[13 octobre 1789.] 415 | Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. MM. MM. Malouet. Le marquis de la Poype-r De Cliampagny. Verl vieux. Le comte Le Vassor de La La Ville-Leroux. Touche. Alquier. Le marquis de Vaudreuil. Lie Vialis. Bégouen. Curt. Paul Nairac. Le chevalier de Loynes de • La Coudraye. M. le Président donne lecture de la lettre suivante : « D’après le discours de M. Necker, il n’est au-. cun citoyen qui ne s’empresse de sauver l’Etat. Je déclare que je donne une année de tout mon revenu. « Signé : le comte de Corbière. » >• M. l’abbé Demandre, curé de Donnelay, adresse à l’Assemblée nationale un mémoire sur une découverte très-intéressante pour les arts et très-utile pour les ports de mer et les villes de guerre. L’auteur demande que sa découverte soit examinée par quatre commissaires. k M. le Président est autorisé à en désigner six, qui sont : . MM. Ml. De Vialis. Le marquis de Vaudreuil. Bureaux de Puzy. De Phélines. Malouet. De Bousmard. * Ces commissaires rendront compte de leur examen à l’Assemblée nationale. Un membre dénonce les abus qui se commettent dans la perception du contrôle, et fait une motion tendant à joindre tous les notaires députés au comité des domaines, et de donner aux juges royaux la connaissance de toutes les contestations sur cette matière. La question est ajournée. * M. Ic Président rappelle l’ordre du jour : la discussion des deux articles proposés hier par M. de Mirabeau sur la motion de M. l’évêque d’Autun, qui avait été ajournée à vendredi, mais indiquée pour aujourd’hui en dernier lieu. M. Target demande, dans un fort long discours, et qu’un membre observe être d’un style ► très-académique , la permission de lire ce soir des articles de la constitution d’un tribunal national. On revient aux principes concernant la propriété des biens ecclésiastiques. M. Tanjuiuais expose qu’il y a beaucoup d’autres projets qui rempliront les besoins publics; � qu’il faut les examiner avant d’exproprier le � clergé; que c’est là un procès de propriété qu’il ne faut juger qu’à la dernière extrémité. Cette opinion produit une agitation soudaine et de bruyants applaudissements parmi les membres du clergé ; les uns veulent proposer d’autres objets de discussion, les autres éloigner la question, presque tous l’éluder. Enlin il est décrété que l’on examinera la motion ■ de M. le comte de Mirabeau. Elle est ainsi conçue : « Qu’il soit déclaré : 1° que tous les biens du clergé sont la propriété de la nation, sauf à pourvoir d’une manière convenable à ia décence du cuite et à la subsistance des ministres des autels ; « 2° Que les appointements des curés ne seront pas au-dessous de 1,200 livres, non compris le logement. » Les uns demandent à parler sur la motion de M. l’évêque d’Autun ; les autres sur ia motion de M. de Mirabeau. M. de Montlosier obtient la parole. M. de Montlosier. La nation est-elle propriétaire? le clergé esl-il propriétaire? qui est propriétaire des biens du clergé ? On n’est propriétaire que d’une chose donnée ou acquise ; les biens du clergé n’ont pas été donnés ni acquis par la nation, donc la nation n’en est pas propriétaire. Le clergé , comme corps moral , n’est pas propriétaire et ne peut l’être ; les biens dont il jouit n’ont pas été acquis par lui; ils n’ont pas même été donnés à ce corps moral, mais à des institutions particulières ; le clergé n’est donc pas propriétaire. Qui sont donc les propriétaires de ces biens ? Ces propriétaires sont les institutions et établissements auxquels ils ont été donnés. La nation peut disposer de ces établissements ; elle peut disposer de leurs biens, elle ne peut en disposer par le droit de propriété, mais seulement par droit de souveraineté , et en dédommageant les titulaires; ainsi les titulaires actuels ne peuvent pas être dépossédés, mais le corps moral peut T’être ; et je me résume. La nation peut-elle disposer des biens du clergé? Oui. La nation est-elle propriétaire? Non. Le clergé peut-il être dépossédé? Oui. Les titulaires peuvent-ils l’être? Non, à moins qu’ils ne soient indemnisés et dédommagés par la nation. M. Camus (1). Messieurs, une possession de treize riècles, une multitude de lois, une intinité d’actes, qui portent, sur le point de fait, que le clergé est propriétaire de ses biens, annoncent l’importance de la question proposée: les biens ecclésiastiques appartiennent-ils au clergé ou à la nation? Le sens qu’on attribue dans cette proposition au mot clergé est susceptible de quelque explication. Si l’on entendait par le clergé chaque particulier qui en est membre, il ne faudrait pas hésiter à dire que le clergé n’est pas propriétaire. Si l’on appliquait celle dénomination à un corps qu’on supposerait formé de la réunion de toutes les personnes ecclésiastiques, la question deviendrait susceptible de difficulté. Mais toutes les incertitudes semblent disparaître, lorsque, s’exprimant dans des termes plus précis, on dit: chaque établissement ecclésiastique, chaque évêché, chaque chapitre, chaque monaslère est propriétaire des biens dont il jouit. Ces établissements forment autant de corporations, de personnes morales dont la réunion compose ce qu’on appelle le clergé, et c’est dans ce sens que nous posons en thèse que le clergé est propriétaire de ses biens et que la nation ne l’est pas. La démonstration de cette thèse dépend de trois points: la considération des principes, celle des faits, celle des objections. Dans les principes ; en quoi consiste le droit de (i) Le Moniteur ne donne qu’une analyse du discours de M. Camus. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [13 octobre 1789.] 416 propriété? Le clergé est-il susceptible de jouir du droit de propriété ? Les jurisconsultes ont été fort embarrassés à dé - finir le droit de propriété. Sans opposer leurs définitions les une3 aux autres, nous nous contentons de remarquer : 1° que ce droit est mal défini, droit d’user et d'abuser, si c’est ainsi qu’on doit traduire les mots latins jus utendi et abu-tendis parce que l’abus étant contraire à tout droit il est absurde de dire qu’un droit consiste dans la faculté d’abuser; 2° que la propriété entraîne différents droits, mais que leur réunion actuelle n’est pas nécessaire pour constituer le propriétaire. 11 peut être que le propriétaire n’ait pas la faculté de disposer librement : exemple, la femme en puissance de mari, le mineur ; ou qu’il doive faire un usage déterminé d’une partie de son revenu : exemple, celui qui a pris à rente, ou qui est donataire sous quelque usage. Le véritable caractère de la propriété, ce sans quoi elle ne subsiste pas, ce avec quoi elle est incontestable, est la faculté d’exclure un tiers de la faculté de disposer d’une chose contre mon gré et ma volonté. Je peux être gêné dans la faculté d’aliéner, mais je suis propriétaire, si un autre ne peut pas aliéner ce que je possède. Je peux être gêné dans ma jouissance, mais je suis propriétaire si personne ne peut venir se mettre à ma place, m’expulser de mon fonds et acquitter lui-même une charge que j’acquitte. Ce droit de propriété est un droit civil, fondé sur la loi, conservé par la loi. La distinction du mien et du tien est vide de sens et d’effet, s’il n’existe pas une loi, d’après laquelle je puisse revendiquer le mien et je sois obligé de laisser à un autre le sien. Les établissements ecclésiastiques sont-ils ou ne sont-ils pas susceptibles de ce droit de propriété, tel qu’il vient d’être décrit? Qu’est-ce qu’un établissement ecclésiastique? Un corps reçu dans l’Etat, une personne morale, à laquelle *l’Etat a communiqué les droits qui appartiennent à ces individus physiques que l’on nomme citoyens. Les corps légitimement admis dans l’Etat sont capables d’être propriétaires, par la même raison que les citoyens en sont capables; savoir, parce que toutes les personnes qui composent l’Etat, personnes morales, aussi bien que personnes physiques sont capables de tous les droits qui dérivent de la loi. Ainsi, dans les principes, nul obstacle à ce que les établissements ecclésiastiques soient propriétaires de tous les biens qui y sont attachés. Dans le fait le sont-ils? Voulez-vous décider la question par les titres? Lisez les chartes de donation, les actes d’échange, les contrats d’acquisition ; partout l’établissement auquel le fonds est aujourd’hui attaché est désigné comme le donataire et l’acquéreur. Voulez-vous décider la question par les lois ? les unes autorisent les églises à acquérir : donc elles ont pu acquérir légitimement; les autres leur défendent de multiplier leurs acquisitions autrement que sous certaines conditions : donc encore, en remplissant ces conditions, les églises peuvent devenir et deviennent propriétaires; d’autres enfin défendent de porter atteinte aux propriétés des églises (les ordonnances de Blois, de Melun) ; donc les églises ont des propriétés. 11 vous reste à consulter la possession, et comment se refuser à ses conséquences? Depuis treize siècles les églises deFrance donnent à ferme, à cens, à baux emphytéotiques; elles bâtissent, elles cultivent, elles défendent leurs fonds et leurs droits contre ceux qui les attaquent; elles obtiennent des jugements sur la propriété; elles font des aliénations en se conformant aux conditions qui sont imposées par les lois; elles obtiennent la révocation des aliénations indûment faites. Chacun de ses actes est un acte de propriétaire; les églises qui les ont exercés tous sont donc propriétaires. Le fait s’accorde avec le droit. Les églises peuvent être propriétaires; elles le sont. Considérons les objections que l’on oppose. 1° Les églises sont des établissements publics : il ne leur a rien été donné que pour l’Etat et à la décharge de l’Etat, lequel, cessant les donations faites aux églises, aurait été tenu de l’entretien du culte et de ses ministres. Je réponds que la destination d’un établissement ne change point la nature de ses droits. L’étendue de son utilité pour le bien public, loin j d’être un motif pour diminuer ses droits, est un motif au contraire de le traiter avec plus de faveur. Il ne peut donc pas être vrai qu’un établissement serait privé du droit précieux de la propriété, précisément à raison de ce que son existence importe au public. J’ajoute que des raisonnements n’écartent pas des faits. Ce sont les titres d’acquisition qui font connaître le propriétaire. Lisez-les; ils déposent ' en faveur des églises. Les dons qu’on leur a faits tournent à la libération de l’Etat : sans doute ; mais de ce qu’un don tourne à la décharge d’un tiers, en conclurez-vous que la propriété appartient à ce tiers et non au donataire? Un père est obligé de doter sa fille; un ami, un parent, veulent bien fournir la dot : ils font une donation à la fille au' moment de son < mariage ; le père se trouve dispensé de la doter, il est déchargé de son obligation, devient-il propriétaire du don fait à sa fille? Non, sans doute. C’est la même réponse pour les dons faits aux églises. Les donations faites aux églises sont grevées de charges publiques. Les ministres du culte ne doivent prendre sur les revenus que leur juste nécessaire. Ils ne doivent être nourris aux dépens de l’église qu’à proportion de l’utilité dont ils sont pour elle; le surplus appartient aux pau-* vres, et combien de bénéficiers sont inutiles et oisifs! combien de pauvres sont abandonnés! combien d’hommes sont sacrifiés au luxe des ecclésiastiques trop opulents! Vous dénoncez des abus : ils existent. Et j’ajoute à vos plaintes que plus on connaît la religion, plus on l’aime, plus on est sensible aces abus qui deshonorent l’église. Nous sommes d’ac-< cord sur les faits dont vous vous plaignez; mais nous différons sur les conséquences. Vous dites : 11 faut détruire, et je dis : Il faut réformer. De ce que les ministres des églises ont abusé des biens appartenant aux églises, vous concluez qu’il faut priver les églises de leurs biens : je vous dis, moi, qu’il ne faut pas confondre l’innocent avec le coupable : l’Église qui a le droit de propriété, avec le ministre infidèle qui en a mal dispensé les** revenus. Il existe des règles dans l’église sur l’usage des biens ecclésiastiques; il existe des lois dans l’Etat sur la nécessité d’observer ces règles : mettez-les en vigueur; veillez à leur observation; continuez ce que vous avez déjà fait en défendant d’accumuler sur une même tète trop de revenus ecclésiastiques; mais ne punissez pas sur le propriétaire le crime qui lui est étranger. -j Quelques établissementseux-mêmes sont-ils devenus inutiles? il y a des moyens légitimes de [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. les supprimer, d’unir leurs fonds à d’autres établissements, de les employer même à en doter de nouveaux. Ce que vous avez à faire dans des cas de ce genre a été prévu par les lois ecclésiastiques et civiles : elles ont autorisé les suppressions et les unions. Pourquoi ne pas recourir à ces moyens légitimes? pourquoi exposer la nation au reproche que tous les historiens font à, Charles Martel, d’avoir usurpé les biens de l’Église. La solution de la question proposée doit donc être que les églises sont propriétaires des biens qui leur sont attachés, que la nation n’en est pas propriétaire ; mais en supposant que la question fût douteuse, il naît une nouvelle question importante : sommes-nous dans le moment opportun pour juger de la propriété des biens ecclésiastiques ? Nous n’avons encore rien statué sur l’état de la religion en France. La religion catholique y sera conservée sans doute comme la religion dé l’Etat : mais quel sera son culte extérieur, le nombre de ses ministres, la consistance des divers établissements qui en dépendent? Rien n’est encore ordonné à cet égard ; et avant de s’expliquer sur aucun de ces objets on propose de déclarer que l’Eglise n’a aucun bien qui lui appartienne. On veut mettre tout ce dont elle jouissait dans la main de la nation sur la simple parole que la nation fournira à tout ce qu’elle jugera nécessaire et décent. Ne doit-il pas naître quelque inquiétude sur la manière dont ce qui est nécessaire et décent sera déterminé? N’est-il pas à craindre quelque parcimonie de la part de ceux qui ne verront plus qu’une dette onéreuse à acquitter ? n’appréhendera-t-on pas d’aggraver les charges du peuple si l’on donne à la solennité du culte et à la conservation de certains établissements tout ce que la religion paraîtrait désirer? en un mot n’y a-t-il pas une différence totale entre la manière d’alimenter un établissement avec des fonds qui lui appartiennent, qui ont été destinés à le doter, qui sont affectés à son entretien, et celle de l’alimenter avec des tributs et des aumônes? On espère tirer un grand avantage pour la libération de l’Etat de la disposition que l’Etat pourra faire des biens ecclésiastiques ; mais avant d’agir sur cette espérance, ne serait-il pas prudent de fixer les bases qui peuvent l’établir? Le comité ecclésiastique a demandé et obtenu la faculté de faire toutes les recherches capables d’établir la valeur des biens ecclésiastiques et le montant des charges auxquelles ils doivent fournir. La prudence ne voudrait-elle pas que cette opération fut consommée avant toute détermination? La subsistance des ministres, la dépense du culte forment l’objet, au moins, d’une créance privilégiée sur les biens ecclésiastiques ; il faut donc connaître le montant de la créance, avant de prendre aucun parti sur la disposition des biens qui y sont affectés, Je conclus que la motion de M. de Mirabeau, quant à la question de la propriété des biens ecclésiastiques, doit être ajournée, si elle n’est pas rejetée dès à présent. M. de Mirabeau a joint un second objet à sa motion ; il demande que, dès à présent, il soit décidé qu’aucun curé ne pourra avoir moins de 1,200 livres, indépendamment de son presbytère, comprenant son logement et un jardin. Le défaut de cette partie de sa motion est d’être insuffisante et incomplète. Beaucoup de curés doivent avoir plus de 1,200 livres. Au-dessous des curés lrü Série, T. IX. [Il octobre 1789.] il faut des vicaires ; au-dessus des curés il faut des évêques, dont le ministère n’est pas moins essentiel dans l’Eglise que celui des curés. Des chapitres de cathédrale sont nécessaires pour servir de conseils aux évêques et d’asile aux curés. La religion demande des maisons de pénitence et de retraite; l’Etat lui-même est intéressé à ce qu’il existe de grands établissements, où dos personnes laborieuses, vivant en société, pui: se livrer à des ouvrages du genre de ceux que nous devons à la congrégation de Saint-Maur, qui nous a transmis et conservé les monuments précieux de notre histoire. C’est de tous ces objets qu’il faut s’occuper en même temps, lorsqu’on veut statuer sur les biens ecclésiastiques. Il faut connaître l’ensemble de leurs charges pour ne pas être trompé par un aperçu qui ne serait séduisant que parce qu’il serait faux. Tel est l’abrégé de l’opinion que je donnai dans la séance du 13 octobre. La discussion qui a été faite de la même matière, ou plutôt de la première partie de la motion, dans les séances du 23 et du 24, me détermine à ajouter quelques observations. La propriété des biens du clergé a été attaquée de deux manières : par une voie indirecte, en insistant sur les abus dont ceux qui les administrent se sont rendus coupables; par une voie directe, en posant des principes dont on a tiré des conséquences. L’attaque indirecte, résultante des abus de l’administration, s’écarte par cette réponse qui est si raisonnable: réformez et ne 'détruisez pas ; ramenez les administrateurs à leurs devoirs; laissez aux établissements leurs droits. L’attaque directe a été plus formidable, parce qu’elle a été froide, tranquille et appuyée sur une forte dialectique. La discussion de M. Thouret a été la démonstration d’un géomètre qui conduit à l’évidence, pourvu que la vérité du premier principe, du principe générateur, soit reconnue. Voyons donc si ce principe est incontestable. M. Thouret met une différence essentielle entre la personne morale qui jouit des droits du citoyen, et l’individu ou personne physique qui est le citoyen ; en ce que le citoyen a des droits avant la loi, au lieu que la personne morale, qui n’existe que par la loi, ne peut avoir des droits que par la loi. De là M. Thouret tire une première conséquence : la loi ne peut que conserver au citoyen ce qu’il ne tient pas d’elle. La loi qui a tout donné à la personne morale, à la corporation qui n’existe que par sa permission, peut tout lui ôter. Seconde conséquence : supprimer un corps n’est pas un homicide, lui ôter ses biens n’est pas une spoliation. On a défendu aux corps d’acquérir ; on peut leur défendre de posséder. Troisième conséquence : ce que la nation peut faire dans la thèse générale, elle le doit faire dans la position particulière; parce que ce sera l’avantage de l’Etat que les corps ne possèdent plus de fonds; ce sera l’avantage des corps eux-mêmes. La première proposition de M. Thouret est fausse, à raison de la généralité qu’il lui donne, et de l’application qu’il en fait à la propriété. L’individu n’a, sans la loi, que l’existence. La propriété ne peut avoir d’autre base que la loi. Où il n’y a point de loi, il n’y a que force, violence ; et une juste propriété ne peut être fondée ni sur la force ni sur la violence. Il faut donc qu’il existe une loi pour qu’il existe un droit de propriété. Les individus et les corporations sont, Tt 418 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. cet égard, dans la même classe : et si la nation pouvait enlever également et par la même raison aux individus. De l’exactitude des principes suit celle des conséquences. La loi ne peut pas tout ôter aux corps quoiqu’elle leur ait tout donné, parce que les opérations de la loi sont stables et permanentes. En admettant un corps, en lui donnant la participation aux droits civils, la loi lui donne un être qui lui devient propre, qui a ses caractères et ses attributs. Elle ne peut pas les anéantir arbitrairement, parce que l’idée de loi et l’idée d’arbitraire sont deux idées inconciliables. Je ne dirai pas que la destruction d’un corps est un homicide, parce que l’étymologie du mot homicide ne permet pas que l’on en fasse cette application; mais je dirai qu’il y a la même injustice à priver sans cause juste un corps de son existence et de ses droits civils, qu’il y a à priver un individu de sa vie ou de ses droits sans une cause juste. Encore une fois, de quoi s’agit-il ? De la propriété non des ministres ecclésiastiques, mais des établissements ecclésiastiques. De quoi les établissements ecclésiastiques sont-ils coupables , pour les priver de leurs propriétés? où est le titre d’accusation formé contre eux? où sont les actes de l’instruction? où est le jugement qui les dévoue à la mort? Vous avez défendu d’acquérir, donc vous pouvez, dites-vous, défendre de posséder. N’y a-t-il donc aucune différence entre ôter ce qui fournit la subsistance et ne pas permettre de s’enrichir? m’enlever ce que je tiens, ou mettre des bornes à ma cupidité? Défendre d’acquérir est une loi de police; ôter est un acte de violence. Mais cette opération sera utile à l’Etat; elle le sera aux corps eux-mêmes. L’opération sera utile à l’Etat, mais sera-t-elle juste? Je ne crois pas que nous en soyons encore venus à un point de corruption tel que nous nous permettions de dire ouvertement que l’utile et le juste sont des expressions synonymes. On prétend que l’opération sera utile à l’Etat, parce qu’il lui est avantageux de multiplier les propriétés particulières qui animent l’industrie. Mais peut-il n’exister dans le royaume que des propriétaires ? ne faut-il pas qu’il y ait des terres à donner à ferme? n’est-il pas avantageux qu’il existe de grands propriétaires en état d’aider, dans le besoin, les gens de campagne de leur argent et de leurs avances. L’opération sera utile aux corps mêmes qu’elle ramènera à leurs devoirs, en leur ôtant tous les embarras que les richesses entraînent, en éloignant toutes les tentations que les richesses excitent. Alors donc les corps seront de la plus grande utilité possible ; mais pour être d’une utilité quelconque il faut exister : et qui serait assez témé - raire pour assurer que les corps et les établissements ecclésiastiques survivront seulement vingt années à la privation de leurs fonds ? Des particuliers de très-bonne foi, sans doute, leur donnent en développant leur opinion, les assurances les plus positives. La dette du culte et de la subsistance des ministres sera, disent-ils, une créance privilégiée, la première acquittée sur les caisses provinciales. On a promis de payer d’avance, d’abord tous les trois mois, ensuite tous les mois. Voilà de belles paroles ; mais le gage, où sera-t-il, quand les biens ecclésiastiques seront vendus et dispersés ? Est-il donc indifférent d’être créancier de l’Etat ou propriétaire de fonds ? Non, [13 octobre 1789.] personne ne le juge égal ; pas même M. l’évêque d’Autun, puisqu’il suppose dans sa motion que les créanciers de l’Etat abandonneront leurs contrats au denier 20 pour acquérir les terres au denier 30. Il vaut donc mieux tenir des fonds qu’une rente assignée sur l’Etat. Si cela est, laissez les fonds à ceux que vous regardez au moins comme créanciers privilégiés : les ecclésiastiques ; et ne les leur enlevez pas pour les donner à des créanciers secondaires, ceux qui ont fait des affaires d’argent avec l’Etat. Le préjudice que l’enlèvement des fonds causera aux établissements ecclésiastiques est évident : l’avantage de ramener à leur devoir ceux qui les desservent serait grand sans doute ; mais ne peut-il donc résulter que de l’enlèvement des fonds ? Quoi! il n’y a ni précaution sage, ni loi rigoureuse, ni surveillance attentive qui soient capables de ramener les ecclésiastiques à leur devoir. Il n’est pas permis de juger d’une manière si odieuse des hommes et des concitoyens; et les maximes de l’équité naturelle ne permettent pas de se porter à des extrémités qui donnent la mort, avant d’avoir tenté de guérir des maux qui sont fort grands, mais qui ne sont pas incurables. De là je conclus que, quand on admettrait les principes de M, Thouret, il n’y aurait pas lieu de les appliquer en ce moment : parce qu’il n’y a pas cause suffisante pour prononcer contre les établissements ecclésiastiques la peine de là privation de leurs biens. Celui, dit-on, qui peut ôter l’être, peut, à plus forte raison, priver des biens. Non, on envoie un coupable à la mort; mais quand il n’a pas mérité de perdre la vie on ne le prive pas de ses droits. Supprimer tous les établissements ecclésiastiques serait un abus de pouvoir : ce serait un autre abus de les priver de leurs fonds; leur assignât-on, en remplacement, des rentes qui ne vaudront jamais leurs fonds, réformez, mais ne détruisez pas. L’acte de justice que vous avez fait, en donnant la vie à un corps, n’est pas un titre capable de couvrir l’injustice que vous feriez en lui ôtant, sans cause, ou l’existence ou les droits qui y sont attachés. M. l’abbé de Rastiguac. Depuis trois semaines je m’occupe à examiner les titres du clergé ; j’ai combattu les différentes objections pour et contre; j’ai examiné les droits sur lesquels se fonde leur propriété. Je suis même entré dans le détail des observations politiques applicables à cet objet ; et si l’Assemblée me le permet, je ferai imprimer, et je remettrai mardi prochain, à chaque député, un exemplaire de mon travail. Je demande donc que la question qui nous occupe soit ajournée à cette époque. M. l’abbé Dillon. Les biens-fonds et les dîmes ont été donnés au clergé par le peuple et repris par lui dans des circonstances pressantes. Les mêmes circonstances reparaissant, la même chose doit arriver. La nation a pu les reprendre, elle le peut encore. Une faut pas examiner si nous sommes propriétaires ou non , il faut seulement reconnaître que notre devoir serait de renoncer à cette propriété, quand même elle serait établie. On doit remettre à un bienfaiteur ce qu’on a obtenu de sa générosité, quand ce bienfaiteur lui-même est dans une telle position qu’il ne peut exister sans la remise de son bienfait. M. le Président interrompt la discussion pour annoncer une lettre de M. le garde des sceaux portant :