310 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [29 septembre 1790.] gâts et dès troubles arrivés dans le parc de Versailles. Comme cette lettre annonce des faits absolument contraires à ceux que le directoire du département de Seine-et-Oise a mis la veille, à ce sujet, sous les yeux de l’Assemblée nationale, il est, d’après la motion qui en est faite, rendu le décret suivant : « L’Assemblée nationale, ayant entendu la lecture d’une lettre de M. Berthier, commandant de la garde nationale de Versailles, décrète que l’exécution de son décret, rendu hier sur la lettre du directoire du département de Seine-et-Oise, demeurera suspendue, et renvoie la lettre du directoire et celle du sieur Berthier au comité des rapports, pour en rendre compte à l’Assemblée. » M. Gaultier de Biauzat annonce que le corps des sous-officiers, grenadiers et soldats du régiment Royal-la-marine, pour témoigner sa respectueuse et parfaite soumission aux décrets de l’Assemblée nationale et aux ordres du roi, a fait avec la plus entière satisfaction à la patrie le sacrifice des ressentiments particuliers quiavaient occasionné l’éloignement des officiers de ce régiment, et a écrit, le 22 du présent mois, pour demander le retour de ces officiers. La lettre est ainsi conçue : « Monsieur, « L’exemple peut-être dangereux que pourrait donner un corps dont la conduite patriotique a d<û lui concilier de justes appréciations de sa conduite et de ses motifs, ne sera jamais soupçonné de vouloir persister dans des réclamations qui pourraient induire en erreur des êtres qui, dans une position et avec des motifs différents, s’en feraient un titre pour intervertir l’ordre public. « Le régiment Royal-la-marine borne donc son ambition à faire voir que ses motifs furent louables, et, content de l’avoir démontré, il fait avec la plus entière satisfaction à la patrie le sacrifice des ressentiments particuliers. Daignez donc être l’interprète de notre soumission et de notre déférence entière aux ordres d’un souverain que nous adorons et qui daigne être notre père; portez aux pieds de son trône auguste et nos cœurs nt nos volontés ; dites-lui que nous verrons avec joie à notre tête des officiers dont le grand nombre emporte nos regrets et que toujours fidèles, soumis, Français enfin, nous avons en horreur l’esprit de parti qui pourrait faire soupçonner notre loyauté. « Vous ne refuserez pas, nous l'espérons, d’être l’interprète de notre gratitude et de notre soumission à vos vertueux coopérateurs dans la régénération d’un Etat qui déjà vous doit l’aurore du bonheur et bientôt la réalité. « Ile d’Oleron, 22 septembre 1790. « Signé :Les sous-ofticiers, caporaux, grenadiers, soldats et chasseurs du régiment Royal-la-marine. » M. Vieillard (de Saint-Lô). J’observe que comme il est vraisemblable qu’on procédera pendant la séance à un appel nominal, il est important qu’aucun étranger ne vienne se placer sur les sièges destinés aux membres de l’Assemblée nationale. Voici le décret que je vous propose : « L'Assemblée nationale enjoint à toutes personnes qui ne sont pas députés, s’il s’en trouve actuellement dans la salle, de sortir à l’instant; faute de quoi, sur la désignation qui en sera donnée par les huissiers, elles seront constituées prisonnières. « Elle ordonne aux huissiers de se distribuer dans la salle, de manière qu’il y en ait toujours un à chacun des côtés intérieurs pour reconnaître les députés qui entreront, et qu’il leur soit défendu de laisser entrer des étrangers, sous quelque prétexte que ce soit; que, dans le cas où il se fera un appel nominal, chaque membre, en répondant, sera tenu de se lever. Le présent décret sera ponctuellement exécuté pour toutes les séances de l’Assemblée nationale. » (Ce décret est adopté.) M. le Président le fait exécuter à l’instant. M. Voidel. Votre comité des recherches m’a chargé de vous présenter une dénonciation contre un curé de la Flandre maritime. La municipalité demande qu’on lui indique les moyens pour faire cesser les prédications dangereuses de ce prêtre fanatique. Non seulement il n’a publié au prône aucun décret, mais il damne impitoyablement ceux qui parlent de la vente ou de l’acquisition des biens nationaux. Il va plus loin, il étend la damnation jusqu’aux derniers individus de leur famille, et jette ainsi le trouble dans sa contrée. La dénonciation est signée du procureur syndic de la commune. Votre comité des recherches vous propose le décret suivant : « L’Assemblée nationale, après avoir entendu le rapport de son comité des recherches, charge son président de se retirer par devers le roi, pour le prier de donner les ordres les plus prompts, afin que, par la municipalité de Saint-Omer provisoirement, et jusqu’à ce que les nouveaux tribunaux soient en activité, il soit informé des faits dénoncés par le procureur de’la commune deNoort-Pesrae, par sa lettre en date du 22 de ce mois ; à l’effet de quoi cette lettre sera envoyée à ladite municipalité. » (Ce projet de décret est mis aux voix et adopté.) L’ordre du jour est la suite de la discussion sur le mode de liquidation de la dette publique et l'émission de nouveaux assignats. M. le Président annonce que M. Duval d’E-prémesnil et M. Périsse du Luc demandent à lire des projets de décrets sans les faire précéder d’aucune discussion. (M. Duval d’Eprémesnil monte à la tribune.) M. Dubois-Crancé. N’oubliez pas que votre décret doit se réduire à la simple lecture. M. Duval d’Eprémesnil. La discussion est fermée, et je m’en souviens très bien. Je vais lire mon projet de décret sans aucune observation ; je supplie qu’on l’écoute sans interruption : Projet de décret pour la restauration des finances , la liquidation de la dette publique et le rétablissement de la tranquillité. « L’Assemblée nationale, toujours animée du zèle du bien public, avertie par l’expérience qu’elle n’obtiendra pas la paix tant qu’une défiance, bien ou mai fondée, éloignera une partie des citoyens de leur patrie, a décrété et décrète : « Art. 1er. La caisse d’escompte reprendra ses opérations originaires ; les 400 millions d’assignats [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (29 septembre 1790.] 311 décrétés seront rendus à leur nature primitive; il en sera créé de plus pour 600 millions, saes intérêt, à compter du 15 octobre; ceux déjà créés cesseront de porter intérêt. Au 15 janvier prochain la caisse d’escompte payera en argent comptant et à bureau ouvert; tous les fonds versés à ladite caisse seront composés des valeurs ci-dessous désignées. « La nation accepte, par l’organe de l’Assemblée, l’offre de 400 millions, qui lui a été faite au nom du clergé : les communautés religieuses donneront à l’Etat, sur leur revenu, pendant dix ans, un secoursextraordinaire, qui sera fixé de concert entre elles et le roi. » (Il s'élève dans la partie gauche de grands éclats de rire,) M. de Foucault. Je réclame la liberté des opinions. M. le Président. Je n’ai point accordé la parole à M. d‘E >rémesni! pour faire la satire des décrets de l’Assemblée. Je vais la consulter pour savoir si elle veut vous entendre. M. Duval. Je demande la parole là-dessus. Je ne suis pas monté à la tribune pour faire la critique ni la satire des décrets de l’Assemblée. Je lui proteste sur mon honneur que mon sentiment est que le royaume est perdu sans un mode de payement à bureau ouvert. L’Assemblée ne fera qu’affermir sa puissance et se couvrir de gloire aux yeux de toute l’Europe, en revenant sur quelques-uns de ses décrets. M. Rewbell. Je demande que M. Duval soit entendu;il est bon que l’Assemblée connaisse l’opinion de ses membres. M. Duval continue : « Le clergé tant séculier que régulier est rétabli dans la possession de tous les biens dont il jouissait. Le clergé séculier demeure autorisé à ouvrir tous emprunts nécessaires pour réaliser les sommes promises, d’après les règles qui seront fixées par les lettres patentes du roi. Les communautés religieuses pourrontaussi faire des emprunts d’après les mêmes formes. « Tous les officiers civils et militaires, supérieurs et inférieurs, fourniront un supplément de finance. Les officiers de finance et les employés payeront un supplément de fonds; tous les corps, communautés et corporations fourniront également un supplément de finance. « La justice reprendra son ancien cours, et les titres des offices seront provisoirement transmissibles. « À l’exception des servitudes personnelles, les citoyens seront rétablis dans leurs propriétés. « La contribution patriotique ne sera plus forcée. « Tous les anciens droits, à l’exception de ceux de gabelles et de francs-fiefs, seront perçus comme par le passé ; les tribunaux veilleront à l’exécution de ce décret. « Les fonds provenant de ces divers secours seront versés à la caisse d’escompte en quantité suffisante, pour qu’elle puisse effectuer ses payements ; les détails de ses opérations ne pourront être mis à exécution qu’après avoir été concertés entre le ministre et les administrateurs de la caisse d’escompte. « Tous les privilèges pécuniaires demeureront abolis. « Tontes les rentes à 4 0/0 éprouveront la retenue d’un dixième. « La dette arriérée sera divisée en deux classes; la première sera payée dans l’année prochaine, en douze payements égaux ; la seconde sera constituée au denier vingt. « Il sera créé une caisse d’amortissement , composée des sommes provenant de l’extinction des rentes. « Si ces impositions ne suffisent pas, on pourra faire les augmentations de sous pour livres nécessaires. « Le décret qui prescrit l’aliénation des domaines de la couronne sera regardé comme non avenu. « La juridiction prévôtale sera rétablie. « La maréchaussée sera augmentée d’un tiers. « Les princes do sang seront prié-» de rentrer dans le royaume; lesautres citoyens absents seront invités à faire de même et seront mis sous la sauvegarde la loi. « Les comités des re herches de l’Assemblée nationale, de la ville, et tous ceux qui oourraient être établi' dans le royaume, seront abolis. « L’Assemblée nationale, désirant que le souvenir des troubl 'S qui ont désolé le royaume depuis un an, soit effacé, suppliera le rôi d’accorder une amnistie générale. « Le présent décret sera porté au pied du trône par l’Assemblée nationale en corps. « Le roi sera supplié d’y donner une prompte sanction , en lui assurant qu’il n’est point de Français qui ne soit disposé à tous les sacrifices. « L’Assemblée, en sortant de chez le roi, ira porter ses respects à la reine. » ( Les éclats de rire recommencent.) Ce que je propose est bon. L’événement décidera. « Il sera chanté dans toutes les églises et paroisses un Te Deum en action de grâce de la réunion des esprits; le roi sera supplié de se trouver avec son auguste famille à celui qui sera chanté dans la cathédrale de Paris ; l’Assemblée y assistera en corps, et espère y voir tous les princes et les Français absents. » Plusieurs membres demandent le renvoi de ce décret au comité de santé ; d 'autres au comité d’aliénation. M. Charles de Fametli. Je demande que M. d’Eprémesnil soit envoyé pour quinze jours à Gbarenton. M. Alexandre de Fameth. Gomme il est important que la nation sache d’après quels principes se conduit l’Assemblée, je demande qu’on passe à l’ordre du jour, mais qu’on motive ainsi cette décision : « L’Assemblée nationale ayant, pour prouver la liberté la plus entière des opinions, entendu jusqu’à la fin la lecture du projet de décret de M. Duval, et le regardant comme l’effet d’une imagination en délire, a passé à l’ordre du jour. » M. Mathieu de Montmorency. Je voulais exprimer, comme le préopinant, ce que j’avais éprouvé à la lecture dn projet de M. Duval; je voulais dire que le délire et la folie pouvaient seuls excuser uu projet qui mériterait toute la sévérité de l’Assemblée ; on ne peut mieux faire que de passer à l’ordre du jour, en témoignant le plus profond mépris pour la motion et sou auteur. Le terme de mépris paraîtra singulier, mais il peut seul exprimer l’intention de l’Assem-