9A 3 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [29 septembre 1789.] Une lettre de M. Delley d’Agier, député suppléant du Dauphiné, et maire de Romans, par laquelle il annonce que les citoyens de cette ville et du bourg de péage de Pisançon ont ouvert la souscription d’un don patriotique. Une adresse de félicitations de la ville de Cour-pière en Auvergne, et de son arrondissement, composé de quarante-quatre municipalités, qui demandent Rétablissement d’un siège royal dans cette ville. Une lettre de M. le chevalier de Senneville, colonel du corps royal des colonies, par laquelle il annonce que les deux brigades qui composent ce corps, en garnison à Lorient, ont souscrit pour une somme de 12,000 livres dans le don patriotique ouvert en cette ville; il prie l’Assemblée nationale d’agréer cette souscription, sous le seul point de rue du dévouement que tout Français doit à sa patrie. Il a été lu ensuite une lettre des supérieur, vicaire général, et procureur général de la congrégation de Gluny, ainsi conçue : « Nosseigneurs, la congrégation de Gluny attend de la justice de l’Assemblée nationale, qu’elle ne doutera pas de son parfait dévouement pour la chose publique, et de ses dispositions à faire à la nation (comme tous les autres corps de l’Etat) les sacrifices nécessités par les circonstances, et qui ne lui paraîtront jamais pénibles. Le vœu de Tordre était connu, et les supérieurs n’étaient occupés que des moyens de réaliser des offres chères à leurs cœurs, lorsqu’ils ont été navrés de celle aussi précipitée que déplacée (ils osent le dire), car les tuteurs-nés de toutes les propriétés doivent chercher et aimer la vérité; de l’offre, dis-je, faite par quelques jeunes religieux de Saiot-Martin-des-Champs, qui n’ont suivi aucune des règles si nécessaires au maintien de la constitution de toute société policée. Ges jeunes gens, non contents d’avoir manqué à leur premier devoir, celui de consulter leurs supérieurs, et d’attendre que leur refus pût au moins leur servir de prétexte; sans avoir présenté leur vœu à la délibération capitulaire, s’écartant des vues aussi sages que patriotiques de la majeure et de la plus saine partie de la communauté, se sont permis un faux, plus condamnable, sans doute, que tous leurs premiers torts, celui de supposer des signatures; crime que nous nous empresserions de voiler, si notre honneur, et celui de quelques religieux estimables, ne se trouvaient compromis par cet abus impardonnable. Nous ne cherchons point à développer les motifs qui ont pu porter à cet égarement ces religieux, trompés par l’aperçu d’une liberté plus attrayante que véritablement avantageuse : la jeunesse, de mauvais con ¬ seils, quelques instigations étrangères, sur lesquelles nous nous efforcerons de jeter un voile religieux, ont pu les égarer ; nous devons ne voir en eux que nos frères, et non nos ennemis. Tels sont nos sentiments, nosseigneurs; mais ce que nous devons vous dire, c’est que l’ordre de Gluny ne désire conserver, son existence que pour donner à la patrie de nouvelles preuves de son zèle, en se rendant utile d’une manière encore plus particulière, par ses soins pour l’éducation publique, et pour tous les objets d'utilité dont l’Assemblée nationale pourra leur présenter l’aperçu. Ils s’en réfèrent à cet égard à l’adresse imprimée des religieux bénédictins de Saint-Maur. e Nous sommes trop convaincus de l’équité et de la sagesse qui doivent diriger les délibérations de l’auguste Assemblée des représentants de la nation, pour craindre qu’elle fasse droit sur l i demande particulière d’individus désavoués par leur corps; et nous invoquons sa justice, sur laquelle nous comptons comme sur la sagesse qui doit diriger ses délibérations. » Signé : Dom Courtin, supérieur, vicaire général de l’ordre de Gluny; dom Verchere, procureur général de l’ordre de Gluny. » L’Assemblée accueille ces offres avec satisfaction et ordonne l’impression de la lettre. Le président ayant rappelé l’Assemblée à l’ordre du jour, on continue la discussion sur la motion tendant à faire transporter à l’hôtel des monnaies l'argenterie des églises. Un membre du clergé propose un autre projet de décret sur le même objet. Après quelques discussions, on présente plusieurs amendements. La question principale consiste à savoir si l’Assemblée votera ou ordonnera le transport de la vaisselle. M. le Président interroge le vœu de l’Assemblée sur la continuation de la discussion, et il est décidé qu’elle est fermée. On réclame la question préalable ; l’Assemblée la rejette. On établit ensuite la question de priorité entre deux différentes rédactions. Le vœu de l’Assemblée est consulté ; l’épreuve paraît deux fois douteuse. L’auteurde la seconde rédaction seretire, et un membre propose, pour simplifier la question, de demander àl’Assemblée de décider simplement si elle veut inviter ou ordonner. Elle décide qu’elle invitera. On fait ensuite lecture du seul projet resté sur le bureau et de plusieurs amendements; quelques-uns sont retirés, un est rejeté, et le décret est ensuite porté en ces termes: « Sur la proposition d’un des membres de l’Assemblée et sur l’adhésiou de plusieurs membres du clergé, l’Assemblée nationale invite les évêques, curés, chapitres, supérieurs de maisons et communautés religieuses de l’un et de l'autre sexe, municipalités, fabriques et confréries, de faire porter à l’hôtel des monnaies le plus prochain toute l’argenterie des églises, fabriques, chapelles et confréries, qui ne sera pas nécessaire pour la décence du culte ». On proclame ensuite les trois trésoriers patriotiques: MM. l’évêque de Clermont, la Borde de Méréville et de Virieu ont réuni le plus de suffrages. Sur l’impossibilité où se dit M. l'évêque de Clermont d’accepter la marque de confiance dont l’Assemblée venait de l’honorer, M. deBonnegens est nommé pour le remplacer. — On annonce les membres désignés par les bureaux pour assister à la bénédiction des drapeaux de la milice bourgeoise de Versailles. M. de Bcaumetz, au nom du comité chargé de proposer à l’Assemblée un projet de déclaration sur quelques changements provisoires dans l’ordonnance criminelle faille rapport suivant: Messieurs, chargés par vous d’une commission importante, nous avons regardé comme notre premier devoir de nous pénétrer profondément de l’esprit du décret dont vous nous avez confié l’exécution. Depuis longtemps l’Europe accuse de barbarie notre législation criminelle. La voix de l’humanité a retenti dans tous les cœurs : de terribles exemples ont trop prouvé les vices de la loi; et 214 [Assemblée nationale,] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [29 septembre 1789.] le sang de plus d’une victime innocente, que n’a pas sauvée ia religion scrupuleuse des magistrats les plus vertueux, a déposé contre les formes de notre procédure. Ce crix universel devait redoubler au moment où les citoyens français, réintégrés dans leurs droits, étaient avertis de la dignité de leur être. La Constitution, en distribuant les pouvoirs, avait â organiser le pouvoir judiciaire ; elle devait surtout s’occuper de la justice criminelle, dont les rapports avec la liberté sont si prochains et si agissants. Un système vaste et complet d’ordre judiciaire vous a été proposé par votre comité de Constitution. Cet ouvrage profond, que vous avez honoré de vos applaudissements, va chercher, jusque dans les premières bases de la morale et de la justice, les principes dont il fournit des développements très-lumineüx. Mais, tandis qu’une sage lenteur diffère une régénération plus ou moins absolue, vous ne pouviez laisser, dans le code existant, des taches qui révoltent l’humanité. Vous avez voulu qu’elles disparaissent sur-le-champ ; et quand vous n’auriez été qu’un seul jour les législateurs d’une nation libre, elle vous aurait du ce bienfait. Il était digne des lumières de la capitale, et du guerrier philosophe qui commande à ces milices citoyennes, de donner le premier mouvement à cette réforme si vivement désirée. La ville de Paris, théâtre principal d’une mémorable Révolution, n’a pu échapper aux désordres qui en sont inséparables. Un grand nombre de citoyens s’y trouve chargé des accusations les plus graves. Les soupçons, fruit de la fermentation publique, augmentent et entretiennent à leur tour cette fermentation. Jamais il ne fut plus nécessaire d’écarter du sanctuaire redoutable de ia loi ces nuages épais qui, environnant à la fois lejuge, le coupable etla procédure, ne présentent aii public que méfiance et terreur où il ne doit voir que protection et sûreté. Jamais il ne fut plus nécessaire d'armer les accusés de tout ce qui peut rend re l’innocence évidente, dissiper les préjugés, éteindre les suspicions; et lorsque tout un peuple agité est prêt à se joindre aux accusateurs, le citoyen dans les fers, seul, avec sa conscience, ne pourra-t-il invpquer les lumières d’un conseil, la voix d’un défenseur ? Il était juste que tout le royaume participât à des changements qui partout sont nécessaires, partout sont appelés par l’opinion. Vos actes sont des lois ; le premier caractère de la loi, c’est d’être générale ; et comme vous avez voulu que ces changements fussent subits, que leur exécution fût soudaine, vous avez voulu aussi qu’ils pussent s’adaptera l’ensemble des lois existantes; qu’ils pussent se pratiquer par les tribunaux qui subsistent; que, sans délai, sans préliminaires, ce bienfait fût, dès à présent, mis à la portée de ceux qui doivent en jouir, et de ceux qui doivent le distribuer jusque dans les juridictions les plus subdivisées. Ce que vous attendez de nous n’est donc pas un code, mais un petit nombre d’articles ; une régénération, mais une première réforme ; un système durable de législation, mais une disposition provisoire. Vous avez voulu que sous peu de jours trois sources principales d’erreurs et d’oppression disparussent de la loi, sans que la loi fût anéantie. Pour rechercher ces abus jusque dans leurs racines les plus déliées, il aurait fallu creuser trop profondément, et le désir de la perfection autaitr nui à l’utilité du moment. Enfin, nous avons cru devoir nous rappeler, à tous les instants de notre travail, qu’il n’a rien de commun avec celui delà Constitution et qu’aü-tant les créateurs d’un pouvoir judiciâre ont dû s’élever au-dessus des institutions actuelles, pour concevoir les plans et tracer lés dessins d’un édifice tout neuf, autant nous devions être soigneux de raccorder avec ces mêmes institutions les innovations indispensables qu’il nous est prescrit d’exécuter. Vous les avez bornées à trois par votre décret : Rendre la procédure publique ; Accorder un conseil a l’accusé; Admettre, en tout état de cause, les faits qu’il propose pour sa justification. Le premier de ces points, autant par son importance que pat son étendue, mérite la pius sérieuse attention. La publicité embrasse la procédure tout entière, et elle en change pourainsi dire la nature. Ces deux considérations nous ont déterminés â fixer d’abord nos regards sur les effets de ia publicité, à calculer son influence sur tous les actes de l’instruction et sur ie jugement lui-même, à envisager cette influence sous le double rapport de l’intérêt public et de l’intérêt de l’accusé. Ce sont ces deux grands intérêts que la législation doit soigneusement concilier. La sûreté publique doit être établie. Les passions qui enfantent les crimes doivent être réprimées par la crainte ; mais l’humanité, l’humanité sainte doit être respectée ; et avant tout, et par-dessus tout, l’innocence doit respirer tranquille à l’abri des lois. Heureux si ces principes sont empreints dans notre ouvrage, comme il se sont gravés dans nos cœurs! Deux époques très-différentes sont à distinguer dans la procédure; celle qui précédé le décret, celle qui je suit. Un délit s’est commis : la société tout entière est blessée dans un de ses membres ; la haine du crime ou l’intérêt privé amènent une dénonciation , ou motivent une plainte; le ministère public est averti par l’offensé, ou réveillé par la clameur générale, on constate le délit , on en recueille les indices ; on en vérifie les traces. II faut que l’ordre public soit vengé ; il faut que le malfaiteur soit connu. Le magistrat,, dépositaire de l’intérêt commun, s’adresse au juge ; il demande à produire ses témoins, à administrer ses preuves; le juge les admet. 11 recueille les témoignages, il rassemble, il constate les pièces de conviction. Jusque-là, il n’existe encore qu’un délit, des recherches, peut-être des soupçons ; il n’existe pas encore d’accusé. Si la publicité accompagne ces recherches; si les, notions transpirent à mesure qu’elles sont acquises ; si chaque degré de vraisemblance ou de preuve qui s’accumule est connu du coupable aussitôt que du juge, nbspérez pas que jamais la vindicte publique puisse être accomplie. Le seul espoir d’être ignoré aveuglait le coupable. Quoique tourmenté par sa conscience, il restait. Il est découvert, et il fuit. Il n’âttendra pas que la preuve soit complète. On a saisi la trace qui doit conduire à lui, et il est évadé. Le décret ne trouvera plus qu’un, fugitif, et la procédure un contumace. Avec lui sont disparues toutes les traces de complicité. 11 ensevelit, dans un odieux mystère, des vérités importantes ; et qui sait si, par des moyens plus cruels, il n’essayera pas encore de replonger dans la nuit l’instruction qui 215 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. le menace? Trop certain que sa tête est déjà désignée, que risque-t-il d’accumuler de nouveaux crimes pour empêcher de nouvelles preuves ? Ainsi l’impunité certaine , l’impunité évidente rendra tous les crimes sans danger, et toutes les lois sans effet. Alors la société , continuellement souillée par des forfaits, ne sera jamais purifiée par leur expiation. Ce n’est pas, Messieurs, cet ordre de choses que vous avez voulu établir : l’intérêt public y serait sacrifié. De quelle importance ne sont pas cependant ces premières procédures ! Elles serviront de base à l’accusation ; elles en détermineront peut-être l’événement définitif. Demeureront-elles enveloppées de ténèbres ? Sera-ce désormais au sein de l'obscurité que le dénonciateur ira déposer sa révélation sur le registre formidable? le dénonciateur qui, trop souvent accusateur et témoin, a un si grand intérêt à ce düe l’accusé soit trouvé coupable, pour n’être pas lui-même jugé calomniateur!? Sera-ce loin de toute lumière et de toute surveillance que sera reçue la plainte de la partie offensée, au hasard ae la voir négligée par un juge distrait ou trop accablé d’autres soins ; au hasard même de la voir longtemps étouffée, s’il pouvait exister üh juge assez coupable pobr calculer la faiblesse de l’offensé et le crédit de l’offenseur? Car dans l’état actuel, cette plainte, dont la date est si importante, n’en a d’autre que Celle du jugement qui la reçoit. Les procès-verbaux, les visites, les rapports des experts, tous ces moyens’,, .si précieux pour constater la vérité, parce qu’ils saisissent les traces du délit toutes récentes , et qu’ils recueillent des témoignages muets ët incorruptibles , ont, pour la plupart, une sorte de publicité naturelle. Il est sans inconvénient de leur en donner une légale et authentique. Mais c’est surtout la première information , celle qui doit précéder et motiver le décret, qu’il serait alarmant de laisser consommer dans la nuit du secret actuel de la procédure. La loi doit elle-même environner son ministre du respect qu’elle doit exiger pour lui; mais c’est en le plaçant dans la lumière qu’elle doit l’investir de confiance et d’honneur. Il dispose du sang des hommes; et les hommes ne sauraient trop constater, par leurs yeux, avec quelle sainte circonspection ce ministère redoutable est exercé. Renfermés dans des murs impénétrables, un commissaire, un greffier, un témoin, tiennent aujourd’hui le fil de la vie des citoyens : Un commissaire , pénétré sans doute du sentiment effrayant de ses devoirs, incapable de ce relâchement que produit l’habitude, supérieur à toutes les passions de l’humanité, mais sujet, hélas ! à l’erreur, qu’il n’est pas donné aux hommes d’éviter constamment ; Un témoin, souvent grossier , et qui ne connaît ni l’ordre des idées , ni la valeur des expressions; Un greffier, instrument passif, et presque toujours subordonné. Chaque mot qui échappe au témoin, et qui est dicté par le commissaire, sera recueilli et apprécié par le juge. Chaque mot décidera du degré de la preuve et du destin de l’accusé. Cette rédaction sera pesée, en jugeant, au poids du sanctuaire; mais elle aura été l’ouvrage d’un seul, d’un seul qui avait à démêler l’obscurité du lan-[29 septembre 1789.] gage rustique d’un témoin; d’un seul qui n’a pas pu être averti s’il s’est trompé, et qui, dans tous les cas, ne peut avoir que sa conscience pour surveillant et pour juge. L’intérêt de l’accusé ne vous a pas paru suffisamment protégé dans cet ancien ordre de procédures, et la publicité, dont vous attendez de si heureux effets; vous semblerait trop tardive, si l’instruction avait déjà fait d’aussi grands pas avant de lui être soumise, Il a donc fallu imaginer urt moyen d’accorder la vindicte publique avec la sûreté de l’accusé, d’écarter les inconvénients d’une obscurité alarmante et ceux d’une publicité prématurée; et c’est pour y parvenir que nous vous proposons, Messieurs , d’adjoindre au ministère public et au juge, pour toutes les procédures qui précéderont le décret, un certain nombre de citoyens notables, liés, par un double serment, à garder le secret des actes dont ils seront témoins, et à veiller, pour l’accusé, à la régularité, à l’impartialité de toutes ces opérations. Ces notables, au nombre de deux ou de quatre, pris dans un nombre plus considérable, nommé chaque année par les municipalités, formeraient une sorte de jury ou de pairie, dont le témoignage irréprochable serait tout à la fois rassurant pour l’accusé, et honorable pour le juge. Rien ne serait fait hors de leur présence, depuis la dénonciation jusqu’au décret. Devant eux la plainte serait remise et sa date assurée , les procès-verbaux dressés, les rapports d’experts reçus, les pièces de conviction vérifiées. Devant eux seraient ouïs les témoins de l’information ; par eux la conscience du juge serait rassurée sur le sens exact et précis des dispositions ; leurs interpellations salutaires, mentionnées au procès-verbal, réveilleraient à propos l’attention du commissaire sür quelques circonstances qui peuvent lui échapper , et établiraient entre eux et lui une heureuse émulation; un concours d’exactitude et de zèle toujours favorable à la vérité. Les citoyens, accoutümés par cette institution à s’associer aux fonctions augustes de la magistrature; s’élèveraient peu à peu au sentiment si utile de leur propre dignité. Ils ne considéreraient plus le droit de juger leurs semblables, ce droit de tous les hommes libres, comme la prérogative d’une caste particulière ; ils s’approcheraient peu à peu de cet esprit public, si nécessaire à rétablissement du jugement par jurés ; établissement qui n’est pas étranger à la France, mais qui, pour renaître dans son climat primitif; exige peut-être plus de mouvement encore dans les esprits, que de changement dans les institutions. Tels sont, Messieurs, les avantages qui nous ont frappés dans l’adjonction des citoyensfno-tables à tous les actes qui doivent précéder le décret, et cette adjonction s’adapte très-aisément avec toute la marche actuelle du procès. Presque tous les actes en sont conservés; l’ordre même n’en est pas interverti ; l’admission des notables , témoins discrets et impartiaux, et leurs signatures ajoutées partout à celle du témoin , du greffier et du juge , augmentent l’authenticité de la procédure, sans en accroître les embarras. Si quelqu’un regrettait qu’une publicité plus complète n’éclairât pas, dès l’origine, tout le progrès de l’instruction et des charges, et nous citait les formes de l’Angleterre à l’appui de son opinion, nous nous croirions fondés à lui ré- 216 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [29 septembre 1789.] pondre, qu’assujettis à conserver toute la partie de l’ordonnance dont vous n’avez pas prononcé la réformation actuelle, nous n’avons pu emprunter du Gode des Anglais, ni les grands ni les petits jurés, ni le Warrant, au moyen duquel toute procédure débute par la capture de la personne soupçonnée, qui, à la vérité , obtient la liberté en beaucoup de circonstances, moyennant caution. Nous pourrions ajouter, qu’imitant l’esprit plutôt que les termes de cette législation , nous ne laissons , dans notre projet , subsister un secret quelconque , que jusqu’au moment où l’accusation commence , et nous plaçons la publicité la plus entière immédiatement après l’exécution du décret. Sans en avoir reçu la mission expresse, nous osons vous proposer ici d’ordonner que tout décret sera rendu au moins par trois juges, parce que cette injonction n’exigerait qu’un article très-court et très-facile à rédiger. Un autre article , également juste et concis , pourrait aussi éviter aux personnes domiciliées la gravité du décret de prise de corps , quand le titre d’accusation ne peut conduire qu’à une peine infamante , et non pas à une peine afflictive. Dès l’instant où, par le décret, la loi a désigné l’accusé et saisi sa personne, elle est dispensée de garder avec lui un mystère affligeant. Tout ce qui a été fait, doit lui être communiqué ; tout ce qui sera fait le sera publiquement : son interrogatoire, cette partie si essentielle pour la défense, si formidable pour la conviction, n’a rien qui doive être soustrait aux regards du public. Cette épreuve importante n’aura aucun des caractères de la surprise; et aura tous ceux delà vérité; elle sera précédée de la connaissance de toutes les charges, et de la lecture de toutes les pièces; elles seront connues de l’accusé qui répond, comme elles le sont du magistrat qui interroge; et celui-ci n’aura plus la douleur de voir un homme innocent, mais effrayé, hésiter, balbutier des réponses incertaines dont il redoute les conséquences, parce qu’il les ignore, et s’accuser faussement lui-même, en substituant le mensonge à la vérité. Ce malheur, si déploré par les magistrats qui en ont fait une longue expérience, sera prévenu encore par les lumières du conseil dont l’accusé pourra implorer le secours. Cette disposition, déjà connue dans l’ordonnance pour certains titres d’accusations plus compliquées, n’a besoin que dfetre étendue à tous les cas, et admise avant l’interrogatoire, dont elle ne différera point l’époque beaucoup au delà des vingt-quatre heures prescrites par la loi. Mais le conseil ne pourra ni interrompre l’interrogatoire, ni répondre pour l’accusé. G’ est de la bouche de celui-ci que doit sortir sa justification ou la preuve de son crime. Vous voulez, Messieurs, donner des armes suffisantes à l’innocence; vous ne voulez pas fournir au crime le moyen d’échapper à la vengeance de la loi. C’est animés du même esprit que vous avez voulu permettre à l’accusé de faire, dans tous les moments de l’instruction, la preuve des faits qui importent à sa justification. Aucun article peut-être, dans l’ordonnance de 1670, n’exige une réformation plus pressante que celui des faits justificatifs. On a peine à concevoir comment la'loi, si soigneuse de recueillir les vestiges du crime, et d’en prévenir le dépérissement, repousse, pendant toute l’instruction, les faits justificatifs, et n’en admet la preuve que quand la procédure est déjà consommée. Elle n’a point assez prévu, cette loi, que le temps peut faire disparaître les traces les plus décisives en faveur de l’innocence ; elle n’a point assez calculé les angoisses d’un accusé qui gémit longuement dans des chaînes, qu’un fait justificatif, prouvé dès l’origine, aurait pu faire tomber aussitôt. Une réformation si précieuse ne vous coûtera qu’un article. Mais, en permettant aux accusés de repousser les témoignages rapportés contre eux, en leur opposant une preuve contraire, vous ne voulez pas sans doute qu’ils éternisent les procédures par des preuves frustratoires, et vous autoriserez le juge à rejeter les faits qui lui paraîtront impertinents et inadmissibles. Nous parcourons rapidement les autres actes de la procédure, et nous trouvons partout que la publicité seule leur donne un degré suffisant de bonté, et répond à toutes les objections. Admettez le public au récolement, àla confrontation des témoins qui ont déposé avant le décret ; admettez-le aux informations par addition, et aux confrontations qui en sont la suite, aux interrogatoires devenus nécessaires par l’allégation des faits nouveaux ; et tous les intérêts publics et privés sont mis à couvert, et rien n’est dérangé dans l’ordre judiciaire ; rien ne suspend l’activité des lois; rien n’introduit dans l’organisation générale ce moment de station et d’embarras, qui est toujours au préjudice de la société. On peut considérer comme une simple conséquence des principes que vous nous avez donnés à développer, l’admission des reproches contre les témoins en tout état de cause : car il n’y a pas de moment où il faille repousser la vérité; et les caractères qui la font reconnaître ne dépendent pas de l’heure où elle se présente à nos yeux. Mais l’acte qu’il importe surtout de rendre public, celui qui doit compléter la tranquillité de l’innocence, et concilier aux magistrats un tribut mérité de confiance et d’estime : c’est le rapport du procès, ce dépouillement complet, clair et précis des faits, des indices et des preuves. L’humanité vous engagera vraisemblablement à éloigner l’accusé de ce moment solennel et décisif ; mais le peuple entier y veillera pour lui, partagé entre la commisération et la justice; mais son défenseur y sera admis à résumer verbalement tous ses moyens de justification. Enfin nous arrivons au moment du dernier interrogatoire, où l’accusé paraîtra pour la dernière fois sous les yeux du public, et pour la première fois en présence de tous ses juges ; nous osons encore dépasser notre mission, en vous proposant de ne point affliger ses regards par cet instrument d’un funeste présage, qui convertit en opprobre, même les soulagements accordés par la compassion à l’humanité défaillante. Cette réforme de la sellette, déjà projetée dans un temps où les opérations du ministère ne jouissaient pas de la faveur publique, a été critiquée alors, comme minutieuse. Nous osons la reproduire, parce que rien ne nous paraît minutieux dans de si grands intérêts ; parce qu’un premier mouvement de répugnance ou d’effroi peut affaiblir ou distraire les idées de l’accusé, quand il devrait au cbntraire recueillir toutes ses forces pour le dernier instant accordé à sa justification. Le jugement doit suivre immédiatement le dernier interrogatoire; il paraît nécessaire à la liberté, à l’étendue des discussions qui le doivent accom- 217 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [29 septembre 1789.] pagner, que les magistrats, retirés dans l’intérieur de la chambre du conseil, se livrent, dans le calme le plus profond, à cette fonction redoutable; ils rentreront, pour prononcer leur sentence ou arrêt devant le peuple assemblé; car la peine décernée au crime, ou la justification de l’innocence ne sauraient être accompagnées d’une publicité trop éclatante. Vous fixerez, Messieurs, dans votre sagesse, si vous le jugez à propos, quelle pluralité de suffrages sera désormais requise pour faire prévaloir l’opinion qui condamne un homme à une peine afflictive, et surtout à perdre la vie. La ville de Paris avait provoqué votre décision sur ce quatrième objet; mais il n’est pas renfermé dans le décret que vous avez porté sur la délibération des représentants de celte commune. Ce ne serait pas ici le lieu d’objecter que toute fixation proportionnelle, autre que la simple pluralité, aboutit à faire prévaloir l’avis de la minorité sur celui de la majorité ; car cette observation , vraie en général, ne reçoit pas son application quand l’avis de la majorité simple est combattu par de fortes présomptions de droit, qui lui sont contraires. Toutes les délibérations ne sont que des calculs de probabilités. Ce sont des probabilités qu’additionne tout homme qui recueille et qui compte des suffrages. Or, toute probabilité doit être comparée avec les présomptions opposées; et de toutes présomptions, la plus forte et la plus sacrée, celle qui doit être la plus religieusement consultée, c’est la présomption de l’innocence. Vous déterminerez, Messieurs, à quelle majorité proportionnelle de suffrages doit céder cette présomption, sur laquelle toute justice se repose. Là finit la procédure ; mais nous avons cru devoir à l’humanité de vous adresser une dernière observation. Déjà le Roi, digne en tous points du titre glorieux que vous lui avez décerné, a banni de la France l’usage cruellement absurde d’arracher aux accusés, à force de tourments, l’aveu des crimes, vrais ou faux, dont ils étaient prévenus; mais il vous a laissé la gloire de compléter ce grand acte de raison et de justice. Il reste encore dans votre Gode une torture préalable; si les raffinements de la cruauté la plus inouïe ne sont plus employés à forcer les hommes de s’accuser eux-mêmes, ils sont encore mis en usage pour obtenir des révélations de complices. Fixer vos yeux sur ce reste de barbarie, n’est-ce pas, Messieurs, en obtenir de vos cœurs la proscription? Ce sera un beau, un touchant, spectacle pour l’univers, de voir un Roi et une nation, unis par les liens indissolubles d’un amour réciproque, rivaliser de zèle pour la perfection des lois, et élever, comme à l’envi, des monuments à la justice, à la liberté et à l’humanité. M. Thouret, autre membre du même comité , remplace M. de Beaumetz à la tribune et donne lecture du projet de décret sur la réformation provisoire de la procédure criminelle; ce projet de décret est ainsi conçu : L’Assemblée nationale considérant : 1° qu’un des principaux droits de l’homme, qu’elle a reconnus, est celui de jouir, lorsqu’il est soumis à l’épreuve d’une accusation criminelle, de toute l’étendue de liberté et de sûreté pour sa défense, qui peut sy concilier avec l’intérêt de la société qui commande la punition des délits ; 2° que l’esprit et les formes de la procédure pratiquée jusqu’à présent en matière criminelle, s’éloignent tellement de ce premier principe de l’équité naturelle et de l’association politique, qu’ils nécessitent une réforme entière de l’ordre judiciaire pour la recherche et le jugement des crimes ; 3° que si l’exécution de cette réforme entière exige la lenteur et la maturité des plus profondes méditations, il est cependant possible de faire jouir dès à présent la nation du bienfait de plusieurs dispositions, qui, sans subvertir l’ordre de procéder actuellement suivi, rassureront l’inno-nocence, et faciliteront la justification des accusés, en même temps qu’elles honoreront davantage le ministère des juges dans l’opinion publique, a arrêté et décrété les articles qui suivent : Art. 1er. Dans tous lieux où il y a un ou plusieurs tribunaux judiciaires établis, la municipalité nommera un nombre suffisant de notables, eu égard à l’étendue du ressort, parmi lesquels seront pris les adjoints qui assisteront à l’instruction des procès criminels, ainsi qu’il va être dit ci-après. Art. 2. Ces notables seront choisis dans la classe des citoyens de bonnes mœurs et de probité reconnues, et leur élection sera renouvelée tous les ans; ils prêteront serment à la commune, entre les mains des officiers municipaux, de remplir fidèlement leurs fonctions. La liste de leurs noms, qualités et demeures sera déposée, dans les trois jours, aux greffes des tribunaux judiciaires, par le greffier de la municipalité. Art. 3. Aucune plainte ne pourra être présentée au juge qu’en présence de deux adjoints ; il sera fait mention de leur présence et de leurs noms dans l’ordonnance qui sera rendue sur la plainte, et ils signeront avec le juge, à peine de nullité. Art. 4. Les procureurs généraux et les procureurs du Roi ou fiscaux qui accuseront d’office, seront tenus de déclarer par la plainte s’ils ont un dénonciateur ou non, à peine de nullité ; et s’ils ont un dénonciateur, ils déclareront en même temps, son nom, ses qualités et sa demeure, afin qu’il soit connu du juge et des adjoints à l’information, avant qu’elle soit commencée. Art. 5. Les procès-verbaux de l’état des personnes blessées, ou du corps du mort, du lieu où le délit aura été commis, et des armes, hardes et effets qui peuvent servir à conviction ou à décharge, seront dressés en présence de deux adjoints, qui pourront faire au juge leurs observations, dont sera fait mention, et qui signeront ces procès-verbaux, à peine de nullité. Dans le cas où le lieu du délit serait à une trop grande distance du chef-lieu de la juridiction, les notables, nommés dans le chef-lieu, pourront être suppléés dans la fonction d’adjoints aux procès-verbaux, par les membres de la municipalité du lieu du délit. Art. 6. L’information qui précédera le décret, continuera d’étre faite secrètement, mais en présence de quatre adjoints qui assisteront à l’audition des témoins. Art. 7. Les adjoints seront tenus en leur âme et conscience de faire au juge les observations tant à charge qu’à décharge, qu’ils trouveront nécessaires pour l’explication des dires des témoins, ou l’éclaircissement des faits déposés; et il en sera fait mention dans le procès-verbal d’information, ainsi que des réponses des témoins. Le procès-verbal sera coté et signé à toutes les pages par les quatre adjoints, ainsi que par le juge, à l’instant même et sans désemparer, à peine