I Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [12 novembre 1789.] 9 l'humanité, nous devons examiner que nous sommes une assemblée de législateurs. Nous avons dû voir que les magistrats de la Chambre des vacations du parlement de Rouen avaient manqué à la nation ; notre devoir envers elle est d’examiner si nous devons rétracter notre décret, quand il s'agit du salut public. Dans la position actuelle, nous devons réserver la question pour la traiter, lorsque, plus calmes, nous aurons réfléchi sur nos droits et sur nos devoirs; d’abord le règlement trace la conduite que nous devons tenir; ensuite nous n’avons pas le droit de faire grâce; il faut de plus balancer les considérations qui peuvent résulter de l’indulgence accordée à des hommes puissants. 11 est possible d’adopter la motion déjà faite, mais l’ajournement est dans les règles de la convenance et de la raison. M. Blin. Ma motion était un véritable ajournement. Elle avait principalement pour objet d’établir que nous ne connaissons pas de différence entre un coupable puissant et un coupable faible et sans appui. Je mettais sous les yeux du Roi cette grande vérité, que les rois, que tous les hommes, toujours disposés à l’indulgence, ne doivent jamais s’écarter de la justice. M. Glezen. La sévérité n’est pas la règle qui a marqué la conduite de l’Assemblée envers le peuple. Avec quel empressement ne se porta-t-elle pas à solliciter la grâce des soldats et des citoyens qui avaient brisé les portes des prisons de l’Abbaye ! Pouvez-vous refuser le Roi, lorsqu’il sollicite une grâce qu’il vous a déjà accordée ? M. le Président met aux voix l’ajournement. L’ajournement est rejeté. M. de Clermont-Tonnerre. Je retire ma motion et j'adopte celle de M. le comte de Grillon. On demande la mise aux voix de la motion de M. Blin. Un membre fait remarquer que cette motion n’est qu’une sorte d’ajournement ; elle est rejetée. La motion de M. le comte de Grillon est ensuite adoptée et le décret suivant est rendu : « Après avoir entendu la lecture de la lettre du Roi relativement à la Chambre des vacations du parlement de Rouen , l’Assemblée nationale, empressée de donner à Sa Majesté un nouveau témoignage de son dévouement, a décrété que le vœu qui lui était annoncé par Sa Majesté devenait celui de l’Assemblée nationale, et que le président se retirerait devers le Roi, pour lui porter le présent décret. » M. le Président. La séance est levée. l’Assemblée se sépare à quatre heures et demie. ANNEXES à la séance de l'Assemblée nationale du 12 no vembre 1789. PREMIÈRE ANNEXE. Mémoire sur le projet de détruire les corps religieux, par des Dominicains. Il n’est pas possible de se le dissimuler, les instituts religieux, chéris et honorés dès leur origine et durant une longue suite de siècles, sont aujourd’hui menacés d’une subversion totale et prochaine. L’opinion publique, qui n’est jamais plus redoutable que quand elle s’égare, les dévoue à l’opprobre et à la mort. De toutes parts l’on entend retentir ce cri menaçant et cruel : Détruisez, anéantissez , renversez jusqu'aux fondements (1). Pourrions-nous être spectateurs tranquilles des maux que nous éprouvons déjà, et envisager sans effroi ceux quivont fondre sur nous ? Nous taire, au milieud’un si grand péril, serait, de notre part, une lâcheté et un scandale. C’est peu pour nous de ne pas provoquer la suppression de notre état; nous devons ne rien oublier pour éloigner ce malheur. L’inaction et Je silence nous rendraient coupables devant Dieu et devant les hommes. Mais est-il encore temps de s’opposer à un débordement qui va tout entraîner ? En élevant la voix, en faisant des efforts pour détourner l’orage, pouvons-nous espérer quelque succès de nos réclamations? Et pourquoi non? Le découragement n’est permis que sous l’empire du despotisme : sous le règne de la liberté, la vérité ne parle point en vain ; tôt ou tard la justice triomphe des préjugés les plus accrédités. Notre défense sera courte et franche ; nous la renfermons dans J’examen des deux questions suivantes : Première question : L’Assemblée nationale peut-elle accueillir les projets destructeurs dont nous sommes inondés, et anéantir en France tous les instituts religieux? Seconde question : Si l’Assemblée nationale a le pouvoir légal de détruire tous les monastères, doit-elle en user ? Ferait-elle en cela une opération sage et utile? Réponse : Sur ces deux questions notre réponse est précise. L’Assemblée ne le peut pas ; l’Assemblée ne le doit pas. Nous disons d’abord qu’elle ne le peut pas ; qu’elle n’a pour renverser tous les monastères de l’un et de l’autre sexe, ni droit, ni pouvoir légal; qu’elle ne pourrait l’entreprendre que par une violation manifeste du droit naturel. Pour le démontrer, nous n’avons besoin que d’un principe avoué de tout le monde, et auquel l’Assemblée elle-même a, en toute occasion, rendu un solennel hommage : c’est que la propriété doit être inviolable, et que nulle puissance sur la terre ne peut ni l’envahir ni la troubler que par un coupable attentat. Si l’on a enlevé au clergé ses possessions, c’est qu’on a supposé qu’il n’en était qu’un simple administrateur, et non le propriétaire. Or, je le demande ici à tout homme équitable, (1) Exinanite, exinanite usque ad fundamentum in eâ. Ps. 136.