[Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [45 mars 1Î90.] j'îQ M. Faydel. Lorsque, à Versailles, vous avez décrété le prix du sel à 6 sous, on vous a soumis la demande que renouvelle aujourd’hui le préopinant : vous avez ajourné cette proposition ; il faut la décider ou l’ajourner encore. (L’Assemblée décide qu’il n’y a pas lieu à délibérer.) M. de Afontcalm-Gozon propose un amendement qui est adopté, Il consiste à ajouter à la fin de l’article ces mots : avant le décret du 23 septembre dernier. L’article ainsi amendé est décrété ainsi qu’il suit : « Art. 2. Une contribution réglée sur le pied de 40 millions par année, et formant les deux tiers seulementdu revenu net que le Trésor national retirait de la vente exclusive du sel et du droit de quart-bouillon, sera répartie provisoirement et pour la présente année seulement, sur les départements et districts qui ont formé les provinces et les pays de grande gabelle, de petite gabelle, de gabelle locale et de quart-bouillon, en raison de la quantité du sel qui se consommait dans les provinces, et du prix auquel il y était débité avant le décret du 23 septembre dernier. » M. le Président lève la séance à trois heures et demie. ANNEXE à la séance de l’Assemblée nationale du 15 mars 1700. Réflexions sur une question importante d’économie politique (mode uniforme d’imposition directe), par M. Vareune de Féuille, receveur des impositions de la Bresse et de Bombes , lu le 22 février 1790, au corps municipal de la ville de Bourg, et en présence de la commission intermédiaire de la province de Bresse, qui en a ordonné l’impression (1). AVERTISSEMENT. Mon plan de finances est devenu public, contre ma première intention. J’étais persuadé que, quand même il renfermerait quelques vues utiles, il arriverait trop tard à la suite d’un grand nombre d’autres plans, composés par des personnes d’un talent fort supérieur. Mais la commission intermédiaire de la province de Bresse et la municipalité de la ville de Bourg ayant jugé que la simplicité de ee plan pourrait le faire distinguer de la foule, il fut délibéré, le 7 décembre, qu’il serait envoyé à MM. les députés de la Bresse. MM. les députés en ayant porté le même jugement, et m’ayant témoigné le désir que je la fisse imprimer, j’y consentis; mais la distance des lieux et les lenteurs typographiques n’ont pas permis qu’il fût distribué avant le 11 janvier, dans les bureaux de l’Assemblée na-nationale. L’exécution de ce plan suppose, comme on a pu le voir, une division préalable et fixe de la (i) Ce document n’a pas été inséré au Moniteur. totalité de l’impôt direct du royaume entre les départements en raison de leurs forces respecr tives. Ce travail m’ayant mis en correspondance immédiate avec quelques-uns des députés de la Bresse, je leur fis part de l’intention où j’étais de porter plus loin mes recherches, relativement à notre province qui n’est qu’agricole, et de trouver, s’il était possible, un moyen de répartir la portion de l’impôt direct qui serait à sa charge, de manière: 1° que chaque individu contribuable fût imposé avec le plus d’égalité proportionnelle qu’il se pourrait; 2° que cette répartition servît elle-même d’aiguillon à l’industrie agronome. Je me flattais presque de tenir le fil qui devait me conduire à mon but, et j’avais déjà jeté sur le papier quelques idées, auxquelles je ne comptais donner la forme régulière d’un mémoire qu’à l’époque où notre département eût commencé d’entrer en activité, lorsque j’ai reçu de MM. nos députés une invitation « à ne pas circonscrire mes idées dans les limites de notre province; mais d’essayer la recherche d’un mode d’imposition qui atteignît également toutes les propriétés du royaume.» Cette proposition m'a effrayé, je l’avoue, par son immensité. En effet, dans le peu que j’ai écrit jusqu’ici sur l’agriculture pratique, même politique, je m’étais fait, en quelque sorte, une loi de ne rien rapporter qui ne fût immédiatement applicable à notre province, et de ne m’appuyer que sur des bases qui y fussent parfaitement connues, ou sur l’expérience. En essayant, comme j’y suis iûVité, de généraliser mes idées, ne risqué-je point de tomber dans le même inconvénient qu’on a tant reproché aux agriculteurs et quelquefois aux politiques? Celui de discourir d’après des idées incomplètes, et d’écrire sur ce qu’ils ne connaissent pas, ou, ce qui est sujet à des conséquences encore plus fâcheuses, sur ce qu’ils connaissent mal, avec cette différence trop souvent éprouvée, que les méprises en politique sont bien autrement dangereuses, que les erreurs en agriculture pratique. Si je me permets donc de hasarder quelques réflexions sur la question proposée, ce n’est qu’avec la juste crainte que m’inspirent, et l’importance du sujet et l’extrême difficulté de me procurer de si loin tous les renseignements qui seraient nécessaires pour le traiter dignement. Mais quand même on ne trouverait dans cet essai qu’une sorte de préservatif contre la surprise et le premier effet de quelque système, brillant peut-être et bien ordonné en apparence, mais assis sur des bases incertaines ou caduques, je croirais n’avoir pas été tout à fait inutile à la patrie. QUESTION. Est-il possible de déterminer un mode uniforme d’imposition directe, qui atteigne avec une égalité proportionnelle toutes les propriétés du royaume, sans qu’il naisse de cette uniformité des inconvénients essentiellement nuisibles à l’ agriculture particulière des départements? Cette question est la plus importante de celles qui, au moment actuel, intéressent l’économie politique, puisque de la décision qui interviendra peut dépendre le salut du rovaume. G est à cet examen que nous allons nous livrer, en nous efforçant de ne l'appuyer que sur des axiomes simples, des définitions claires, des faits avérés et 180 [Assemblée nationale.] - ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 -mars 1790.] connus, et des calculs assez rapprochés pour qu’il ne puisse s’élever aucun doute. 11 y a quatre sortes de propriétés : les propriétés territoriales, les immeubles fictifs, les propriétés mobilières et les industrielles. La propriété industrielle n’est pas à vrai dire une propriété complète. Elle peut tout au plus être considérée comme une propriété mixte, en ce qu’elle agit et s’exerce sur des valeurs en argent ou en marchandises, que cette industrie rend productives au delà de l’intérêt ordinaire. Dans cette classe, je comprends le commerce, les arts mécaniques et le fermage des terres. L’homme de journée quelque métier qu’il exerce, ne me paraît pas attaquable par l’impôt direct : il n’y a que l’indirect qui puisse l’atteindre très faiblement dans les campagnes, un peu plus fortement dans les villes, et cela est juste puisqu’il y est un peu mieux payé. L’impôt direct sur la propriété industrielle doit être nécessairement très modéré, puisque, portant sur des quantités inconnues, il tient de l’arbitraire. Mais comme le siège principal de l’industrie est dans les villes, elle doit acquitter, et acquitte en effet sa part de la protection que le gouvernement lui accorde, au moyen de l’impôt indirect qui pèse beaucoup plus sur les villes que sur les campagnes. Les propriétés purement mobilières puisqu’elles sont stériles, ne paraissent pas devoir être attaquables par l’impôt direct: elles le sont néanmoins dans le cas de mutation pour l’impôt indirect. Les propriétés d’immeubles fictifs se sous divi-sent, et consistent, savoir: 1° dans les créances sur l’Etat appelées effets royaux; 2° dans les créances de particuliers sur particuliers, desquels il est passé contrat ou obligation; 3° dans les fonds prêtés au commerce par les capitalistes qui ne sont pas personnellement négociants. On ne présume pas qu’il y ait un créancier de l’Etat, s’il lui reste quelque pudeur, qui ose au-iourd hui élever la prétention que sa propriété solidement hypothéquée sur les biens-fonds du royaume, demeure seule exempte de payer à l’Etat le même tribut que lui paieront les propriétés foncières qui lui servent d’hypothèque; actuellement surtout, que les créanciers de l’Etat ont eu l’art d’échapper en partie à l’iuipôt indirect, le seul qui pût les atteindre ; et tandis que, d’autre part, la loi a pourvu à la retenue qu’un débiteur ordinaire est en droit de faire sur son créancier, lorsqu’il acquitte les intérêts d’un contrat entre particuliers. L’impôt direct ne peut que très difficilement atteindre les capitalistes qui prêteront aux négociants. Mais indépendamment de ce qu’il est d’une saine politique de favoriser, par celte espèce d’exemption, les entreprises de commerce, dont les succès réagissent sur l’agriculture et en augmentent la prospérité, les prêts faits au commerce sont sans hypothèque, et les prêteurs courant de3 risques, il paraît juste qu’à leur égard le taux de l’intérêt demeure libre, et qu’il ne soit pas assujetti à des retenues. Les propriétés foncières, dont il va être principalement question, se divisent en urbaines et en rurales. Les premières sont rarement susceptibles d’améliorations ou de spéculations utiles, sinon dans les villes de grand commerce. Ainsi, les propriétés rurales sont à vrai dire aujourd’hui l’unique ressource de la France. Et depuis la suppression de plusieurs branches de la contribution indirecte, l’agriculture est deve-venue le principal élément de l’impôt. Mais en puisant dans cette source, ne la tarissons pas ; et, par une répartition imprudeute, gardons-nous d’ajouter ce dernier désastre aux maux affreux qu’a produits une trop longue anarchie. Cherchons à répartir l’impôt de telle sorte que cette répartition même excite, s'il se peut, l’émulation de l’agronome. Evitons surtout que le propriétaire et le cultivateur soient récompensés de leurs avances et de leur industrie par un plus imposé ; et remerciés d’avoir revivifié la classe indigente mais laborieuse, qui les entourait, par la privation des moyens de lui donner du travail, Tel était le but auquel j’aurais aspiré dans le mémoire que je méditais pour être présenté à l’assemblée provinciale du département de la Bresse. Puissent les principes dont je vais partir, et leurs conséquences, auxquelles j’aurais vraisemblablement donné plus de développement, parce que j’aurais eu plus de loisir, être également applicables aux autres départements 1 Dans la machine politique, comme en mécanique, l’action du poids doit se partager également sur les supports, si l’on veut qu’elle soit durable. Il est clair qu’on entend ici par le mot également, l’égalité proportionnelle aux forces ; et puisqu’il s’agit d’impôt, l’égalité proportionnelle aux richesses. On a fait un grand pas vers cette égalité, par la suppression de toutes exemptions pécuniaires. Mais l’établissement d’une égalité proportionnelle parfaite entre les départements, entre les communautés d’un même district, entre les contribuables d’une même communauté, est-il possible ? non : le perfectionnement consistera à approcher tellement de Légalité, que l’intolérable disproportion qui régnait auparavant disparaisse. Je crois qu’on le peut. D’ailleurs, nous verrons que quand même un département se trouverait, par une première répartition, surchargé comparativement avec les autres, il sera facile de le soulager, par la suite, en moins imposé, sans peser sur les autres départements. Ce n’est qu’avec une extrême circonspection qu’il convient de changer les habitudes anciennement contractées. Supprimez la gabelle, imposez à 130 livres d’impôt direct un fermier de Bresse qui consommait annuellement trois minots de sel à 59 liv. 3 s. 4 d. le minot; à coup sûr, il se plaindra. Telle est la marche du cœur numain. 11 est plus affecté d’un mal léger, mais présent, que sensible à un plus grand bien qui doit le compenser à l’avenir, quand même cet avenir ne serait pas éloigné. La taille et ses accessoires sont (en Bresse du moins) un impôt trèsinégal, quelque sévère qu’ait été à cet égard l’attention des commissaires départis et des syndics du tiers, par la raison que la taille porte sur une base qu’ils ne pouvaient changer et qui tient nécessairement de l’arbitraire. Le vingtième s’éloigne moins de l’égalité parce que hormis le clergé, personne n’en est exempt, parce que, le vingtième est censé une partie ali-quote du revenu ; parce qu’il n’atteint que le propriétaire, et que le propriétaire le plus riche doit être le plus imposé. Il fut néanmoins dès l’origine, et a continué d’être inégal, par la raison que les propriétaires, qui avaient affermé leurs possessions, furent imposés à la vue de leurs baux, et que les propriétaires cultivateurs, ou faisant cultiver à moitié [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 mars 1790.] 181 fruit, furent cotisés d’après leurs simples déclarations; or, ces déclarations n’ont pas été constamment fidèles. De deux biens-fonds d’une valeur intrinsèque égale, celui qui était compris dans un bail général fut moins imposé, tandis que celui qui était affermé par le bail particulier, paraissant produire plus de revenus, fut plus chargé. Il est vrai qu’au bout de quelques années, cette inégalité dans les produits respectifs de fonds intrinsèquement égaux en valeur, disparut et dut disparaître par la conversion de divers baux généraux en baux particuliers. 11 en fut présenté de suspects à l’appui des déclarations; des vérificateurs furent employés à corriger ces disproportions; mais leur travail ayant été interrompu par des arrêts, il en résulta une nouvelle cause d’inégalité. Tout le monde sait que, dans tous les cantons vérifiés, l’imposition s’était accrue; au lieu qu’elle avait constamment diminué dans les cantons non vérifiés. Les administrateurs de Bresse abonneront le vingtième en 1757, à peu près au même prix que rendait la régie; ce fut de leur part la plus salutaire opération. A dater de cette époque, l’agriculture a commencé à se relever dans cette province. L'abonnement a-t-il produit cette prospérité? — Oui, en très grande partie. — Mais les abonnements sont en horreur aujourd’hui. — Dites les privilèges, car si tous les départements étaient abonnés, où serait le privilège? Il n’est pas d’agriculteur qui ne convienne que pour améliorer un fonds de terre d’une manière durable, la vigilance, les lumières, l’expérience même du propriétaire, jointes à l’assiduité dans le travail d’un honnête cultivateur, ne suffisent pas; qu’il y faut encore une mise de fonds souvent considérable, des avances, enfin, dont les rentrées ne sont pas toujours certaines, dont les spéculations ne sont pas toujours heureuses. Imposez la mieux-value produire par ces avances, vous étoufferez l’industrie dans son berceau (l). Abstenez-vous de l’imposer, l’opération produira l’effet d’une prime. On pourrait objecter que la prospérité dont j’ai parlé à l’égard de la Bresse provenait de l’accroissement successif du prix des denrées, et qu’il était naturel, d’après mes propres principes (2), que le prix du fermage eût en conséquence augmenté. L’objection serait solide, si l’un et l’autre surhaussement se trouvaient dans le même rapport. Mais comparez, répondrai-je, vos baux de différentes époques, voyez s’ils n’excèdent pas ce rapport. Comparez-les encore avec les pays non abonnés qui vous avoisinent, et vous reconnaîtrez que partout où l’impôt sur les propriétés territoriales est fixe, en Angleterre, en Hollande, dans une partie de l’Allemagne et de l’Italie, en Savoie, l’agriculture fleurit, malgré les obstacles que peuvent y apporter encore la dîme et les droits féodaux; que cette prospérité y est en raison des (I) C'est ce que faisait la dîme. Voyez à l’égard de son inégalité, de ses funestes effets sur l'agriculture, et particulièrement celle des pays pauvres, la note et les calculs, pages 13 et suivantes des Observations, expériences et mémoires sur l’ agriculture, qui se trouvent à Paris, chez Cuchet et Viffe, libraires. On voudra bien croire que je me garderais de citer un ouvrage dont je suis l’auteur, si ces mêmes calculs et cette note n’avaient pas été déjà cités à l’Assemblée nationale, lors de son travail sur les dîmes. (î) Ibid. avances pécuniaires que les propriétaires sont en état d’y verser, et qu’au contraire, partout où un accroissement de produit attire immanquablement un surcroît d’imposition, l’agriculture est languissante, à l’exception, peut-être, de ces cantons que la nature a doués d’une fertilité extrême, ou qui sont vivifiés par un commerce étendu. Je suis si convaincu de cette vérité, elle me frappe avec tant de force, qu’on voudra bien me pardonner si j’insiste vivement sur le seul moyen qui me reste peut-être de nous sauver des derniers malheurs. Que l’agriculture est loin encore en France du degré de perfection où la position, le sol et l’heureuse température de ce beau royaume devaient naturellement la porter 1 Comparons nos progrès avec ceux de ce premier des arts en Angleterre et jugeons-nous. La position de l’Angleterre l’a forcée, eu quelque sorte, d’être commerçante avant d’être agricole. Les immenses profits de son commerce employés, en partie, en travaux pour fertiliser un terrain ingrat, y ont porté l’agriculture à un point de prospérité qui étonne; tandis qu’eu France, et sur un sol naturellement fertile, la fausse assiette de l’impôt a réduit nos cultures à un point de maigreur qui afflige. Je ne crois donc p;>s avancer un paradoxe, en disant que, dans celte île, c’est le commerce qui a vivifié l’agriculture, et qu’en France, au contraire, c’est l’agriculture qui doit vivifier le commerce. D’après les principes qui viennent d’être exposés, on prévoit aisément quel est le mode dans la répartition de l’impôt que j’estimerais mériter la préférence. Il consisterait: 1° à ce que, dès à présent, l’impôt direct fût réparti avec le plus d’égalité proportionnelle possible entre chacun des départements; 2° Que cette répartition leur tînt lieu d’abonnement, qui, eu temps de paix, ne pourrait être augmenté pour quelque cause que ce fût; 3° Que chacun des départements fût chargé de la sous-division de sa quote-part entre les districts, les districts entre les communautés, les communautés entre les contribuables ; 4° Que la cote du contribuable, une fois déterminée, ne fût plus susceptible d’augmentation, sinon après le terme de 20, 30 à 40 ans, plus ou moios, mais qui serait déterminé par la loi. Sur quoi, il s’élève une question, savoir comment il pourrait être accordé une diminution à un département qui serait jugé avoir été surchargé lors de la première répartition. On voudra bien remarquer que, dans mon plan de finances, au moyen du fonds d’amortissement toujours subsistant, et des rentes viagères qui s’éteindront annuellement, la masse de l’imposition du royaume, des départements, et, en dernière analyse, du contribuable, sera progressivement diminuée. L’ou peut donc faire participer à cette bonification, et, dans une proportion plus forte, le département, le district, la communauté et jusqu’au simple contribuable qui seraient fondés à se plaindre. Le fonds servirait aussi à soulager les paroisses et les cantons qui auraient essuyé des pertes par la grêle, ou par quelque autre accident. Avant de passera l’examen des moyens d’établir par approximation l’égalité qui fait l’objet de uos recherches, pour asseoir avec équité l’impôt direct, je dois répondre à une objection que je prévois. 48? [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 mars 1790.} Vous ne cherchez l’égalité, me dira-t-on, que pour établir ensuite et très incessamment la plus grande inégalité. Car supposons deux propriétaires de deux domaines rendant chacun 2,000 livres, et imposés à 400 livres. Supposons que le premier de ces propriétaires demeure dans l’inaction et n’augmente pas la valeur de son domaine; que l’autre, avec un peu d’industrie et de dépense, porte, au bout de quelques années, la valeur du sien à 4,000 livres, tous deux d’après votre système, avec des revenus si différents, demeureront imposés à la même somme. L’inégalité est ici trop manifeste pour être tolérable. Je réponds que tout législateur qui en ordonnera autrement, fera une opération fausse et décourageante. C’était malheureusement en punissant ainsi l’industrie, que l’impôt se répartissait dans la plupart des provinces du royaume; et c’est ce qui a tant énervé jusqu’ici notre agriculture. Eh! plût à Dieu que le propriétaire industrieux, au lieu de le doubler, triplât son revenu ! Que de bien il produirait autour de lui (1) l et (1) Réflexions qu'on peut putter, quoiqu'elles s'éloignent moins du sujet qu’elles n’en ont d’abord l'apparence. On confond trop Souvent la pauvreté avec, la misère. Il y aurait moins de disputes Si les termes étaient mieux définis. La pauvreté n’est jamais que relative; car la pauvreté absolue est misère. Un homme est pauvre, relativement à un aulre homme du même état, de la même condition, qui vit dans l'aisance. Le revenu d’un pauvre bourgeois rendrait un paysan aisé. L’homme qui a plus que de l’aisance est riche : s’il fait un bon usage de ses richesses, il est très estimable. La misère consiste à être privé de l'absolu nécessaire au souiien de la vie, comme de manquer d’aliments, de feu, de vêtements, d’asile. Un homme qui, avec un corps sain et vigoureux, n’a que ses bras pour subsister, est pauvre : il n’est pas misérable, mais il tombe nécessairement dans la misère, si le travail lui manque. Il n’y a plus qü’ün pas de la misère au désespoir, et du désespoir au crime. S’est-on beaucoup occupé de cette classe d’hommes depuis un an ? Il n’y en a guère que huit millions dans le royaume, don! les journées d’inaction (à ne les compter qu’à cent par personne et à ne les estimer qu’à 20 sous) coûtent à l’Etat environ 800 millions de valeurs non produites. Il faut voler au secours des enfatits, des malades, des vieillards, puisqu’ils ne peuvent sé secourir eux-mêmes. Que faut-il à la classe ouvrière? Du travail, et qu’elle n’en manque jamais; car, avec du travail, l’ouvrier aura du pain, quelque cher qu’il soit; et l’expérience prouve que si la cherté est permanente, le salaire de son travail augmentera en proportion, et s’y soutiendra. Le plus grand avantage de la classe ouvrière consiste donc dans la très grande concurrence dü travail; èn sorte qu’il y ait plus de éhoses à faire que de bras pour les exécuter. Alors le besoin fera hausser le prix des journées ; tant mieux, Si les bras deviennent insuffisants à la quantité d’ouvrage qui se présente, l’industrie y suppléera par des machines qui abrégeront le travail : encore mieux; c’est le signe d’un surcroît de prospérité. Si les journaliers qui travaillent à la terre manquent d’ouvrage, le propriétaire vivaht à là campagne, qui leur fera exécuter ceux pour lesquels il employait des animaux, fera une très bonne action ; mais il s’y déterminera difficilement, si l’opération le constitue en perte. Rendons sensible par un exemple les conséquences de cet exposé. Il est connu qu’un labourage à la bêche est plus productif qu’un labourage à la chârrue ordinaire. Supposons qu’une coupée (6,250 pièds quarrés) labourée à la charrue fende cinq pour un et qu’en lui donnant un labour à la bêche le produit s’élève à six, que la coupe elle pèse 22 livres) vaille 3 livres, et qu’il en coûte Ja quel mal ferait-il au propriétaire indolent? SI tous deux étaient demeurés dans l’inaction, celui-ci pourrait-il se plaindre? Depuis quand serait-il juste que l’activité récompensât la paresse? SI tous avaient une semblable industrie, l’impôt ne diminuerait-il pas de moitié, puisqu’au lieu de s’élever au cinquième, il ne s’élèverait plus qu’au dixième revenu ? Les consommations n’augmenteraient-elles pas dans la proportion ? ce qui serait encore un bénéfice pour l’Etat. Cependant, le bon exemple gagne de proche en proche: l’indolence se réveille enfin et rougit d’elle-même. Il n’y a plus moyen de mettre sur le compte de l’arbitraire ce plus imposé proportionnel qu’on est contraint de payer. C’est une sorte d’amende dont on ressent quelque honte, et pour s’en affranchir, on travaille. L’intérêt est un puissant mobile sans doute; mais il n’est pas toujours capable de vaincre seul la stupeur de la paresse. L’amour-propré, joint à l’intérêt, a bien plus d’énergie et les exemples n’en sont pas rares. Il est juste cependant qu’après un certain laps de temps on fasse un nouveau recensement des fonds ; car indépendamment de ce qu’il peut survenir dans les possessions territoriales, quelque changement, ou avantageux, auquel l’industrie particulière n’ait aucune part, ou nuisible qu’elle n’ait pu empêcher ; un possesseur qui aura joui du fruit de ses travaux pendant vingt à trente ans, n’est plus dans le cas de se plaindre, si l’on rapproche sa contribution du niveau de la contribution générale. On croira convenable sans doute de choisir entre les modes d’imposition connus, celui qui donnera essentiellement le moins de prise à l’arbitraire. Et puisque la taille et la capitation sont entachées de ce défaut, vraisemblablement ils seront proscrits. D’autre part, la taxe ne devant porter que sur la propriété, on ne voit pas de raison d’en établir plusieurs sous des dénominations différentes. Ainsi, la question se réduit à savoir de quelle manière on asseoira cet impôt unique. Une taxe qui, à l’instar de l’ancien vingtième, prélèverait une partie aliquote du revenu, semble, au premier aspect, éloigner toute idée d’inégalité, surtout si toute espèce de propriété foncière y est soumise, si l’on anéantit les obstacles que les cours de justice avaient mis jusqu’ici à la peré-même somme pour exécuter le labourage à la bêche. Dans cette hypothèse dont les données Sont assez justes en Bresse, la rentrée sera égale à la dépense. L’opération aura été mille pour le propriétaire, et seulement utile aux journaliers qu’il aura fait vivre : c’est déjà beaucoup. Mais si l’impôt l’atteint à raison de l'augmentation de ce produit : je dis que l’impôt est atroce, puisqu’il punit la bienfaisance. C’est pourtant ce que fait la dîme et ce qu’eût fait l’impôt territorial en nature. Supposons que le produit s’élève à six et demi pour un. L’opération aura été utile aux journaliers et au propriétaire. Mais celui-ci aura couru des risques; il aura fait une avance qui lui rentrera très tard. Alors, et si l’impôt frappe sur ce léger profit, peu de propriétaires hasarderont cette avance. Le fermier la hasardera encore moins. Qu’en résultera-t-il? qu’il y aurait eu une valeur produite qui n’existera pas, et voilà l’effet d’un impôt mal assis. Au lieu d’une coupée, supposez cent arpents; au lieu d’un labourage à la bêche, supposez telle autre afnéiio-ration que vous voudrez, un défrichement, un assainissement, un nivellement, une clôture : l’effet est le môme. [Assemblée nationale:] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 183 quation de cet impôt (l),et si les assemblées provinciales vérifient avec sévérité les nouvelles déclarations que chaque tenancier sera tenu de faire. Au moyen de l’abonnement, la sévérité des vérifications ne pourrait jeter aucune défaveur sur les ordonnances et sur leurs préposés; parce qu’il serait dé l’intérêt de tous que la répartition fût juste, et que tout particulier se disant lésé, serait mal venu à se plaindre vaguement, sans apporter preuve de lésion. Mais le vingtième a été sans doute si mal réparti dès l’origine, que son nom seul est devenu repoussant. En effet, si l’on réfléchit que les deux vingtièmes et quatre sous pour livre du premier étaient censés prélever onze centimes du revenu des propriétés foncières du royaume, qu’ils produisaient à l’Etat un peu moins de 58 millions (2), que le rapport du comité des finances, du 29 novembre 1789, évalue l’impôt direct futur à 270 millions, il s’ensuivrait: 1° Que la totalité des revenus fonciers du royaume (clergé excepté) n’élèverait qu’à environ 527 millions, l’opinion assez généralement reçue est qu’elle passe un milliard ; 2° Que les impôts tant directs qu’indirects, auraient été jusqu’ici (à 52 millions près) au pair du revenu des propriétés foncières, conséquence trop invraisemblable pour que le principe ne soit pas erroné (3) ; 3° Que quand même, au lieu dedeux vingtièmes, il en serait payé huit, la taxe serait encore insuffisante pour arriver aux 270 millions requis, puisque quatre fois 58 millions ne donnent que 232 millions. Je conviens qu’on peut opposer à cet aperçu d’un octuple vingtième ; premièrement, qu’une répartition plus rigoureuse que ci-devant, et proportionnée au revenu réel, augmenterait l’élément sur lequel ont porté jusqu’ici les deux premiers vingtièmes ; 4° Que si l’on prend la moyenne proportionnelle du prix des denrées depuis dix ans; et une semblable moyenne sur les dix années qui ont précédé la régie des vingtièmes, on y trouvera une très grande différence ; que naturellement les baux à ferme ont dû augmenter à raison de cette différence, et qu’il s’en faut beaucoup que la taxe des vingtièmes ait suivi le même accroissement ; 5° Que les biens des ecclésiastiques en étaient exempts, et qu’en quelques mains qu’ils passent, ou qu’ils demeurent, ils y seront assujettis ; 6° Qu’au moyen d’une taxe unique, tout autre impôt direct demeure anéanti, de même qu’une très grande partie de l’impôt indirect qui écrasait les campagnes ; et que si, au bénéfice de ces suppressions, on ajoute le bénéfice de l’abonnement des dîmes, il s’ensuivra un surhaussement dans le prix des baux à ferme, parce que « le lot du fermier est fixe, qu’il ne consiste et ne peut raisonnablement consister que dans le remboursement de ses avances, le salaire de son travail, la compensation et le dédommagement des risques qu’il a courus; qu’on n’en peut rien retrancher sans injustice, n'y rien ajouter qu’aux (1) Terme emprunté de la Savoie, où il est en usage, pour exprimer l’acte par lequel on règle la répartition proportionnelle de l’impôt. (2) Compte rendu au roi, en mars 1188. (3) Voyez l’état comparatif, n° 2 du rapport du 29 novembre, où les revenus publics sont portés 4 478 millions. [la mars 1790.] dépens de la propriété. Qu’il en est de même de l’impôt que c’est uniquement le propriétaire qui le paie; car si l’on taxe l’industrie du fermier, celui-ci, en dernière analyse, en donnera d’autant moins à son propriétaire (1); » 7° Que, partant de ce principe incontestable et inhérent à l’essence de la chose, il est parfaitement égal à un fermier de payer d’une part 1.200 livres à son propriétaire et 800 livres en dîmes, gabelles, tailles, capitation, vingtième, etc., ou 2,000 livrés au propriétaire seulement ; qu’il est également indifférent à ce propriétaire de ne pouvoir affermer sa possession que 1,200 livres net, ou de l’affermer 2,000 livres, avec la condition de payer un impôt de 800 livres. Ces observations peuvent donc être très justes, mais l’opinion est la reine des hommes et un vingtième octuple n’eu paraîtrait pas moins odieux et révoltant : d’ailleurs, avant que l’équilibre fût établi, avant que les fermiers et les propriétaires eussent bien conçu ces vérités et que les baux, dont les denrées sont inégales, fassent renouvelés, il se passerait un temps considérable, pendant lequel le désordre augmenterait. Le cadastre, au contraire, ne présente à l’imagination rien qui l’effraie, et porte avec soi une idée d’égalité qui rassure : c’est une véritable politique qui s’appuie sur uue vérité géométrique. Ou reproche néanmoins au cadastre d’exiger beaucoup de temps pour l’établir, d’être dispendieux et d’être un peu sujet à l’arbitraire. Examinons si ces reproches sont fondés. Certainement son établissement consommera beaucoup moins de temps qu’ou ne l’a pensé, par la raison que tous les districts pourront y faire travailler à la fois. Par la raison qu’il n’y aura plus de distinctions à faire entre les biens domaniaux, les biens nobles, les biens ecclésiastiques et les biens en nature, ce qui multipliait ci-devant les commensurations, ou du moins parce que si, pour d’autres motifs, on jugeait la commensura-tion des biens domaniaux et des biens ecclésiastiques nécessaire, c’est abréger l’opération que de n’être pas obligé de la faire deux fois. Parce que les arpenteurs et les appréciateurs des fonds seront efficacement aidés par les municipalités, établies jusque dans les communautés villageoises. Parce qu’il n’est pas d’une nécessité absolue, dès le début, de lever le plan de chaque portion possédée par le même tenancier, et de l’articuler avec l’exactitude d’un propriétaire qui fait lever le plan de son domaine; mais qu’il suffira de prendre les limites de chaque communauté et de circonscrire géométriquement les grandes masses des bois, des terres, des vignes, des étangs, des communaux, des friches, etc., sauf àperfectionner le remplissage de ces plans par la suite, s’il y avait contestation particulière sur les quantités possédées au milieu de la circonscription générale. Ainsi, par la considération même que l’opération est plus courte, elle n’est pas aussi dispendieuse qu’on a pu l’imaginer. A l’égard de la manière d’y procéder, de la diriger et d’en vérifier la justesse, ce mémoire n’en comporte pas les détails. Il suffira de dire que le Languedoc, la Provence, le Dauphiné, la Savoie, sont des pays hérissés de montagnes ; qu’ils sont néanmoins cadastrés, et que cette opération est incompara-(4) Mémoire sur le fermage des terres dans l’otmage déjà cité, p. 44. 184 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 mars 1790.] blement plus facile et moins coûteuse dans les plaines. Je pense qu’on commettrait une faute en omettant d'imposer dans le cadastre les biens communaux et les terres en friches; très modérément sans doute puisque leur produit est presque nul ; mais il est juste que les propriétaires de terres en friches paient une légère amende de leur négligence à les faire valoir, à les vendre ou à les donner par bail à très long termes. A l’égard des communaux, quelle conquêle pour l’agriculture si un léger impôt sur la communauté conduisait à en faire le partage ! Il reste à examiner si le cadastre ne tient pas un peu de l’arbitraire, à raison de ce que la valeur des fonds sera appréciée par des experts, qui n’auront pas toujours la même manière de voir et de juger, et parce que les qualités de bonnes, médiocres ou mauvaises terres ne sont que des qualités relatives et jamais absolues. Il n’existe pas d’opération humaine parfaite ; mais puisque, jusqu’à présent, nous ne connaissons pas de mode d’imposition qui ne présente encore de plus fortes inégalités, il est naturel de préférer celui où il s’en trouve le moins. Celles du cadastre seront tellement diminuées, moyennant les précautions à prendre, qu’il me paraît, à vrai dire, impossible qu’il se rencontre la différence d’un dixième entre l’estimation la plus favorable et l’estimation la plus rigoureuse de deux terrains de la même valeur. Au lieu d’employer les qualifications de bon, médiocre et mauvais, les experts, en évaluant le produit des fonds en argent, ôteront toute équivoque. D’ailleurs, ces estimations seront contrôlées par des commissaires des districts, même des départements, qui se transporteront sur les lieux S’il est nécessaire, écouteront les plaintes, appelleront de nouveaux experts, et examineront si leur rapport s’éloigne ou non du prix des baux à ferme. Ces baux eux-mêmes ne sont pas, il est vrai, totalement exempts d’inégalités, soit à raison de quelques considérations particulières du bailleur à l’égard de son fermier et réciproquement, soit par rapport à quelques circonstances qui n’auront pas permis au premier d’affermer ses fonds suivant leur valeur intrinsèque : alors l’estimation des experts réagira sur cette inégalité des baux, comme le prix des baux avait agi sur l’estimation des experts. Et si, en dernière analyse, il en résulte quelque faveur à l’égard des fonds cultivés par les propriétaires mêmes, où est le mal ? Cette classe d’hommes si utiles, si respectables, malheureusement trop peu nombreuse en France, se multiplierait par la facilité que le cadastre leur donnerait de faire des acquisitions, facilité dont elle avait été privée jusqu’ici par le trop grand avantage que la classe privilégiée avait sur elle. L’utilité du cadastre ne se borne pas à établir par une très grande approximation l’égalité entre les contribuables, il mettra les administrateurs des districts et des départements sur la voie de proposer des opérations qui favoriseront le commerce, la population et l’agriculture d'une manière générale; ils verront quel genre de production méritera d’être aidé par préférence ; ils jugeront, par exemple, d’après la proportion entre la quantité des bois et la consommation ordinaire et locale, jusqu’à quel point il convient d’encourager les semis et les plantations, ou de s’opposer aux défrichements ; ils proposeront des primes pour les dessèchements des marais, pour la suppression des étangs malfaisants, pour l’arrosement des terrains que la sécheresse rend stériles. Ils voteront un chemin en faveur d’un canton fertile, où l’agriculture languit faute de débouchés. Mille encouragements de cette espèce naîtront de la connaissance des localités qu’on acquerra beaucoup mieux par le cadastre que par toutê autre voie, et dont l’influence rejaillira jusque sur les opérations majeures du gouvernement, si le cadastre est uniformément ordonné dans le royaume. Tout fermier cultivateur, relativement à l’exploitation de sa ferme, demeurera franc d’impôts, au moyen du cadastre. Les fermiers bourgeois méritent-ils la même faveur? Peut-être sont-ils moins pernicieux dans les pays de grande exploitation ; mais il est certain qu’en Bresse, leur fausse industrie nuit aux progrès de l’agriculture. A leur égard, à l’égard des propriétés foncières dans les villes, et à l’égard des propriétés industrielles tant dans les villes que dans les campagnes, il serait fait un rôle particulier d’imposition et sous le nom, si l’on veut, de taxe industrielle, puisque le cadastre ne saurait les atteindre. J’ose croire que les principes que j’ai tâché d’établir et les conséquences que j’en ai tirées sont assez justes pour être à peu près universellement avoués. Mais leur application dépend du jugement, qui est encore à prononcer sur une très grande question dont personne ne se dissimule la difficulté: il s’agit de la répartition première de l’impôt direct à établir entre chaque département. J’ai dû la supposer résolue cette question, lorsque j’ai composé mon plan de finances, parce qu’il fallait, tôt ou tard, que l’Assemblée nationale y prononçât , et je n’aurais point hasardé mon opinion particulière à cet égard, si nos représentants ne m’avaient pas fait l’honneur de m’interroger. La législature actuelle doit-elle prononcer définitivement sur la division de l’impôt entre les départements, ou se contenter d’y statuer provisoirement? Et, dans cette alternative, quel est des deux partis le plus avantageux aux peuples? Voilà, si je ne me trompe, la question qui reste à examiner. La répartition définitive suppose la reconnaissance parfaite de l’égalité proportionnelle des départements. Ce point d’égalité, cette équation politique, est en raison composée de l’étendue des départements, deleur population, de leur produit territorial, compensé par les frais d’exploitation, de leur commerce, du prix ordinaire des denrées, et de ce que. les peuples ont payé jusqu’à présent, tanten impôt direct qu’indirect, sans qu’aucune de ces bases, prises séparément, puisse servir de guide unique et sûr, en excluant les autres. Mais que d’inconnues à découvrir avant d’arriver à la résolution du problème ! D’ailleurs, quand même un génie d’un ordre supérieur ferait connaître, comme par enchantement, la force proportionnelle de chaque département, n’y aurait-il pas de danger à établir brusquement l’impôt d’après cette connaissance, fût-elle rigoureusement démontrée? On ne peut se dissimuler la disproportion qui règne entre les contributions des provinces. Mais chacune d’elles est accoutumée au poids qu’elle supporte, et à la manière dont elle le supporte. Un changement subit, qui chargerait violemment les provinces, donnerait lieu indubitablement à des réclamations qui pourraient dégénérer en révoltes. Les abus veulentêtre réformés comme iks s’introduisent, peu à peu, jamais par secousses. IIS mars 1790.] [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES, 185 Examinons maintenant les effets de la répartition seulement provisoire. Quelque inégalité que l’on préjuge dans l’ancienne répartition, on ne saurait supposer qu’une province soit imposée d’un sixième au-dessus et une autre province d’un sixième au-dessous de ce que toutes deux devaient payer raisonnablement. La différence se trouverait entre elles dans le rapport de cinq à sept et serait énorme. Il est vraisemblable, au contraire, que la plupart diffèrent entre elles dans un rapport beaucoup plus rapproché. Prenons au hasard deux départements, celui de Besançon et de Grenoble. Supposoos-les intrinsèquement de la mèmè force, et qu’elle soit égale à la force moyenne de tous les départements du royaume pris ensemble. Puisqu’il y a 270,000 à répartir entre 80 départements (1), ceux de Besançon et de Grenoble devront être imposés chacun 4 3,775,000 livres dans cette hypothèse. Supposons encore qu’au lieu de les imposer également la répartition provisoire les ait placés dans lerapportde 5 à 7, c’est-à-dire que le département de Besançon soit imposé de 2,812,000 livres et celui de Grenoble à 3,917,500 livres. Peut-être paraîtrait-il juste au premier aspect de diminuer Grenoble de 362,500 livres, moitié de la différence et d’en charger Besançon ; mais je craindrais que l’opération ne parût violente, et ne fût dangereuse: à la plus prochaine législature, il faut sans doute diminuer Grenoble, mais non faire porter cette diminution en surcharge sur quelque autre département que ce soit ; elle sera prise sur la bonification qu’auront apporté à l’Etat l’exécution successive des rentes viagères ou la vente des biens ecclésiastiques et domaniaux -, le département favorisé parue moins imposé ne participera à cette bonification qu’après que tous les autres départements se trouveront au pair avec lui. Rien de plus juste; l’opération se fera sans trouble, et l’espérance fondée d’une diminution prochaine calmera les esprits et ramènera la confiance. Le cadastre semble donc le seul mode d’imposition connu, qui satisfasse à la question proposée à la tête de ce mémoire; l’Assemblée nationale peut assurément décréter qu’il y sera incessamment procédé par tout le royaume; mais jusqu’à ce qu’il soit achevé elle jugera vraisemblablement qu’elle ne peut sans risques changer les anciens modes, et qu’il lui suffira d’établir une division provisoire, en laissant aux assemblées provinciales, plus au fait des convenances locales, la pleine liberté d’en faire la sous-divi-sion entre les districts et les communautés. On doit s’attendre qu’elles y éprouveront elles-mêmes de grandes difficultés, si elles rejettent le cadastre. Pourront-elles, en effet, se flatter de trouver elles-mêmes un mode d’imposition uniforme, et qui, sans tenir de l’arbitraire, soit également applicable aux pays riches et aux pays pauvres, aux cantons maritimes et aux cantons de l’intérieur, aux plaines comme aux montagnes, aux vignobles ainsi qu’aux prairies, aux habitants près des villes et à ceux de l’intérieur des campagnes ? J’ai peine à me le persuader. Quoi qu’il en soit, elles garderont, selon toute ap-(1) Ayant supposé, dans mon plan de finances, le royaume divisé en quatre-vingts départements qui n’étaient point alors décrétés, je dois continuer mes calcul* d’après la môme supposition. parence, les formes anciennes, jusqu’à ce qu’elles se soient déterminées à un mode quelconque qui se rapproche davantage de l’égalité. A l’égard du mode de perception il est facile de le rendre uniforme, au moyen des divisions décrétées ; les cautionnements des comptables, leurs attributions, leurs versements, la forme de leur reddition de comptes peuvent être partout semblables ; il me semble même que tout comptable doit désirer que l’Assemblée nationale prononce d’avance sur cet article. Nous avons vu que l’agriculture, étant aujourd’hui la seule ressource de la France, l’industrie agricole devait être encouragée par tous les moyens capables d’augmenter son activité; et que si un impôt mal assis tendait à la détruire, un impôt bien ordonné pouvait lui rendre la vie. Il a été prouvé que si l’égalité de contribution proportionnée à la valeur actuelle des terres, était la première condition d’un impôt bien ordonné, il n’était pas moins nécessaire, aux progrès de l’agriculture et au maintien de ses succès, que cet impôt ne fût plus susceptible d’augmentation, et laissât au contribuable la consolante expectative d’en voir diminuer le poids par ses avances et ses travaux, et la quotité par l’amortissement successif des dettes de l’Ktat ; les moyens eu ont été indiqués. J’ai exposé le pour et le contre des deux modes d’impositions connus, qui, présentant le moins d’arbitraire, approchaient le plus de l’égalilé. D’après de grandes probabilités appuyées sur des faits, j’ai cru devoir conclure en faveur du cadastre. Enfin, je me suis occupé de la question de savoir si l’Assemblée nationale pouvait avoir, en ce moment, une connaissance assez complète de la force respective des départements, pour prononcer en définitive sur la part de l’impôt direct que chacun d’eux devra supporter, ou si elle peut se contenter d’y prononcer provisoirement. Il me semble avoir prouvé que la décision définitive avait des dangers et que la décision provisoire n’entraînait ni suite fâcheuse, ni changement aux plans proposés. Tel est le résumé des questions particulières que nous avons discutées, et dont l’ensemble et le résultat répondent à la question générale sur laquelle nos représentants m’ont fait l’honneur de me demander mon opinion. Ils sont priés en même temps de considérer qu’aucun des principes expliqués dans ce mémoire ne contrarie ceux qui ont fait la base du plan de finances. Ce sont des parties d’un même tout qui s’engrainent et se lient étroitement entre elles. Ou l’un et l’autre plan sont à rejeter; ou ils doivent remplir cumulativement deux objets de la plus grande importance, et qui soDt inséparables : celui de restaurer l’agriculture, en assurant au propriétaire et au cultivateur la pleine jouissance de leurs travaux; et celui de rappeler la confiance et le numéraire en assurant aux créanciers de l’Etat une hypothèque, une garantie et des payements certains. Tout projet de restauration qui n’embrassera pas ce double objet, et qui ne tiendra pas un juste équilibre entre le créancier et le débiteur, sera nécessairement vicieux, puisque s’il est contestable que la prospérité de l'agriculture fait la sûreté des créanciers de l’Etat, dont elle est le gage, il est également démontré que la fortune du capitaliste nourrit et vivifie l’agriculture en y versant un numéraire si nécessaire à ses travaux. Puissent cet intérêt commun, ce besoin réci- 186 [Assemblé* nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 mars 1790.] proque, ces secours mutuels, mieux connus, mieux réfléchis, mieux serltis, rappeler l’harmonie parmi nousl Ët puisse cette réunion faire trembler à leur tour les ennemis de la patrie ! Mais le temps presse, il n’y a pas un instant à perdre, nous sommes menacés, l’ennemi est à nos portes; et ce n’est pas pour s’entredéchirer que las Français ont été appelés au développement de leur patriotisme dans toute leur énergie. Moyen d’acquitter les dettes de l’Etat dans un temps donné , et de rappeler la confiance et le numéraire, sans recourir à l'avenir aux emprunts ordinaires , sans recourir au papier-monnaie , et en détruisant à jamais l’agio. Les besoins de l’fîtat consistent : 1° dans les dépenses annuelles de l’administration, telles que la maison du roi, la guerre, la marine, etc. Ces sommes doivent être versées à des termes fixes, afin de n’être jamais dans le cas de recourir à des anticipations pour faire le service. Ils consistent : 2° dans l’acquittement des intérêts dus à tous particuliers, étrangers ou regni-coles, qui ont fait des avances, prêté leur crédit; auxquels il est dû, enfin, soit à rentes constituées ou viagères, soit à termes fixes et dans le remboursement successif des capitaux. L’Assemblée nationale a pris ces créanciers sous sa sauvegarde, et il est à présumer que l’état de ces créances est clairement arrêté. Afin de présenter des principes si simples et des calculs si clairs, qu’il ne soit pas besoin d’une seconde lecture pour les entendre, nous allons partir d’après des suppositions sauf à en modifier les résultats, en plus ou en moins, proportionnels sur des données plus justes, mais plus compliquées* On verra bientôt, quelles que soient en définitive ces données, avec quelle facilité les mêmes principes et les mêmes conséquences leur seront applicables. On suppose que le premier chapitre des besoins de l’Etat soit de 250 millions, et que les arrérages à payer s’élèvent à la même somme. Il a été décrété que le royaume serait divisé entre soixante-quinze et quatre vingt-cinq départements; on suppose que leur nombre soit quatre-vingts. 500 millions, divisés par 80, donnent à chacun d’eux (moyennement) 6,250,000 livres d’impositions, soit directes, soit indirectes. Ce calcul porte nécessairement sur une moyenne proportionnelle; car il est clair que si l’une des divisions est quatre fois plus riche que la division voisine, le Lyonnais, par exemple, quatre fois plus riche que la Bresse, et que la Bresse soit imposée à 3 millions, le Lyonnais doit eu supporter quatre fois davantage; ainsi des autres. 11 y a deux sortes d’impôts; le direct sur les fonds et les personnes; l’indirect sur les consommations: nous comprenons dans cette classe tout ce qui est en ferme ou en régie. Quoiqu’on conçoive d’avance que plus l’imposition indirecte sera forte, plus la directe sera faible, et réciproquement; qu’on permette pour un instant de faire abstraction de l’impôt indirect, et de supposer, pour la simplicité du calcul, que toutes les impositions sont sur les fonds et les personnes : nous reviendrons ensuite à l’impôt indirect. Qu’on permette aussi de considérer, pour un instant, les rentes viagères comme si elles étaient perpétuelles. ’ La première opération, celle d’asseoir entre les départements provinciaux les 250 millions qui doivent fournir à la dépense de l’administration, étant fixée, elle sera la base de toutes les opérations ultérieures; car alors, il devient facile de diviser la masse entière et bien constatée des dettes de l’Etat entre chacun des quatre-vingts départements, au marc la livre de ce qu’ils devront verser à la caisse d’administration. Bendons ceci sensible par un exemple. Soit un département composé de la Bresse, Bugey, Domhes et (iex, imposé à 1,500,000 francs envers la caisse d'administration : ce département sera en outre chargé, parla supposition de 1,500,000 livres d’arrérages dus aux créanciers de l’Etat; ainsi il deviendra débiteur, en son propre nom, d’un capital de 30 millions, portant 1,500,000 livres d’intérêts; desquels 30 millions (mûinsles rentes viagères auxquelles nous reviendrons) il sera passé contrat, sans autres frais que ceux de parchemin et d’écritures, aux créanciers de l’Etat, délégués au prorata de cette somme. Jusqu’ici on ne voit pas d’amortissement pour une dette aussi forte. En voici. Il nous paraîtrait injuste que tout le fardeau du jour portât sur la propriété foncière et sur la classe ouvrière, pour garantir à des capitalistes, régnicoles ou étrangers, qui ont déjà fait des gains considérables, même sur les capitaux peut-être, une propriété dans l’Etat, qui serait seule exempte des charges de l’Etat, tandis que les autres propriétés en seraient écrasées. Il' serait donc très légitime de les imposer également, et dans la même proportion, la retenue en serait faite en acquittant les intérêts et formerait le premier fonds d’amortissement (1). Les propriétés déclarées propriétés nationales et les domaines du roi rentrant par leur nature dans le commerce, pourront être acquises et payées par les porteurs de contrats, ce qui en favorisera la circulation, et leur extinction formera un second fonds d’amortissement. Troisièmement, les créances et par conséquent les arrérages, s’éteignant, le bénéfice qui en résultera annuellement sera divisé en deux parts que nous supposerons égales; une des moitiés profiterait aux contribuables en moins imposés, l’autre moitié tournerait en amortissement. Par exemple et toujours d’après les suppositions ci-dessus, il aura été remboursé en 1791, pour 300,000 livres de créances déléguées sur la Bresse; les arrérages à payer en 1792, seraient diminuées de 15,000 livres, dont moitié profiterait à l’amortissement. Cet objet modique dans les commencements deviendrait très sensible en peu d’années : la démonstration en serait facile, mais prendrait trop (1) Si le plan qu’on propose était adopté, l’Assemblée nationale aurait à juger, dans sa sagesse, les questions suivantes : 1* Les intérêts dos contrats dus aux créanciers de l’Etat seront-ils payés sans retenue, ou seront-ils imposés environ au Cinquième, plus ou moins, de leur revenu? 2° Dans le cas où celte imposition serait prononcée par l’Assemblée nationale, tous les propriétaires de contrats y seraient-ils assujettis indistinctement? On en présume quelques-uns dans le cas d’une exception, ne fût-ce que les propriétaires de contrats qui ont déjà souffert autrefois une réduction sur les capitaux et quelques autres encore pour qui cette non réduction serait considérée comme une prime; 3° Les rentes viagères seront-elles ou ne seront-elles pas imposées?» [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 mars 1790.] 437 de place, et chacun peut en faire le tableau. L’opération est l’inverse de ces intérêts d’intérêts que la France a payés et qui l’ont ruinée (1). AVANTAGES DE CE PLAN. Passé 1790, il supprime totalement les emprunts, et conséquemment le principal élément de l’agio-, qui ne donne Je répit au moment que pour plonger plus sûrement dans l’abîme. Les opérations de finance ne sauraient être trop simples, trop notoirement à découvert. Plus il est employé de ressorts à cette grande machine et de ressorts cachés, plus il y a de frottements, plus elle s’use. L’exécution de ce plan ramènera la confiance : le passé à cet égard est le garant de l’avenir. Les emprunts des pays d’Etats étaient remplis presque aussitôt qu’ouverts. Les contrats sur la Bourgogne ont été constamment au pair; c’est-à-dire tout propriétaire, dans le cas d’en faire un revirement contre de l’argent comptant, trouvait ou un capitaliste qui s’empressait de lui être subrogé, ou son remboursement chez le trésorier de la province, auquel un fonds d’amortissement toujours subsistant en donnait la facilité. L’exécution du plan est, par sa simplicité, de nature à être facilement surveillée par les administrations provinciales, et revisée par l’Assemblée nationale. Le numéraire n’est pas détruit en France; il n’est que stagnant ou enfoui; il sortira dès que la confiance sera rétablie ; mais la confiance ne se commande pas. Les sommes imposées pour l’acquittement des dettes, sortiront en moindrequantité des provinces qu’elles ne le faisaient auparavant; il est sensible qu’en général le créancier, même étranger, se rapprochera de son débiteur par des acquisitions dont sa concurrence augmentera le prix. Cette idée mériterait un développement ; mais ceci n’est qu’un aperçu, et l’on est forcé de se restreindre. Inconvénients auxquels ce plan remédie. La plus importante des questions qui s’agitent, est de savoir si, pour suppléer la disette du numéraire, on augmentera le nombre des billets de la caisse d’escompte, ou si l’on fera du papier-monnaie pour deux à trois cents millions. Dans le temps du plus grand crédit de la caisse d’escompte, la circulation de ses billets s’est bornée à Paris; elle n’a pu s’établir en province. Et l’on veut que deux à trois cents millions de papier mon naie circulent en ce moment dans le royau me ! Encore une fois, la confiance ne se commande pas. On donnera en paiement et on recevra le papier-monnaie au Trésor public. Fort bien ! Mais tous les objets de consommation, toutes les fournitures à faire au gouvernement vont doubler de prix, si les fournisseurs sont payés en papier-monnaie, et les 250 millions qu’on a supposé suffire ne suffiront plus. Qu’arrivera-t-il encore? Le fatal agio circonscrit jusqu’ici dans l’enceinte de Paris et de> grandes villes de commerce, va infecter jusqu’aux villages. Il n’est si mince collecteur de (1) En faisant tourner entièrement l’extinction progressive des arrérages au profit de l’amortissement, toutes les dettes seraient éteintes en moins de quarante-deux ans, petites villes qui ne trouve le moyen d’échanger� avec profit, l’argent qui lui aura été remis par les contribuables en un billet de banque, et le Trésor public ne recevra que du papier. La quantité de billets circulants sera-t-elle d’ailleurs assez universellement connue pour inspirer une parfaite confiance? Au lieu qu’il est impossible, et chacun le sait, que les contrats dus par les provinces puissent excéder la dette ancienne, et tous les ans il s’en éteindra au moins la centième partie. D’ailleurs, ces contrats offriront un double appas, qui en favorisera la circulation : ils porteront intérêts, et l’on pourra s’en servir pour faire des acquisitions. Si jusqu’ici ce plan n’a porté que sur des suppositions, ce n’a été qu'afin de rendre plus simple, plus intelligible et plus claire l’application qui va être faite d’un principe démontré à la situation présente des finances. Actuellement, nous n’allons plus rien supposer. La perception de l’impôt indirect ne pouvant être faite que par des compagnies, c’est à Paris, c’est au centre des affaires que ces compagnies doivent exister. L’ordre dans la comptabilité paraît nécessiter également que les rentes viagères et les pensions soient payées à Paris. Sur le compte qui en sera rendu a mesure qu’elles s’éteindront, les contribuables, par tout le royaume, en seront proportionnellement soulagés. La recette, telle que l’a arrêtée le rapport du comité des finances, par l’organe de M. le marquis de Montesquiou (1), montera, savoir : Impôt direct .................. 270,211,000 Iiv. IVoy.le n»2p. 4. Impôt indirect ................ 175,528,800 (445,749,000 liv. La dépense qui sera payée par les provinces aux parties prenantes, d’après les contrats qui leur en seront passés, comprendra, Kentes perpétuelles .......... 56,796,924 Intérêts des fonds publics et d’autres créances.. 31,443,082 Emprunt de 1789. 2,000,000 Indemnités ...... 3,179,000 La justice criminelle .......... 3,180,000 La justice gratuite..... ..... 6,000,000 La dépense du Trésor pub Paris en une ou deux caisi il n’importe, sera de .... . Excédent de la recette ordinaire sur la dépense ordinaire, et dont on va voir l’emploi. . . . 33,415,508 liv. D’après ces données, dont la justesse, au moins par approximation, ne saurait être douteuse, l’impôt direct serait moyennement, sur chacun des quatre-vingts départements, de la somme de ................. 3,377,637 liv. 10s. L’impôt direct de ......... 2,194,225 » Total ..... ... 5,571,862 liv. 10 s. PREUVE. 5,571,682 liv. 10 s. multipliés par 80 égalent 445,749,000 liv. mention nées au n° 2 du rapport. Les arrérages à payer moyennement par dépar-(1) Quand même les données de ce rapport ne seraient pas parfaitement exactes, ce qui n’est pas à présumer, les résultats arithmétique* changeraient, ruais le fond du plan n’en serait point altéré. liv. }10l,597,008 liv.\ lVoy.len°lp.4. 412,333,492 liv. lie Si 309,734,486 188 [Assemblée naiionale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [16 mars 1790.] tement, frais de justice compris, seraient de 1,282,487 liv. avec une fraction qu’on néglige. Les capitaux à la charge de chaque département, et dont il serait passé contrat aux créanciers de l’Etat, seraient moyennement de.23,354,751 liv. Application de ces principes et de ces calculs à un département dont la force ne serait que moitié de la force moyenne des autres départements du royaume. Il serait chargé en impôt direct de ............................. 1.668,818 liv. Il paierait en impôt indirect confusément avec le reste du royaume. 1,097,113 Total ......... 2,765.931 liv. Il devrait en capitaux 11,677,375 livres ; il paierait aux parties prenantes, y compris le cinquième à retenir pour le fonds d’amortissement ; En frais de justice. 114,777 I 698,640 liv. 11 verserait dans la caisse ou les caisses publiques ............... 970,173 liv. Total ......... 1,668,818 liv. On peut voir par cet exemple combien il est facile d’adopter ces principes, clairement démontrés à un département quelconque, dès que sa force, proportionnelle avec les autres départements, sera connue et arrêtée, opération qui est préalablement indispensable à quelque plan que l’on s’arrête. Objection. — Ce projet neremédie point au besoiu de satisfaire sur-le-champ à des dettes criardes qui montent à 878 millions y compris les besoins extraordinaires des années 1789 et 1790. Réponse. — Loin que ce projet affaiblisse ou contrarie aucun des moyens proposés à cet égard par le comité des finances, en les laissant tous subsister, il en facilite l’exécution. Il n’est pas clairement démontré dans le rapport, que la rentrée des fonds, qui doivent subvenir au paiement très prochain de ces dettes, soit complètement certain ; mais il est à présumer qu’un grand nombre de créanciers préféreraient les sûretés d’un contrat sur les provinces à l’incertitude d’un paiement qui peut être longtemps différé. Cette portion de dettes acquittées par des contrats, sortira de la classe des dettes criardes : de ce nombre sont les anticipations, les assignations, les arriérés des rentes et des départements, les avances de la caisse de Poissy. Ces objets montent à 387,202,673 livres. 11 est juste que ces créances soient, par privilège, remboursées des premières sur les fonds d’amortissement. Or, quelque parti que l'on prenne avec le clergé, et relativement à l’aliénation des domaines du roi, l’acquisition de ces biens produira nécessairement et incessamment beaucoup de fonds. A l’égard des besoins extraordinaires, montant à 170 millions, il reste pour y subvenir les dons patriotiques et le quart du revenu. Le rapport du comité porte ces deux articles à 275 millions, et les destinait à des remboursements qui, pour la plus grande partie, peuvent être faits par des contrats. Enfin, il reste un excédent de recette qui représente un capital de plus de 668 millions, un don patriotique évalué 275 millions, et des biens-fonds à vendre, dont on ne saurait évaluer le prix, pour servir de sûreté aux capitalistes qui fourniront aux besoins pressés du moment. Les intérêts de leurs avances leur seront assignés, par préférence, sur les caisses des départements provinciaux les plus rapprochés de Paris. Nota. — La date de l’envoi (7 décembre) justifie l’auteur de n’avoir point parlé des décrets du 19 décembre; mais l’extrême simplicité de ce plan le rend applicable à l’état présent des finances du royaume, sans que les changements amenés par les circonstances, en altèrent essentiellement le fonds. L’impérieuse nécessité d’apporter le plus prompt remède aux maux qui, sans la sagesse des décrets du 19, eussent été inévitables,' les a fait consentir, ces décrets, par l’Assemblée nationale. Mais ce qu’il en coûtera au gouvernement pour leur exécution, prouve, jusqu’à l’évidence, le besoin indispensable de ramener les recettes et les dépenses de l’Etat à des combinaisons moins compliquées. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. RABAUD DE SAINT-ÉTIENNE-Séance du mardi 16 mars 1790, au matin (1). La séance est ouverte à neuf heures du matin. M. Mougins de Roquefort, l'un de MM. les secrétaires , donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier. M. Millon de Montherlan fait une réclamation au sujet de l’article du décret sur les droits féodaux dans lequel il est question delà manière départager les successions entre les enfants déjà mariés ou veufs et ayant enfants. L’Assemblée décide que M. Millon de Montherlan communiquera ses observations au comité féodal. M. Delacour d’Ainbézieux, à propos du même décret sur les droits féodaux, propose de remplacer ces mots : vins de leur cru, par ceux-ci : leurs vins. Ce changement est adopté. M. Rouche observe, sur l’article 2 du décret relatif à la gabelle, que la fixation de l’impôt à quarante millions forme contradiction avec le dispositif de la suite de cet article, qui annonce q ue la contribution arrêtée pour remplacer la gabelle ne sera payée que pour les neuf derniers mois de l’année 1790. 11 propose de substituer aux mots : pour l'année, ceux-ci : par année. M. le marquis de Ronnay explique que l’équivoque qu’on veut faire ressortir n’est qu’apparente. Le remplacement est fixé pour cette année sur le pied de 40 millions, de manière que pour les neuf mois qui restent à s’écouler, il s’élèvera à 30 millions. Il demande la question préalable. La question préalable est mise aux voix; elle est adoptée ainsi que le procès-verbal. (1) Cette séance est incomplète au Moniteur.