[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 décembre 1789.] 589 escadre ne menace le port, et qu’on prendra en considération les demandes des ouvriers, sitôt que le calme et la subordination seront rétablis. (On presse M. Malouet de donner la preuve des demandes des ouvriers.) M. Ricard de Séalt, l'un des députés de la sénéchaussée de Toulon. Nous avons reçu des lettres de Toulon ; elles sont datées du 7, et ne contiennent rien qui soit conforme à celles qui ont été communiquées à M. Malouet. Il est incroyable que l’on effraie le Roi et les ministres, par des bruits aussi faux qu’invraisemblables. Je certifie qu’il y a une connexité évidente entre les deux événements arrivés le mois dernier à Toulon. Je certifie qu’on a préparé le combat, qu’on a exhorté les soldats dans leurs quartiers, que des gargousses et des cartouches, faites dans le parc d’artillerie, leur ont été délivrées, tandis qu’on avait refusé deux cartouches à chaque poste de la garde nationale. Je certifie qu’on a commandé aux soldats de tirer sur le peuple, avant qu’on pût prévoir un soulèvement. Je certifie que M. d’Albert aurait pu arrêter l’insurrection, s’il avait accordé la grâce aux deux charpentiers qui ajoutaient à leur délit celui de porter la cocarde nationale. Cette grâce fut enfin donnée, lorsqu’on eut refusé d’exécuter la loi martiale, et que l’effervescence fut portée à l’excès. C’est cette milice nationale qui a sauvé M. d’Albert, et que l’on a cherché à inculper ; c’est elle qui a défendu bravement les officiers du Roi et les droits des citoyens, et c’est contre elle qu’on veut aujourd’hui surprendre un décret à l’Assemblée... J’ai été indigné d’entendre dire hier que les demandes des ouvriers, quelque raisonnables qu’elles fussent, ne seraient accueillies qu’après le calme rétabli..... Mon devoir m’oblige de le dire, si on pouvait croire à Toulon qu’un artifice ou qu’une intrigue quelconque nous ont arraché un décret qui ne serait pas le vœu de l’assemblée, c’en serait fait de la classe de ceux qui y auraient participé ..... M. de llonflosier interrompt M. Ricard, et demande qu’il répète ses dernières expressions. M. Ricard les répète, et continue : Il y a deux partis dans toute ville de guerre. Celui qui, à Toulon, s’oppose encore à la révolution, est beaucoup moins fort que celui des citoyens. Il serait imprudent de rendre un décret tel qu’on le propose : ce serait exposer mille personne à la vengeance de dix-neuf mille. On peut éviter ce malheur en ne précipitant pas la décision d’une affaire importante, qui ne sera bien jugée que quand elle sera bien connue. M. Malouet par le des lettres écrites le 7, avant midi : nous en avons reçu par un courrier extraordinaire, datées du 7, avant minuit ; elles ne disent rien des faits que contiennent celles des ministres du Roi. Dans les circonstances où nous sommes, si l’arsenal de Toulon est en péril, si vous voulez véritablement le sauver, le premier moyen est de prier le Roi de retirer les officiers de Toulon. Je ne prétends pas attaquer leur réputation ; je reconnais qu’ils sont tous de braves gens ; mais leur propre salut existe uniquement dans leur retraite. L’insurrection subsistera tant qu’ils resteront dans la place. Le second moyen est de nommer des officiers qui ne soient pas suspects au peuple. Le troisième moyen consiste à témoigner un peu plus de confiance à un peuple généreux, aussi avide de la liberté que fier de la force qu’il a développée pour la conquérir, et qu’il conserve pour la maintenir. La motion de M. Malouet est inadmissible. Si l’Assemblée le juge nécessaire, la députation de Toulon écrira à la municipalité pour détruire le bruit absurde qu’on prétend s’être répandu dans cette ville. M. Malouet. Le préopinant a traité le fond de l’affaire ; je m’en étais abstenu. Il a exposé des faits graves contre M. d’Albert ; je dois y répondre pour éviter la prévention défavorable qui ne tarderait pas à s’établir. Je puis les expliquer d’une manière bien simple. Tous les jours on fait de l’artifice dans le parc d’artillerie et dans l’arsenal. Toutes les dépositions se réunissent à constater qu’au premier ordre donné aux soldats de charger leurs armes, ils ont désobéi. Je demande si on a pu ensuite ordonner de faire feu avec des armes qui n’étaient pas chargées. L’heure étant très-avancée, la suite de cette affaire est renvoyée à demain deux heures. La séance est levée à quatre heures. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. FRÉTEAU DE SAINT-JUST. Séance du mardi 15 décembre 1789, au soir (1). M. Lebrun, au nom du comité des finances , propose un décret concernant les impositions de la ville de Paris, qui est adopté sans discussion ainsi qu’il suit : « L’Assemblée nationale , ayant entendu le rapport fait au nom de son comité des finances, d’une demande formée par le maire et les officiers municipaux de la ville de Paris, au nom de la commune, relativement à la perception des impositions de 1789, et à la réparlion prochaine de 1789, a jugé convenable de ne prononcer, dans ce moment, que sur la connaissance des contestations relatives à la répartition ou au recouvrement de 1789 et années antérieures : en conséquence, elle a décrété que les contestations qui ont pu ou pourront s’élever sur les impositions de 1789 ou années antérieures, seront jugées provisoirement et sans frais par le comité composé des conseillers administrateurs de Ja ville de Paris, au département des impositions, présidé par le maire de Paris, ou en son absence, par le lieutenant de maire; et que ce même comité surveillera le recouvrement des impositions de ladite année 1789, ainsi que des années antérieures. » M. Le Chapelier demande à être entendu sur la conduite de la chambre des vacations du parlement de Rennes. Il dit que cette chambre s’est conduite d’une manière plus répréhensible que les parlements de Rouen et de Metz, en ce qu'elle a d’abord refusé nettement de transcrire sur ses registres le décret du 3 novembre dernier sanctionné par le Roi; ensuite, refusé une seconde fois sur des premières lettres de jussion; et une troisième, après de secondes lettres semblables, en répondant au Roi, suivant le mémoire adressé par M. le garde des sceaux à l’Assemblée, qu’elle ne pouvait se charger des fonctions qui lui étaient (i) Celte séance est incomplète au Moniteur. 590 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 décembre 1789.] attribuées par le décret. L’orateur fait remarquer qu’il y a dans celte conduite une désobéissance formelle, réfléchie et réitérée aux décrets de l’Assemblée et aux ordres du Roi qui peut mériter des peines bien plus sévères que les chambres des parlements de Rouen et de Metz ; que cependant, d’après sa propre façon de penser, et suivant une délibération prise par la municipalité de Rennes, les généraux des paroisses et les députés des différentes corporations, et une adresse de la même municipalité, dont il fait lecture, il se borne a demander l’érection d’un tribunal provisoire ; tel qu’il est proposé dans l’adresse, pour remplir les fonctions dont les magistrats composant ladite chambre, se sont dépouillés volontairement, en restant sourds à la loi de leur devoir, aux réclamations et aux pressantes instances de leurs justiciables; en conséquence, il lit et propose un projet de décret. M. Prieur dit que le projet de décret est très-sage, qu’il ne peut qu’y applaudir, mais qu’il est insuffisant pour l’intérêt de l’ordre public; il propose un amendement, tendant à ce que les membres de la chambre des vacations du parlement de Rennes soient mandés à la barre ; et dans le cas où ils ne justifiraient pas leur conduite, qu’ils soient envoyés au Châtelet, pour la forfaiture être jugée contre eux, suivant les précédents décrets de l’Assemblée. M. le baron de Tessier de Marguerittes demande que M. le président se retire devers le Roi pour le supplier d’envoyer un commissaire qui composerait une chambré des vacations des membres du parlement qui n’auraient pas pris de part aux arrêtés du corps, et que ce commissaire soit autorisé à faire transcrire ce décret sur les registres du parlement. M. Tuaut de la Bonverie, député de Bretagne, pour appuyer le décret et l’amendement, se borne à lire une délibération de la municipalité de Ploërmel, dont l’Assemblée ordonne l’insertion dans le procès-verbal, et l’impression. Elle est conçue en ces termes : Extrait des registres des délibérations de la municipalité de la ville de Ploërmel. Du 10 décembre 1789. « A l’assemblée de la municipalité de la ville de Ploërmel, tenue en l’hôtel de ville, après convocation particulière, répétée par le son de la cloche, à laquelle se sont réunis les membres du comité, où présidait M. Gaillard de Kbertin, maire et président; « L’assemblée, considérant que celui qui refuse d’obéir aux décrets de l’Assemblée nationale, et cherche à diminuer la confiance aux actes qui émanent d’elle, ne veut que repousser 23 millions d’hommes dans les mêmes fers sous lesquels ils avaient langui abattus pendant tant d’années, et qu’ils ont eu la force de briser; et que, par conséquent, il ne peut être que l’ennemi de la liberté et de la régénération salutaire de la France. « Considérant encore, que, dans ces moments surtout où la fermeté, le courage des Français, et les vœux de ceux-ci, vont être couronnés, et où le terme de l’esclavage a été fixé, toute nouvelle insurrection exhalée du fond de l’abîme où l’aristocratie et ses satellites doivent être engloutis pour jamais, ne pourrait qu’engendrer de ces maux horribles préparés avec cette même noirceur et cette même adresse dont nos tyrans se félicitaient de nous rendre les victimes, mais que le ciel nous a fait éviter, et ne pourrait que nous replonger dans une suite de malheurs plus affreux encore que ceux que nous avons essuyés. « Considérant de plus, que si de pareilles manœuvres, de la part de quelques individus, ne doivent mériter à leurs auteurs qu’une punition éclatante et proportionnée à des attentats si odieux, nécessairement elles deviennent infiniment plus graves et plus criminelles encore de la part d’un corps qui, au lieu de se joindre au peuple dont il devrait être le soutien, ose se mettre au rang de ses oppresseurs; « Considérant enfin qu’un délit de cette nature, auquel il manque un nom à raison de l’horreur qu’il inspire, ne peut être puni trop rigoureusement, atin de prévenir de nouvelles calamités, et d’étonner les rebelles, et qu’au contraire l’indulgence ne doit plus être employée dans ces instants, où l’étendard aristocratique parlementaire se déploie ouvertement, et d’une manière propre à faire craindre qu’il pourrait être soutenu; « A, d’une voix unanime, déclaré ennemi de la nation, et traître envers elle et le Roi, et arrêté de traiter désormais comme tel quiconque oserait refuser d’obéir aux décrets de l’Assemblée nationale, acceptés ou sanctionnés par Sa Majesté, les méconnaître, ou chercherait à les discréditer, même tous les parlements, et notamment celui de Bretagne, qui persisteraient dans les intentions et opiniâtretés anti-nationales qu’ils auraient manifestées. A en même temps arrêté d’adresser copie de la présente délibération à MM. les députés de cette sénéchaussée à ladite Assemblée, pour la supplier d’y avoir égard, et de punir ou faire punir rigoureusement et sans aucune considération, comme coupables de lèse-nation et forfaiture particulière, tous ceux qui ne reconnaîtraient pas ses décrets, ou voudraient attenter à leur force, tant le parlement de Bretagne que toutes les autres cours et corps qui auraient montré les mêmes sentiments. « A encore arrêté d’en adresser copie aux membres tenant le parlement de Bretagne, afin qu’ils n’en prétextent cause d’ignorance, et à toutes les municipalités de la province et du royaume, pour qu’elles aient à prendre le parti que la sagesse et les circonstances leur suggéreront; et ont, les délibérants, signé. Le registre dûment signé. « Pour copie conforme au registre, signée : MEELA l’aîné, secrétaire. » M. de Robespierre. Messieurs, le parlement de Rennes est entré dans une voie d’où nous devons le faire sortir. J’appuie donc la motion de M. Le Chapelier et je vous demande de la compléter en décrétant que les nouveaux juges seront librement élus par le peuple. — J’ajoute que non-seulement le parlement de Rennes a offensé la nation en refusant la justice au peuple, mais qu’il a eu l’audace d'écrire des lettres confidentielles au pouvoir exécutif pour sonder les dispositions de la Cour à l’égard de l’Assemblée nationale. Une voix énorme s’écrie : Non, cela n’est pas vrai! (Toute la salle se retourne et reconnaît M. le vicomte de Mirabeau.)