40 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE Comité de Division. Citoyens, Gay-Vernon, Gleizal, Hourier-Éloy; Suppléons , Salleles, Gaston, Michel (du Morbihan), Audrein (107). [Résultat du dépouillement du scrutin pour le comité de Division, fait le 18 brumaire an III de la République française une et indivisible pour le complément duquel il faut trois membres .] (108) Gay-Vernon a réuni 52 voix Hourier-Éloy 50 Gleizal 46 qui sont les membres nommés par la pluralité des suffrages, les quatre suppléans sont Salleles, Gaston, Michel (du Morbihan), Audrein. Fait et relevé le 19 brumaire an 3e. Sallengros, Boyaval, Bernard (des Sablons), Monnel. 47 Sur les observations d’un membre [BEF-FROY], la Convention nationale renvoie à son comité de Salut public l’examen des mesures convenables pour que les citoyens n’éprouvent aucun retard dans le paiement des objets mis en réquisition entre leurs mains et pour que les objets requis n’y restent pas assez longtemps pour les priver de leur valeur et les empêcher de subsister pendant qu’ils ne peuvent en disposer (109). 48 Un membre [JOHANNOT], au nom des comités de Salut public, des Finances, de Commerce et approvisionnemens, fait un rapport et présente un projet de décret, tendant à la levée du séquestre mis sur les biens des étrangers avec lesquels la République est en guerre (110). [JOHANNOT] (111) : Vos comités de Salut public, de Commerce et des Finances réunis, (107) P.-V., XLIX, 101-102. Débats, n°778, 711-712. (108) C 323, pl. 1369, p. 17. (109) P.-V., XLIX, 102. C 323, pl. 1369, p. 19, minute de la main de Beffroy, rapporteur, selon C* II 21, p. 24. Moniteur, XXII, 471, fait de ce texte le XXIIe article du décret sur les réquisitions. Voir ci-dessus Arch. Pari., n°42. (110) P.-V., XLIX, 102. (111) Débats, n°777, 700. Nous suivrons pour ce texte le Moniteur, XXII, 463-465, qui n’indique pas néanmoins le nom de l’intervenant. F. de la Républ., n°50; M.U., XLV, 317 ; Ann. R. F., n°48; Ann. Patr., n°678; C. Eg., n°813; J. Fr., n°775; Mess. Soir, n°814; J. Perlet, n° 777 ; Gazette Fr., n° 1043 ; Rép., n°50; J. Univ., n°1809 et 1811; J. Mont., n°28. s’occupent sans cesse de remplir les vues bienfaisantes que vous avez manifestées pour la régénération du commerce; ils sont forcés quelquefois de jeter les yeux sur le passé, pour marcher d’un pas plus ferme dans l’avenir; ils rassemblent les leçons de l’expérience, et s’éclairent également par tout ce que le génie de la liberté a fait de mémorable, et même par les fautes qu’il n’a pu éviter dans ses premières entreprises. La Convention a, dans un si court espace de temps, achevé de si grandes choses qu’elle peut avouer quelques erreurs. Il est digne d’elle, sans doute, de marquer avec courage, de la hauteur où elle s’est placée, les écueils contre lesquels sa prudence a pu échouer dans une carrière aussi brillante et aussi orageuse. Avant que vos comités vous présentent un ensemble de mesures propres à vivifier le commerce, ils vous proposent d’en adopter une qui devient plus pressante et plus nécessaire de jour en jour, et sans laquelle toutes les autres seraient inutiles. Elle plaira surtout aux coeurs droits et aux esprits élevés. Ce double caractère doit être celui du législateur, et nous sommes sûrs d’intéresser vivement la Convention en la rappelant aux principes de l’équité la plus rigoureuse et de la politique la plus magnanime. Vous aviez ordonné par un décret le séquestre des biens des sujets des puissances avec lesquelles nous sommes en guerre. Vos comités de Commerce et des Finances, prévoyant les funestes effets de ce décret, vous engagèrent à le rapporter. Sur une pétition, et sans rapport préalable, ce décret fut de nouveau surpris à votre sagesse. Les circonstances où la Convention se trouvait alors placée hâtèrent sans doute cette décision. L’Espagne avait prononcé la première le séquestre des biens des Français, et, dans un juste mouvement d’indignation, vous crûtes devoir user de représailles. Qu’on ne reproche donc point à la nation française d’avoir commencé cette violation de la foi publique. Cet exemple fut donné par une cour, et c’est une des raisons qui doivent nous empêcher de le suivre. Aujourd’hui on vient vous prouver que ce décret a causé une partie des maux auxquels vous cherchez des remèdes, et qu’il ne peut exister avec lui ni commerce, ni relations extérieures. Traçons-en rapidement les conséquences politiques, morales et commerciales; elles sont toutes également désastreuses. Quelle doit être la politique de la France? de frapper les rois de terreur, et de gagner les peuples par la confiance, la franchise et la loyauté. L’idée de sa justice doit se mêler toujours à celle de sa puissance. Qu’elle laisse les ministres d’une cour appauvrie et corrompue chercher des ressources d’un moment dans un déshonneur éternel. Elle sait que la politique des nations libres se compose des plus purs éléments de la morale. Tout ce qui corrompt la morale est anti-républicain. Tout ce qui est injuste est bientôt nuisible. SÉANCE DU 19 BRUMAIRE AN III (9 NOVEMBRE 1794) - N» 48 41 Ces vérités, qui ne sont pas moins applicables aux gouvernements qu’aux particuliers, ne peuvent être trop proclamées à cette tribune. Elles sont fondées sur tous les résultats de l’expérience des siècles, et la question qu’on traite ici les confirme encore. Sans doute les nations en guerre peuvent suspendre les engagements contractés d’État à Etat ; mais peut-on rompre les transactions d’individu à individu, les engagements qui doivent être sacrés entre commerçants, sans violer tous les principes, sans même rendre impossible le rétablissement de toute espèce de commerce? Il est un sentiment du juste et de l’injuste qui est dans le coeur des hommes de bien ; ceux-ci se regarderont-ils libérés de leurs engagements ? n’aimeront-ils pas mieux supporter tout le poids de votre décret que d’être infidèles à leurs transactions? On dira qu’il fallait bien interrompre tout commerce avec nos ennemis ; mais ce n’est pas votre séquestre qui a opéré cette rupture commerciale ; la position des armées seule empêche ce commerce direct. C’est toujours par l’intermédiaire des puissances neutres qu’en temps de guerre les relations commerciales ont pu subsister; votre intention n’était pas sans doute de les détruire, et c’est là pourtant le résultat de votre décret. Si votre décret était maintenu comme l’irne des maximes de votre gouvernement, les neutres n’envisageraient qu’avec défiance une nation qui donnerait cette atteinte au premier principe du commerce fondé sur la bonne foi. Une rupture avec nous est pour eux au nombre des événements possibles, et par conséquent ils ne feraient aucune avance à des Français, dans la crainte de se voir frappés de la même mesure; de lâ naîtrait une grande difficulté dans les échanges et l’impossibilité de rétablir un commerce qui ne peut exister sans crédit. Les neutres ne nous cèdent aucuns approvi-sionnemens sans tenir par avance des contre-valeurs; déjà même il en est qui exigent des garanties pour sûreté de leurs transactions, et vôtre décret arrête les affections généreuses des peuples que la liberté nous a donnés pour premiers amis. Si de ces hautes considérations nous descendons à de plus particulières, les injustices et les abus ne sont pas moins frappants. Nous avons vu que la morale et la politique improuvaient à la fois le décret dont on demande la révocation; nous allons démontrer qu’il fut et qu’il est encore un des plus grands fléaux du commerce. Ce décret en a nécessité un autre qui, quoique destiné à tempérer la rigueur du premier, a cependant excité de toutes parts les plus vives et les plus justes réclamations. Les fonds séquestrés entre les mains des particuliers étaient garantis par la nation; vous transformâtes ce séquestre en dépôt, et, pour pourvoir à la sûreté du dépôt, vous en ordonnâtes le versement à la Trésorerie nationale; il en est résulté cependant des vexations inévitables que vous ne pouvez permettre plus longtemps. Remarquons surtout quel a été le résultat de ce versement. Vous avez en dépôt pour environ 25 millions, valeur assignats, et l’on évalue ce que l’on vous a saisi au delà de 100 millions, valeur dans l’étranger. On pourrait insister avec avantage sur la perte immense qui en est résultée pour nous, et rien ne prouverait mieux la solidité des assertions précédentes ; mais on répondra sans doute que, si on lève le séquestre, les étrangers n’en garderont pas moins ce qu’ils ont saisi. Eh bien, plaçons-nous dans la position la plus défavorable. Partons de la supposition que les étrangers ne lèveront pas le séquestre; en devons-nous moins reconnaître les principes généraux qui servent de base à la foi publique ? Des peuples anciens les ont professés quelquefois contre leur propre avantage, tant le génie de la liberté élevait alors les âmes! ici ces grands sacrifices ne sont pas nécessaires; l’intérêt, d’accord avec la probité, nous dit : soyez justes envers les autres pour être utiles à vous mêmes. Daignez vous mettre un moment à la place des négociants paralysés par ce décret ; il pèse encore sur eux, et cependant vous désirez leur rendre l’activité qu’ils ont perdue. Peuvent-ils continuer leurs affaires quand ils sont exposés à voir saisir par leurs créanciers étrangers les valeurs qu’ils pourraient avoir en pays neutre ? Ajoutez à ce danger les difficultés sans nombre occasionnées par le décret qui ordonne le dépôt des sommes séquestrées à la Trésorerie nationale. Vous forcez les particuliers à payer, tandis qu’ils obtenaient des délais de leurs créanciers. Vous les forcez à payer à un change onéreux, tandis qu’ils attendaient une époque plus favorable pour se libérer. Vous n’avez admis à la compensation que les fabricants seulement, tandis que la justice est une, et doit être applicable à tous. Est-il juste, par exemple, que l’on refuse la compensation à un Français quelconque, qui doit en Espagne, et à qui il est dû en Allemagne? Est-il juste (et cette observation est de la plus haute importance) qu’un citoyen qui, au lieu d’avoir fait passer ses fonds dans l’étranger, est resté débiteur à l’étranger, soit précisément celui qui se trouve puni de sa confiance dans la révolution? Est-il juste qu’un citoyen que vous avez forcé de donner du papier sur l’étranger, en lui remboursant en assignats au pair, c’est à dire 2400 L pour 100 livres sterling, soit obligé de verser à la Trésorerie, pour 100 livres sterling qu’il doit à l’étranger, 7 023 L, au change de 10 pour 100? Est-il juste que, quand la Trésorerie paie, elle donne 2 400 L, tandis qu’elle exige 7 023 L pour le même objet qui doit être déposé? Que sont dans la balance, près de tant d’inconvénients, les 25 millions de dépôt que vous a procurés ce décret? Observons même que, sur ces 25 millions déposés, se trouvent de fortes parties de pro- 42 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE priétés belges. Déjà arrivent les plaintes des principales villes de la Belgique. Elles réclament le respect promis à leurs propriétés par les représentants du peuple envoyés dans cette contrée. Sans doute vous écouterez leurs réclamations, comme vous avez écouté celles des villes hanséatiques, et vous ne vous priverez pas, en prolongeant le séquestre de leurs biens, des ressources immenses que vous présentent le commerce et les ateliers de ce pays manufacturier. Des Belges avaient acquis des biens en France, et ils sont séquestrés. Quels autres individus des nations neutres, après cet exemple, seront tentés d’en acquérir? Votre sagesse n’a pas besoin d’en entendre davantage. Elle voit que les avantages du décret sont tous illusoires, et que les maux qu’il a causés sont réels et profonds. C’est ce décret qui a entraîné les réquisitions de papier sur l’étranger, les arrêtés impolitiques sur les exportations et importations, et tous ceux qui, en entravant les moyens d’échange, nous conduisaient à l’épuisement. Ce sont les mesures nécessitées par ce décret qui ont fait exporter votre numéraire, et qui ont forcé la commission de Commerce et approvisionnements d’employer des ressources ruineuses pour acquitter ce qu’elle tirait de l’étranger. C’est ce décret et toutes les mesures qui en ont été la suite qui vous ont fait travailler vous-mêmes à avilir le change dans l’étranger, à discréditer vos assignats, à détruire la confiance, et à ruiner ainsi le commerce. C’est ce décret enfin qui vous a conduits à faire vous-mêmes tout ce qu’auraient pu faire vos plus cruels ennemis, c’est à dire à augmenter tous nos besoins en diminuant tous les moyens d’y pourvoir. Peut-être répandra-t-on des alarmes nouvelles en faisant retentir le mot d’agiotage. Sans doute il est un agiotage scandaleux que la loi peut et doit réprimer; mais ne tombons pas dans l’excès contraire. Quand la tyrannie paraît, le commerce fuit; il ne prospère que là où l’indépendance et la sûreté l’appellent. Tous les motifs réunis s’élèvent donc contre ce décret. Sans le crédit il n’y a point de commerce, et vous le frappiez ainsi dans ses premières bases. Lorsque, dans un mouvement sublime, vous avez décrété la République, vous avez en quelque sorte promis au monde entier l’exemple de toutes les vertus, essence du gouvernement républicain. Il ne faut pas, en entrant dans la carrière, imiter les calculs de la fausse et coupable politique des rois. Que les peuples qui redoutent le plus vos armes se confient à votre parole, et que votre loyauté fasse des conquêtes dans les lieux où vos forces ne peuvent atteindre. D’ailleurs, nous l’avons prouvé, la France, en maintenant ce décret, attenterait à sa propre dignité en pure perte pour ses intérêts ; et, en cédant à des inspirations plus élevées, elle recueille des avantages certains de la justice. En effet, les 25 millions mis en dépôt à la Trésorerie seront bientôt réduits à 16 par les réclamations des Belges. Quoi ! pour la jouissance momentanée d’une si faible somme, devons-nous exposer aux reproches de toutes les villes commerçantes de l’Europe la renommée de la nation française? Persisterons-nous à détruire tous les moyens de crédit et d’échange que nous offriront les peuples neutres, dès que nous aurons fait renaître leur confiance? N’est-il pas temps enfin de donner au commerce plus que des espérances, et de réaliser les plans de régénération que lui ont fait attendre vos promesses? Quel plus beau moment pour réparer une erreur que celui où l’on ne peut vous taxer de faiblesse ? Vos armes sont victorieuses de toutes parts ; c’est quand vous faites trembler tous les tyrans par votre courage que vous devez rassurer tous les peuples par votre justice. Que rien ne manque à des triomphes si mémorables et si inouïs, et que la plus brave des nations prouve au monde entier qu’elle est aussi la plus équitable et la plus généreuse. Vos comités réunis vous proposent le projet de décret suivant : La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de ses comités de Salut public, de Commerce et des Finances réunis décrète : Article premier. - Il ne sera plus donné de suite aux décrets relatifs au séquestre des biens de sujet des puissances avec lesquelles nous sommes en guerre. Art. II. - Les sommes versées à la Trésorerie nationale en conséquence de ces décrets seront remboursées à ceux qui ont fait le dépôt. On demande l’impression et l’ajournement. Plusieurs membres s’y opposent. Plusieurs membres obtiennent successivement la parole sur cet objet : les uns demandent la question préalable sur le projet de décret, d’autres en demandent l’impression et l’ajournement. Un membre, en combattant le projet, pense néanmoins qu’il seroit de la justice de la nation de lever le séquestre pour les habitans des pays où nos armées sont entrées et qui sont sous notre puissance. Un autre membre est d’avis qu’on pourroit adopter la partie du décret, qui consiste à accorder des primes aux négocians. Après d’assez longs débats, la Convention décrète, la question préalable sur le projet de décret et renvoie aux comités réunis l’examen des autres propositions (112). MONNOT : Je demande aussi l’impression et l’ajournement du projet de décret qui vous est proposé. Au comité des Finances, lorsque ce projet de décret fut soumis à l’examen, on en (112) P.-V., XLIX, 102. Cambon, rapporteur selon C* II 21, p. 25.