[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 juillet 1791,] allait à Metz; qu’ayant appris que le roi était parti, il le suivait. On lui a demandé pourquoi il préférait la route de Metz à toute autre ? Il a répondu que c’était parce qu’il espérait y obtenir des renseignements très prompts sur ie départ du roi et sur le lieu de sa retraite. Voilà l’extrait de l’interrogatoire qu’il a subi. La municipalité de Châlons a cru devoir le retenir en état d’arrestation; il y est actuellement, et quoique vos comités ne connaissent pas d’autres motifs d’accusation, ils ont pensé qu’il fallait le laisser en état d’arrestation. M. d’Estourmel. M. de Briges était à Paris et apprit comme tout le monde le départ du roi; M. de Briges avait reçu, la veille, ordre de se tenir prêt pour accompagner le roi à la promenade. Il est de notoriéié qu’il était botté le lendemain pour suivre le roi. (Murmures.) M. de Briges n’a donc pu savoir que par la voix publique que le roi était parti pour Metz; et c’est d’après cette considération que je pense qu’il n’y a aucune charge contre lui et qu’il doit être mis en liberté. M. Lanjulnais. Je demande le contraire, moi. Il n’appartient pas à l’Assemblée, mais aux juges compétents, de prononcer l’élargissement des détenus pour un délit de cette nature. L’Assemblée sans doute peut ordonner que tels et tels resteront ..... M. Briois-Beanmet*. Si l’Assemblée nationale a le droit de prononcer qu’il y a lieu à accusation, elle a, à plus forte raison, celui de prononcer le contraire. Plusieurs membres : Aux voix ! Aux voix 1 M. le Président. Je mets aux voix la proposition des comités tendant à décréter que M. de Briges, écuyer du roi, sera mis en état d’arrestation. (Deux épreuves sont douteuses.) M. le Président. D’après l’avis du bureau, il y a un doute absolu. Un membre : Dans le doute, on prend le parti le plus doux. Plusieurs membres : Oui 1 oui! M. le Président. On incline pour la douceur? (Oui! oui!) La motion de M. d’Estourmel est donc adoptée. Je prononce ; « L’Assemblée nationale décrète que M. de Briges sera mis en liberté. » M. Muguet de Nanthou, rapporteur. Les comités ont pensé que Mme de Tourzel, gouvernante des enfants de France, devant être regardée comme dépositaire d’un enfant qui appartient également à la nation et au roi, et que ce dépôt précieux exigeant qu’elle soit soumise à une sorte de responsabilité qui n’aurait pas dû lui permettre d’exposer le Dauphin à un voyage, sans en connaître le motif, elle devait rester en état d’arrestation. (L’Assemblée décrète que Mme de Tourzel sera mise en état d’arrestation.) M. Muguet de Hlanthou, rapporteur. Nous vous proposons enfin de décréter que Mmes Bru-nier et Neuville, femmes de chambre de M. le 33S dauphin et de Madame Koyale seront mises en liberté. (Gette motion est adoptée.) M. Muguet de Manihou, rapporteur. Voici en conséquence le projet de décret : « L’Assemblée nationale, après avoir entendu ses comités militaire et diplomatique, de Constitution, de révision, de jurisprudence criminelle, d s recherches et des rapports, attendu qu’il résulte des pièces dont le rapport lui a été fait, que le sieur Bouilié, général de l’armée française sur la Meuse, la Sarre et la Moselle, a conçu le projet de renverser la Constitution ; qu’à cet effet il a cherché à se faire un parti dans le royaume, sollicité et exécuté des ordres non contresignés, attiré le roi et sa famille dans une ville de son commandement, disposé des détachements sur son passage, fait marcher des troupes vers Montmédy, préparé un camp près cette ville, tenté de corrompre les soldats, les a engagés à la désertion pour se réunir à lui, sollicité tes puissances voisines à une invasion sur le territoire français, décrète : 1° qu’il y a lieu à accusation contre te. lit sieur de Bouilié, ses complices et adhérents, et que son procès lui sera fait et parfait devant le haute cour nationale provisoire séant à Orléans; qu’à cet effet les pièces qui ont été adressées à l’Assemblée seront envoyées à l’officier faisant, auprès de ce tribunal, les fonctions d’accusateur public. « 2° Qu’attendu qu’il résulte également des p è es dont le rapport a été fait, que les sieurs d’Heymann, de Klinglin et d’Offlyse, maréchaux de camp employés dans la même armée; ûeso-teux, adjudant général; Goglas, aide de camp ; Bouilié fils, major de hussards ; de Ghoiseul-Stain-vi Ile, colonel du 1er régimant de dragons; le si.ur de Mandel, lieutenant-colonel du régiment ci-devant colonel Royal-Allemand ; le comte de Fersen, ci-devant colonel propriétaire du régiment Royal-Suédois; les sieurs de Valory, de Malden et du Moustier, ci-devant gardes du corps, sont prévenus d’avoir eu connaissance du complot dudit Bouilié, et d’avoir agi dans la vue de le favoriser, il y a lieu à accusation contre eux, et que leur procès leur sera fait et parfait devant ladite cour d’Orléans, devant laquelle seront renvoyées toutes les informations ordonnées et commencées pour ledit complot, soit devant le tribunal du 1er arrondissement de Paris, soit par-devant tous autres tribunaux, pour être suivies par ladite cour provisoire; « 3° Que les particuliers dénommés dans les articles premier et second du présent décret, contre lesquels il y a lieu à accusation, qui sont ou seront arrêtés par la suite, seront conduits sous bonne et sure garde dans les prisons d’Orléans ; « 4° Que les sieurs de Damas, colonel du 13° régiment de dragons, Rémy et de Floriac, officiers au même corps, le sieur Daudouin et Lacour, l’un capitaine, l’autre lieutenant au 1er régiment de dragons ; Morassin et Thalot, l’un capitaine, l’autre lieutenant au régiment ci-devant Royal-Allemand ; de Vellecourt, commissaire ordonnateur des guerres; et Pehondy, sous-lieutenant au régiment de Casteliat, suisse ; et la dame de Tourzel, gouvernante des enfants de France, demeureront dans le même état d’arrestation où ils se trouvent, jusqu’à ce qu’il en soit ultérieurement statué par l’Assemblée; « 5° Que le sieur de Briges, écuyer du roi, et les dames Brunier et Neuville, femmes de cham- 336 [Assemblée nationale.] bre de M. le Dauphin et de Madame Royale, seront mis en liberté. » (Ce décret est adopté.) M. le Président lève la séance à qnatre heures. PREMIÈRE ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU VENDREDI 15 JUILLET 1791. De la république ou un roi est-il nécessaire A LA CONSERVATION DE LA LIBERTÉ? par M. Condorcet. Discours dont l'assemblée fédérative des amis de la vérité a demandé l'impression en votant des remerciements à son auteur (1). Les Français n’ont plus besoin que l’éloquence les appelle à la liberté. Le courage ardent qu’ils ont déployé pour la recouvrer, et la fermeté tranquille avec laquelle ils ont contemplé le grand danger qui vient de la menacer, prouvent assez qu’ils seront fidèles au serment de vivre et de mourir pour elle. C’est donc à leur raison seule qu’il faut parler des moyens de s’assurer une liberté paisible, fortunée, digne en un mot d’un peuple éclairé. Affranchis, par un événement imprévu, des liens qu’une sorte de reconnaissance leur avait fait une loi de conserver et de contracter de nouveau, délivrés de ce reste de chaîne que, par générosité, ils avaient consenti à porter encore, ils peuvent examiner enfin si, pour être libres, ils ont besoin de se donner un roi. Car la nécessité seule peut excuser cette institution corruptrice et dangereuse. Si le peuple se réserve le droit d’appeler une Convention nationale, dont les membres élus par lui soient chargés de prononcer en son nom, qu’il veut ou qu’il ne veut plus conserver le trône ; si l’hérédité se borne à suivre ce mode de remplacement pour le très petit nombre d’années qui doit s’écouler entre deux Conventions, alors on ne peut pas regarder l’existence de la royauté comme essentiellement contraire aux droits des citoyens et c’est à cette condition seule que l’on peut, sans crime et sans bassesse, se permettre de peser les dangers et les avantages du gouvernement monarchique. Les raisons qui peuvent engager des hommes à se créer un roi pour l’intérêt même de la liberté existent-elles ou n’existent-elles point parmi nous? Telle est donc la question qu’il faut résoudre. I. — Les amis de la royauté nous disent : il faut un roi pour ne pas avoir un tyran; un pouvoir établi et borné par la loi est bien moins redoutable que la puissance usurpée d’un chef qui n’a d’autres limites que celles de son adresse et de son audace. Mais cette puissance d’un usurpateur est-elle à craindre pour nous? Nun, sans doute. La division de lEmpire en départements suffirait pour rendre impossibles ces projets ambitieux; et ce qui aurait été imprudent peut-être avant cette (1) C’est ce discours auquel fait allusion M. Goupil-Picfeln dans son opinion sur les événements relatifs à l’évasion du roi.— Voy. ci-dessus, même séance. [15 juillet 1791.] mesure si bien combinée, si utile, est aujourd’hui sans danger. L’étendue de la France, plus favorable que contraire à rétablissement d’un gouvernement républicain, ne permet pas de craindre que l’idole de la capitale puisse jamais devenir le tyran de la nation. La division des pouvoirs fondée non seulement sur la loi, mais sur la différence réelle des fonctions publiques, est encore une autre barrière. L’armée, la flotte, l’administration des finances, celle de la justice, sont partagées entre des hommes dont l’éducation, les lumières, les habitudes, sont essentiellement différentes; il faudrait avoir détruit, corrompuou dénaturé tous ces pouvoirs, avant de pouvoir aspirer à la tyrannie. Enfin la liberté de la presse, l’usage presque universel de la lecture, la multitude de papiers publics, suffisent pour préserver de ce danger. Pour tout homme qui a lu avec attention l’histoire de ['usurpation de Cromwell, il est évident qu’une seule gazette eût suffi pour en arrêter le le succès ; il est évident que si le peuple d'Angleterre eût su lire d’autres livres que la Rible, l’hypocrite, démasqué de ses premiers pas, eût bientôt cessé d’être dangereux. Les tyrans populaires ne peuvent agir que sous le masque, et dès qu’il existe un moyen sûr de le faire tomber avant le succès, de les forcer à marcher le visage découvert, ils ne peuvent plus être à craindre. Ne cherchons donc point à nous faire un mal réel pour prévenir un danger imaginaire. II. — Un roi est nécessaire pour préserver le peuple de la tyrannie des hommes puissants. Mais je lis notre Constitution, et je demande où ces hommes puissants peuvent encore se trouver. 11 n’existe plus de dignités, de prérogatives héréditaires, le partage égal des successions, la publicité de toutes les opérations de finances, l’administration populaire de l’impôt, la liberté du commerce, ont opposé des limites suffisantes à l’inégalité des richesses. En détruisant la noblesse, le clergé, les corps perpétuels de magistrature, le peuple français a détruit tout ce qui lui rendait utile la protection d’un monarque; et ceux qui ont prétendu que la reforme de tant d’abus était l’anéantissement de la monarchie, ont dit plus vrai qu’ils ne le croyaient eux-mêmes. III. — Un roi est nécessaire pour défendre les citoyens des usurpations d’un pouvoir législatif? Cette raison pourrait avoir quelque poids, s’il s’agissait d’un pouvoir législatif antérieurement établi, car il serait possible que son action n’eût pas été renfermée dans de justes limites et dans un pays où il existe un roi, il pourrait être dangereux de le supprimer, en conservant étourdiment tout le reste, sans examiner si cette suppression ne rend pas d’autres changements nécessaires. Aussi, qui jamais s’est avisé de le proposer? Les ennemis de la liberté voudraient bim que ses défenseurs se livrassent à de pareilles absurdités. Mais, en France, comment les usurpations du pouvoir législatif seraient-ellesà craindre ?N’y est-il pas fréquemment renouvelé? N’y a-t-il pas entre les citoyens et lui des officiers publics, des exécuteurs "des lois choisis par le peuple?Les bornes de ses fonctions ne sont-elles pas fixées par des lois qu’il ne pourra changer; des Conventions nationales que le peuple aura le droit de demander; qui de plus seront convoquées à des époques fixes, ne veilleront-elles pas sur les usurpations ARCHIVES PARLEMENTAIRES.