ARCHIVES PARLEMENTAIRES RÈGNE DE LOUIS XVI ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. L’ABBÉ DE MONTESQUIOU. Séance du mardi 2 mars 1790 (1). M. Guillaume, l'un de MM. les secrétaires , donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier. Il est adopté sans réclamation. M. Merlin, rapporteur de comité féodal , donne lecture de la nouvelle rédaction de l’article 15. La rédaction adoptée hier provisoirement était la suivante : « Art. 15. Sont exceptées de la suppression ci-dessus, et seront rachetables : « 1° Les banalités qui seront prouvées avoir été établies par une convention souscrite entre une communauté et un particulier non seigneur; « 2° Les banalités qui seront prouvées avoir été établies par une convention souscrite entre une communauté d’habitants et le seigneur, pour l’intérêt et l’avantage desdits habitants, et par laquelle le seigneur ne sera pas seulement obligé à bâtir et entretenir l’usine, ou autre objet qui est la matière de la banalité; « 3° Celles qui seront prouvées avoir eu pour cause une concession faite par le seigneur à la communauté des habitants, de droits d’usages dans ses bois ou prés, ou de commune en propriété. » La nouvelle rédaction que propose le comité est ainsi conçue : Art. 15. « Sont exceptées de la suppression ci-dessus, et seront rachetables : « 1® Les banalités conventionnelles, c’est-à-dire qui seront prouvées avoir été établies par une convention souscrite entre le propriétaire et la communauté des habitants, et portant, de la part des baniers, l’obligation de suivre la banalité; et de la part du propriétaire, l’obligation de tenir (1) Cette séance est incomplète au Moniteur. lra Série, T. XII. perpétuellement en état les bâtiments, usines e objets nécessaires au service de la banalité; « 2° Celles qui seront prouvées avoir eu pour cause, etc. » M. Merlin rend compte des motifs qui ont déterminé le comité à substituer cette rédaction à la sienne. M. Gaultier de Biauzat. Cette rédaction est contraire à l’esprit du décret rendu hier; elle aurait pour effet de consacrer toutes les banalités que l’Assemblée entend supprimer. M. Merlin répond que le comité a voulu distinguer les engagements contractés par les communes envers des particuliers non seigneurs ; il soutient que ces engagements sont aussi indissolubles que ceux contractés entre des particuliers. M. lia Poule parle pour l’abolition des banalités. Le seigneur, dit-il, a contracté l’obligation, du moins dans ma province, de fournir une chambre pour le four, un chaufournier et le bois nécessaire pour la cuisson : les vassaux se sont soumis, ou plutôt ont été soumis à donner au seigneur le pâton, qu’on peut évaluer à peu près au seizième; mais les seigneurs ont su s’exempter des droits qu’on avait sur eux tout en exigeant ceux qu’ils avaient sur leurs vassaux. Les banalités de four sont une indignité. Tout homme a le droit de cuire chez lui ce dont il a besoin pour sa nourriture et conséquemment son pain. Quant aux moulins, c’est autre chose; je ne pourrais disconvenir qu’il peut y avoir des banalités conventionnelles sinon en Franche-Comté, du moins ailleurs. Encore est-ce un problème difficile à résoudre: car il est à présumer que toutes les banalités prétendues conventionnelles ne sont que le fruit de la tyrannie. Je fais remarquer, d’ailleurs, qu’il n’est fait aucun préjudice aux propriétaires de banalités, en dispensant les habitants de suivre la banalité, dès que le propriétaire conserve le fonds de l’usine. M. Tronchet. Il faut distinguer entre banalités 1 2 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [2 mars 1790.] seigneuriales et banalités conventionnelles; celles-ci peuvent appartenir à un simple particulier ou à un propriétaire de fiefs ; ce propriétaire se trouve lié par des clauses de contrats qui l’obligent, malgré lui, â entretenir le moulinée four ou le pressoir banal, quoiqu’il trouve que la banalité est une charge pour lui. Les banalités conventionnelles ont réellement le caractère d’un contrat synallagmatique, puisque, si le tenancier est tenu à la banalité, le propriétaire du four ou du moulin, est tenu, même quand il perdrait, de tenir ses conventions avec ses baniers. Ces contrats ne peuvent, en conséquence, être abolis sans indemnité; donc ils sont rachetables. M. le comte de Sérans de Oéry rappelle la différence admise par le décret d’hier entre les engagements contractés par une communauté envers un particulier non seigneur et les engagements contractés envers le seigneur : l’Assemblée a décidé que les conventions entre la commune et le seigneur seraient annulées sans indemnité, si le seigneur n’avait pas cédé des immeubles ou compté des sommes, outre son engagement de construire et maintenir l’usine. ( L’Assemblée paraît incertaine), M. le Président pose la question en ces termes : Admettra-t-on la nouvelle rédaction du comité féodal ? S’en tiendra-t-on aux termes du décret d’hier ? Renverra-t-on au comité pour qu’il présente une autre rédaction ? M. Bouche. Lorsque l’Assemblée nationale a prononcé un décret, sauf rédaction, ce n’est pas pour ordonner un changement de sens et d’esprit dans la loi, mais un arrangement de mots et de phrases, disant néanmoins la même chose. La rédaction d’hier doit donc seule être admise ; il n’y a même pas lieu de délibérer à ce sujet. M. de Cazalès. L’Assemblée ayant décidé hier que la rédaction de l’article 15 devrait être modifiée parce qu’elle était défectueuse, cette rédaction n’est pas devenue meilleure en passant la nuit et ne peut être admise définitivement. M. Lucas. Je demande la priorité pour la rédaction d’hier. M. Gaultier de Blauzat. j’appuie la motion de M. Lucas, avec cette réserve, qu’on pourra employer, dans le décret général, des expressions plus propres à exprimer l’esprit du décret. M. le Président prend le vœu de l’Assemblée. Le décret d’hier est maintenu, sous le bénéfice de l’observation de M. Gaultier de Biauzat. L’ordre du jour appelle la discussion sur l'affaire des colonies. M. Goupllleau, au nom du comité des rapports, rend compte des pièces remises hier par le ministre de la marine. La première de ces pièces est une lettre du ministre même au président de l’Assemblée nationale; elle contient le récit des faits. Le 29 novembre, les ministres envoyèrent à l’Assemblée nationale pour connaître ses principes et ses vues sur les colonies; l’Assemblée ne pouvant s’en occuper» le roi a maintenu l’ancien ordre de choses. Mais bientôt des craintes, des alarmes se sont répandues; une fermentation violente a commencé. A la Martinique, les administrateurs ont été obligés de convoquer les assemblées avant le temps et sans les ordres du roi; les ports ont été ouverts pour quatre mois, les taxes ont été provisoirement abolies, et les négociants français sont prêts à perdre les avantages qui leur faisaient soutenir la concurrence avec les autres nations. L’état de Saint-Domingue est bien plus inquiétant. Les députés à l’Assemblée nationale avait demandé le 30 juin, qu’on défendît toute assemblée coloniale; ils ont demandé depuis que ces assemblées soient formées. Les députés et les colons qui habitent Paris ont assisté à un comité de ministres, pour concerter l’organisation des assemblées coloniales, composées de représentants librement élus. 11 a été décidé que les administrateurs seraient chargés de la convocation dont le mode a été convenu. Cette assemblée ne devait être considérée que comme provisoire, extraordinaire et consultative, et seulement chargée de transmettre ses représentations et ses demandes à la métropole ; mais l’événement n’a pas répondu aux espérances du roi. Déjà, dans le Nord, s’était formée une assemblée provinciale qui, en interceptant les dépêches des ministres, les a répandues avec des commentaires mal intentionnés. Les administrateurs, après avoir différé de publier l’ordonnance de convocation, ont fait cette publication, en indiquant Léogane pour le siège de cette assemblée. Des événements affligeants ont suivi cette époque. Il s’est élevé une altercation violente entre le conseil supérieur et l’assemblée provinciale du Nord. Cette assemblée croit renfermer en elle tous les pouvoirs; elle a fait arrêter un substitut dm procureur général; elle a prononcé le blâme et le bannissement contre les magistrats; elle a cassé la réunion des deux conseils, et en a rétabli un en le composant presque en entier de nouveaux membres. M. de Dénier, commandant général, a éprouvé de très grands désagréments pour avoir refusé de faire prêter serment aux troupes avant qu’il eût reçu les ordres du roi. [Le 15 janvier, il consentit à faire prêter ce serment. Il avait, à la suite de son refus, fait publier un avis dans lequel il assurait que les troupes n’agiraient jamais contre les citoyens que sur la réquisition des officiers civils. On craint des assemblées aussi entreprenantes dans les autres provinces. La perception des impôts est pr esque nulle, la pénurie des fonds est extrême... — M. de La Luzerne termine sa lettre par des observations sur les avantages que la France retire des colonies, et notamment de Saint-Domingue, qui ne coûte absolument rien au trésor public. Lettres interceptées. Elles sont adressées à MM. de Pénier et de Marbois : toutes deux sont relatives à la convocation de l’assemblée coloniale. La seconde seule est officielle. Dans la première, M. de La Luzerne, après avoir parlé des événements de France, de ceux d’Amérique, et de la nécessité de convoquer une assemblée coloniale, engage M. de Pénier à prendre tous les moyens conciliateurs,- et à influer sur cette assemblée par la voie de la persuasion. La seconde lettre, en date du 27 septembre, accompagne l’envoi du projet d’ordonnance de convocation concerté entre les ministres, les députés de Saint-Domingue à l’Assemblée nationale, et les propriétaires américains résidant à Paris. M. de La