SÉANCE DU 3 BRUMAIRE AN III (24 OCTOBRE 1794) - N° 16 35 humaines, la jeunesse savante et philosophique qui, aura reçu ces grandes leçons, ira les répéter à son tour dans toutes les parties de la République d’où elle aura été appelée : elle ouvrira par-tout des écoles normales ; en repassant sur l’art qu’elle viendra d’apprendre, elle s’y fortifiera; et en l’enseignant à d’autres, la nécessité d’interroger leur propre génie agrandira leurs vues et leurs talens. Cette source de lumières si pure, si abondante, puisqu’elle partira des premiers hommes de la République en tout genre, épanchée de réservoir en réservoir, se répandra d’espace en espace dans toute la France, sans rien perdre de sa pureté dans son cours. Aux Pyrénées et aux Alpes, l’art d’enseigner sera le même qu’à Paris; et cet art sera celui de la nature et du génie. Les enfans nés dans les chaumières auront des précepteurs plus habiles que ceux qu’on pouvoit rassembler à grands frais, autour des enfans nés dans l’opulence. On ne verra plus dans l’intelligence d’une grande nation, de très petits espaces cultivés avec un soin extrême, et de vastes déserts en friche. La raison humaine, cultivée par-tout avec une industrie également éclairée, produira partout les mêmes résultats, et ces résultats seront la récréation de l’entendement chez un peuple qui va devenir l’exemple et le modèle du monde. Citoyens Représentans, tels sont les points de vue sous lesquels l’institution des écoles normales s’est présentée à votre comité d’instruction publique. Cette idée conçue par votre sagesse, est digne d’exciter votre enthousiasme. Revêtus d’un pouvoir sans bornes par la nature de votre mission comme Convention, vous vous féliciterez sans doute d’avoir en vos mains comme Gouvernement révolutionnaire, des moyens tout prêts de faire avec rapidité ce bien immense à la République et au genre humain. Un homme qu’il est permis de citer devant vous puisqu’il a honoré le nom d’homme par ses vertus et par ses talens, Turgot, for-moit souvent le voeu de posséder pendant un an un pouvoir absolu pour réaliser sans obstacle et sans lenteur, tout ce qu’il avoit conçu en faveur de la raison, de la liberté et de l’humanité; il ne vous manque rien de ce qu’avoit Turgot; et tout ce qu’il lui manquoit, vous l’avez. La résolution que vous allez prendre va être une époque dans l’histoire du monde. La Convention nationale, voulant accélérer l’époque où elle pourra faire répandre d’une manière uniforme, dans toute la République, l’instruction nécessaire à des citoyens français, décrète (81) : Article premier. - Il sera établi à Paris une école normale, où seront appelés, de toutes les parties de la République, des citoyens déjà instruits dans les sciences utiles, pour apprendre, sous les professeurs les plus habiles dans tous les genres, l’art d’enseigner. Art. IL - L’administration de chaque district nommera à l’école normale trois citoyens de son arrondissement, qui unissent à des moeurs pures un patriotisme éprouvé, et les (81) Débats, n° 762, 496-498. dispositions nécessaires pour recevoir et répandre l’instruction. Art. III. - La commune de Paris, à raison de sa population fournira 48 élèves à cette école républicaine : ils seront désignés par l’administration du département, qui en présentera la liste à l’approbation du comité d’instruction publique. Art. IV. - Les élèves de l’école normale ne pourront être âgés de moins de 21 ans. Art. V. - Ils se rendront à Paris avant la fin de frimaire prochain; ils recevront pour ce voyage, et pendant la durée du cours normal, le traitement accordé aux élèves de l’école centrale des travaux publics. Art. VI. - Le comité d’instruction publique désignera les citoyens qu’il croira les plus propres à remplir les fonctions d’instituteur dans l’école normale : et en soumettra la liste à l’approbation de la Convention ; il fixera leur salaire de concert avec le comité des Finances. Art. VIL - Ces instituteurs donneront des leçons aux élèves sur l’art d’enseigner la morale et former le coeur des jeunes républicains à la pratique des vertus publiques et privées. Art. VIII. - Ils leur apprendront d’abord à appliquer à l’enseignement de la lecture, de l’écriture, des premiers élémens du calcul, de la géométrie pratique, de l’histoire, de la grammaire française, les méthodes tracées dans les livres élémentaires adoptés par la Convention nationale et publiés par ses ordres. Art. IX. - La durée du cours normal sera de quatre mois. Art. X. - Deux représentans du peuple désignés par la Convention nationale, se tiendront près l’école normale, et correspondront avec le comité d’instruction publique sur tous les objets qui pourront intéresser cet important établissement. Art. XI. - Les élèves formés à cette école républicaine rentreront, à la fin du cours, dans leurs districts respectifs : ils ouvriront dans les trois chefs-lieux de canton désignés par l’administration de district, une école normale, dont l’objet sera de transmettre aux citoyens et aux citoyennes qui voudront se vouer à l’instruction publique, la méthode d’enseignement qu’ils auront acquise dans l’école normale de Paris. Art. XII. - Ces nouveaux cours seront de quatre mois. Art. XIII. - Les écoles normales des dépar-temens seront sous la surveillance des autorités constituées. Art. XIV. - Le comité d’instruction publique est chargé de rédiger le plan de ces écoles nationales et de déterminer le mode d’enseignement qui devra y être suivi. Art. XV. — Chaque décade le comité d’instruction publique rendra compte à la Convention de l’état de situation de l 'école normale de Paris, et des écoles normales secondes qui seront établies, en exécution du présent décret, sur toute la surface de la République. L’Assemblée nationale, au milieu des applau-dissemens, a ordonné l’impression du rapport et du projet de décret, et a ajourné la discussion.