450 [AssembL-e nationale. j ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (18 août 1789.] toujours été le résultat nécessaire d’une grande anarchie. Il est donc bien plus important qu’on ne le pense de mettre fin aux désordres dont nous gémissons; et si on ne peut y parvenir qu’en rendant quelque activité à la force publique, il y a dope une véritable inconséquence à souffrir qu’elle demeure plus longtemps oisive. Qu’on ne me dise pas que cette force peut encore devenir dangereuse. D’abord , je ne sais pourquoi , je pense que les hommes qui se délient toujours sont nés pour la servitude; que la confiance est l’apanage des grands caractères, et que ce n’est que pour les hommes à grands caractères que la Providence a fait la liberté. Et puis, qu’a-t-on à redouter quand tous les citoyens sont à leur poste, quand une profonde révolution s’est faite dans les habitudes sociales, quand les préjugés auxquels nous obéissons ne sont déjà plus que d’antiques erreurs, quand, à force d’expérience, d’infortunes, on est enfin parvenu, non pas simplement à connaître, mais à sentir qu’on ne peut être heureux qu’avec la liberté? Laissons donc là toutes ces craintes pusillanimes ; et lorsque nous disposons d’une somme incalculable de moyens pour amener à sa perfection l’ouvrage que nous avons commencé, ne souffrons plus des désordres qu’il est de notre devoir, autant que de notre intérêt de prévenir. Que le chef de cet empire, que ce Roi que vous venez de proclamer à si juste titre, et avec tant de solennité, le restaurateur de la liberté française, s’entende avec vous pour rétablir le calme dans nos provinces; que, par vos soins réunis, par une surveillance commune, aucun jour de désolation ne se mêle aux jours qui vont se succéder; que pour l’honneur de l’humanité cette révolution soit paisible, et que désormais le bien que vous êtes appelés à faire ne laisse, s’il se peut, dans l’âme d’aucun de vos concitoyens, ni regrets amers, ni souvenirs douloureux. Le discours de M. Bergasse est vivement ap - plaudi ; l’Assemblée en ordonne l’impression. — On fait différents rapports. Plusieurs nobles de Bretagne ont été arrêtés par la milice bourgeoise. Le rapporteur propose de décréter que cette affaire sera renvoyée au ministre et que M. le président communiquera ce renvoi aux membres des comités permanents de Nantes et de Saint-Malo, en leur annonçant que l’opinion de l’Assemblée était que les gentilshommes détenus devaient être libres de se rendre où bon leur semblerait. M. le baron de Marguerites fait ensuite lecture d’une lettre signée par MM. les gentilshommes bretons, aciuellement à Brest, par MM. les ofïicL rs de l’artillerie et du génie des régiments de Normandie et de Beauce, et par le commandant en second de la marine ; dans cette lettre, MM. les gentilshommes bretons se plaignent amèrement du soupçon injurieux que l’on voudrait répandre sur la noblesse de la province, relativement au complot formé contre h; port de Brest, d’après l’annonce vague de M. 1 ambassadeur d’Angleterre ; ils ajoutent que de pareils bruits ne sont propres qu’à semer la défiance et la division entre les diverses classes de citoyens d’une grande province, ainsi qu’à donner lieu à des actes répréhensibles, également contraires à la liberté individuelle, à l’ordre public et à l’honneur national ; qu’en conséquence il est urgent d’engager M-le duc de Dorset à donner des renseignements plus précis . relativement au complot qui a, dit-on, menacé le port de Brest, afin que s’il est avéré qu’aucun gentilhomme breton ne s’est rendu coupable de cette affreuse trahison, un témoignage public anéantisse promptement les effets de la calomnie; et afin aussi que si quelque gentilhomme se trouve convaincu d’avoir trempé dans ce complot criminel, son nom soit voué à l’exécration publique, la noblesse n’avant rien de plus à cœur que d’appeler sur la tête du coupable la vengeance des lois. Une lettre dalée de Rennes, signée par les commissaires des Etats de Bretagne témoigne les mêmes sentiments, et annonce qu’ils ont cru se devoir à eux-mêmes et à leurs concitoyens d’exciter les recherches de tous ceux qui pourraient concourir à dévoiler une trame aussi odieuse, et u’ils se sont adressés à cet effet à MM. les comtes e Montmorin etde Saint-Priest, ministres du Roi, ainsi qu’à M. le comte de Thiars, commandant en chef en Bretagne. L’Assemblée, après une longue discussion, a cru qu’il n’y avait pas lieu de délibérer, et il est arrêté que M. le président communiquera en réponse cette décision tant à MM. les commissaires des Etats de Bretagne qu’à MM. les gentilshommes bretons actuellement à Brest. M. le Président invite les comités des finances, des rapports et tous les bureaux à se réunir ce soir à six heures. La séance est levée. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. I.E COMTE DE CLERMONT-TONNERRE. Séance du mardi 18 août 1789. M. le Président a annoncé à l’Assemblée que M. le comte de Lally-Tollendal et M. l’abbé Sieyès sortaient de place, le temps d’exercice de leurs fonctions étant expiré ; que M. l’abbé de Montes-quiou abandonnait aussi le secrétariat par la voie du sort, et qu’ils étaient remplacés par MM. de Talleyrand-Périgord, évêque d’Autun, le comte de Montmorency, et l’abbé de Barmond. Un de MM. les secrétaires a donné lecture des adresses de la ville et communauté de Millau en Rouergue ; de la ville de Montaigu en Poitou ; des citoyens de tous les ordres de la ville et vicomté d’Auvillard en Guyenne; de la commune de Ghâteaulin en Bretagne ; de la ville de Mon-teils, près Montauban ; du village d’Hargicourt, bailliage de Saint-Quentin ; des trois ordres de la ville de Lorient ; des trois ordres de la ville de Bressuire ; de la ville de Dormans ; des trois ordres de la ville de Vie ; de la ville haute de Carcassonne ; des habitants de la municipalité de Saverne ; des trois ordres de Marseille, en faveur de M. de Beausset, chanoine de Saint-Victor ; du bourg de Bigny, sénéchaussée de Brignols ; de la vilie de Saint-Ambroise ; de la ville de Saint-Paul-trois Châteaux en Dauphiné ; et de la ville de Négre-Pelisse. II a été rendu compte de l’hommage que les membres de l’association de bienfaisance judiciaire de la ville de Paris, ont fait à l’Assemblée de leur règlement. Il a été fait part aussi de l’offre noble et géné- [Assemblée nalionale.j ARCHIVES PARLEMENTAIRES. j 18 août 1789.] 451 reuse faite par M. Cbalan, procureur du Roi, de Melun, de la finance de soti office pour venir au secours de l’Etat. On a donné lecture des procès-verbaux des treize et quatorze de ce mois. M. le Président a soumis à la discussion le projet de déclaration des droits de l'homme en société, présenté par messieurs du comité des cinq chargés de l’examen des différentes déclarations des droits. M. CVenière. La déclaration des droits est un acte dans lequel il faut énoncer les droits de l’homme tels qu’ils sont. Sans cela cette déclaration devient inutile. Je remarque quelques erreurs dans la déclaration que l’on nous présente. On nous dit d’abord : c’est une suite de principes. Un principe est l’expression d’une vérité. Un droit est l’effet d’une convention. Avec l’un, ou raisonne, on discute ; avec l’autre, on agit. L’on nous a parlé souvent de la déclaration des droits de l’Amérique. Si elle est ainsi rédigée, je la crois absurde ; elle ne peut produire aucun effet. Le maintien de la liberté dépend de deux choses ; de la déclaration des droits (tout homme doit les connaître) et de la Constitution. Nos droits sont invariables, toujours constants, toujours les mêmes, et cependant ils augmentent ou ils diminuent selon l’opinion des auteurs des déclarations de droits. Le comité des cinq nous a présenté un projet de dix -neuf articles ; un membre nous en a montré un de vingt ; un autre de trente ; enfin on les a portés jusqu’à soixante-seize. Un droit est le résultat d’une convention ; il en est de deux sortes ; celles qui sont nécessaires, et celles qui sont possibles. La convention nécessaire est celle sans laquelle la société ne peut exister, qui fait de la volonté du plus grand nombre la volonté générale, la volonté de tous. Les conventions possibles sont celles de particuliers à particuliers. 11 est donc aussi essentiellement deux sortes de droits. Or, s’il faut, dans la déclaration des droits, y expliquer ceux de la dernière classe, cette déclaration deviendrait incomplète, parce qu’on ne peut les expliquer tous ; incertaine, parce qu’on peut les modifier, les varier sans cesse. J’ai consacré bien des veilles, et je n’ai pas trouvé d’autre projet plus convenable que la déclaration suivante, dont je vous ai déjà donné lecture : « Les Français, considérant qu’il leur est impossible de s’assembler dans un même lieu, et qu’ils ont nommé des représentants par province, pour promulguer leurs lois, et les constituer en peuple libre. « Arrêtent que la volon té du plus grand nombre devient la volonté générale ; que chaque citoyen doit y être soumis ; que chaque citoyen a le droit de participer à la Constitution, à la régénération des lois, et à la création des nouvelles ; que le pouvoir législatif appartient au peuple ; que l’époque des Assemblées nationales ne peut être déterminée que par le peuple ; que l’impôt ne peut être établi sans le consentement du peuple ; enfin que ces droits étant naturels, étant imprescriptibles, ce n’est que par leur réunion qu’ils deviennent les droits de tous. » Telles sont les idées que je vous avais proposées autrefois sous un autre titre, et que je vous propose maintenant sous le litre de déclaration des droits. Veut-on s’en écarter ? tout devient arbitraire, tout est vague. Si quelqu’un est étonné de la simplicité de ces vues, j’ai l’honneur de lui déclarer que ce n’est pas sans peine que l’on parvient à des idées simples. M. Duport, 11 faut, avant tout, déterminer les points de discussion. Il me semble que l’on peut les réduire à ceci : 1° Examiner le plan ou le système général de l’ouvrage. 2° Discuter la vérité ou la fausseté de chaque article. 3° La manière de le rédiger. Je propose cette marche pour abréger et pour mettre de l’ordre dans notre travail. En rentrant dans la première partie, je me demande ce que l’on entend par la déclaration des droits. Je crois, comme le préopinant, que c’est l’expression de tout ce qui appartient à l’homme en société ; c’est ce qu’il peut faire ; c’est ce que l’on ne peut, si ce n’est par violence,, l’empêcher de faire ; mais les droits ne peuvent exister que par des conventions. L’on ne peut se dispenser de faire des déclarations, parce que la société change. Si elle n’était pas sujette à des révolutions, il suffirait de dire que l’on est soumis à des lois ; mais vous avez porté vos vues plus loin : vous avez cherché à prévoir toutes les vicissitudes ; vous avez voulu enfin une déclaration convenable à tous les hommes, à toutes les nations. Voilà l’engagement que vous avez pris à la face de l’Europe. Il ne s’agit pas ici de composer avec les circonstances ; il ne faut pas craindre ici de dire des vérités de tous les temps et de tous les pays. Je trouve que dans les différents projets que l’on nous a présentés, l’on n’a pas énoncé tous les droits essentiels, sans lesquels l’homme n’est pas essentiellement libre ; sans doute il est difficile de les saisir tous ; mais il me semble que je pourrais les saisir plus facilement si je posais ainsi la question : quels sont les droits avec lesquels vous êtes libres ou vous ne l’êtes pas ? L’objet d’une déclaration est donc de comprendre tous les droits quelconques. Qu’importe qu'ils soient contraires à la Constitution ? La déclaration est pour les établir, la Constitution est pour les modifier et les circonscrire. Ainsi, par exemple, il est dit dans la déclaration des droits que tout citoyen a le droit de faire le commerce. C’est à la Constitution à restreindre ce droit, si toutefois il peut être restreint ; mais, comme il ne doit pas l’être, alors vous n’annoncez que ce que tout le monde sait, puisque la loi n’a pas le pouvoir d’empêcher de faire le commerce. Ce sont là les réflexions générales que je me suis permises sur la déclaration des droits. Si j’entre ensuite dans un examen plus particulier, j’y trouve desmaximesqui sontisolées, et qui deviennent particulières à différentes branches d’administration. D’ailleurs, tous les droits de l’homme n’y sont pas exprimés. D’après cela, adopterons-nous le plan du comité des cinq ? Ce plan est vicieux, puisqu’il ne répond pas à la définition que nous en avons donnée. Ainsi nous voilà au point où nous en étions quand nous avons nommé le comité des cinq, avec cette consolation cependant, que la déclaration qui nous a été présentée est peut-être la moins défectueuse. Je crois donc que, pour terminer, il faut remettre l’ouvrage dans les mains d’un plus petit nombre qui le travaillera encore; et c’est le moyen, lorsqu’il y aura moins de contradiclion dans les opinions des réducteurs, qu’il règne plus de clarté,