346 (La discussion est ouverte sur ce projet de décret.) M. Prienr. Il est encore un autre objet sur lequel doit porter le décret dont il s’agit. 11 nie paraît dans l’ordre que la naiion n’accorde aucune pension, aucun traitement quelconque à des hommes qui s’en séparent par des protestations, qui cherchent à allumer dans son sein le feu de la guerre civile par la manifestation de leurs principes. Je crois qu’il faut décréter que ces individus ne pourront toucher sur le Trésor public aucun traitement ni pension. ( Applaudissements .) M. Duport, rapporteur. Je crois qu’il ne peut être question de cet objet quant à présent, et j’observe que les principes ne sont pas les mêmes suivant qu’il s’agit de pensions ou de traitements. S’agit-il en effet des traitements relatifs à l’exercice actuel de fonctions publiques? 11 est évident que ceux qui sont déclarés incapables de remplir ce Jbnctions ne sont pas recevables par cela même d'en percevoir les traitements. S’agit-i! au contraire de pensions de retraite pour des fonctions antérieures? Je crois aiors que les principes de la justice exigent qu’on fasse une distinction; je crois que tout homme qui a rempli une fonction, qui vivait sous un régime qui lui a assuré des appointements tant qu’il servirait et qui lui a garanti une retraite lorsqu’il quitterait 1- service, je crois, dis-je, que cet homme-là, dès qu’il a accompli le temps de service déterminé et les conditions du contrat qu’il devait remplir, ale droit d’attendre que la naiion remplisse les siennes : il a exécuté la première partie du contrat; la nation doit exécuter l’autre. Je dis, pour particulariser cette question, qu’un homme qui a servi dans le militaire, qui y a servi un temps déterminé sur la foi d une retraite, a un droit acquis et qu’il doit recevoir sa retraite, soit qu’il quitte le pays ou non, soit qu’il se fasse étranger ou qu’il reste Français, l’obligation nationale reste la même; le droit est acquis, et de ce moment il n’est pas juste de l’en priver. S’il est vrai qu’en quittant le pays, il ne devient pas pour cela incapable de recevoir le traitement à lui promis et qu’il a acquis par ses services, je crois que celui qui refuse de prêter le serment civique, ou qui proteste contre la Constitution, fait évidemment l’acte d’un homme qui ne veut pas exister comme Français, qui ne veut plus se soumettre aux bienfaits de la société française et profiter de ses avantages ; mais je ne crois pas qu’il faille cesser pour cela l’exécution du contrat antérieur qui existait entre la nation et lui. Je crois donc que la justice exige qu’il lui soit payé ce qu’il a mérité par sa conduite, et que dès que la loi lui avait réservé une pension ou un traitement de retraite, rien ne peut le lui enlever. Maintenant on dit que les auteurs de ces protestations troublent fa tranquillité publique du royaume par la manifestation de principes très dangereux : ceci est un autre objet. S’ils se trouvent répréhensibles aux yeux de la loi, parce qu’ils auront violé l’ordre public, la loi doit décerner contre eux les peines qu’il sera nécessaire. Mais il est à obsi rver que de même qu’on peut quitter sa patrie pour aller vivre sous une Constitution étrangère, de même aussi on peut vivre en étranger dans le sein du royaume sans avoir reconnu la Constitution française, pourvu que l’on ne résiste pas aux autorités constituées, que [23 septembre 1791.J l’on obéisse à toutes les lois qui sont communes aux citoyens et aux étrangers, et qu’on ne trouble pas l’ordre public, quoi qu’on ait une opinion différente de ceux qui ne font pas partie de la société. Ce n’est donc pas un délit que de faire une déclaration contre la Constitution ; aussi le projet de décret que nous vous proposons n’est pas une peine contre les protestataires. C’est une chose extrêmement simple que de dire à ceux qui ne croient pas à l’autorité d’une Constitution : vous ne serez point appelés à remplir les fonctions qu’elle a instituées. 11 ne faut pas regarder cela comme une peine, mais simplement comme la déduction d’un principe extrêmement clair, comme Ta conséquence nécessaire ne leur renonciation. Ce serait, au contraire, leur infliger réellement une peine que de les priver de traitements précédemment acquis. M. 'Vernier. Il est bien vrai que les pensions accordées sont en raison des services passés, mais en même temps sous la condition implicite de tenir aux lois de l’Etat et d’y obéir. ( Murmures .) On ne récompenserait p is un homme qui aurait rendu des services à l’Etat au moment où il va enfreindre le> lois de l’Etat. La comparaison de l’homme qui s’est absenté ne peut pas prévaloir ici, parce que celui qui s’absente use d’une liberté à tout homme accordée; que ceux qui font des protestations aillent vivre sous une autre Constitution, qu’ils usent de la liberté donnée à tout homme d’aller ou il lui (Tait ; mais il est bien étrange que l’on accorde des récompenses, que l’on paiedes traitements à des hommes qui, vivant dans le sein de la nation, ne veulent pas reconnaître ses lois pendant qu’ils y demeurent. M. Ciaultier-Biauzat. La proposition de M. Prieur est complexe et je crois qu’il y aurait du danger à vous en occuper actuellement. Si on la considère comme une peine, elle ressortit au code pénal ; mais si on l’examine plus au fond, on voit qu’elle tient à des questions de fait : ce délit peut en effet être le résultat de la méchanceté, de l’erreur ou de l’ineptie ; il faut bien le temps de distinguer cela. Ainsi de quelque manière qu’on considère l'amendement, je ne crois pas qu’on puisse le discuter à l’instaut. Je demande, en conséquence, non pas qu’on passe à l’ordre du jour, car la moiion n’est pas mauvaise eu soi, mais qu’on l’ajourne indéfiniment ; nos successeurs verront, d’après les faits, ce qu’il pourront décréter à cet égard. (L’Assemblée, consultée, ajourne indéfiniment l’amendement de M. Prieur.) M. Bouche. Dans l’article 2 du projet, le comité propose d’admettre au serment tous les protestants et déclarants contre la loi de l’Etat. Quant à moi, je paraîtrai peut-être trop sévère ; mais je dois à ma conscience de dire, et une expérience malheureuse a confirmé qoe les méchants, Messieurs, ont souvent abusé de la loi du serment; ils se sont servis de ce moyen pour vous mieux tromper. La plupart des malheurs du royaume ont été favorisés par l’abus funeste du serment. Je demande que l’on n’admette au serment que ceux qui, après avoir rétracté leurs protestations et déclarations, auraient mérité la confiance par une bonne conduite soutenue. (Murmures.) La plupart de vos fonctionnaires publics vous ont trompés en prêtant le serment ; [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 septembre 1791.] 247 après l’avoir prêté, ils ont été revêtus des fonctions publiques et ces fonctions ont été pour eux un prétexte dont ils se sont servis pour disséminer l’insurrection dans le royaume. Je demande que vous disiez que ceux-là seuls qui, par une conduite vraiment patriote et soutenue, seront jugés dignes d’être admis au serment, pourront, après la prestation de ce serment, être réintégrés dans le droit d’exercer des fonctions publiques. (Murmures.) Voix diverses : Gela est détestable! — La question préalable! — Aux voix le décret! (L'Assemblée ferme la discussion et adopte le projet du comité sans changement.) M. Alquier, au nom du comité des rapports. Messieurs, je suis chargé par le comité des rapports de vous rendre compte des troubles qui agitent en ce moment la ville d'Arles ; mais n’attendez lias de moi que je vous en fasse connaître la source. Les pièces qui m’ont été remises ne me fournissent aucun renseignement à cet égard. Des conversations confidentielles et la communication de plusieurs lettres particulières m’ont bien donné quelques détails ; mais, outre que de pareils renseignements doivent toujours être suspects soit par les contradictions, soit par l’esprit de parti des individus qui les fournissent, ils sont trop incomplets pour que je puisse en faire usage dans mon rapport. Ainsi donc, sans vouloir remonter aux causes premières, je prendrai cette affaire à l’époque où des procès-verbaux en fournissant des détails autnentiques et je ne citerai que les faits contenus dans les pièces vraiment officielles. Les dissentiments qui existaient depuis longtemps parmi les citoyens d’Arles déterminèrent, au mois d’août dernier, le département des Bouches-du-Rhône à y envoyer des commissaires, chargés de prendre des renseignements et de concilier tous les partis. Ges commissaires, pour assurer la tranquillité publique, autorisèrent la municipalité à faire, chaque nuit, renforcer la garde à l’hôtel de ville, par un supplément assez considérable, soit à se réunir à la troupe en cas de troubles, soit à fournir des hommes pour les patrouilles qui parcourraient la ville. Cette précaution quoique très sage, donna lieu, le 1er septembre, à une fermentation très violente dans la garde nationale. Un procès-verbal de la municipalité m’apprend qu’une compagnie désignée par le n° 18 et par le nom de compagnie de la Monnaie, se refusa à recevoir le supplément qui, d’après l’usage observé depuis quelque temps, s'était rendu au poste vers les 6 heures du soir. 6 hommes de supplément, après avoir déposé leurs armes, se présentèrent à la porte du corps de garde; l’entrée leur en fut fermée. On prétendit qu’ils voulaient la forcer, et l’on s’arma contre eux. Les hommes de supplément coururent aux armrs pour se défendre ; le tocsin sonna et fit courir à l’hôtel de ville un détachement de patrouille par le chemin de « Foulle ». Alors, la compagnie n° 18 défila, et le poste qu’elle abandonnait fut occupé par le supplément destiné à renforcer la garde. Les fai1 s consignés dans le procès-verbal de la municipalité donnèrent lieu à un arrêté du département des Bouches-du-Rhône ; et comme depuis longtemps les prêtres réfractaires fomentaient des troumes à Arles ( Murmures à droite) , ils furent aussi l’objet des résolutions sévères des administrateurs du département. Voici, Messieurs, la teneur de l’arrêté de 7 septembre 1791. « Vu etc., le directoire du département arrête : « 1° Qu’il sera enjoint à tous les citoyens de la ville d’Arles, de déposer à la municipalité dans les 24 heures, pour tout délai, toutes les armes qui sont en leur pouvoir, pour être mises dans un dépôt public, qui sera fermé sous trois clefs, dont une sera dans les mains du premier officier municipal, une dans celles du procureur de la commune, et une dans celles du procureur syndic du district d’Arles, pour n’être tiré dudit dépôt que le nombre de fusils nécessaires pour armer la garde nationale que la municipalité trouvera bon d’employer journellement pour le maintien delà tranquillité publique dans la ville ; « 2° Que le présent arrêté sera porté à Arles, par un gendarme national; « 3° Que dans l’intervalle il sera écrit aux diverses municipalités en état de fournir ensemble le nombre de 12,000 gardes nationales, pour les inviter à fournir les citoyens armés qui leur seront demandés, et de les tenir prêts à marcher, à la première réquisition, et aux dépens de qui il appartiendra ; « 4° Attendu qu’il est notoire que les prêtres réfractaires de ladite ville ont eu une grande part aux troubles qui y sont arrivés, il est provisoirement enjoint à tous les prêtres ci-devant fonctionnaires publics séculiers ou réguliers qui n’ont pas prêté le serment prescrit par la constitution civile du clergé, de sortir incontinent de la ville d’Arles et du territoire de son district, jusqu’à nouvel ordre, et sans qu’aucun d’eux puisse se dispenser d’obtempérer à la présente disposition ; « 5° Que les portes de l’église des ci-devant dominicains de la même ville, dans laquelle s’assemblent les non-conformistes, seront fermées et murées ; que le présent arrêté sera imprimé, etc. » Les dispositions de cet arrêté parurent extrêmement fâcheuses aux habitants d’Arles, et vous jugerezde l’impression qu’elles firent sur eux par les conclusions qui terminent leur pétition du 10 de ce mois. « Les citoyens soussignés, déclarent provoquer le ministère du procureur-syndic de ladite ville, du procureur de la commune, des officiers municipaux et des commissaires du roi auprès du tribunal, pour qu’ils se joignent à eux à l’effet de dénoncer l’arrêté du directoire du département du 7 de ce mois, comme fondé sur des motifs faux et calomnieux, comme contenant un abus intolérable de pouvoir, comme contraire aux décrets de l’Assemblée nationale, et faute par eux d’agir, les soussignés les déclarent responsables des suites de leur négligence, et déclarent de même dénoncer ledit arrêté à l’Assemblée nationale et au pouvoir exécutif. » Les habitants d’Arles, excepté un petit nombre qui mirent bas les armes, loin d’obéir à l’arrêté du département, firent des préparatifs pour repousser les gardes nationales qui devaient marcher contre eux. Un bureau militaire fut établi, 50 pièces de canon furent placées sur les remparts, on creusa de nouveaux retranchements. Les portes de la ville, à l’exception de 2, furent fermées ou murées ou cramponnées; on transporta à l’hôtel de ville des caisses contenant plus de 1,500 fusils ; des approvisionnements considérables de poudre furent faits. Enfin,