591 Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES* 1 29 juin 1791. qui attachent les Français à l’unité de l’Empire, et présenter aux ennemis de la France et à l’Europe entière, l’imposant spectacle d’un peuple libre, mais armé pour sa défense, a cru devoir choisir, pour cette fête nationale, l’époque mémorable oü le régime féodal a été aûéanti, et où la Constitution s’est élevée sur la destruction de tous les abus sous lesquels le peuple avait si longtemps gémi. En conséquence, elle a décrété ce qui suit : « Art. 1er. Il y aura, à Paris, au 4 août prochain, une fédération générale. « Art. 2. Elle sera composée de gardes nationales, de troupes de ligne et de la marine, dans le même nombre et dans la même forme déterminés par les décrets du mois de juin 1790. Il y aura, en outre, un nombre d’officiers municipaux, choisis ainsi qu’il sera dit ci-après. « Art. 3. Les officiers municipaux des communes de chaque canton se rassembleront au chef-lieu du canton et nommeront un d’entre eux pour assister à la fédération. « Art. 4. Dans les villes au-dessus de 21,000 âmes, les officiers municipaux nommeront un d’entre eux. « Art. 5. L’expédition des décrets des 8 et 9 juin de l’année dernière sera jointe au présent décret pour servir d’exécution. » M. Rewbell. Le projet de votre comité mérite un examen d’autant plus sérieux, qu’au premier aspect il a l’air d'avoir de l’analogie avec les idées qui se trouvent dans une feuille qu’on vient de nous distribuer à l’entrée de la séance. L’auteur de cette feuille, qui se dit électeur du département de Paris, dit : « Ce n’est point le voyage que le roi vient de faire aux frontières (car voilà ses termes), qui doit effaroucher les Parisiens. Ce qui doit mériter leur attention, c’est la consommation de la liste civile à Paris. Que deviendra Paris, dit-il, s’il est privé de ses riches habitants. « Pans, continue-t-il, est menacé de ne pas être le siège des législatures prochaines. » (Murmures.) C’est le premier aspect que pourrait présenter le projet du comité aux yeux des malveillants, car je ne crois pas que ce soit là le but du comité; mais il sent, puisqu’on a tant parlé de délicatesse, pousser la chose jusqu’à trouver cette réflexion dans le projet du comité. Mais une autre réflexion que je crois beaucoup plus sérieuse, c’est de demander ce que doivent faire tous ces fédérés ici; est-ce pour délibérer avec nous? (Non! non!) Si ce n’est pas pour délibérer avec nous, je demanderai à quoi bon leur présence. Cette réflexion mérite un commentaire. Je ne suis pas en état de le donner à présent; je crois que peu de membres pourraient le donner; mais je demande, en conséquence, que le projet Soit imprimé avec le rapport, et nous le discuterons sérieusement. M. Buzot. En partageant plusieurs des motifs du préopinant, je ne tire point du tout la même conséquence de ses principes. On prétend qu’au mois d’août il est impossible de finir nos travaux. C’est bien mon vœu le plus sincère; mais je ne vois pas que l’on nous mène à ce but, et je dirai que la mesure que l’on a prise avant-hier ne fait absolument que retarder nos travaux, ou plutôt de retarder l’époque où la législature nous succédera. Il ne faut pas se le dissimuler, Messieurs, que, si à l’époque du 5 juillet, déjà fixé par vos précédents décrets, les électeurs ne se rassemblent pas dans les départements pour nommer les législateurs à venir, il est impossible que ce rassemblement puisse avoir lieu avant la lin de septembre ou le commencement d’octobre. (Murmures.) On demande comment cela peut arriver; en voici, ce me semble, la preuve bien sensible. Nous touchons au temps des moissons. Dans les mois de juillet et d’août, les hommes de campagne et les propriétaires qui font valoir sont occupés jusqu’au mois de septembre pour travailler, et dans ces 3 mois il est véritablement impolitique de faire aucun rassemblement d’électeurs; car il ne suffit pas certainement d’assembler à une époque déterminée des électeurs, il faut les mettre encore dans une telle position qu’il soit possible de croire que le plus grand nombre se rassembleront, Une autre observation qui me paraît à moi de la plus grande importance, et je la tire de vos propres décrets, c’est qu’il est absolument nécessaire que les élections qui ont été faites des électeurs soient promptement suivies des élections des législateurs, parce qu’autrement les cabales agissant dans les divers départements, on donnerait le temps à ceux qui ont une grande ambition de se faire nommer, on leur donnerait le temps d’y parvenir fort aisément. Enfin une troisième observation qui est tirée des circonstances mêmes où nous sommes. Il est certain que dans ce moment-ci vous eussiez eu des choix très bons, vous eussiez eu nécessairement d’excellents patriotes à cette législature, et il est fort à craindre que le calme venant à se rétablir les esprits... (Murmures); il est fort à craindre que les inquiétudes devenant moins vives sur certaines personnes qui troublent la société depuis près de 2 années, que nous n’ayons pas des nominations aussi heureuses. On nous a lait naître des inquiétudes, et c’est pour cela même que je m’explique. Il était passible que, dans la crise violente où nous nous trouvions, on pût craindre qu’il n’arrivât des troubles, des désordres, de la désunion dans les citoyens, et qu’enfin nous ne voyions pas dans la France cette harmonie universelle que nous avons vu y régner. Il était possible au moins que quelques mouvements locaux altérassent le bon ordre, et peut-être dans cet état de crainte, le décret que vous avez rendu pouvait être sage. Mais actuellement que, de toutes parts, vous voyez les adresses les plus satisfaisantes, où l’on voit que les citoyens ne respirent que pour vivre ou mourir libres; que tous vous jurent la plus grande soumission à vos décrets, le plus respectueux attachement, qu’avez-vous donc àcraindre? S’il y avait apparence de danger, il pourrait être dans les assemblées primaires comme dans les assemblées électorales. Avez-vous appris jusqu’à présent que les assemblées primaires soient venues troubler vos travaux, qu’elles se soient même occupées des affaires du dehors, qu’elles aient même remis leurs vœux ? Non, tout le monde s’en rapporte absolument à vous, tout le monde est content et doit l’être, et tout ce monde attend et la justice et son bonheur de vous. Je ne sais donc pas comment dans ce moment-ci on pourrait retarder tes élections, qui, sous tant de rapports, me paraissent absolument nécessaires. Il n’y a donc aucune espèce de danger à rassembler les assemblées électorales. Outre ces observations il en est une encore, beaucoup plus essentielle, qui m’a échappé, c’est que la plus grande partie des électeurs des provinces étant 592 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [29 juin 1791.] obligés de se réunir de divers points éloignés de leur département, pour venir à la hâte faire leurs élections, ne resteront pas un temps fort considérable pour s’occuper du reste dans une saison qui appelle tout le monde à ses affaires, à ses moissons. Je ne vois donc aucun danger pour la chose publique, en révoquant le décret, en levaut la suspension. (Applaudissements.) Je vois au contraire un danger inévitable, très imminent à ne pas faire, dans ce moment-ci, le rassemblement nécessaire des électeurs. Un second inconvénient, c'est de donner lieu à la calomnie contre l’Assemblée. Pourquoi, dira-t-on, se méfier ainsi de ses concitoyens, qui de toutes parts ne s’occupent que de présenter des hommages de respect, de confiance et d’attachement à l’Assemblée? Je crois par là connaître le vœu du peuple, qui obéira bien volontiers à vos décrts, qui vous donnera une législature con-iorrne à la Constitution que vous avez décrétée, et je dis que vous devez profiter de cette disposition des esprits et ne pas attendre que les travaux de la campagne retiennent chez eux la plupart des électeurs. Quant au projet qui nous est présenté, je suis encore d’accord sur les principes et les motifs qui l’ont fait présenter. Je désirerais en effet que nous prissions sur nos têtes une responsabilité immense qui pèse déjà sur nous. Je désirerais qu’on trouvât un moyen de rassembler autour de soi, s’il est possible, tous les Français, et de pouvoir lire dans leur cœur quelles sout leurs intentions. La volonté générale, c'est de cela qu’il faut principalement s’occuper. Mais le moyen qui vous est proposé par les 2 comités vous mène-t-il à ce but? D’abord vous avez pu voir quelle dépense considérable allait occasionner cette fédération ; vous penserez aussi que ce serait enlever à la campagne des bras, lorsqu’elle en a le plus besoin; non, Messieurs, vous ne le permettrez pas. Je devais remettre aujourd’hui à l’Assemblée une adresse des gardes nationales des départements de l’Eure, qui demandaient en effet à renouveler leur serment, à se rattacher pour jamais à la Constitution q u’elles tiennent de vous; elles sentent que les circonstances ne le permettent pas, et demandent que cette fédération soit locale; je ue sais pas comment concilier cette idée de fédéralité avec cette espèce d’aversion pour toute Constitution contraire à ce que vous avez décrété. Messieurs, la véritable raison qui doit vous faire rejeter un pareil décret, c’est qu’en fi u il ne présente rien de sage. Que demandez-vous aux gardes nationales? Est-ce de se rendre ici à une fête? Dans ce cas, vous ne demandez pas quelles viennentdélibérer, qu'elles expriment leurs vœux. Vous ne demandez pas à connaître leur opinion. Ce ne sera pas parce que vous aurez causé avec 4 ou 5 gardes nationales que vous viendrez me persuader, à moi, que c’est là le vœu de tous, et quand même toutes ces gardes nationales s’expliqueraient, sont-elles donc le peuple, ont-elles donc reçu de lui une mission expresse pour s’expliquer sur cette matière ? Quant aux officiers municipaux qu’on vous demande, l’objection est la même; on ne peut pas exprimer le vœu d'une commune, le vœu d’un département, d’une garde nationale, d’une municipalité que l’un ou l’autre n’ait donné la mission de les représenter. D’après des opinions quelquefois exaltées par les circonstances où l’on se trouve, ne craindriez-vous pas que ceux qui, paisiblement dans leurs foyers, seraient restés foin de vous, n’expliquassent un vœu contraire et ne vous forçassent même à vous y conformer? En un mot, il ne peut pas y avoir de vœu d’un département, d’une municipalité, d’une société quelconque, si le département, la municipalité, si la société individuellement prise n’a chargé un homme d'exprimer son vœu. Je ne vois rien dans ce projet qui ne soit absolument inutile. D’abord il présente beaucoup de dépenses, ensuite il ne remédie absolument à rien; enfin il ne remplit pas le but qu’on s’est proposé. Ainsi, sous tous les rapports, le projet ne vaut rien. Je propose contre le projet la question préalable. Je crois que l’Assemblée doit renvoyer au comité de Constitution les diverses considérations qui vous ont été présentées par M. Duport pour vous rapporter des mesures qui remplissent votre objet. Je crois, d’une autre part, que vous devez à présent lever la suspension que vous avez apportée aux opérations des corps électoraux. (Applaudissements.) Et enfin, si vous voulez avoir une fête nationale ou une fête civique, il faut la déterminer au 14 juillet, qui doit être à jamais le jour de cette fêle. Je demande qu’elle ne soit célébrée que dans chaque département isolément. Plusieurs membres : Non! non! M. Tuant de La Bouverie. Dans chaque municipalité. M. d’André. Vous avez dans ce moment deux propositions : la première vous a été faite au nom du comité de révision ; la seconde par le préopinant. Sur la proposition du comité de révision, M. Rewbell a demandé l’impression et l’ajournement. Je ne m’y oppose pas, parce que si l’Assemblée adopte cette demande, elle délibérera ensuite sur ce projet. Plusieurs membres : La question préalable sur l’ajournement ! M. d’André. D’abord, Messieurs, je vous supplie d’examiner qu’il est extrêmement dangereux et impolitique d’assembler les électeurs dans le moment présent. Il n’y a qu’un instant, un membre de l’Assemblée m’a fait lire une lettre de son pays dans laquelle on lui marque que les assemblées sont déjà travaillées afin de revenir sur la Constitution. ( Murmures à gauche.) M. Boutteville-Dumetz. J’en connais de semblables. Un membre : Et ceux qui veulent la République. M. d’André. Ce fait dont je viens de voir la preuve entre les mains d’un membre de l’Assemblée... M. Lucas. Il n’est pas le seul : il en existe bien d’autres. M. dAndré. C’est une raison de plus. ( Bruit à gauche .) C’est un fait, Messieurs, et ce fait est confirmé par plusieurs membres de l’Assemblée. Ils ont des nouvelles de différents départements dans lesquels on travaille les assemblées pour demander ou un nouveau Corps constituant ou des changements dans la Constitution. Or, si ce fait là est vrai, voulez-vous vous livrer à une résolution précipitée? Croyez-vous, Messieurs, 593 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [29 juin 1791.] uoi qu’en ait dit le préopinant, que nous soyons ans un état de calme bien parlait ? Pensez-vous que les mouvements qui viennent d’avoir lieu n’ont pas donné des secousses qui se prolongeront encore quelques moments? Voulez-vous que dans ces instants-là où des événements malheureux ont excité des malveillants à proposer des changements dans le régime de la Constitution, voulez-vous, dis-je, aller assembler tous les électeurs pour que les gens malintentionnés profitent de ces assemblées pour exciter la division dans les esprits? Non, Messieurs, vous êtes trop sages pour cela. Vous sentirez que dans ce moment nous ne pouvons nous sauver que par la réunion la plus complète : tous les bons esprits l’ont dit, tous les véritables amis delà Constitution l’ont répété: c’est la réunion de tous les Français qui nous sauvera dans les circonstances critiques où nous sommes; car enfin, Messieurs, vous ne savez pas dans ce moment quelles seront les suites de la fuite du roi. Vous ne savez pas dans ce moment quels sont les préparatifs qui sont faits contre nous; vous ne savez pas si une guerre imminente n’est pas à nos portes. Attendez donc que le calme le plus parfait soit rétabli ; attendez donc que nous ayions la certitude de notre état intérieur et extérieur. N’exposez pas la Constitution que vous avez faite avec tant de peines, avec tant de soins, et j’ose le dire avec tant de dangers, à tous les inconvénients qui pourraient résulter d’une mesure précipité:'. Et ici, Messieurs, je veux solennellement rendre justice au préopinant, dont j’honore les intentions, à la pureté des sentiments duquel j’ai moi-même souvent rendu hommage et en particulier et en public; mais le préopinant est homme, il peut être entraîné par un excès de patriotisme par ses idées particulières. Il faut que l’Assemblée elle-même se garde bieu de toutes ces opinions qui pourraient, en portant le patriotisme à l’excès, l’induire en erreur et exposer la chose publique. Messieurs, je le répète, vous ne pouvez pas, dans le moment actuel, sous peine d’exposer la chose publique au plus imminent danger, vous ne pouvez pas rassembler les électeurs. Ce n’est pas un long délai qu’il faut; mais il faut celui de voir se rétablir le calme, il faut celui de voir s’asseoir les opinions. Il faut que l’opinion publique prenne une marche déterminée ; il faut qu’elle se consolide sur ses fondements. Elle est dans ce moment ébranlée; elle est dans un état d’agitation. En conséquence, Messieurs, je répète que pour le bien de la chose publique vous ne devez pas adopter dans ce moment la mesure de convoquer les électeurs, et je demande la question préalable sur la proposition de M. Buzot. M. Ouport, rapporteur. Peut-être serez-vous étonnés de ma proposition, mais je pense que nous sommes tous d’accord, au moins quant aux intentions. Quelle est la question qui peut nous diviser? L’on désire que la fin de nos travaux puisse être accélérée. Or, Messieurs, il n’y a personne qui ait pensé, dans aucun temps, que ce terme puisse être avaut la fin du mois d’aoùt ; eh bien ! Messieurs, je crois que par la mesure que nous vous proposons ce terme ne sera pas reculé, ou bien ce sera d’un terme extrêmement court. En effet, de quoi est-il question sur cet objet? C’est de savoir st dans ce moment-ci vous devez rassembler les électeurs avant que la proposition que nous vous faisons ait été acceptée. Or, c’est lre Série. T. XXVII. entre ces deux mesures qu’il peut y avoir de la différence, et cependant elles conduisent au même but, puisqu’il serait très facile d’établir, dès le moment même, le jour où se rassembleraient les électeurs, et qu’alors vous calmeriez des inquiétudes qu’il serait très aisé de dissiper en déterminant l’époque même des élections. Il ne reste qu’à donner un ordre de rassembler les électeurs, et cela est extrêmement court. Je crois que ce que le préopinant propose peut produire un très grand mal, et j’en vais citer un exemple. Quel est le mouvement qui a prédominé à Paris, lorsque l’événement est arrivé? II y a eu une réunion de tous les bons citoyens ; tel est l’effet du danger, tel est l’effet du patriotisme ; mais il a prédominé sur-le-champ, dans l’opposition, une opinion qui vous a été présentée d’une manière exagérée. Cette opinion était que dans une circonstance comme celle-ci il fallait consulter le vœu individuel des départements. On vous a dit que les citoyens qui l’avaient présentée avaient usé du droit de pétition, et je ne prétends pas les blâmer; mais je dis que cette démarche étant non seulement anticonstitutionnelle, non seulement contraire aux principes éternels d’un gouverne ment unique, mais même qu’elle était impolitique, car il est très certain que, par là, vous vous exposeriez à toutes les divisions d’opinions. Et qu’arriverait-il, Messieurs, si avec la meilleure intention du monde on vous proposait différentes formes de gouvernement? Je ne crains point de le dire ; cela se manifeste dans les adresses qui vous ont été envoyées. Je ne dis point que ces adresses ne soient très patriotiques, et que ces hommes ne soient très estimables ; mais enfin ils vous ont dit que la circonstance était très favorable pour changer la forme du gouvernement ; ils ont pensé que nous avions fait un gouvernement contre le pouvoir exécutif, et qu’ayant toujours fait un pas de plus, il ne vous en restait plus qu’un à faire. Je demande si telle est l’idée qu’il faut prendre de la Constitution. Nous avons fait celle que nous avons cru bonne. Nous l’avons voulu indépendamment des circonstances, et nous avons assez prouvé que les craintes dont on nous environne n’ont point agi sur nous ; ce n’est point le départ du roi qui a changé notre Constitution. Cette Constitution est bonne, ou nous avons abusé de la confiance de la nation. Les directoires de département ont pensé, et leur style même le prouve, que vous aviez besoin qu’on vous donnât de la force pour aller plus loin dans cette grande entreprise d’établir la liberté. Ils vous ont dit: Allez plus loin; améliorez la Constitution; faites-la telle que vous auriez dù la faire dès le commencement. Dès lors il serait très aisé, à tout ce qui existe d’hommes, les uns par de bonnes intentions, et beaucoup d’autres par de mauvaises, il leur serait très aisé, dis-je, de persuader à des corps électoraux que la demande qu’ils font à l’Assemblée nationale n’a rien que de très patriotique et de très conforme à son idée ; et ainsi vous auriez excité vous-mêmes chez eux toutes les idées irréfléchies qui ne peuvent se rapporter à des vues d’ensemble; vous les auriez mis dans le cas de vous faire des vœux différents ; et alors il y a-t-il un homme qui puisse me dire où en serait la France? Quel serait notre état, si on pouvait nous opposer que la Constitution n’est pas celle que les départements désirent? Et dès lors, quel parti prendrions-nous? Est-ce 38 594 [29 juin 1791-j [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. pour tel département qui en veut une différente, ou tel autre qui veut la modifier, que vous vous dérideriez? Alors nous les aurions nous-mêmes div sés. Eh bien ! loin d’être rassemblés sous un point d’opinio > publique, nous aurions prêté des armes invincibles à ceux qui veulent les diviser. Il faut encore se fixer, Me-sieurs, sur ce que c’est que les délibérations des corps électoraux de départements et autres. 11 y a une grande différence entre une délibération prise et discutée dans un corps représentatif, et l’adresse d’un département. Chacun sait que souvent il se trouve un homme qui, dans un département, dans un corps êlec-ral, rédige une auresse : ou ne le chicanera pas sur l’expression ( Applaudissements .) ; on vous donnera alors pour le vœu d’un département ce qui n’est que le vœu du rédacteur. Je désire que l’on ne tire démon observation que ce qui est le vœu bien connu de tous les membres du département, c’est l’amour de la liberté et de la Constitution ; mais la forme dans laquelle ou exprime ce vœu pourrait ici représenter, loin de ceux qui pourraient l’exuliquer, une manière très différente, et prenez garde que vous n’êtes pas chargés par la nation de recueillir le vœu des individus. Vous êtes chargés de faire vouloir le peuple, c’est ici où est sa tête ( Murmures à droite.)-, c’est ici où est la forme de sa délibération. (. Applaudissements à gauche.) Je n’hésiterai pas sur ia doctrine du gouvernement représentatif. Elle est de telle nature que la délibération ne peut être placée qu’au centre. M. Buzot observe que l’expression du vœu du peuple n’est pas dans les gardes nationales : cela est vrai, aussi n’ai-je jamais dit que les gardes nationales et les différents corps administratifs eussent à répéter le vœu du peuple : car tel est le système du gouvernement représentatif que la volonté du peuple n’est qu’ici; mais je soutiens que, dans une circonstance semblable, réunir les deux extrémités de la société est le parti le plus sage pour faire une organisation complète de l’opinion publique. Il faut aussi laisser connaître la masse totale de l’opinion publique, et aussitôt que le grand acte sera fait, on finira, dans J’enthousiasme et naos la gloire, ce que vous avez fait dans la peine et dans la fatigue. Ainsi, vo�s serez tirés des circ onstances délicates où vous êtes; vous aurez fini votre Constitution et elle sera en ce moment devenue la Constitution de la France entière, et alors la législature arrivera avec un esprit beaucoup meilleur qu’à présent. Je crois donc que le comité de Constitution, ainsi que les membres qui ont travaillé à contester cette mesure, demanderont que l’Assemblée nationale veuille bien ia prendre dans une considération plus étendue. 11 ne faut pas ajourner longtemps cette motion, mais je nense que, si l’Assemblée le désire, on pourrait ajourner à demain. (Murmures.) Plusieurs membres ; À lundi I à lundi 1 M. le Président. La proposition de M. Buzot n’étant que l’amendement de l’un des articles du projet du comité, et l’ajournement de ce projet étant demandé, on propose de prononcer l’ajournement sur le tout. M. Camus. Je pense que, dès aujourd’hui, il est essentiel de prononcer la question préalable, et voici mon motif : La proposition de M. Buzot est très différente de celle du comité; ou peut en continuer la discussion à demain. J’annonce môme que je crois qu’elle peut être adoptée. Quant à la proposition de M. Duport, elle doit être écartée sur-le-champ par la question préalable. Elle annonce de l’incertitude, de la défiance et une nécessité d’avoir ici des personnes qui viennent nous aider. Elle ferait croire que nous ne connaissons ni notre force ni notre grandeur, et que nous ne sentons pas combien, par notre conduite toujours sage et ferme, dans une circonslance bien délicate, nous n’avons pas fait un seul faux pas et nous avons su mériter l’admiration, je ne dis pas de la France, mais de lEuope entière. ( Applaudissements à gauche. — Rires ironiques à droite.) Il faut continuer de marcher sur la même ligne et avec la même fermeté. Nous sommes représentants du peuple; nous devons agir : voilà quelle est notre mission. La nation n’entend sûrement pas que pour terminer vos délibérations on fasse, par nés dépenses excessives, venir un certain nombre de personnes à cette fête. Agissons comme nous avons fait avec sagesse et fermeté; la nation approuvera ce que nous ferons, comme elle l’a déjà fait. Je demande donc que l’on sépare absolument la proposition de M. Buzot de la proposition principale de M. Duport, sur laquelle je demande la question préalable. M. Démeunier. La question qui vous est présentée est d’une telle importance qu’elle demande d’être méditée. (Murmures.) Plusieurs membres : La question préalable. M. Démeunier. Je rends une égale justice à ceux qui ont demandé la question préalable et à ceux qui ont combattu le projet du comité; mais je crois de mon devoir de faire entrevoir les effets dangeieux d’une opinion peu réfléchie. Messieurs, c’est uniquement pour accélérer vos travaux que vos comités se sont occupés de cette mesure. Je vous supplie de considérer que, dans la position où vous êtes, vos séances seront absorbées si vous n’av. z pas un terme fixe, si vous ne prenez pas une me?ure pour élaguer les objets de détail qui vous sont présentés. (Murmures.) Vous ne pouvez vous dissimuler, Messieurs, que si vous n’adoptez pas la mesure qui vous est proposée avec les modifications qu’on pourra y ajouter, soit à l’égard du nombre, soit à l’égard des dépenses, qu’il me paraît impossible que vous ayez fini votre Charte constitutionnelle d’ici à longtemps, et vous devez permettre à ceux que vous avez chargés de ce travail, qui vous ont montré leur zèle et leur activité, de vous donner leur avis. A présent, examinons le fond de la mesure qui vous est proposée. Le rapporteur vous a présenté différents motifs. Je ne veux m’arrêter un moment que sur ce seul point. Sans doute, nous avons montré jusqu’ici de ia force, et nous en montrerous jusqu’au dernier moment. Nous avons surmonté tous les obstacles; mais, Messieurs, iorsque vous aurez ainsi travaillé pour votre gloire, je vous prie d’examiuer si vous aurez travaillé également et pour la sûreté publique, et pour le salut de la France. (Murmures.) Si l'Assemblée nationale, ainsique je le pense, cesse ses travaux au 30 du mois d’août, je vous prie d’examiner la position où se trouverait le royaume, la position où vous placeriez vos successeurs, si vous n’aviez pas assuré, par une [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [29 juin 179i.j grande mesure, le succès de vos travaux. Chacun de nous retournerait dans si s foyers avec ta satisfaction d’avoir donné au royaume la Constitution et les lois que nous avons jugées les meilleures. Mois, Messi urs, si l’opi ion publique n’est pas consolidée, si no-successeurs, reprenant le pouvoir constitumt, touchent à votre Constitution... (. Murmures à gauche.) Vos lois avaient prévu tous les cas qui pouvaient se présenter dans un gouvernement représentatif, excepté celui dans lequel nous nous trouvons. Maintenant, il est clair que si vous ne vous environnez pas d’une grande opinion publique... (Murmures.) Je n'ai pas la force de vaincre des murmures et je termine mon opinion. M. Pëtion de Villeneuve. On a paru craindre que la législature n’envahît le pouvoir constituant; et pour prévenir ce danger, on vous offre une mesure que l’on appelle une grande mesure; et plus je l’examine, et plus je la trouve puérile. Ou le cumité a entendu que les Français se reuniront simplement pour une fête civique, et vous avez à décider si vous voulez une fête de cette nature, ou le comité a le but secret (te réunir des officiers municipaux et des gardes nationales pour ratifier votre Constitution, et il s’est complètement trompé. Comment peut-on croire qu’une Constitution telle que la nôtre puisse être ratifiée, d’une part, par la force armée, qui ne doit jamais délibérer; de l’autre, par des officiers municipaux qui n’ont de pouvoirs que pour les affaires particulièies de leurs communes? D’ailleurs serait-ce là un vœu national ? La ratification de la Cons itutioo est dans le cœur de tous les Français. Votre Constitution, n’en doutez pas, sera religieusement observée. ( Applaudissements .) Qu’on ne pense pas que la législature puisse chercher à être constituante. Si cela était, vous n’auriez qu’une Constitution mobile, un gouvernement incertain; il y aurait tous les ans une nouvelle anarchie. Sans doute, dans un grand ouvrage fait au milieu des mouvements sans cesse renaissants d’une immense Révolution, il doit se trouver ues imperfections ; mais l’opinion publique les dénoncera; mais quand la raison publique est formée, une mauvaise loi ne peut être longti mns exécutée. Il faudra donc réparer ces erreurs. Vous préparerez les moyens d’y parvenir, et pour éviter le danger des projets ambitieux d’une législature, il vous sera présenté des formes solenneib s et plus imposantes; il est indigne de vous d’adopter des mesures puériles, inutiles et dangereuses. Si l’on ne vous eu prorose pas d’autres, je demande la question préalable. M. Chapelier. L’Assemblée ne me parait pas assez bien disposée pour entendre la discussion sur la proposition du comité. Je ne m’en occuperai poiut; mais je m’étonnerai qu’on vous propose de rétracter un décret rendu depuis quatre jours. (Murmures.) Vous avez décrété, il y a quatre jours, la suspension des corps électoraux; vous avez craint, avec raison, qu’on ne profitât des circonstances présentes pour les engager à délibérer et à s’éloigner ainsi des termes de la loi. En ce moment, les courriers arrivent dans les départements; quelques corps électoraux déjà formés se sont séparés, et si deux jours après vous leur ordonnez de se rassembler, ce serait évidemment rétracter le premier décret et donner à ceux qui en veulent à votre Constitution le 595 moyen de faire délibérer les corps électoraux comme ils voudraient. (Murmures.) Dans un département d’une ancienne province, qui adonné souvent l’exemple du patriotisme et de la linerté, en Bretagne, un corps électoral a cru que la chose publique, reposant entièrement sur vous, dans ces moments de crise, il ne fallait pas élire; il a senti, même avant votre décret, qu’on ne devait nulle part qu’ici délibérer sur la chose publique. Ce serait une bien étrange inconvenance que de rétracter ua décret que la raison et les circonstances ont dicté, il y a quatre jours, et dont la raison et les circonstances demandent aujourd’hui la conservation. Hâ ons donc l’achèvement de la Constitution et ne craignez pas que les membres que vous avez honorés de votre confiance allongent d’un seul instant l’époque à laquelle votre séparation doit être marquée ; mais, au nom de la chose publique, ne prêtez fias aux mai veillants les moyens de réaliser leurs projets pour changer une partie de la Constitution; ne fournissez pas à ceux qui voudraient, ou aguer le royaume pour profiter du désordre, ou bien opérer des changements dans votre Constitution, ne leur fournissez pas, dis-je, les éléments dont ils ont besoin pour diviser l’opinion publique. Je demande doue la question préalable, quant à présent, sur l’une et l’autre proposition. (On applaudit et on murmure.) Il est évident qu’à l’é-gar i de la proposition de M. Buzot, pour le rassemblement des électeurs, on ne peut adopter la question préalable que quant à présent , car dans 15 jours peut-être sera-t-il très sage de lever la suspension. M. Lanjuinats, Je demande la question préalable purement et simplement sur trutes les fédérations qui ne produisent jamais de bien et ne peuvent faire que du mal aux malheureux jeunes gens qui viennent ici. (Rires.) M. le Président. Les uns demandent la queslion préalable sur le tout, les autres l’ordre du jour, les autres la division, les autres la question préalable sur telles ou telles dispositions seulement. Je mets aux voix la division. (L’Assemblée décide qu’elle ira aux voix sur chaque proposition séparément.) M. le Président. Je mets d’abord aux voix la question préalable demandée sur le projet de décret du comité. (L’As-emblée décrète qu’il n’y a pas lieu à délibérer sur le projet de décret.) M. le Président. Je mets aux voix la question préalable sur la motion de M. Buzot tendant à lever le décret portant suspension du rassemblement des électeurs. M. l