336 citoyens dans l’église. Dans le temps que les bourgeois étaient paisiblemententrës dansla salle, on entend battre la générale et aussitôt on vient pour avertir que M. de Rouilles, colonel du régiment du Maine, à la tête de sa compagnie de grenadiers, marchait à droite, et M. de Tissonet, capitaine, à la tête des chasseurs à gauche, pour s’emparer de notre salle, et pour nous en chasser. 25 à 30 de nos braves bourgeois, avec quelques fusils, se sont présentés pour nous défendre; mais à peine les chasseurs commandés par M. de Tissonet les ont-ils aperçus qu’ils ont fait feu sur eux. Nos citoyens, en défendant leur vie, lâchèrent à leur tour des coups sur la troupe et par ce moyen les obligèrent à rétrograder. « 11 y a eu du sang répandu ; savoir : deux soldats tués, deux blessés ; et M. de Tissonet ci-présent est lui-même blessé. Parmi les citoyens, il n’y a eu de tués que deux petits enfants, qui ont été massacré* dans les rues à coups de baïonnette. Cette action barbare de la part des soldats a tellement révolté le peuple, qu’elle l’a porté à s’emparer de la citadelle, des magasins à poudre, des armes et de tous les forts de la ville, sans que cependant (grâce à Dieu) il s’en soit suivi d’autres accidents funestes. « Après quoi la garde nationale fut enregistrée et tout le peuple a prêté un nouveau serment de fidélité à la loi, au Roi et à l’Assemblée nationale, dans les mains de la municipalité. Le procès-verbal contenant tous les faits va vous arriver par le premier courrier. Mais nous avons cru qu’il n’y avait pas un instant à perdre pour vous prévenir que dans toute l’île, il y a une fermentation terrible, dont la cause est l’incertitude dans laquelle nous nous trouvons sur notre sort. L’on nous dit, tantôt que l’on veut nous garder sous le régime militaire actuel; tantôt que l’on va nous céder à la république de Gênes, et notre inquiétude est d’autant plus fondée, que jusqu’à présent, de tous les décrets de l’Assemblée, il n’y a eu d’enregistré et publié que la loi martiale. « Vous êtes, Messieurs, chargés par vos cahiers de demander que l’île de Corse soit déclarée partie intégrante de la monarchie et nous ne pouvons vous cacher que nous sommes très-étonnés de voir que vous ne présentez jamais cette demande à l’Assemblée nationale. « Vous avez beau nous dire que votre admission comme députés nous déclare par le fait province de France, cela ne suffit pas. Le ministère nous a conquis par la force, et d’après un traité passé avec la République de Gênes, qui n’avait nullement le droit de nous céder. Pour notre sûreté et pour que nous soyons Français à jamais, ce qui est notre unique vœu, il nous faut un décret de la nation sur une demande faite par vous, Messieurs, qui êtes nos représentants librement et légalement élus. « Nous attendons votre réponse avec le plus grand empressement et soyez sûrs qu’elle décidera de la tranquillité du pays. « A présent tout va bien, la milice nationale monte la garde à la porte du général, au port, à la citadelle, et partout où il y a besoin de sentinelles. Veuillez bien, en attendant le procès-verbal, représenter à l’auguste Assemblée nationale que nous avons pris les armes pour faire exécuter ses décrets, et que nous ne les quitterons point qu’ils n’aient été exécutés. « Signé: Galearini, Guasco, Morati, membres de la commune de Bastia. » [30 novembre 1789.] La lecture de cette lettre est suivie de celle d’une adresse d’un grand nombre de citoyens de la ville d’Ajaccio, en date du 31 octobre, par laquelle ces citoyens se plaignent que la commission intermédiaire, de concert avec le régime militaire sous lequel l’île gémit, s’est opposée jusqu’à ce jour à toute assemblée patriotique et formation de milice nationale. Us représentent d’une manière très-énergique les droits et le désir qu’ils ont de participer à la régénération de l’empire français. Ils réclament contre les vexations de toute espèce dont ils sont accablés. Ils protestent contre les calomnies dont on noircit les prétentions du peuple corse. Ils assurent que son vœu général, exprimé librement dans ses cahiers, est d’être réuni à la nation française devenue libre, et que toute sa crainte est d’être remis sous le joug des Génois, ou de continuer d’être gouverné militairement, comme il Fa été jusqu’à ce jour. Ils désavouent toute expression des sentiments de la Corse qui émanerait de la commission des douze et s’en réfèrent exclusivement à leurs députés dans l’Assemblée nationale. Enfin ils supplient l’Assemblée d’une manière pathétique de prendre en considération l’état dangereux et déplorable de l’île de Corse. M. Salicetti. Je demande qu’il soit rendu sur-le-champ un décret par lequel il sera déclaré que la Corse fait partie de l’empire français ; que ses habitants doivent être régis par la même constitution que les autres Français, et que dès à présent le Roi sera supplié d’y faire parvenir et exécuter tous les décrets de l’Assemblée nationale. M. d’Estourmel. Je propose de dire que le décret est rendu sur la demande et le libre consentement des habitants de la Corse. M. Target fait remarquer, à propos de l’envoi des décrets de l’Assemblée nationale en Corse, qu’il faut dire que le pouvoir exécutif sera requis et non pas sera chargé d’envoyer les décrets. M. Brunet de Latuque. C’est honorer la nation que de rendre hommage à son chef, et je propose de dire, comme par le passé, que le Roi sera supplié d’envoyer les décrets. M. le Président prend le vœu de l’Assemblée et le décret suivant est rendu : « L’île de Corse est déclarée partie de l’empire français; ses habitants seront régis par la même constitution que les autres Français, et dès ce moment le Roi est supplié d’y faire parvenir et publier tous les décrets de l'Assemblée nationale. » M. le marquis de Sillery. Nous n’avons que trop d’exemples de démembrements de la monarchie, et la Louisiane, un de nos plus beaux établissements, a été cédée aux Espagnols sans le consentement de la nation. Je fais donc la proposition de décréter que, dans aucun cas, le pouvoir exécutif ne pourra céder aucun pays ou partie de pays attaché à l’empire français, ou y appartenant,’ sans avoir consulté la nation. M. le comte de Mirabeau. Messieurs, après avoir rendu le décret qui déclare la Corse partie de l’empire français, il s’en présente un autre qui en est la suite nécessaire et que je propose en ces termes : « L’Assemblée nationale décrète que ceux des [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [30 novembre 1789.] 337 Corses qui, après avoir combattu pour la liberté, se sont expatriés, par l’effet et la suite de la conquête de leur île, et qui cependant ne sont coupables d’aucuns délits légaux , auront dès ce moment la faculté de rentrer dans leur pays pour y exercer tous les droits de citoyens français, et que le Roi sera supplié de donner, sans délai, tous les ordres nécessaires pour cet objet. » Ce projet de décret est vivement applaudi par la grande majorité de l’Assemblée. M. le prince de Poix. Si ce décret était rendu, il pourrait occasionner une révolte dans Pile, et ses anciens habitants, coupables envers la France, rapporteraient dans leur patrie le souvenir de leur défaite, et seraient bientôt tentés d’abuser de l’indulgence de la nation. Je propose de consulter le pouvoir exécutif avant de prendre un parti. M. Salicetli. C’est la province de Corse elle-même qui réclame ceux de ses anciens habitants qui ne sont pas chargés des crimes que la justice des lois doit punir; c’est elle qui redemande pour la France des citoyens français. M. Gaultier de Biauzat. Je demande la suppression des mots délits légaux comme étant une expression obscure et incohérente. M. le comte de Mirabeau. Toute objection ' est levée par ces mots : qui ne sont coupables d'aucuns délits légaux; car je ne pense pas que personne ici puisse regarder comme coupables envers la nation des citoyens dont le crime unique serait d’avoir défendu leurs foyers et leur liberté. J’ai dit des délits légaux, parce qu’il n’y a que les actes contraires aux lois protectrices de l’homme qui méritent d’être punis. Je ne conçois pas comment la liberté, quand elle est innocente de tous délits de ce genre, pourrait n’être pas sous votre sauvegarde. J’avoue, Messieurs, que ma première jeunesse a été souillée par une participation à la conquête de la Corse; mais je ne m’en crois que plus étroitement obligé à réparer envers ce peuple généreux ce que ma raison me représente comme une injustice. Une proclamation a prononcé la peine de mort contre les Corses qui ont défendu leurs foyers, et que l’amour de la liberté a fait fuir. Je vous le demande, serait-il de votre justice et de la bonté du Roi que cette proclamation les éloignât encore de leur pays, et punît de mort leur retour dans leur patrie? M. le vicomte de Mirabeau. Vous prétendez que l’expression de délits légaux est parfaitement claire : ce qui prouve qu’elle est obscure, c’est que vous êtes obligé d’en donner l’explication. M. de Bousuiard. Je demande la suppression de cette phrase : qui , après avoir combattu pour la défense de leur liberté, comme injurieuse à la nation et à la mémoire du feu Roi. ' M. Salicettl. Je ferai remarquer à l’Assemblée que la motion de M. le comte de Mirabeau répond à un article exprès du cahier de l’île de Corse. M. Barrère de lieiuac . 11 faut se hâter de décréter une motion aussi honorable que celle qui est proposée; il faut que Paoli lui-même apprenne à devenir Français; un. lel défenseur de ire Série, T. X. la liberté de son pays est digne d’une nation qui a secoué si courageusement ses fers. (L’Assemblée devient très-tumultueuse, une partie de la salle réclame l’ajournement, la majeure partie veut passer au vote.) M. Dupont (de Bigorré). Je demande que certains membres soient nommés dans le procès-verbal comme perturbateurs des délibérations de l’Assemblée. M. le comte de Mirabeau. On dirait, Messieurs, que le mot de liberté fait ici sur quelques hommes la même impression que l’eau sur les hydrophobes ..... Je persiste à demander que mon projet de décret soit mis aux voix; et, pour lever les scrupules de quelques personnes, je substitue à ces mots : délits légaux, ceux-ci : délits déterminés par la loi. M. de Montlosier. Si l’on adopte la motion, il faut en même temps ordonner la retraite des troupes qui sont en Corse , à moins qu’on ne veuille qu’elles soient massacrées. Je demande l’ajournement. M. le Président veut mettre la motion aux voix; plusieurs membres s’y opposent. Une grande partie de l’Assemblée se lève pour exprimer un vœu contraire à cette opposition. Les voix prises, il est décidé qu’on délibérera sur-le-champ. L’ajournement proposé est rejeté. Plusieurs membres prétendent n’avoir pas entendu poser la question de l’ajournement. Le président conjure l’Assemblée de laisser recommencer l’épreuve, par amour pour la paix. Cette seconde épreuve donne le même résultat. M. I�avie. Je demande que les Corses qui rentreront dans l’île soient tenus de prêter serment de fidélité. M. Salicetti. Leur retour seul prouvera leur fidélité et le nom de Français que vous leur avez donné, suffira pour l’assurer. La question préalable est demandée sur les amendements. Il est décidé qu’il n’y a pas lieu à délibérer à leur égard. M. de Montlosier, Je demande qu’il me soit au moins permis de présenter un amendement relatif au général Paoli; j’ai sur cet objet de grandes instructions. i On délibère sur la motion principale, et elle est adoptée à une grande majorité en ces termes : c L’Assemblée nationale décrète que les Corses qui , après avoir combattu pour la défense de leur liberté, se sont expatriés par l’effet et les suites de la conquête de l’île de Corse , et qui cependant ne sont coupables d’aucuns délits déterminés par la loi, ne puissent être troublés dans la faculté de rentrer dans leur pays, pour y exercer tous leurs droits de citoyens français, et que M. le président soit chargé de supplier Sa Majesté de donner, sans délai , tous les ordres convenables à ce sujet. » M. le Président donne lecture de deux lettres du garde des sceaux. La première, relative aux décrets de l’Assemblée nationale, annonce que Sa Majesté a sanctionné le décret relatif aux grains, l celui aux bénéfices, celui qui met les biens ecclê-22