[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 février 1791.] 390 M. d’André. Je demande, Monsieur le Président, que la discussion soit renfermée dans les propositions qui vous sont faites. Si M. Pétion avait dit que les troubles venaient de la résistance de la minorité de l’Assemblée nationale contre la majorité, je me serais élevé moi-même le premier, pour demander qu’il fut rappelé à l'ordre consacré, et soumis à toutes les peines que peut infliger l’Assemblée nationale, parc1 que je suis loin d’attribuer aucun désordre à la résistance de la minorité de l’Assemblée nationale ( Applaudissements ), qui a le droit, et j’ose même dire le devoir, de s’opposer constamment à ce qu’elle croit mauvais. Non seulement je regarde cela comme un principe rigoureux, mais je le regarde comme le plus sacré de tous les principes, puisqu’il établit la liberté des délibérations ; et nous serons tous ici à réclamer sans cesse pour la liberté des opinions. ( Applaudissements .) Ainsi donc si M. Pétion avait dit ce qu’on suppose qu’il a dit, il aurait été unanimement rappelé à l’ordre. Mais voici ce que M. Pétion a oit et a voulu dire, je pense; c’est qu’il est possible que tous les désordres ou quelques désordres arrivent par la résistance de la minorité de la nation à la majorité de la nation. {Murmures.) Et certainement tout le monde est d’avis que, lorsque la volonté de la nation a élé exprimée par une loi, la minorité de la nation doit s’y soumettre. D’après cela, j’en viens à la motion d’ordre. (. Murmures à droite. Applaudissements à gauche.) M. Barnave a fait une motion qui ne peut pas soutfrir de difficulté, parce que c’est un renvoi au comité, un renvoi déjà opéré dont on demande le rapport, lorsque la loi sera faite. Alors nous débattrons la loi en liberté ; la loi sera adoptée ou rejetée. Ainsi je demande que la motion de M. Barnave soit mise aux voix. (L’Assemblée décrète que le comité de Constitution lui présentera mercredi matin un projet de loi sur les obligations et les devoirs des membres de la dynastie et qu’il lui exposera ses vues pour savoir s’il y a lieu, ou non, à une loi sur les citoyens émigrants, et quelle doit être cette loi.) M. le Président. La parole est à M. de La Galissonnière pour présenter plusieurs articles additionnels au décret du 5 février 1791, concernant la décoration militaire (1). M. de I�a Galissonnière, an nom des comités de la marine et des colonies. Messieurs, voici quatre articles additionnels que je vous propose d’insérer après les deux articles déjà décrétés dans la séance du 5 février courant, sur la décoration militaire. Je vous les présente au nom du comité de la marine, qui s’est concerté à ce sujet avec le comité colonial; ils sont ainsi conçus : « L’Assemblée nationale décrète, pour être exécutés provisoirement, et jusqu’à l'organisation 'les régiments coloniaux, les articles suivants, additionnels au décret du 5 février 1791, concernant la décoration militaire. Art. 3. « Pour déterminer le temps nécessaire aux officiers des régiments coloniaux pour obtenir la décoration militaire, chaque année de service dans les colonies sera comptée pour 18 mois.» (Adopté.) (1) Voyez Archives parlementaires, tome XXII, séance du 5 février 1791, page 775. Art. 4. « Dans le cas où la colonie serait attaquée et dans celui où les régiments seraient employés pendant la guerre clans une expédition hors la cobmie, chaque année de service sera comptée pour deux. » (Adopté.) Art. 5. « Les officiers des milices des colonies qui auron1, à l’époque de la publication du présent décret provisoire, les années de service ou de commission d’officiers n qniscs par l’ordonnance du 1er janvier 1787 concernant les milices des colonies, ou qui auront (iris leur reiraite, avant le temps de service prescrit, sans avoir obtenu la décoration militaire, pourront en former la demande, et sont déclarés susceptibles de l’obtenir sans néanmoins rien préjuger sur l’existence des milices coloniales; l’Assemblée nationale abrogea t la disposiiion de l’article 43 de la susdite ordonnance, qui limite le nombre des croix de Saint-Louis à accorder par année dans chaque colonie. » M. Barnave. Je demande que la différence qui existe entre les troupes de ligne et les mi-I mes soit effacée, et cela avec d’aumnt plus de raison que les milices étant prêtes à être abolies., ceux de ces mêmes officiers qui n’auraient pas le t' mps nécessaire se trouveraient eu très grand nombre et n’obtiendraient jamais la croix. M. de la Galissonnière. L’article 43 auquel je i envi 4e dit textuellement qm-chaque campagne de guerre sera comptée pour deux ans aux officiers des milices des colonies qui auront été à la guerre, ou lorsque les colonies auront été attaquées. M. Barnave. Ma proposition, qui avait été admis, par le comité, est que les années de service des officiers de milice, indépendamment de toutes im orporalions dans les troupes de ligne, leur soient comptées pour deux a is et qu’il soit ajouté à l’article 5 ces mots : « en comptant chaque année de guerre pour deux » . (Cet amendement est décrété.) L’article 5 est adopté comme suit : Art. 5. « Les officiers des milices des colonies qui auront, à l’époque de la publication du présent démet urovisoire, les années de service ou de commission d’officiers requises par l’ordonnance du 1er janvier 1787, concernant les milices des colonies, en comptant chaque année de guerre pour lieux, ou qui auroQt pris leur retraite avant le temps prescrit sans avoir obtenu la décoration mltane, pourront en former la demande, et sont déclaré' susceptibles de l’obtenir, sans neanmoins rien préjuger sur l’existence des milices coloniales ; l’Assemblée nationale abrogeant la disposition de l’article 43 de la susdite ordonnance, qui limite ie nombre des croix de Saint-Louis à accorder par année dans chaque colonie. M. de la Galissonnière, rapporteur , donne lecture du dernier article, ainsi conçu : Art. 6. « Le temps pendant lequel ces officiers auront été employés dans les troupes de ligue ou dans [21 février 1791.] 391 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. les régiments coloniaux leur sera compté conformément à ce qui a été prescrit pour ces différents corps. » (Adopté.) M. Camus, au nom du comité des finances . Messieurs, vous ayez ordonné qu’il serait distrait des assignats de 2,000 livres, la quantité de 100 millions pour être fabriqués d’une autre manière que par assignats de 2,000 livres. De ces 100 millions, il y en a déjà 50 dont la coupure a été exécutée, comme vous l’avez ordonné, en assignats de 50 et 100 livres -, mais il reste encore 50 millions. Il est donc question de savoir, Messieurs, en quelle nature ces assignats seront fabriqués. Ce ne sera certainement pas en assignats de 2,000 livres, dont l’incommodité se fait sentir journellement ; ce sera en assignats de moindre valeur, de 100 livres par exemple, de 50 livres, ou même de sommes moindres, si vous le jugez à propos. D’après les observations qui furent faites hier, je propose de couper ainsi les 50 millions : de faire 30 millions d’assignats de 100 livres et 20 millions de 50 livres. M. de Crillon le jeune. L’empressement avec lequel le public a reçu les premiers petits assignats qui ont été fabriqués et le soulagement qu’ils ont apporté dans le commerce peuvent vaincre la répugnance que l’on a à employer cette mesure et à l’étendre encore. J’ai souvent entendu affirmer que les assignats d’une valeur inférieure à 50 livres auraient l’inconvénient de rendre l’argent plus rare; mais jamais je n’en ai entendu donner de preuves; je suis d’une opinion contraire, et voici mes raisons. L’argent devient plus rare, parce qu’il passe à l’étranger, ce qui peut arriver, soit par les émigrations, ce qui est toujours d’un effet borné, soit par la balance désavantageuse du commerce ; enfin l’argent resserré par la méfiance peut disparaître de la circulation. Je ne crois pas qu’on puisse attribuer aucun de ces effets aux assignats de 30 et de 25 livres que j’aurai l’honneur de vous proposer. Il me paraît évident que la circulation d’assignats d’une valeur moindre sera plus facile, et qu’ainsi, loin de nuire aux fabriques et à l’agriculture, elle ne pourra que servir ces deux grandes sources de productions, et par là favoriser notre balance de commerce. On ne peut pas non plus objecter qu’ils pourraient inspirer de la méfiance ; ce n’est pas une nouvelle émission, ce n’est qu’une division plus adaptée aux besoins journaliers de la société, et comme la valeur des domaines nationaux est incontestablement supérieure de plusieurs centaines de millions aux assignats décrétés, on ne peut pas avoir la moindre iuquiétude. J’ajouterai que la coupe d’assignats de 30 et de 25 livres diminuera le besoin des écus; car par leur moyen on pourra payer 5 livres, et leur fabrication ne faisant point sortir de numéraire, il deviendra moins cher; l’exemple des assignats de 50 livres le prouve suffisamment; tout le monde sait que tandis qu’on trouve à les échanger contre des écus à 2, 2 1/2 0/0, il en coûte 5 0/0 lorsqu’on veut échanger contre des écus les assignats de 200 et 300 livres. Je conclus, Messieurs, en vous proposant de décréter que les 50 millions de nouveaux assignats soient divisés ainsi : 25 millions d’assignats de 30 livres; 25 millions d’assignats de 25 livres. M. d’André. Je m’oppose à l’amendement du préopinant. Si vous adoptez des assignats au-dessous de 50 livres, vous ferez totalement disparaître le numéraire du royaume. Je sais bien que le principal avantage du fabricant, de l’entrepreneur, des gens qui emploient beaucoup de monde, serait d’avoir de petits billets ; je le sais, puisqu’ils sont obligés de faire chercher de l’argent pour payer leurs ouvriers et leurs travaux : et c’est là ce qui fait encore circuler de l’argent. Mais il n’est pas douteux que vous feriez le malheur de la classe indigente, de celle qui n’a pas 25 livres à sa disposition. Je donne un exemple : je suppose un ouvrier qui gagne 25 livres par semaine; le fabricant lui donnera un assignat de 25 livres. Je vous demande comment cet ouvrier ira chercher du pain le dimanche; il faudra qu’il change son assignat et qu’il perde pour cela 10 ou 12 sous. Il est évident que par là vous feriez un préjudice énorme à la classe des pauvres. L’argent renchérira par les besoins de ceux-ci; il deviendra chaque jour plus rare. On dira : qu’importe à la société, pourvu qu’il y ait des assignats en circulation? J’en conviendrais, si vous pouviez et si vous osiez créer des assignats de 2 liards. Les billets de 50 livres servent à acquitter des sommes de 10 livres lorsque l’on donne un assignat de 60 livres pour un assignat de 50 livres. Cet échange ne peut se faire qu’entre des personnes aisées, et c’est justement ce qu’il faut ; car la circulation des assignats, dans-fes classes les plus pauvres du peuple, ne peut jamais avoir que les plus grands inconvénients. Je demande la question préalable contre l’amendement de M. de Grillon et l’adoption de la proposition du comité. M. Rewbell. C’est favoriser la classe des riches. M. Bousgion. Il est facile de répondre aux objections de M. d’André, car il est évident que si l’Assemblée adoptait la proposition de ne pas faire d’assignats de 30 et de 25 livres, elle favoriserait par là la seule classe des hommes fortunés et les vendeurs d’argent. L’amendement que propose M. de Crillon, et dont j’avais fait moi-même la proposition à l’Assemblée, me paraît le plus utile à adopter, attendu que l’Assemblée ayant décrété la fabrication d’une monnaie de billon et de la menue monnaie d’argent, il serait alors facile de changer les assignats de 30 et de 25 livres, et de favoriser par ce moyen la classe la plus nombreuse, qui réclame de petits assignats, et surtout les habitants des départements qui n’en ont pas encore reçu. En adoptant l’amendement deM. de Grillon, je demande que l’Assemblée ordonne à son comité des monnaies de lui soumettre, sans délai, le modèle d’empreinte de la monnaie qui doit être frappée. Un membre : Le pauvre se trouverait exposé, en possédant un assignat qu’il pourrait facilement égarer, déchirer, ou qui pourrait lui être dérobé. Plusieurs membres demandent l’ajournement.