130 [Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. l/n'”erabre iV par la poste anonymement à des imprimeurs; par ce moyen je satisfaisais mon goût et le devoir que je m’étais imposé d’être utile à mes semblables, ne sachant que lire et écrire. Dès ma plus tendre jeunesse j’étais républi¬ cain dans le cœur; je le suis de droit et de fait maintenant, je mourrai comme j’ai vécu. Je puis enfin écrire et avouer ce que j’eus la hardiesse de prononcer au café de Procope à l’âge de 17 ans, en présence des Voltaire, Piron, etc : Oui, je voudrais que les boyaux du dernier des prêtres pussent étrangler le dernier des rois. C’était mon premier sentiment et je déclare par cet acte authentique que ce sera mon dernier. Je me serais cru trop heureux le 10 août dernier, si j’eusse expiré au pied de l’autel de la patrie ! J’ai ramassé toutes mes forces Ihysiques pour aller déposer de la part de ma ïection, l’acte de son acceptation de la nou¬ velle Constitution. Je me suis traîné à l’aide d’un bras et d’un bâton que le président Hé¬ rault me permit de prendre, m’étant trouvé mal à la place de la Bastille, je crus trouver mon tombeau sur le lieu même où je suis né : singulier jeu de la nature. Je donne ma montre d’or à répétition avec la chaîne à celui qui me l’a volée en feignant de me secourir : il était sans doute dans la misère, et mon intention était de la vendre comme superflu pour m’en aider dans mes besoins. Je ne la regrette pas, puisqu’elle a été utile à un de mes frères. Le soir de la cérémonie, je n’eus que le temps de me mettre au lit avec une fièvre ardente qui ne m’a pas tué après 30 jours de perma¬ nence et la nature m’a réservé le plaisir de voir le fanatisme écra,sé et les hommes rendus enfin à la vérité et à la raison éternelle puisque la déprêtrisation est à V or dre du jour. Je déclare que si je n’ai point envoyé à la Convention mon extrait baptistaire, mes lettres de docteur, d’avocat, de prêtrise, brevets royaux et autres sottises de ce genre, c’est que je les avais brûlés dès le commencement de la sublime Révolution, que je désirais et pré¬ voyais depuis longtemps. Je déclare en outre, pour prouver l’horreur que j’avais pour toutes les fonctions sacerdo¬ tales, que le jour de l’élection d’un évêque dans le département de la Dordogne, ayant appris que plusieurs électeurs me croyant sans doute des vertus au moins humaines, me don¬ naient leurs voix pour l’épiscopat; je m’em¬ pressai de porter sur-le-champ une lettre sur le bureau de l’assemblée, remise au citoyen Lafustière, secrétaire, pour être lue à l’ou¬ verture de la séance, par laquelle j’attestais naïvement que pour être élu il fallait d’abord être chrétien et que je n’avais pas cet honneur, ce que Lafustière, secrétaire, et Pontard, qui. fut promu à cette prétendue dignité, peuvent certifier. Voilà le vrai. Je ne sais pas encore la forme des testaments, mais comme je ne serai peut-être pas en vie dans une minute, je me presse d’écrire mes dernières volontés et d’en envoyer l’original à la Convention pour y attacher une sanction respectable, les dépôts chez les notaires étant incertains. Je déclare donc que, n’ayant que des colla¬ téraux pour recueillir ma très modique dé¬ pouille, je désire que la loi accorde tout ce qu’elle pourra me permettre de disposer en faveur de Thérèse Villardin, fille majeure, âgée de cinquante-deux ans, native de Ne ver s, habitant de présent avec moi, qui depuis longtemps m’a rendu les soins les plus essen¬ tiels, dignes de la piété filiale, et dont j’ai consommé le peu de fortune qu’elle avait, tans l’espoir de l’en dédommager en la faisant mon héritière par un testament clos il y a dix ans, dans le temps où j’avais un bien-être qui me permettait de lui laisser du pain. Je déclare en outre que, si la loi me permet de l’adopter, je l’adopte comme mon enfant unique, étant presque septuagénaire et n’ayant que ce moyen de lui prouver ma reconnaissance. Je crains de mourir avec la douleur de ne pouvoir réparer les pertes que je lui ai occa¬ sionnées. Quoi qu’il en soit, je recommande sur ce qu’il y a de plus sacré de faire brûler tous mes papiers et paperasses qui ne serviraient. qu’à faire des frais d’inventaire inutiles, et à tourmenter ma compagne, que je suppose devoir l’être assez de ma perte. Lorsque mon existence se réunira à ses principes, je désire être enterré comme je suis venu au monde, en vrai sans-culotte, et sur¬ tout que la putréfaction de mon corps soit éloignée des vivants; je ne les ai que trop infectés pendant ma vie, il est inutile de prier ou faire prier pour moi. Voulant et entendant (selon le vieux style) qu’au cas que les présentes dispositions de ma dernière volonté ne pourraient valoir comme testament, elles vaillent comme codicille, do¬ nation ou autre meilleure forme de droit après mon décès, déclarant que le présent a été écrit de ma main sur une feuille de papier timbré qui contient trois pages et demie, au bas de chacune desquelles j’ai signé de mon seing ordinaire, et après avoir lu, j’ai vu qu’il contient ma dernière volonté. Fait à Périgueux, département de la Dordo¬ gne, le vingt-quatre brumaire de l’an deuxième de la République française, une et indivisible. Blondez, citoyen prolétaire. V. LETTRE DE LAVOISIER� 1). Lavoisier à la Convention nationale (2). « Représentants du peuple, « Lavoisier, de la ci-devant académie des sciences, a quitté la ferme générale il y a environ trois ans, appelé à cette époque à la place de commissaire de la trésorerie nationale; il a prin¬ cipalement contribué à en former l’ organisation;. il est maintenant commissaire national des poids (1) La lettre de Lavoisier n’est pas mentionnée au procès-verbal de la séance du 5 frimaire an II; mais en marge de l’original qui existe aux Archives nationales on lit l’indication suivante : « Renvoyé au comité d’instruction publique, le 5 frimaire anll Frécine, secrétaire. » (2) Archives nationales, carton F” 1006, dossier 1149. J. Guillaume : Procès-verbaux du comité d'ins¬ truction publique de la Convention nationale, t. 3, p. 19. [Convention nationale.] et mesures et membre du bureau de consulta¬ tion des Arts et Métiers. « Il est de notoriété publique qu’il ne s’est jamais mêlé des affaires générales de la ferme, qui étaient conduites par un comité peu nom¬ breux nommé par le ministre, et d’ailleurs les ouvrages qu’il a publiés attestent qu’il s’est toujours occupé principalement de sciences. « Il n’est point du nombre des commissaires qui ont été nommés, en exécution des décrets pour la reddition des comptes de la ferme géné¬ rale; on ne peut donc le rendre responsable du retard qu’on reproche à cette commission. D’après cela, il ne croit pas qu’il puisse être com¬ pris dans la loi qui ordonne que les fermiers gé¬ néraux seront mis en état d’arrestation jusqu’à la reddition de leurs comptes. Dans le doute, il prie la Convention nationale de lui faire con¬ naître si son intention est qu’il s’occupe des comptes de la ferme générale, travail auquel il se croit peu propre, ou, s’il doit continuer à remplir ses fonctions dans la commission des poids et mesures pour laquelle il a travaillé jus¬ qu’ici avec zèle et il ose le dire avec quelque utilité. « Ce quintidi frimaire, l’an second de la Répu¬ blique française, une et indivisible. « Lavoisier. » VI. Don patriotique des citoyens Pacifique, Aebanet et Blan de Chabey (1). Compte rendu du Bulletin de la Convention (2). Les citoyens Pacifique, Albanet et Blan de Chably font don à la patrie, l’un de 61 livres 4 s. et l’autre de 91 liv. K) s. en numéraire, pour les frais de la guerre. Ils ont apporté leurs couverts d’argent pour échanger contre des assignats. Mention honorable. VII. Des ECCLÉSIASTIQUES, INSTITUTEURS DES SOURDS ET MUETS DE ROYE, RENONCENT A LEURS FONCTIONS SACERDOTALES (3). è Compte rendu du Bulletin de la Convention (4). Les citoyens Ant. Reboul (5), Edmond-(1) Le don patriotique des citoyens Pacifique, Albanet et Blan de Chably n’est pas mentionné au procès-verbal de la séance du 5 frimaire an II; mais il y est fait allusion dans le Bulletin de la Con¬ vention de cette séance. (2) Supplément au Bulletin de la Convention du 5e jour de la lre décade du 3® mois de l’an II (lundi 25 novembre 1793). (3) L’abjuration de ces ecclésiastiques n’est pas mentionnée au procès-verbal de la séance du 5 fri¬ maire an II; mais il y est fait allusion dans le Bulletin de la Convention de cette séance. (4) Supplément au Bulletin de la Convention du 5® jour de la lre décade du 3® mois de l’an II (lundi 25 novembre 1793). (5) Le citoyen Ant. Reboul n’était pas instituteur 5 frimaire an II -l qi 25 novembre 1793 François Gandouin, Philippe-Firmin Gozette, Jean-Baptiste Poulet, Bourneau, Démophile, instituteurs des sourds et muets de Roye, ont abdiqué les fonctions sacerdotales. Suit le texte de V abjuration du citoyen Antoine Beboul d'après un document des Archives natio¬ nales (1). « Citoyens représentants, 9 « L’amour de l’étude me fit entrer, dcins un. âge assez mûr, dans la ci-devant congrégation de Saint-Maur. J’y trouvai ce que je cherchais. des professeurs et des livres, et je m’adonnai plus particulièrement à l’étude des sciences exactes. Mes veilles ne furent point inutiles, je fus bientôt appelé pour professer les mathémati¬ ques dans l’école de Sorèze. Là, exempté de toute pratique monastique, entièrement éloigné des petites intrigues du cloître, j’ai professé pendant vingt-quatre ans, j’ose dire avec un succès connu, les mathématiques, la physique et l’astronomie. Pendant tout ce temps-là, le cours de Bezout a été mon bréviaire, Wolf, Euler, Lalande, Dionis, Fourcroy, mes théologiens, les mémoires des académies, mes collections des conciles, et mon observatoire le temple des matines. D’après cela, citoyens représentants, vous jugez bien que je n’ai point ici d’erreur à abjurer et que je puis dire au pied de la lettre que j’ai été béné¬ dictin sans être moine. « La seule loi de la congrégation que j’aie bien connue, c’est qu’il fallait être prêtre pour être promu aux emplois et aux supériorités du corps. Je méprisais trop les uns et les autres pour ne pas conserver à mon avantage la rigueur de cette loi. Pendant plus de trente ans, j’ai ré¬ sisté aux sollicitations de prendre la prêtrise, et je n’ai cédé, depuis peu de temps, que parce que j’étais bien sûr qu’on ne penserait pas à élever un géomètre aux dignités monastiques. « En vérité, ce n’était pas la peine de céder ; je n’avais encore qu’un pied sur la première marche de l’autel que je l’ai bien vite retiré, pour m’élancer tout entier vers là liberté. Cons¬ tamment attaché à son culte, je me souviens à peine que je fus promu à un autre sacerdoce et je n’ai pas plus de lettres et prêtrise à dépo¬ ser, que d’erreurs à abjurer. Je me suis toujours défendu des dernières, et je n’ai jamais vu les premières et, après avoir été bénédictin sans être moine, je puis ajouter que j’ai reçu la prê¬ trise sans être prêtre. « C’est ainsi, citoyens représentants,, que pensent de moi tous ceux au milieu desquels j’ai vécu jusqu’à présent. Et comment ne pen¬ seraient-ils pas ainsi; depuis près de quatre ans, touché des vertus et des infortunes d’une citoyenne, ils me voient assez intimement uni à elle pour avoir changé son nom et lui avoir donné le mien. Elle m’a accompagné dans mon voyage à Paris; encore quelques jours, et nous serons unis par les Mens du mariage. à l’École des Sourds et Muets de Roye. Il était pro¬ fesseur de mathématiques à l’école de Sorèze, ainsi que le prouve le document que nous insérons ci-des¬ sus d’après l’original nui existe aux Archives natio¬ nales. (1) Archives nationales, carton C 285, dossier 828* ARCHIVES PARLEMENTAIRES, j