[10 octobre 1789.] 407 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. de M. Anson, par laquelle ce député déclare qu’il se soumet à suspendre, à compter de 1790, la jouissance d’une pension d’environ 8,000 livres, qui lui avait été accordée pour récompense de 18 ans de travaux dans le département général des impositions du royaume, tant qu’il posséderait une charge ou commission utile ; il déclare en outre qu’il fait hommage à la patrie d’une somme de 12,000 livres, en affirmant avec vérité que cette somme est au-dessus du quart de son revenu. Ensuite on a lu une lettre des six commissaires chargés de reconnaître à Paris un local propre à tenir les séances de l’Assemblée ; et il a, été décrété qu’ils seraient autorisés à prendre, à cet égard, toutes les mesures qu’ils jugeraient les plus convenables. M. le Président a annoncé que le résultat du scrutin pour la nomination d’un nouveau président avait été eu faveur de M. Fréteau, lequel, sur 571 voix, en avait réuni 325 ;que M. Emmery en avait eu 228, et que les 18 voix restantes avaient été perdues. Un de MM. les secrétaires a fait la lecture de cinq lettres écrites par plusieurs religieux bénédictins, tant du prieuré de Saint-Leu que du collège de Gluny, place de Sorbonne, que de l’abbaye de Mosac, que du collège de Saint-Jérôme de Dole en Franche-Comté, que de l’abbaye de Bec-Hel-louin. Ces lettres approuvent et confirment l’offre consignée dans le procès-verbal du 28 septembre dernier, par laquelle les religieux bénédictins de Saint-Martin-des-Champs font hommage de tous leurs biens à la nation. On a lu aussi la copie d’une lettre écrite par le comité municipal de Metz à MM. les députés du bailliage de cette ville, en date du 30 septembre 1789. Cette lettre rend le témoignage le plus honorable à la sagesse, à la modération, au patriotisme « qui ont mérité à M. le marquis de Bouillé l’estime et la conliance publique, et qui, plus encore que l’ascendant de sa renommée militaire sur les troupes du Roi, ont été en grande partie la. cause de la conduite mémorable de la garnison de Metz, au milieu des rumeurs populaires et de l’insurrection de tant de garnisons. » Par cette lettre, MM. les députés de Metz sont priés de mettre sous les yeux de l’Assemblée nationale la déclaration faite au comité municipal de Metz par M. le marquis de Bouillé, par laquelle il reconnaît tant pour lui que pour les officiers d’état-major de cette ville, qu’ils ont entendu s’engager personnellement, en faisant prêter le serment aux troupes, et qu’ils se tiennent obligés, par ce serment qu’ils n’auraient pas fait prêter, s’ils n’avaient pas eu dessein de s’y conformer. Sur la lecture de cette délibération, M.Lavie a dit que personne n’étant au-dessus des lois, M. de Bouille a dû prêter serment textuellement et verbalement. Le premier devoir est de se montrer obéissant à la loi, et les bons services de cet officier ne peuvent le dispenser de le remplir. L’Assemblée a décrété que le Roi serait supplié, par M. le président, de donner des ordres pour que M. le marquis de Bouillé, et tous autres officiers supérieurs qui ne se seraient point conformés au décret du 10 août dernier, eussent à y obéir en prononçant textuellement la formule prescrite dans ce décret. On a achevé la lecture des dons patriotiques inscrits dans le registre destiné à cet usage. Sur la demande faite par M. d’Arraing, député des communes de Soûle, d’un congé pour raison de santé, appuyé par le certificat d’un médecin , l’Assemblée a autorisé M. le président à faire expédier un passe-port à ce député. M. le Président a levé la séance en l’indiquant pour lundi prochain à neuf heures du matin. ANNEXE à la séance de l'Assemblée nationale du 10 octobre 1789. Lettre de M. le comte de Saint-Priest à M. le président du comité des recherches à l’Assemblée nationale. J’apprends, Monsieur, que l’Assemblée nationale a reçu une dénonciation de M. le comte de Mirabeau, qui, dit-on, a été faite en ces termes : « Un ministre, appelé le comte de Saint-Priest,. a dit lundi à la phalange de ces femmes qui lui demandaient du pain : « Quand vous aviez un Roi vous aviez du pain; aujourd’hui, vous en avez douze cents, allez leur en demander. » Je demande que le comité des recherches soit tenu d’acquérir les preuves de ce fait. On m’ajoute que cela devait être décrété ce soir, et renvoyé en effet au comité des recherches. Je crois, Monsieur, devoir aller au-devant de ces enquêtes, en ayant l’honneur de vous déclarer authentiquement que le fait allégué par M. le comte de Mirabeau est controuvé, et que je n’y ai pas fourni le plus léger prétexte. M. le comte de Mirabeau ne dit pas m’avoir entendu, et j’aime à croire qu’il a été trompé le premier. Je déclare, sur mon honneur qui m’est plus cher que ma vie, que je n’ai parlé qu’aux femmes qui sont entrées dans l’œil-de-bœuf, le Roi m’ayant ordonné d’aller les entendre et de leur répondre. Je crois bien avoir eu cent témoins, et je doute qu’un seul réponde qu’il ait été mention de l’Assemblée nationale. Sur la plainte que ces cinq ou six femmes m’ont faite de manquer de pain, j’ai répondu que Je Roi avait fait l’impossible pour procurer des grains au royaume et à la capitale; que, lorsque les récoltes étaient mauvaises, il était bien difficile de pourvoir à la subsistance du peuple; que l’on avait tiré des grains de tous les pays du monde; qu’enfin le détail de l’approvisionnement de Paris était depuis deux mois entre les mains de la ville, et que le Roi et les ministres y aidaient de leur mieux. Je né me rappelle pas que cette conversation, dont j’ai sur-le-champ rendu compte au Roi, ait roulé sur autre chose; mais je suis sûr, je le répète, qu’il n’a pas été question de l’Assemblée nationale. Et d’abord, peut-on appeler une phalange de femmes les cinq ou six auxquelles j’ai parlé dans l’œil-de-bœuf? Je croirais que ceux qui ont fait ce rapport a M. le comte de Mirabeau ont ignoré jusqu’au lieu de la scène. J’ajouterai que , sans avoir l’honneur d’être connu de lui, sans lui avoir parlé de ma vie, j’aurais espéré qu’il aurait cru moins légèrement sur mon compte un propos choisi dans ce qui s’est dit de plus trivial de- 408 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [12 octobre 1789.] puis quelques jours par les gens qui voulaient exciter le peuple contre l’Assemblée nationale; peut-être aussi ma conduite précédente aurait-elle dû me mettre à l'abri de cette imputation. J’ai passé beaucoup d’années au service de ma patrie, et travaillé pour son bonheur et pour sa gloire. Au reste, Monsieur, je sais qu’un citoyen doit être toujours disposé à répondre au tribunal du public. Je viens récemment de confondre une calomnie inventée contre moi à mon district de Saint-Philippe du Roule. On avait travesti une de mes lettres; mais l’original, ayant été produit, a parlé pour moi, et l’imposteur a été démasqué. Ici, je réclame ceux qui m’ont entendu dans l’œil-de-bœuf; et je crois, sans cependant en être bien assuré, que M. le prince de Poix, et M. le duc de Liancourt étaient de ce nombre. J’offre de prouver V alibi pour toute autre conversation avec ces femmes. Telle est, Monsieur, ma justification ; elle est faite à la bâte, mais je sais le danger des premières impressions, et l’avantage qu’on peut en tirer. J’ajouterai, Monsieur, que je suis pénétré de respect pour l’Assemblée nationale, et que je viens d’en donner une preuve en refusant de signer des arrêts du conseil, depuis la date de la sanction que le Roi a donnée aux droits de l’homme, ayant jugé que ces formes sont devenues interdites. Je ne dispute pas à M. le comte de Mirabeau ses talents, son éloquence, ses moyens ; mais je ne le crois pas meilleur citoven que moi. J’ai l’honneur d’être, etc. Signé : le comte de Saint-Priest. Paris, le 10 octobre 1789. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. FRÉTEAU. Séance du lundi 12 octobre 1789, au matin (1). A l’ouverture de la séance, M. Fréteau, nommé président, prononce le discours suivant : Messieurs, le choix que vous avez daigné faire de moi m’inspire une grande reconnaissance ; cette nouvelle marque de vos bontés m’inspire aussi de grands devoirs ; elle m’invite surtout à suivre les grands exemples de fermeté que vous donnez à toute la France, dans un moment où, d’une part, la naissance de la liberté est mal assurée; de l’autre, le crédit épuisé et le salut public n’ont de ressource que dans la résolution et le courage des meilleurs citoyens. Vous courez dans la capitale envelopper le Roi de votre amour, et l’éclairer de vos conseils; que la modération et le calme continuent dans vos délibérations ; que l’esprit d’ordre et de justice préside à vos décrets. J’ose, pour ma part, vous offrir l’hommage d’un zèle toujours renaissant, un cœur sensible aux impressions de l’amour du patriotisme, et surtout cet ancien respect pour les droits de l’homme et du citoyen, qui a attaché toute mon existence à la chose publique, et ma gloire à la fortune des représentants de la nation. (On applaudit.) On donne lecture des procès-verbaux des séances de samedi. Sur le procès-verbal de la séance du matin, ou critique une expression impropre dont le rédacteur s’était servi pour désigner Y intitulé de la loi. Un membre propose d’y substituer ces mots-ci : la formule de la promulgation de la loi. Ce changement est adopté. M. Fréteau consulte l’intention de l’Assemblée sur l’heure précise de ses séances. L’Assemblée les fixe invariablement à neuf heures du matin. M. le duc de Villequier obtient un passe-port pour cause de colique inflammatoire. M. le comte de Pardieu, nommé commandant de la milice nationale de Saint-Quentin, demande et obtient un, passe-port pour l’organiser. M. le marquis Dupac de Badens, député de la noblesse de Carcassonne, demande pour des affaires très-majeures un passe-port d’un mois, sous l’engagement d’honneur de revenir dans le temps fixé. L’Assemblée accorde ce passe-port. M. Le Carpentier de Chailloué, député d’Alençon, demande également un passe-port. L’Assemblée, ayant reconnu les motifs légitimes, autorise M. le président à signer le passe-port demandé. M. le Président rappelle l’ordre du jour, sur la question de savoir si en tête de la loi, on ajoutera aux mots Roi des Français, ceux de Roi de Navarre. M. Target fait sentir la nécessité de décréter sur-le-champ la formule de la loi ; il dit que cet objet n’est pas de nature à occuper longtemps l’Assemblée, mais qu’il est nécessaire de faire paraître les nouvelles lois du royaume. Beaucoup de membres appuient la motion de M. Target. M. de Malartfc détourne l’attention de l’As-ssemblée en dénonçant un commissaire qui, peu effrayé de l’exemple terrible que la généralité de Paris a donné, a fait des rôles où il condamne les moins imposés à des gratifications envers des subdélégués, en faveur des secrétaires d’intendants, etc. M. de Malartic a eu la prudence de ne pas nommer cet intendant. Ces observations n’ont pas de suite. M. le comte de Mirabeau. J’observe, avant qu’on passe à l’ordre du jour, que depuis la dénonciation que j’ai faite avant-hier dans cette Assemblée, il s’est répandu à Paris une lettre intitulée : Lettre de M. le comte de Saint-Priest au président du comité des recherches à l’ Assemblée nationale. Je demande si quelqu’un de nos officiers a eu connaissance officielle de cette lettre. M. le Président. Cette lettre a été portée au comité, et remise ce matin sur le bureau. M. le comte de Mirabeau. Je demande à édifier l’Assemblée, dans une des prochaines séances, sur une dénonciation à laquelle je pré-(1) Cette séance est incomplète au Moniteur.