67S [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [19 décembre 1789.} mièrement,il faudrait les supposer assez mauvais citoyens pour le vouloir, et je suis loin d’une pareille idée. Mais l’eussent-ils, cette idée, il dépend de vous de la faire avorter. S’ils vous voient bien déterminés à n’adopter aucune de ces méthodes ruineuses, qui ne faisant que pallier les maux, les aggravent sans les guérir; s’ils vous voient, établissant à la fois le plus grand ordre et la plus grande économie, vous refuser à ces systèmes séducteurs; pressés du besoin de prêter leur argent, plus encore peut-être que vous n’êtes de l’emprunt, ne trouvant dans aucun autre pays des placements aussi lucratifs que celui que vous leur proposerez, poussés même à l’accepter, par l’armée nombreuse de leurs bailleurs de fonds, qui ne partageant pas leurs anciens profits, désireront s’associer à ce nouveau genre d’affaires, bientôt ils s’y détermineront, et vous verrez reparaître le numéraire qui n’a pas émigré dans une proportion si effrayante; vous verrez le change diminuer, et le commerce reprendre une activité nouvelle sous l’auspice heureux de la liberté. Vous rembourserez à la caisse d’escompte les 90 millions qui lui seront dus le 31 de ce mois, avec des billets d’hypothèques spéciales, et vous remarquerez que ce remboursement est meilleur qu’aucun de ceux qui vous sont proposés; elle continuera son service encore pendant quelques mois, et vous continuerez, puisqu’il le faut, son arrêt de surséance jusqu’à l’époque du premier avril : délai qui paraît suffisant. Alors vous séparerez ses affaires de celles du gouvernement: et rendue à sa première destination, elle deviendra vraiment utile à l’Etat. Je me résume donc, Messieurs, et j’ai l’honneur de vous proposer : 1° De rejeter tout projet d’établissement ou de maintien de banque publique; 2° De charger votre comité de finances de vous présenter incessamment un plan de comptabilité, et un plan d’ordre, pour classer, d’après les titres de créance, ou par la voie du sort, les remboursements exigibles ; 3° De décréter la vente de biens du domaine de la Couronne, et de biens ecclésiastiques actuellement aux économats, jusqu’à la concurrence de 200 ou de 250 millions, selon qu’il sera jugé convenable ; 4° De créer pour une somme inférieure d’un dixième à celle des ventes décrétées, des billets portant hypothèques spéciales sur des portions de ces biens dont vous aurez décrété la vente ; 5° D’opérer avec ces billets les remboursements de la caisse d’escompte, et les autres remboursements les plus pressés ; 6° De nommer quatre commissaires pour concerter avec le premier ministre des finances et les administrateurs de la caisse d’escompte, l’époque très-prochaine à laquelle elle pourra reprendre ses payements à bureau ouvert. # ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. FRÉTEAU DE SAINT-JUST. Séance du samedi 19 décembre 1789 (1). „ M. le Président ouvre la séance et dit : M. le garde des sceaux a informé le président de l’Assemblée nationale, par un billet en date du 17 décembre au soir : 1° Que le Roi a donné ses ordres à un de ses secrétaires d’Etat, pour aviser à la composition d’une nouvelle chambre des vacations en Bretagne en s’assurant du nom des magistrats susceptibles d’être choisis ; 2° que le décret sur la conservation des bois a été sanctionné et l’expédition envoyée ; 3° que le décret sur les municipalités a été accepté et l’instruction sur cet objet approuvée par le Roi. M. Mougins de Roquefort. Je propose de rendre un décret pour fixer le moment où les nouvelles municipalités s’assembleront. Mais comme la séance d’aujourd’hui est consacrée à l’examen du plan de finances, proposé par le comité des dix, je demande que la discussion de ma motion soit fixée à lundi prochain 21 décembre. M. Démeunier. Un semblable décret doit être concerté avec le pouvoir exécutif auquel appartient le droit de convoquer. M. llougins de Roquefort. L’Assemblée nationale n’a point encore déterminé les noms que porteront les membres des municipalités. Il est nécessaire de faire un règlement sur cet objet. (Ces diverses propositions sont ajournées à lundi.) M. le President. J’exprime à l’Assemblée toute ma reconnaissance pour les témoignages d’intérêt que j’ai reçu d’elle dans les circonstances douloureuses où je me suis trouvé. Si quelque chose était capable d adoucir mes peines et mes inquiétudes, c’est assurément la sensibilité dont l’Assemblée nationale a bien voulu me donner des preuves aussi flatteuses. Les députés du bourg de Ris , près Essonne, se présentent à la barre pour offrir un don patriotique. La séance leur est accordée, ainsi qu’à M. le baron de Gormeré auteur d’un plan de finances dont l’Assemblée a ordonné l’impression. M. le Président. J’ai reçu de M. le comte de La Tour-du-Pin, ministre et secrétaire d’Etat au département de la guerre, le lettre suivante : « Monsieur le Président, « L’hôtel des Invalides est dans une situation de détresse dont j’ai cru devoir rendre compte au Roi ; Sa Majesté a reconnu qu’en s’occupant du rétablissement de l’ordre primitif, on procurerait à cette maison les seuls et véritables secours que permettent ou qu’exigent les circonstances ; elle a en conséquence fait choix de trois officiers généraux et de deux personnes au fait des affaires d’administration et de finances, qu’elle a chargés d’examiner sa composition et son administration civile et militaire actuelle, en quoi elles se sont éloignées de leur origine, et des moyens de les y ramener. « Mais Sa Majesté, dans la disposition où elle est de concerter avec l’Assemblée nationale les opérations générales et particulières qu’elle médite elle-même de soncôté, dans sa sagesse etdans son amour pour son peuple, m’a chargé d’informer M. le président qu’elle désire que l’Assemblée veuille nommer deux de ses membres pour assister, autant que leurs occupations pourront (1) Cette séance est incomplète au Moniteur. [19 décembre 1789.} [Assemblée nationale.} ARCHIVES PARLEMENTAIRES. le leur permettre, aux séances qui seront tenues par les commissaires de Sa Majesté afin d’être à portée de rendre à l’Assemblée nationale les résultats de ces séances. , . « Je suis avec respect, Monsieur le President, etc. « Signé : La Tour-dü-Pin. » M. liatil, député de Forcalquier. Je propose de faire nommer les deux commissaires, l’un par le comité militaire, l’autre par le comité des finances. Cette proposition est mise aux voix et décré-tée • On lit une lettre datée de Saint-Malo en Bretagne, par laquelle un particulier, qui ne veut pas être nommé offre un don patriotique de 2,400 livres en billets de caisse ; ces billets sont remis au trésorier. M. le Président fait donner lecture de la lettre suivante de M. de Paoli, corse de nation, actuellement retiré en Angleterre : « Londres, ce 11 décembre 1789. « Monsieur le Président, « C’est avec les transports d’une joie qu’il est plus aisé de sentir que d’exprimer, que je m’em-resse de vous supplier de vouloir bien avoir la onté de faire agréer à l’Assemblée que vous présidez, les sentiments de mon plus profond respect et de ma plus vive reconnaissance pour les décrets qu’elle vient de passer en faveur de ma patrie et de mes compatriotes. En admettant la Corse à la parfaite jouissance de tous les avantages qui résultent de l’heureuse constitution qu’elle vient d’établir, elle a enfin trouvé le moyen le plus infaillible de s’assurer à jamais de l’attachement et de la fidélité de ses habitants. En accordant à mes compagnons expatriés de pouvoir rentrer chez eux, et jouir de tous les privilèges de citoyens français, pendant qu’elle fait éclater sa justice et sa générosité, elle attache à sa nouvelle constitution un nombre infini d’individus qui la défendront jusqu’à verser la dernière goutte de leur sang. « Le monarque bienfaisant et restaurateur de la liberté de son peuple, qui a sanctionné ces décrets n’aura jamais des sujets plus dévoués à sa gloire. « Permettez-moi l’honneur de me dire avec le plus profond respect, Monsieur le président, votre très-humble et très-obéissant serviteur. « Signé : de Paoli. » L’ordre du jour appelle ensuite la discussion sur le plan de finances proposé par le comité des dix. Le premier article du premier décret porte ces mots: « Les billets de la caisse d’escompte continueront d’être reçus en payement dans toutes les caisses publiques et particulières ». M. le Président. Je crois devoir observer à l’Assemblée que les billets de la caisse d’escompte n’ont été reçus jusqu’à présent, dans les caisses, que volontairement, sauf celles des banquiers et autres négociants auxquels on proposait des lettres de change échues et remboursables. Le mot continueront qui se trouve dans l’article ci-dessus, n’est donc pas exact. M. le Président , après cette observation , donne la parole à M. Pétion de Villeneuve. M. Pétion de Villeneuve. Nous n’avons à choisir que parmi des dangers; et quel que soit le parti que nous prenions, il aura de grands inconvénients. 11 s’agit de savoir si vous pouvez admettre le plan qui vous est proposé. Quelques articles violeraient vos propres principes. On vous demande dans le premier une surséance de six mois : véritable faillite, ou tout au moins attermoiement réel et certainement condamnable, puisqu’il sera fait sans le consentement des créanciers; c’est d’ailleurs faire une action immorale, que de créer des billets à vue, qui ne seront pas payés à vue; ils le seront, dit-on, au l*r juillet, parce que la caisse reprendra alors ses payements; mais aura-t-eïle vendu toutes ses actions? Le doute est très-fondé sur cette question ; il est donc à craindre que la caisse ne remplisse pas ses engagements à cette époque, et qu’on ne soit forcé à accorder une nouvelle surséance. La capitale est déjà engorgée de billets qui ne circulent pas dans les provinces; elle va donc en fabriquer encore : la caisse sera chargée de cette fabrication, pour laquelle vous lui payerez 5 0/0. Ne pouvons-nous pas fabriquer nous-mêmes le numéraire fictif dont la nécessité est reconnue? Ne pouvons-nous pas lui donner nous-mêmes la confiance dont il a besoin pour circuler dans toutes les parties de l’empire? Nous avons à notre disposition les fonds ecclésiastiques et domaniaux ; créons des obligations à ordre, faisons-leur porter un intérêt; assignons-leur un payement certain ...... La caisse d’escompte peut-elle donner de semblables avantages à ses effets? Remettons ainsi à nos créanciers véritables l’intérêt que nous payerons à la caisse d’escompte. Je rejette le plan du comité, et je propose de ciéer des obligations à ordre, avec intérêt à 5 0/0. M. le baron de Batz expose la nécessité de la liaison d’un plan de ressources avec l’ordre général des finances. Il entre dans des détails sur les banques et les bureaux d’escompte; et après avoir cité l’histoire romaine et l’histoire anglaise, il conclut qu’ils ne peuvent avoir un succès réel que dans les gouvernements dont le commerce et l’industrie forment la fortune publique. Nous n’avons rien à gagner, dit-il, à nous faire Anglais, banquiers et financiers contre nature et raison. Il examine l’état de l’Angleterre, ses ressources, son numéraire, celui de la ville de Paris, considérée comme lieu de consommation, et non comme place de commerce; enfin, les rapports du commerce de l’argent avec les propriétés territoriales. 11 s’occupe ensuite à réfuter le plan de M. de La-borde ..... MM. Guillaume, le comte de Pardieu, le curé Dillon, etc., demandent l’exécutiôn du décret par lequel l’Assemblée a décidé hier qu’on se bornerait à l’examen du plan proposé par le comité, et que les amendements seraient seuls entendus. M. le comte de Custine. Je suis un citoyen qui désire s’instruire, et qui en a besoin; je prie qu’on veuille bien écouter un homme très-savant, et qui peut présenter de grandes lumières.