influence r qui y est attachée, aux seules capitales. — Je rappelle enfin ce que j’ai dit plus haut, du dan-► ger politique d’établir dans notre Constitution actuelle des administrations assez puissantes pour * inquiéter, soit le pouvoir exécutif, soit la législature elle-même. Troisième objection. La division proposée est impraticable par les obstacles physiques qu'elle i rencontrera , et parla résistance de l’opinion; il faudrait d'ailleurs, pour V exécuter , un temps très-y long qui nous manque. Réponse. 1° Si quelqu’un a pu croire que la divi-. sion s’exécuterai t par carrés géométriques parfaits, * qui feraient de la surface du royaume un échiquier; il a dû regarder que les montagnes, les fleuves, les villes existantes, ne permettraient pas en effet de tirer de l’est à Touest de la France, et du nord au midi, des lignes parfaitement droites. Mais puisque l’exécution n’est pas cela, et que les sinuosités nécessaires que le local ou la convenance économique occasionne sont -r observées, et n’empêchent pas la division, cette première partie de l’objection s’évanouit. Il me . semble qu’on ne peut pas résister à l’évidence répandue sur ce point par l’ouvrage intitulé Observations sur le plan du comité, ouvrage essentiel à méditer sur cette matière, et auquel je n’ai pas vu qu’on ait encore entrepris de répondre. � 2° Quant à la résistance d’opinion, c’est d’après l’idée qu’on s’est faite de provinces morcelées, con-fondues, anéanties, c’est sans connaissance de la nécessité politique et des avantages locaux de la restriction des districts, c’est sans la conviction bien acquise que la division adminis-, trative existait déjà en quelques provinces, et pouvait exister partout sans détruire ni le nom, ni l’unité de province, qu’on a supposé ici que � les commettants frappés défavorablement, comme quelques députés l’ont été à la première proposi-> tion du plan, se refuseraient à l’admettre. Mais quand ce plan sera présenté aux provinces sous son vrai point de vue, quand elles le recevront émané de vous, et faisant partie de la Constitution générale et uniforme du royaume, quand enfin elles seront à portée d’en apprécier sainement �les motifs et les effets, ne désespérons pas del’em-pire si puissant de la raison, du patriotisme et de � l’intérêt réel de chaque territoire. Le comité a déjà vu des députés de plusieurs provinces prévenus contre le projet par les objections vulgaires qui ont été faites au premier instant, déposer lre Série, T. IX. leurs préventions lorsqu’ils ont examiné sur la carte le tracé provisoire des divisions de leurs provinces, et conçu d’après leurs connaissances locales la facilité de les perfectionner définitivement. Il en sera de même partout. Au surplus, il ne faut jamais s’effrayer d’entendre fronder d’abord ce qui s’écarte des habitudes anciennes, et des idées communes. Enfin, si les préjugés d’une, de deux ou de trois provinces, devaient l’emporter sur le bien général et démontré de tout le royaume, si les parties ne devaient pas céder raisonnablement au tout, ou si la nation en corps n’avait aucune autorité sur ses membres ; si ceux, enfin, qui concourent par leurs députés à faire les décrets constitutionnels, pouvaient ensuite refuser de s’y soumettre, il n’y a point ici d’association politique, point de Corps législatif, point de régénération à espérer, point de Constitution à faire; disons le mot, nous ne serions point une Assemblée nationale, parce que nous n’aurions pas voulu l’être, et parce qu’après en avoir conquis le titre, contents du mot, nous n’aurions pas voulu prendre l’esprit de la chose, ni en remplir les obligations. 3° A l’égard de l’objection relative à la longueur du temps qu’exigerait l’exécution de la division proposée, le comité a été convaincu qu’il en faudrait un plus long peut-être que la durée de la session actuelle, pour arrêter définitivement l’état de chaque division ; mais il a vu aussi [que pour tendre le plan provisoirement applicable à la première formation des Assemblées administratives, qui seules pourront servir à le perfectionner, il ne faudra pas, à beaucoup près, un temps aussi long. Supposons qu’en conservant les divisions actuelles, vous vous borniez à établir une seule administration en chaque province, certainement vous n’auriez d’acquis que le chef lieu: car tous les citoyens actifs ne pourraient pas se rassembler pour nommer directement les administrateurs ; et les électeurs députés par les paroisses et communautés, ne pourraient pas davantage se réunir. Il faudrait donc former desarrondissements, tant pour les districts d’élection, que pour ceux des administrations subordonnées. Ces arrondissements n’existent point et les divisions judiciaires ne peuvent pas en servir. Les ressorts des bailliages sont si inégaux, et leurs forces politiques respectives si peu connues, qu’en appliquant ces divisions aux élections et à l’administration, la représentation provinciale se trouverait très-défectueuse et très-injustement répartie. Maintenant que, d’après le plan du comité et le travail fait sur la carte, les chefs-Iieuxde chacun des 80 départements soient indiqués, ainsique la démarcation approximative des trente six lieues de leur territoire ; que, dans chaque département, les chefs-lieux des neuf communes soient annoncés de même, avec le secours des députés de chaque province ; que les officiers municipaux du chef-lieu de chaque commune soient chargés de tracer provisoirement leurs arrondissements ; cela va suffire pour la formation des premières assemblées, et ce mouvement, qui n’est pas moins nécessaire en rejetant le plan du comité, qu’en l’admettant, ne prendra pas plus de temps que la distribution intérieure des provinces dans les anciennes divisions. Je finis, Messieurs, par résoudre une difficulté élevée relativement aux provinces d’Etats, et fondée sur l’embarras de terminer après leur division administrative, les affaires communes résultant de leur administration actuelle. Vous 42 658 [Assemblée nationale.J ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [3 novembre 1789.} examinerez d’abord, s’il ne serait pas juste que la nation se chargeât de la partie de leurs dettes contractées au profit du gouvernement ; et quant à la liquidation de ce qui resterait de leurs affaires communes, il y serait pourvu de la manière qui suit. Chacune des nouvelles administrations d’une même province nommerait trois ou quatre députés de son sein, qui se réuniraient, pour former un comité général, au lieu de la séance des Etats actuels. Ce comité, composé de représentants de toutes les parties de la province, serait chargé de la liquidation des affaires communes, et ne s’anéantirait que lorsqu’elles seraient terminées, ou lorsque la division aurait pu s’en faire entre les nouveaux départements. Jusque-là les provinces d’états conservant pour cette partie l’unité de leur administration, ne se trouveraient pas trop brusquement réduites à l’état de désunion absolue ; et pendant la durée de cette position mitoyenne, l’esprit public se fortifierait, l’expérience des avantages des administrations divisées s’acquerrait, l’opinion éclairée et rectifiée finirait bientôt par accélérer la suppression du comité général. J’opine, pour ces raisons, à l’admission de la nouvelle division du royaume en quatre-vingts départements de représentation et d’administration, proposée par le comité. L’Assemblée ordonne que le discours de M.Thou-ret sera imprimé, et qu’il sera distribué à trois exemplaires à chaque député, pour qu’il puisse être médité et communiqué aux provinces respectives. M. Verdet monte à la tribune et prononce une opinion que la faiblesse de la voix de l’orateur ne permet pas d’entendre (1). Messieurs, pendant le courant de la séance du 3 novembre, j’avais obtenu la parole sur la nouvelle division de la France, proposée par le comité de constitution, et j’ai eu à parler sur cet objet après M. Thouret, et immédiatement avant M. de Mirabeau, position assez peu avantageuse pour un homme, dont la voix est faible et d’ailleurs peu connue dans l’Assemblée. En me déclarant contre l’opinion du comité sur la division générale du royaume, j’avais établi succinctement, mais moins éloquemment que ne l’a fait immédiatement après moi M. de Mirabeau, que la division superficielle de la France, proposée par le comité de constitution, était extrêmement défectueuse et ne donnait de base solide, ni pour la représentation nationale, ni pour la répartition du royaume en départements, communes et municipalités. D’après quoi, renonçant au partage de la France par carrés, et n’ayant aucun égard à l’étendue superficielle des divisions, j’avais proposé qu’on partageât la France, en raison de sa population, seule base sûre et équitable. Et, supposant l’exactitude du calcul du comité sur la population de la France , qu’il porte à vingt-six millions d’âmes, et qu’il réduit à quatre millions quatre cent mille citoyens actifs, je proposais de diviser le royaume en sept cent-viiigt grandes communes d’une population à peu près égale, et qui aurait donné six a sept mille citoyens actifs par chaque commune. Dans cette hypothèse, considérantles communes (1) L’opinion de M. Verdet n’est pas mentionnée au Moniteur. Nous la publions telle qu’elle a été imprimée et distribuée. comme les éléments politiques du royaume, je disais qu’on aurait pu d’abord les constituer en arrondissant autour des villes et bourgs, et, à leur défaut autour des grands villages, une population de six à sept mille citoyens actifs ; et, dans ce premier arrangement, on aurait pu avoir égard aux convenances locales, et du terrain et des habitants des lieux qu'on aurait annexés à chaque arrondissement. Ensuite on aurait divisé chaque commune en un certain nombre de muni-cipalitôsà peu près égales en population. J’opinais que le nombre de trois à quatre cents votants ou citoyens actifs suffisait pour constituer les municipalités des campagnes, et ces municipalités auraient occupé un assez grand espace de terrain dans la plus grande partie des provinces de France ; il y aurait eu alors dix-huit municipalités par chaque commune. Cette première opération faite, on aurait réuni, en assemblée provinciale ou administration supérieure, toutes les communes qui se seraient trouvées comprises dans les anciennes limites des provinces; et si quelques-unes d’entre elles avaient senti les inconvénients d’une administration trop étendue, elles auraient pu se partager en plusieurs assemblées administratives principales et indépendantes, qui pourtant auraient pu conserver des liens de confraternité, autant qu’elles l’auraient jugé utile à l’intérêt commun de la province entière (1). De même, si quelques enclaves des provinces limitrophes et mal arrondies avaient gêné l’activité de leurs assemblées administratives supérieures, elles auraient pu convenir d’échanges, d’additions ou de retranchements des communes qui se seraient trouvées placées à leur convenance réciproque. Ces mutations auraient été d’autant plus faciles que, par le régime uniforme que l’Assemblée nationale se propose d'établir dans tout le royaume les communes (à quelques exceptions près) verront qu’il est assez indifférent à leurs véritables intérêts d’appartenir à tel département plutôt qu’à tel autre. Par ce moyen on n’eût point frondé les préjugés des provinces; et cependant on serait parvenu, avec le temps, aux mêmes fins, l’uniformité du régime et un partage plus égal des départements. Un autre avantage de cette hypothèse aurait été d’éviter cette multiplicité d’élections graduelles qui éloignent si fort les derniers élus delà connaissance des premiers commettants qu’ils ne peuvent avoir de véritabie confiance en leurs représentants à l’Assemblée nationale et l’on aurait réformé une méthode qui prête beaucoup à l’intrigue et à la cabale. Dans le plan que je proposais, toutes les communes étant égales en population et aussi à peu près égales en contribution (puisque cette seconde base suit ordinairement la première), chaque commune aurait choisi immédiatement son représentant à l’Assemblée nationale, ainsi que ses délégués à l’assemblée d’administration provinciale. Le reproche d’instabilité qu’ont fait plusieurs membres du comité à tous les systèmes qui ont pour base la population, est injuste et mal fondé. D’abord il est commun à toutes les hypothèses, même à celle du comité qui fonde sa seconde base sur la population, et sa troisième sur la (1) Ainsi la Lorraine, unie depuis longtemps au Bar-rois, pourrait former deux assemblées administratives, l’une à Nancy et l’auire à Bar. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [3 novembre 1789.} contribution qui, d’ordinaire, est une conséquence de la précédente. Puis cette base est-elle aussi mobile qu’on paraît le craindre ? A l’exception des villes et des pays de grandes manufactures, le changement dépopulation ne peut être sensible que par le laps des siècles et cet accident est essentiel à toutes les choses humaines. Les provinces agricoles ne sont point sujettes à ces variations, et certainement elles forment la plus grande partie du royaume. Enlin, on n’imaginera aucun système, qui rPol'fre quelques inconvénients et celui de l’instabilité de la population sera toujours commun à tous. Quant aux grandes vides, on pourrait établir une règle particulière pour la constitution de leurs communes et municipalités. Celles dont la population seraient au-dessous de quarante mille âmes (ce qui ne donne que six a sept mille citoyens actifs) suivraient la règle générale. Mais celles dont la population surpasserait le nombre de quarante mille âmes (et le nombre de ces dernières est assez petit en France), ne fourniraient u’une seule commune qui, suivant qu’elle serait ouble, triple, etc., des communes ordinaires, auraient le double, le triple, etc. de représentants à l’Assemblée nationale et de délégués aux assemblées administratives. Ces grandes villes divises raient leurs quartiers en autant de municipalité-ou districts qu’elles le jugeraient convenableàleur administration intérieure. Dans tous le reste elles suivraient les règles générales. Dans l’hypothèse que j’ai proposée j’ai toujours supposé la France divisée en sept cent vingt communes, nombre qui avait été imaginé par le comité, et qui convenait aux combinaisons des trois bases qu’il avait données. Mais en abandonnant cette base tripartite, rien n’empêcherait d’adopter un autre nombre de divisions élémentaires. Par exemple le nombre des citoyens actifs étant de 4,400, 000, si l’on choisissait Je nombre rond de 5,000 pour former les communes , au lieu de 720,000 il y en aurait alors 880,000 dans tout le royaume. D’autres nombresdonneraient d’autres combinaisonsdont la répartition en fractions décimales présenterait des calculs aussi avantageux que ceux du nombre de neuf ainsi que de ses éléments et de ses composés. Dans le choix d’un des nombres il y aura toujours beaucoup d’arbitraire; mais sans sortir du nombre qui paraît avoir été agréé à l’Assemblée, d’après le choix de son comité', je proposerais en dernière analyse : Que, sans avoir égard à son étendue superficielle, la France soit divisée, à raison de sa population en sept cent vingt communes, qui seront de six à sept mille citoyens actifs, et que, pour centre de chaque commune, l’on choisisse le lieu le plus propre à son arrondissement, suivant les localités; Que chaque commune soit divisée en dix-huit municipalités de trois à quatre cents votants chacune; Que chaque province, conservant ses anciennes limites, réunisse, en une ou plusieurs assemblées administratives supérieures, toutes les communes de son ressort ; Que les députés à l’Assemblée nationale ainsi que les délégués pour les assemblées administratives supérieures soient élus dans chaque commune par les délégués des municipalités; Que dans ce qui n’est point contraire au présent projet, on suive toutes les règles proposées par le comité de Constitution. M. le comte de Mirabeau obtient la parole et 659 présente un plan de division du royaume et un règlement pour son organisation. M. le comte de Mirabeau (1). Messieurs, j’admets une partie des principes du comité de constitution sur l’établissement de la représentation personnelle, et sur la nouvelle organisation du royaume. Certainement il faut changer la division actuelle par provinces, parce qu’après avoir aboli les prétentions et les privilèges, il serait imprudent de laisser une administration qui pourrait offrir des moyens de les réclamer et de les reprendre. 11 le faut encore, parce qu’après avoir détruit l’aristocratie, il ne convient pas de conserver de trop grands départements. L’administration y serait, par cela même, nécessairement concentrée en très-peu de mains, et toute notre administration concentrée devient bientôt aristocratique. Il le faut encore, parce que nos mandats nous font une loi d’établir des municipalités, de créer des administrations provinciales, de remplacer l’ordre judiciaire actuel par un autre, et que l’ancienne division par provinces présente des obstacles sans nombre à cette foule de changements. Mais, en suivant le principe du comité de constitution, en vous offrant même de nouveaux motifs de l’adopter, je suis bien éloigné d’en approuver tontes les conséquences. Je voudrais une division matérielle et de fait, propre aux localités, aux circonstances, et non point une division mathématique, presque idéale, et dont l’exécution paraît impraticable. Je voudrais une division dont l’objet ne fût pas seulement d’établir une représentation proportionnelle, mais de rapprocher l’administration des hommes et des choses, et d’y admettre un plus grand concours de citoyens, ce qui augmenterait sur-le-champ les lumières et les soins, c’est-à-dire la véritable force et la véritable puissance. Enfin je demande une division qui ne paraisse pas, en quelque sorte, une trop grande nouveauté; qui, si j’ose le dire, permette de composer avec les préjugés, et môme avec les erreurs, qui soit également désirée par toutes les provinces, et fondée sur des rapports déjà connus ; qui surtout laisse au peuple le droit d’appeler aux affaires publiques tous les citoyens éclairés qu’il jugera dignes de sa confiance. D’après ces principes, j’ai à vous proposer un plan très-simple dans la théorie, et plus simple encore dans l’exécution. Mais je dois d’abord vous faire quelques observaiious sûr le plan qui vous a été présenté. On vous propose 80 départements, 720 communes, et 6,480 cantons. Pour moi, je ne voudrais ni cantons, ni communes. Au lieu de 80 départements, je voudrais en former 120. En augmentant ainsi le nombre des grandes divisions, il ne serait plus nécessaire d’avoir des communes, que je regarde comme un intermédiaire inutile. On communiquerait directement des villes et des villages au chef-lieu de département, et de chaque département au pouvoir exécutif et à l’Assemblée nationale. 11 me semble qu’il y aurait alors plus d’unité, plus d’ensemble ; que la machine serait moins compliquée ; que ses mouvements seraient tout à la fois plus réguliers et plus (1) Nous publions le discours de M. le comte de Mirabeau d’après les impressions ordonnées par l’Assemblée nationale. Cette version, comparée à celle du Moniteur, présente quelques légères variantes. [Assemblée nationale.] rapides. Mais il se peut que je me trompe, et j’entre dans quelques détails. On vous propose d’abord d’établir 80 départements, de prendre Paris pour centre, de s’étendre de là jusqu’aux frontières du royaume, et de donner à peu près à chaque département, 324 lieues de superficie. Je ne saurais approuver cette division sous aucun de ses rapports. Quatre-vingt départements pourraient suffire si on établissait 720 communes; mais, si l’on rejette cette seconde et cette immense sous-division comme embarrassante et comme inutile, le nombre des départements doit être, par cela seul, augmenté, soit pour rapprocher de plus en plus les représentants des représentés, ce qui doit être le but principal de toute administration, soit pour que les gouvernements, tels qu’ils sont maintenant divisés, ne soient pas seulement coupés en deux, ce qui laisserait subsister des masses encore trop considérables, et ne remplirait plus l’objet d’une nouvelle division ; soit parce qu’eu multipliant les départements , l’on pourra accorder à un plus grand nombre de villes l’avantage d’être chef-fieu, et ouvrir à un plus grand nombre de citoyens la carrière des affaires publiques. Il est inutile de prouver que ces avantages infiniment précieux doivent l’emporter sur le léger inconvénient d’avoir quelques bureaux et quelques agents de plus pour correspondre avec un plus grand nombre de départements. Le but de la société n’est pas que l’administration soit facile, mais qu’elle soit juste et éclairée. La forme de division que l’on voudrait suivre n’est pas moins vicieuse. Eu l’étendant de Paris jusqu’aux frontières, et en formant des divisions à peu près égales en étendue, il arriverait souvent qu’un département serait formé des démembrements de plusieurs provinces ; et je pense que cet inconvénient est des plus graves. Je sais bien qu’on necouperaitnides maisons ni des clochers; mais on diviserait ce qui est encore plus inséparable, on trancherait tous les liens que resserrent depuis si longtemps, les mœurs, les habitudes, les coutumes, les productions et le langage. Dans ce démembrement universel chacun croirait perdre une partie de son existence; et s’il faut en juger par les rapports qui nous viennent des provinces, l’opinion publique n’a point encore assez préparé ce grand changement pour oser le tenter avec succès. L’égalité d’étendue territoriale que l’on voudrait donner aux 80 départements, en les composant chacun à peu près de 324 lieues de superficie, me parait encore une fausse base. Si par ce moyen l’on a voulu rendre les départements égaux, on a choisi précisément la mesure la plus propre à former une inégalité monstrueuse. La même étendue peut être couverte de forêts et de cités ; la même superficie présente tantôt des landes stériles, tantôt des champs fertiles ; ici des montagnes inhabitées, là une population malheureusement trop entassée; et il n’est pas vrai que, dans plusieurs étendues égales, de 324 lieues, les villes, les hameaux et les déserts se compensent. Si c’est pour les hommes et non pour le sol, si c’est pour administrer et non pour défricher qu’il convient de former des départements, c’est une mesure absolument différente qu’il faut prendre. L’égalité d’importance, l’égalité de poids dans la balauce commune, si je puis m’exprimer ainsi, voilà ce qui doit servir de base à la distinction des departements ; or, à cet égard, l’étendue n’est rien, [3 novembre 1789.j et la population est tout. Elle est tout, parce qu’elle est le signe le plus évident ou des subsistances qui représentent le sol, ou des richesses mobilières et de l’industrie qui le remplacent, ou des impôts dont le produit, entre des populations égales, ne peut pas être bien différent. Si de cette partie du plan du comité, je passe à l’établissement de 720 communes, je découvre encore des inconvénients sans nombre. On veut former des communes de six lieues carrées, ou de trente-six lieues de superficie; fixer un chef-lieu à chaque commune ; donner neuf communes à chaque département, neuf cantons à chaque commune, une assemblée primaire à chaque canton, et composer chaque commune d’environ vingt-sept députés, en supposant que tout les cantons aient six centscitoyens actifs et nomment un député sur deux cents. J’observe d’abord que tous les inconvénients que j’ai déjà remarqués sur la mesure de. l’étendue territoriale, prise pour base de la division des départements, se font encore mieux sentir dans la division des communes, parce qu’il est évident que, sur une moindre surface, toutes les causes d’inégalités qui peuvent se trouver entre deux masses égales de territoire, doivent moins facilement se compenser. On trouverait certainement dans le royaume plusieurs divisions de six lieues carrées qui ne présenteraient aucune habitation, aucune trace d’hommes ; on en trouverait qui n’aurait qu’un seul village, d’autres que deux ou trois, d’autres qu’une seule ville beaucoup trop grande pour une commune : comment donc pourrait-on parvenir, je ne dis pas à rendre égaux de pareils districts, mais à les établir, mais à les créer ? Même en supposant que le sol du royaume fût à peu près également peuplé, quelle difficulté ne trouverait-on pas, soit pour choisir des chefs-lieux entre des villages égaux et rivaux l’un de l’autre, soit pour forcer des villages à se réunir à telle commune plutôt qu’à telle autre, soit pour obliger les communautés à renoncer à leur administration, soit pour former cette division géométrique de six cents citoyens par canton, de neuf cantons par commune, et de neuf communes par département ? N’est-on pas déjà assez embarrassé pour former 80 divisions à peu près égales, sans chercher à rendre ce travail insurmontable, comme il le serait certainement, s’il fallait trouver encore 720 autres divisions pour les communes, et 6,480 pour les assemblées primaires ? L’on n’a trouvé d’autre moyen de vaincre ces difficultés que de renvoyer la division à des assemblées locales ; mais la prudence permet-elle d’adopter ce moyen? Toute votre sagesse n’échouerait-elle pas inévitablement contre les contradictions, contre les oppositions sans nombre que vous verriez naître ? le bouleversement que produiraient ces 720 assemblées préalables, formerait bientôt, de tout le royaume, un véria-ble cahos. D’ailleurs, Messieurs, quelle peut-être l’utilité de cette immense complication d’assemblées que l’on exige pour la représentation proportionnelle ? Les véritables mandants ne sont-ils pas dans les villes et villages? Les premières agrégations politiques ne peuvent-elles pas députer d’une manière directe à l’Assemblée des départements, comme les départements à l’Assemblée nationale. Dès lors, qu’est-il besoin d’intermédiaire ? qu’est-il besoin de communes et de cantons ? On dirait que nous rejetons volontairement la simplicité | ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [3 novembre 1789. J 661 des moyens que nous offre l’état réel de la société, pour nous environner de difficultés qui ne sont que notre ouvrage. Les mêmes obstacles se reproduisent, s’il s’agit , de former 6,480 cantuus, de deux lieues carrées. Sur vingt, sur cent divisions pareilles, prises au hasard, dans le royaume, on n’en trouverait pas * la moitié qui pût former un canton, dans le sens qu’on attache à cet mot, c’est-à-dire, qui pût don-► nerlieuàune assemblée primaire de six cents citoyens actifs. Presque partout il faudrait dou-bler'et tripler l’étendue de quatre lieues carrées; presque partout il faudrait réunir plusieurs villages, souvent éloignés les uns des autres , et composer ainsi la même assemblée d’éléments en-> tièrement inégaux. Je loue, j’admire même le courage de ceux que tant de difficultés n’arrêtent point ; pour moi, j’avoue sincèrement qu’elles me paraissent invincibles. Je sens, Messieurs, soit qu’on approuve, soit qu’on rejette l’établissement des communes, qu’il est impossible d’accorder à chaque village, a chaque communauté d’habitants, une députation par-. ticulière à l’assemblée de département. Le nombre des membres qui formeront ces assemblées borne celui des députations. Le nombre des députations 1 une fois fixé, celui des électeurs qui pourront nommer un député, doit être également déterminé par la loi ; et, comme il est impossible que chaque agrégation politique ait ce nombre d’électeurs, c’est, sans doute, ce motif quia porté le comité à diviser le royaume en cantons et en as-v semblées primaires; mais vous verrez bientôt, Messieurs, qu’il se présentera un moyen beaucoup plus i facile. En augmentant le nombre des départements, on augmente, par cela même, celui des députations. Les députations étant plus nombreuses, la masse des électeurs pour chaque député devient beaucoup moindre. Une plus grande quantité, ou plutôt la presque universalité des communau tés peut alors y concourir directement, et un moyen très-naturel � se présente, pour que celles qui n’auraient pas le nombre suffisant d’electeurs puissent participer à la même élection, sans se réunir et sans se dô-: placer; c’est d’accorder un député commun, nommé par des électeurs séparés, aux commu-nauté£ qui ont besoin de réunir leurs suffrages pour avoir droit à une députation. Jusqu’ici, Messieurs, je ne vous ai présenté que des difficultés contre le plan du comité de consti-> tution, et j’aurais bien voulu pouvoir m’en dispenser, par le respect que m’inspirent les inten-► tions et les lumières des honorables membres qui le composent. Je ne puis cependant vous dissimuler une objection encore plus grave : j’avais pensé, j'avais espéré du moins, que la division aue l’on formerait du royaume, pour opérer une représentation proportionnelle, serait propre, tout * à la fois, à rétablissement d’un système uniforme, soit pour la perception des impôts, soit pour le remplacement de l’ordre judiciaire, soit pour l’ad-" ministration publique. C’est principalement à réunir ces différents rapports que je me suis attaché dans le planque je vais soumettre à votre examen. Je ne parlerai, dans cemoment nides impôts, ni de l’ordre judiciaire; mais je considérerai les assemblées de département sous le double rapport d’as-► semblées d’administration et d’assemblées d’élection. Il me semble que ces deux points de vue - doivent être regardés comme inséparables. La théorie du plan que je propose consiste à faire une division qui remplisse les trois conditions suivantes : 1° Que les provinces actuelles soient distribuées en départements , de manière que la totalité du royaume en renferme cent vingt; 2° Que chaque département soit placé dans une ville principale, et que son arrondissement soit tel qu’il puisse facilement se prêter à un système uniforme d’administration pour tout le royaume; 3° Que l’étendue du département et sa position géographique permettent aux députés des villes et des villages qui en feront partie de se rendre facilement au chef-lieu, et qu’ ainsi l’on n’ait besoin que de deux assemblées, soit pour l’administration, soit pour la représentation proportionnelle , savoir : des assemblées de chaque ville et chaque village, et des assemblées de département. L’exécution de ce plan n’est pas moins simple que sa théorie. Ce n’est pas le royaume que je veux faire diviser, mais les provinces; et cela seul fait déjà disparaître une grande partie des difficultés. D’un autre côté, ce n’est point par des surfaces égales, qu’il s’agira de procéder à cette division ; car ce n’est point d’une manière égale que la nature a produit la population, laquelle, à son tour, accumule les richesses. Je demande seulement que ceux qui savent que leur province est dans ce moment un quarantième du royaume, la divisent en trois départements , pour qu’elle n’en soit plus à l’avenir que le cent vingtième; et j’ajoute que cette division doit avoir principalement pour nase des distinctions déjà connues, des rapports déjà existans, et par-dessus tout, l’intérêt des petites agrégations que l’on voudra fondre dans une seule. Cette division exige deux opérations, distinctes l’une de l’autre. La première consiste à déterminer en combien de sections telle et telle province doit être divisée; la seconde, à fixer l’étendue et les limites de chaque section. La première opération ne peut être faite que par un comité que l’on composera d’un député de chaque province. Elle aura pour base des données assez connues; l’étendue géographique, la quantité de population, la quatité d’impositions, la fertilité du sol, la qualité des productions, les ressources de l’industrie. Ainsi, le travail du comité se bornera à établir la règle de proportion suivante: si telle province doit être divisée en tant de sections, en combien de sections faudra-t-il diviser telle autre province, d’après cette donnéegénérale, qu’il s’agit d’avoir environ cent vingt départements ? Le seconde opération ne peut pas être faite par le même comité ; elle exige, au contraire, que l’Assemblée se divise en autant de comités qu’il y a de provinces, et qu’elle ne place danscr.aque comité que les députés de la même province. On sent qu’il sera facile à des personnes qui connaissent la population, les impositions, les ressources et la position géographique de leur pays, de le diviser en autant de sections que le premier comité aura déterminées ; de se prêter à toutes les convenances, à toutes les localités, et d’offrir des divisions partout utiles et partout désirées. Le travail de chacun de ces comités consistera donc à fixer les chef-lieux des différents départements de leur province, à déterminer les villes et les villages qui en feront partie, à faire cette distribution de manière que les départements soient égaux, autant que l’on pourra, non point en étendue territoriale, ce qui serait impossible, ce qui serait même contradictoire, mais en va- [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [3 novembre 1789.] 662 leur foncière, en population, en importance; enfin à établir une division qui facilite l’établissement uniforme, tant pour l’ordre judiciaire que pour la perception des impôts. Le résultat d’un pareille division est facile à prévoir; les départements ne seront formés que parles citoyens de la même province, qui déjà la connaissent, qui déjà sont liés par mille rapports. Le même langage, les mêmes mœurs, les mêmes intérêts ne cesseront pas de les attacher les uns aux autres; des sections connues dans chaque province, et nécessitées par leur administration secondaire, seront convertiesendépartements, soit que le nombre des citoyens y soit assez considérable, soitqu’il faille en réunir plusieurs, pour n’en former plus qu’une seule. Par là l’innovation sera, j’ose le dire, moins tranchante et le rapprochement plus facile; l’attente des ennemis du bien public sera trompée, et la dislocation des provinces, impérieusement exigée par un nouvel ordre de choses, n’excitera plus aucune commotion. Je crois devoir ajouter, Messieurs, pour justifier en quelque sorte mes idées, que j’ai puisé dans l’administration de la province qui m’a fait l’honneur de me députer, et dont le régime intérieur, vanté par plusieurs publicistes, est certainement un des mieux organisés que je connaisse. La Provence a une administration provinciale, ou de prétendus Etats, qui n’ont en quelque sorte que trois fonctions à remplir : voter les impôts, les répartir entre les villes et les villages, et régler quelques détails d’administration. La répartition des impôts est d’autant plus facile dans cette province, qu’elle a été divisée en différents feux, mesure conventionnelle, qui exprime une valeur quelconque; et cette valeur appliquée à chaque ville, à chaque village, a été déterminée, tout à la fois, d’après l’étendue et Ja fertilité de son territoire, d’après le nombre de ses habitants, leur position locale, leur industrie, leurs ressources et les charges auxquelles ils sont soumis. Cette opération des Etats se borne donc à dire : Si l’on divise la province en tant de feux, combien telle ville doit-elle avoir de feux, par rapport à telle autre? Et ensuite si la province doit payer telle somme, combien doit-on payer par feux? Le travail de l’administration pourrait n’être là qu’une simple règle d’arithmétique : mais, calculer est précisément ce que les hommes, même les plus éclairés, savent ie moins. Outre ses Etats, la Provence a tout à la fois des municipalités dans chaque ville et dans chaque village, et des assemblées par district, qu’on appelle vigueries, et qui comprennent une certaine étendue de pays. Les fonctions des municipalités consistent principalement à choisir et à établir des impositions suffisantes pour produire la somme qu’exige la quotité de leur affouagement, opération très-simple, qui rend en quelque sorte l’impôt volontaire, par le choix de ceux qui doivent le supporter. Et qui doute que le seul moyen de parvenir à une égale répartition ne soit de l’opérer de cette manière; non de loin, non par grandes masses, non sur de vagues aperçus, mais de proche en proche, mais par ceux qui, connaissant tous la fortune de leurs voisins et de leurs égaux, ne peuvent pas se tromper, et n’ont plus à craindre ni l’arithmétique ministérielle, ni la balance inégale des commis et des valets des intendants? Les fonctions des assemblées des districts et des ’gueries consistent à régler quelques dépenses 'es, dont les Etats ne s’occupent point, et à d’après l’affouagement respectif de chaque communauté, l’imposition que les dépenses exigent. Le corps entier aide ainsi chacun de ses membres; et chaque partie du tout exerçant des fonctions qu’aucun autre ne pourrait aussi bien remplir, si l’administration entière n’en est pas plus éclairée pour cela, ce n’est pas à la constitution de la Provence, mais aux abus qui la déparent, qu’il faut l’imputer. Ces abus sont universellement connus. D’un côté, presque aucune municipalité n’est élective, et ce vice est commun à tout le royaume. D’un autre côté, les vigueries ou districts sont tellement inégaux, qu’un seul forme presque le quart de la province, et que plusieurs n’en sont pas la quarantième partie. Enfin, chaque village et chaque ville envoient un nombre égal de députés à l’assemblée du district, et chacun de ces districts n’envoyant qu’un seul député aux Etats, il est difficile, sans parler dune foule d’autres vices, que ces assemblées soient plus mal organisées. Mais je suppose maintenant, pour mieux faire juger de mes principes, en prenant une seule province pour exemple, que toutes les communautés de la Provence eussent une municipalité légale , fondée sur ces deux bases invariables : éligibilité de tous les officiers publics, et concours de tous les citoyens à l’élection; que la Provence entière ne fût divisée qu’en trois districts ou départements; que l’administration fût concentrée dans ces trois assemblées; que les Etats fussent supprimés, et que les assemblées de chaque département fussent formés d’un nombre proportionnel de députés envoyés par chaque ville ou par chaque village : n’est-il pas évident qu’une pareille division pourrait servir de base tout à la lois à la représentation personnelle, à l’administration des impôts et à l’ordre judiciaire, et qu’en appliquant le même principe à chaque province, nous trouverions partout facilement cette division qui nous a été présentée, pour ainsi dire, comme un problème, et que nous cherchons à résoudre avec tant d’effort ? Il ne me reste, Messieurs, qu’à vous présenter un projet d’arrêtés relatifs aux principes que je viens d’établir, et à la forme des divisions que je vous propose d’adopter; mais je vous prie de ne pas perdre de vue une observation que je crois importante , c’est qu’il ne faut pas se borner à faire des arrêtés pour fixer la représentation nationale. Des arrêtés feront connaître les principes et les bases d’une division ; mais il est indispensable de s’occuper ensuite d’un règlement général qui exprime toutes les divisions et tous les cas , auquel soit annexé le tableau du royaume, et d’après lequel les assemblées d’administration et la seconde législature puissent se former, sans confusion et sans obstacle, dans l’instant même que vous croirez convenable de déterminer. Si des principes suffisent à quelques hommes, il faut toute la précision et tous les détails d’un règlement pour l’universalité des citoyens. Art. 1er. La France sera divisée en cent vingt départements égaux, autant qu’il sera possible, en population et en importance. L’égalité de population suppose environ trente-six mille citoyens actifs, et deux cent mille individus. La ville de Paris, sortant à cet égard des règles ordinaires, ne fera qu’un département. Art. 2. Quoique l’ancienne division par provinces ne doive plus subsister à l’avenir, l’arrondissement de chaque département sera déterminé de manière qu’il ne comprenne pas des habitants 663 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [3 novembre 1789.] de différentes provinces, à moins qu’il ne s’agisse de quelque fraction considérable. Art. 3. On distinguera dans chaque département deux sortes d’assemblées ; l’assemblée d’administration et l’assemblée d’election pour la représentation nationale. Ces deux sortes d’assemblées seront inégales en nombre, d'après les dispositions des articles suivants. Art. 4. L’assemblée d’administration de chaque département sera formée des députés de chaque ville et de chaque village compris dans ce département, savoir : d’un député sur cinq cents citoyens actifs; de deux sur mille, et ainsi de suite dans la même proportion. Si tous les départements pouvaient être égaux en population, chaque assemblée d’administration serait d’environ soixante-douze députés. Art. 5. On doit entendre par citoyens actifs celui, etc. (Ici je me réfère aux articles proposés par le comité.) Art. 6. Les nombres rompus seront réglés de cette manière : deux cent cinquante et sept cent cinquante équivaudront à cinq cents. Sept cent cinquante-un à mille, et ainsi de suite. Art.’ 7. Les villes et les villages qui n’auront pas le nombre de cinq ce fis citoyens actifs, réuniront leurs suffrages à ceux d’une autre ville ou d’un autre village les plus voisins, pour former le nombre de cinq cents citoyens, et nommeront un député commun sans se "déplacer, ce qui se fera de cette manière. On procédera simultanément dans chaque ville ou village à l’élection du député ; après quoi, les officiers municipaux se rendront respectivement dans le lieu le plus nombreux avec les procès-verbaux d’élection, et déclareront, d’après le calcul des suffrages, quel aura été le député commun. Art. 8. Les villes et les villages auront autant d’assemblées primaires qu’elles auront de fois cinq cents citoyens actifs, en suivant la règle qui a été prescrite sur les nombres rompus dans l’article. 6. Art. 9. Les assemblées d’élection pour chaque département seront formées d’un député sur cent citoyens actifs de chaque ville et de chaque village compris dans le département, de deux députés sur deux cents, de trois sur trois cents, et ainsi de suite. Si tous les départements étaient égaux en population, chaque assemblée serait d’environ trois cent soixante députés. Art. 10. Les villages qui n’auront pas cent citoyens actifs, se réuniront à d’autres villages les plus voisins qui n’auront pas non plus ce nombre de citoyens; et l’élection d'un député commun sera faite dans la forme prescrite par l’article 7. Art. 11. Les*nombres rompus seront réglés de cette manière : cinquante et cent quarante-neuf équivaudront à cent cinquante ; et deux cent quarante-neuf équivaudront à deux cents, et ainsi de suite. Art. 12. Les assemblées des villes et des villages ne pourront pas être de plus de cinq cents citoyens : s’il s’en trouve un plus grand nombre, on suivra la règle prescrite par l’article 8. Art. 13. L’Assemblée nationale sera formée de 720 députés, et par conséquent de dix députés par département , en supposant que tous les département fussent parfaitement égaux. Art. 14t. L’assemblée d’élection de chaque département nommera trois députés à raison de sa qualité de département; ce qui forme 360 députés. La même assemblée aura ensuite autant de députés qu’elle réunira de trois cents soixantièmes de la population totale du royaume; ce qui suppose un député sur environ douze mille citoyens actifs. Art. 15. Les nombres rompus seront réglés de la manière suivante: six mille un, et dix-sept mille neuf cent quatre-vingt-dix-neuf, équivaudront à douze mille. Art. 16. Attendu que la population des villes et des villages n’est pas encore parfaitement connue, il se tiendra d’abord une première assemblée d’administration dans chaque département , laquelle sera composée, non-seulement d’un député de chaque ville et de chaque village sur cinq cents citoyens actifs, mais d’un député de tous les villages qui n’auront pas ce nombre de citoyens. Les députés porteront un relevé très-exact des citoyens actifs de leur communauté, et sur ce tableau, l’Assemblée fixera le nombre de députés que chaque communauté aura le droit d’envoyer à la prochaine Assemblée. Elle déterminera en même temps quels seront les villages et les villes qui n’auront qu’un député commun, et qui seront dans le cas de réunir leurs suffrages. Il est inutile, Messieurs, que je fasse aucune observation sur ces differents arrêtés. Ils sont fondés sur des principes aussi simples que leurs résultats. Les 120 départements seraient chacun de 36,000 citoyens actifs, c’est-à-dire, d’pnviron 200,000 âmes. Cette population est sans doute assez nombreuse pour exiger une administration séparée. Les assemblées de département qui ne seraient composées que de soixante-douze citoyens lorsqu’il ne s’agirait que de simples objets d’administration, seraient formées d’environ trois cents soixante députés lorsqu’il faudrait s’occuper d'un objet aussi important que la nomination de la législature. C’est alors qu’il convient, si l’on ne veut pas se tromper, de mutipl er les organes de la volonté publique. Un droit plus sacré, un droit, en quelque sorte, plus incessible, exige un concours plus individuel : or, d’après mon système, la totalité du royaume aurait environ quarante-trois mille électeurs définitifs et sans intermédiaires. D’un autre côté, vous ne sauriez sans doute regarder comme une chose indifférente d’établir une députation aussi directe qu’il est possible. Le droit de choisir son représentant par soi-même diffère si essentiellement du droit de déléguer ce choix à un autre, qu’il importe de supprimer toutes les filières qui permettent de détourner le choix des premiers mandants, fournissent par cela même mille moyens de corruption, et détruisent toute confiance. Enfin, Messieurs, si j’accorde la moitié de la députation à la seuleqbalité de département, c’est qu’il est presque impossibleque les départements, s’ils sont faits avec quelque soin, n’aient pas entre eux une certaine égalité d’importance; y eût-il quelque inégalité, elle serait suffisamment corrigée en réglant l’autre moitié de la députation d’après la population proportionnelle de chaque département. Et si je n’ai aucun égard à la différence des impositions, c’est que, dût-on espéreren connaître parfaitement les rapports (ce que je crois impossible pendant quelques années) , l’égalité rigoureuse de population, jointe à l’égalité présumée d’importance, ne permet pas de supposer entre deux départements une différence sensible dans le produit des impôts. Un grand nombre de membres demandent l’im- [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [3 novembre 1789.] 664 pression et la distribution du plan proposé par j M. le comte de Mirabeau. j M. le Président consulte l’Assemblée, qui ordonne l’impression et la distribution. A deux heures, la discussion est interrompue suivant l’usage, et renvoyée au lendemain. M. le chevalier Alexandre de Lameth demande la parole pour faire une motion importante dans les circonstances actuelles, et propose à l’Assemblée de prononcer que tous les parlements du royaume resteront en vacance, et que les chambres des vacations continueront leurs fonctions jusqu’à ce qu'il ait été autrement statué à cet égard. M. le chevalier Alexandre de Lametlt. Ce n’est pas pour un objet étranger aux importantes et pressantes questions que vous agitez maintenant, Messieurs, que j’ai osé réclamer en ce moment votre attention ; je suis pénétré, au contraire, de l’instante nécessité de la diriger tout entière vers les moyens de mettre en exécution la Constitution que votre sagesse prépare à la France, et de donner au pouvoir exécutif toute l’énergie dont il a besoin pour maintenir cette Constitution, et assurer par elle la liberté et le bonheur de la nation. Je pense comme vous, Messieurs, qu’il n’est pas de moyen plus sur ni plus efficace pour arriver à ce but que d’organiser le plus tôt possible les assemblées municipales et provinciales, et c’est dans cette vue que j’ai cru devoir vous proposer d’écarter tous les obstacles qui pourraient nuire à leur établissement. Vous n’avez pas oublié, Messieurs , quelles difficultés éprouvèrent dès leur naissance ces sages institutions, de la part de plusieurs parlements du royaume. Vous n’ignorez pas quelles sont en ce moment les dispositions de quelques-unes de ces cours; de quel œil elles voient l’établissement de la Constitution, quels regrets elles manifestent de voir s’évanouir de si longues jouissances et de si hautes prétentions, üe quel danger ne serait-il donc pas de leur laisser reprendre en ce moment une activité qu’elles pourraient opposer à l’établissement des assemblées administratives 1 II n’est personne parmi vous, Messieurs, qui n’ait senti la nécessité d’établir un nouvel ordre judiciaire, et qui n’ait approuvé, parmi les dispositions qui vous étaient présentées par notre premier comité de Constitution, celles qui substituent à ces grands corps politiques des tribunaux plus près du peuple et bornés à la seule administration de la justice. Ce n’est pas, Messieurs, que je veuille anticiper sur l’ordre de vos travaux, et vous proposer de prononcer d’une manière absolue sur le sort des parlements; mais je pense qu’il est une mesure importante à prendre à leur égard, et que vous ne sauriez arrêter trop tôt, puisqu’il ne reste précisément que le temps nécessaire pour son exécution : c’est de retenir ces cours en vacances, et de laisser aux chambres des vacations le soin de pourvoir aux objets les plus pressants de l’administration de la justice. Je n’ai point oublié, Messieurs, les importants services que nous ont rendus les parlements. Je sais que si, dans l’origine, la puissance royale leur a dû son agrandissement, on les a vus depuis, dans plus d’une occasion, lui prescrire des limites, et souvent combattre avec énergie, et presque toujours avec succès, les efforts du despotisme ministériel; je sais qu’on les a vus, lorsque l’autorité l’emportait, soutenir avec fermeté des persécutions obtenues par leur courage; je sais que, daus ces derniers temps surtout, iis ont repoussé avec force les coupables projets qui devaient anéantir entièrement notre liberté. Mais la reconnaissance, qui, dans les hommes privés, peut aller jusqu’à sacrifier ses intérêts, ne saurait autoriser les représentants de la nation à compromettre ceux qui leur sont confiés; et nous ne pouvons nous le dissimuler, Messieurs, tant que les parlements conserveront leur ancienne existence, les amis de la liberté ne seront pas sans crainte, et ses ennemis sans espérance. La Constitution ne sera pas solidement établie tant qu’il existera auprès des Assemblées nationales des corps rivaux de sa puissance, accoutumés longtemps à se regarder comme les représentants de la nation, si redoutables par l’influence du pouvoir judiciaire; des corps dont la savante tactique a su tourner tous les événements à l’accroissement de leur puissance, qui sans cesse seraient occupés à épier nos démarches, à aggraver nos fautes, à profiter de nos négligences, et attendre le moment favorable pour s’élever sur nos débris. Non, Messieurs, il n’est pas à craindre que la meme Assemblée qui a fixé les droits du trône, qui a prononcé la destruction des ordres, qui ne laissera aux nobles d’autres privilèges que la mémoire des services de leurs ancêtres, et aux ecclésiastiques que la considération attachée à leurs honorables fonctions ; que l’Assemblée qui a fondé la liberté sur l’égalité civile et politique, et sur la destruction des aristocraties de toute espèce, puisse jamais consentir à laisser subsister des corps, jadis utiles, mais aujourd’hui incompatibles avec la Constitution. Au reste, Messieurs, en renvoyant la question au fond au moment où vous statuerez définitivement sur le pouvoir judiciaire, je me borne en cet instant à vous proposer un arrêté qui ordonne que les parlements resteront en vacances. M. Target ( l). Lorsqu’il n’y avait point de nation, ou lorsque les anciens ordres rassemblés s’avilissaient au point de faire des doléances, au lieu de s’unir en un corps de citoyens pour dicter des lois, la puissance absolue aurait tout englouti et la servitude aurait établi son séjour éternel dans le plus beau pays du monde, si une entreprise heureuse des parlements n’avait pas conservé les droits de la nation en paraissant les usurper ..... Cet état de choses fut un bien en ce qu’il apprit à l’autorité qu’elle ne pouvait pas tout ; c’était un mal, en ce que, diminuant les abus, il éloignait les vrais remèdes. Les parlements, il ne faut pas l’oublier, ont déclaré leur incompétence sur les impôts, et ils ont demandé la convocation des Etats généraux; peut-être n’est-il pas donné aux corps moins éclairés et plus formalistes que les nations, de s’élever au-dessus des préjugés... Ils n’ont pas vu que la puissance législative appartient aux citoyens; que les ordres sont des intérêts particuliers qui divisent l’empire, et qu’au lieu des Etats généraux de 1614, il fallait ce que nous avons, une Assemblée nationale; le temps est arrivé, la révolution est faite, la nation a repris ses droits pour toujours. L’Assemblée nationale sera permanente; il n’y aura plus de lois que celles qu’elle aura faites ; l’obéissance la plus prompte leur est due ; les délais, qui furent une ressource, seraient aujourd’hui des crimes; il y avait des espèces de tribuns, il n’y a (1) Le Moniteur se borne à mentionner le diseours de M. Target.